La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/05/2023 | FRANCE | N°20/01449

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 24 mai 2023, 20/01449


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 24 MAI 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/01449 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LQLU

















S.A.S. COMPAGNIE DES GAZ DE PETROLE PRIMAGAZ



c/



Monsieur [I] [E]

















Nature de la décision : AU FOND














<

br>

Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 février 2020 (R.G. n°F 18/01727) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 16 mars 2020,





APPELANTE :

SAS Primagaz anciennement dénommée SAS Compagnie ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 24 MAI 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/01449 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LQLU

S.A.S. COMPAGNIE DES GAZ DE PETROLE PRIMAGAZ

c/

Monsieur [I] [E]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 février 2020 (R.G. n°F 18/01727) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 16 mars 2020,

APPELANTE :

SAS Primagaz anciennement dénommée SAS Compagnie des Gaz de Pétrole Primagaz, agissant en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 542 084 454

représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Thomas CARTIGNY de la SELEURL CARTIGNY AVOCAT, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [I] [E]

né le 01 Novembre 1958 à [Localité 3]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Philippe-adrien BONNET de la SELARL ADRIEN BONNET, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mars 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [I] [E], né en 1958, a été engagé par la SAS Compagnie des gaz de pétrole Primagaz, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 novembre 1995, en qualité de délégué commercial , classification 1B - coefficient 230, selon la convention collective nationale de l'industrie du pétrole.

Par avenant en date du 22 mai 2001 et à compter du 1er juin 2001, M. [E] a occupé le poste de responsable technico-commercial énergie, classification 2A, coefficient 250.

Par avenant du 16 septembre 2010 et à compter du 1er octobre 2010, M. [E] a occupé la fonction de responsable technico-commercial collectivités au sein du département collectivités de la direction commerciale sous la responsabilité du responsable marchés canalisés et DSP.

Par avenant du 19 janvier 2012 et à compter du 1er avril 2012, M. [E] a occupé le poste de chargé technico-commercial délégation de service public sous la responsabilité du responsable de marchés collectivités DSP au sein de la direction énergie.

Par avenant du 7 février 2012 et à compter du 1er avril 2012, M. [E] a occupé les fonctions de responsable technico-commercial délégation de service public sous la responsabilité du responsable des marchés collectivités DSP au sein de la direction énergie.

Par courriel du 1er mars 2018, M. [E] a été informé officiellement avec un autre collègue d'une évolution de son poste, nouvellement intitulé RTC Convention Réseaux, au sein de la direction commerciale, relation clients, sous la responsabilité de la responsable régionale relation clients, et ce à effet au 1er février 2018.

Par courriels des 30 mars et 6 avril 2018, M. [E] a demandé un rendez-vous avec la direction des ressources humaines.

Par courrier du 20 avril 2018 la société a transmis à M. [E] la définition de ses fonctions, son conseil demandant alors par courrier du 31 mai des explications sur la définition de certaines tâches non explicitées.

Par lettre datée du 7 juin 2018, M. [E] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 juin 2018.

M. [E] a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 11 juillet 2018.

A la date du licenciement, M. [E] avait une ancienneté de 22 ans et 8 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés. En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [E] s'élevait à la somme de 5.080,33 euros bruts.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse outre une somme au titre du préjudice moral, M. [E] a saisi le 7 novembre 2018 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 21 février 2020, a :

- dit le licenciement de M. [E] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz à lui verser la somme de 83.825,45 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz à lui verser la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [E] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz aux dépens.

Par déclaration du 16 mars 2020, la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz a relevé appel de cette décision, notifiée le 24 février 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 janvier 2023, la société Compagnie des gaz de pétrole Primagaz demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 21 février 2020 en ce qu'il a dit le licenciement de M. [E] dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'a condamnée à lui verser les sommes de 83.825,45 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a condamnée aux dépens et l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

- dire le licenciement de M. [E] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- dire M. [E] mal fondé en l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande de M. [E] à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- débouter M. [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions formulées à son encontre,

- condamner M. [E] à lui payer la somme de 1.500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens d'appel.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 janvier 2023, M. [E] demande à la cour de':

- déclarer irrecevable et mal fondé la société CGP Primagaz,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 21 février

2020 en ce qu'il a dit son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société CGP Primagaz à lui verser la somme de 83.825,45 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société CGP Primagaz au paiement de la somme de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant, réformant partiellement ledit jugement,

- condamner la société CGP Primagaz au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'indemnisation de son préjudice moral,

- condamner la société CGP Primagaz au paiement de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement qui fixe l'objet du litige en date du 11 juillet 2018 est ainsi rédigée :

« Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 7 juin 2018, nous vous avons convoqué à un entretien préalable le mardi 19 juin 2018 à 14h30 ; entretien auquel vous vous êtes présenté assisté de Monsieur [U] [T], Secrétaire du Comité d'Entreprise de la CGP PRIMAGAZ et Délégué syndical.

Lors de cet entretien, nous vous avons exposé les motifs qui nous ont contraints à envisager votre licenciement et qui sont les suivants :

Vous avez été embauché par notre société le 13 novembre 1995 et y exercez, en dernier lieu, la fonction de Responsable Technico-commercial sur l'activité conventions réseau.

Le 19 janvier 2018, votre précédent responsable hiérarchique vous informe que votre périmètre allait changer et que vous ne seriez non plus dédié aux délégations de services publics, mais que votre périmètre d'activité serait d'intervenir, toujours en tant que Responsable Technico-commercial, sur les conventions réseau.

Le 1er mars 2018, vous recevez par courriel votre lettre de changement de rattachement hiérarchique confirmant que votre périmètre d'activité était modifié depuis le 1er février 2018, toutes choses égales par ailleurs.

Le 9 mars 2018, une réunion en visioconférence est organisée à l'initiative de la Directrice de la Relation Client afin :

- d'échanger avec l'ensemble des interlocuteurs concernés sur les nouveaux modes de fonctionnement,

- de déterminer de façon conjointe la manière de vous impliquer dans la mise en oeuvre de ce changement de périmètre et notamment comment assurer la transition progressive entre votre activité précédente et la nouvelle activité.

Dans ce cadre, elle vous demande dans un premier temps de faire part à votre nouveau Responsable hiérarchique d'un état des lieux exhaustif des tâches que vous gérez à ce moment-là et des tâches à venir.

Vous nous rappelez qu'il vous avait été annoncé que votre poste était supprimé. Nous vous répondons que ce n'est pas le cas, que votre activité changeait et que nous souhaitions construire avec vous la dynamique de ce nouveau périmètre.

Le 12 mars, vous adressez une lettre recommandée à la Directrice des Ressources Humaines, pour lui faire part de vos différentes interrogations face à cette situation, et notamment le fait que ces changements interviennent de manière unilatérale et stipulant qu'il est acté que votre poste de RTC DSP est supprimé.

Cette initiative nous indique que vous vous inscrivez dans une démarche contestataire face à ce changement de conditions de travail.

Pour autant et pour aller dans le sens d'une démarche constructive, le 3 avril, la Directrice de la Relation Client vous demande pour la seconde fois, par courriel cette fois, de dresser la liste des missions en cours, d'évaluer le temps passé sur ces missions et vous fixe une échéance fixée au lendemain pour la lui fournir. Vous répondez le 6 avril 2018 en retranscrivant les responsabilités et missions de la Définition de Fonction du poste de RTC DSP.

La Directrice de la Relation Client vous demande par mail du 9 avril de fournir de façon plus exhaustive la liste des tâches que vous avez en cours et de fournir à votre responsable hiérarchique, chaque lundi, un reporting d'activité dans le but de mieux appréhender votre charge de travail résiduelle sur votre ancien périmètre ainsi que de donner la visibilité à votre manager sur votre agenda Outlook.

Le 6 avril nous sommes étonné de recevoir un courrier de la part de votre conseil adressé à Monsieur [X], membre du Comité exécutif de SHV Energy soulevant les mêmes problématiques que précédemment adressé à la Directrice des Ressources Humaines, alors même que nous pensions pouvoir vous associer au cadrage de vos nouvelles missions, ce qui aurait servi à répondre à un certain nombre de vos interrogations et vous affirmer à nouveau que votre poste a bien une raison d'être et qu'en aucun cas nous ne cherchions à vous écarter de la structure contrairement à ce que vous voulez bien affirmer.

Le 12 avril, vous demandez à la Directrice de la Relation client des précisions sur l'organisation de l'activité et notamment lorsque la passation entre l'ancienne et la nouvelle activité sera faite, vous confirmez que vous ne vous occuperiez plus les DSP. Elle vous répond le 23 avril que vous garderez le même niveau de responsabilités, que vous gèrerez les actions de fidélisation uniquement elle vous invite enfin à vous rapprocher de votre responsable hiérarchique pour avoir plus de détails.

Le 26 avril vous avez rendez-vous avec la Responsable Ressources humaines à l'occasion d'un échange attendu et convenu pour échanger sur la situation.

Au cours de cet échange la Direction confirme une nouvelle fois que le poste de RTC n'est pas supprimé et qu'il est nécessaire d'organiser votre mission sur votre nouveau périmètre.

Jusqu'à réception de la convocation à entretien préalable, vous n'aviez pas transmis à votre responsable hiérarchique votre compte rendu d'activité hebdomadaire, ce qui l'empêchait, en tant que manager d'avoir la visibilité sur votre activité et ainsi, lui empêchait de vous manager correctement. Vous avez reconnu lors de l'entretien que vous ne lui faisiez pas part de votre activité car vous ne la reconnaissiez pas en tant que responsable hiérarchique, argumentant que vous n'avez pas reçu d'avenant à votre contrat de travail.

Pour justifier de ne pas répondre aux directives de votre hiérarchie, vous vous retranchez derrière une prétendue modification du contrat de travail, s'analysant en définitive, en suppression de poste. Néanmoins, le changement de périmètre de votre mission ne constitue en aucun cas une modification contractuelle, et vous êtes en conséquence tenu, conformément au lien de subordination auquel vous êtes contractuellement soumis de par la nature, l'existence et la signature de votre contrat de travail, de respecter les directives de l'employeur, et en particulier les directives expresses de votre hiérarchie.

Par ailleurs, si les missions liées au poste étaient effectivement toujours en cours de construction au moment de la bascule de périmètre, nous vous avons offert à plusieurs reprises la possibilité de vous exprimer sur le sujet auprès de votre responsable hiérarchique et ce n'est jamais la voie que vous avez choisie.

En effet, nous sommes pour le moins surpris de vos prises de position sur la prétendue absence de démarche constructive de notre part, alors que nous avons tenté de vous associer à l'évolution de votre mission.

Vous n'hésitez pas à vous inscrire dans une démarche d'opposition à l'égard des décisions qui peuvent être arrêtées comme un changement de périmètre sur votre métier de RTC.

Vos prises de position qu'elles soient émises de façon confidentielle ou en présence d'autres collaborateurs, sont difficilement conciliables avec les missions qui sont les vôtres au sein de l'entreprise. Cela constitue un frein évident au développement serein de l'activité et il apparaît en effet délicat de pouvoir mener à bien des projets pour lesquels vous ne cessez d'émettre une vive opposition.

Votre positionnement actuel met en exergue votre absence de volonté de vous inscrire dans les réflexions actuellement menées s'agissant d'éventuelles réorganisations de périmètre.

Ainsi, votre attitude, eu égard aux fonctions qui sont les vôtres, ne peut permettre une poursuite serine de notre collaboration.

Au cours de l'entretien préalable, vous avez reconnu ne pas acquiescer aux réflexions actuellement menées, lesquelles vous paraissent inappropriées et contradictoires.

De telles divergences mettent irrémédiablement en difficulté la poursuite de notre collaboration dans la mesure où elles ne permettent pas votre participation dans la mise en oeuvre des directives qui peuvent être prises.

En conséquence, nous n'avons d'autre choix que de vous notifier par la présente votre licenciement pour les motifs sus indiqués.

Votre préavis de trois mois débutera à la date de 1ère présentation de la présente à votre domicile. Nous vous informons que nous vous dispensons d'effectuer votre préavis. Ce dernier vous sera intégralement réglé ».

Aux termes des dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction et forme sa conviction au vu des éléments retenus par l'employeur pour prononcer la sanction et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En application de l'article L. 1332-2, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il doit, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature, convoquer préalablement le salarié à un entretien au cours duquel il indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

L'employeur met en avant deux griefs :

1 - L'opposition aux projets de la société et à l'évolution de son poste

Soutenant ne pas avoir procédé à la suppression du poste de responsable technico-commercial de M. [E], mais avoir réorienté sa stratégie d'entreprise sur d'autres activités que les délégations de service public pour se concentrer d'une part sur la gestion des délégations de service public existantes et d'autre part sur la densification des réseaux canalisés privés, et y avoir affecté M. [E] en ce qu'il avait de l'expérience dans ce domaine, la société fait valoir l'absence de modification de son contrat de travail.

Elle lui reproche son opposition aux projets de réorganisation, alors qu'il conservait des responsabilités de même ordre que celles précédemment occupées, avec maintien de sa qualification, de son coefficient hiérarchique et de sa rémunération, et de s'être placé en dehors du lien de subordination caractérisant son contrat de travail en exigeant un avenant à son contrat de travail ou une réponse de son employeur quant à la prétendue suppression de poste RTC DSP, comme il ne pouvait subordonner la prise de ses fonctions à un entretien avec la responsable des ressources humaines.

Soutenant au contraire que son poste a été supprimé, sans que la société ne l'affecte à un autre poste ni ne lui précise sa situation au sein de l'entreprise, rappelant qu'entre le 19 janvier et le 1er mars 2018 il n'a eu aucune définition de poste, M. [E] fait valoir qu'il s'agissait d'une création de poste dont les missions n'avaient pas encore été définies. Reprenant les caractéristiques de chaque fiche de poste, il soutient qu'en tant que responsable des délégations de service public (DSP), il avait une maîtrise de la passation des marchés publics, ne travaillant qu'avec des collectivités locales alors que le poste concernant les conventions de réseaux concernait le renouvellement des réseaux du domaine privé, les clientèles étant totalement distinctes.

Les fonctions de responsable technico-commercial de M. [E] ont régulièrement fait l'objet de modification pendant toute la duré de son contrat de travail, faisant à chaque fois l'objet d'un avenant.

Il n'est pas contesté que le poste de M. [E] a fait l'objet d'une modification à compter de février 2018, son bulletin de salaire le positionnant dans un autre service que celui de la délégation de service public et sous l'autorité d'un autre directeur de service, sans que cette modification soit revendiquée par M. [E] comme étant une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail, l'avenant qu'il a réclamé à plusieurs reprises à sa direction devant lui permettre de s'adapter à la réalité de ses nouvelles missions s'agissant d'une création de poste, étant relevé que dans le dernier avenant signé figurait en annexe la définition de ses fonctions.

La société ne peut toutefois pas reprocher à M. [E] de s'être opposé à la réorganisation de la société alors qu'en premier lieu la société n'a jamais été claire dans les missions du nouveau poste qu'elle lui confiait :

- la société l'informait par courriel du 1er mars d'un courrier signée par la DRH le 1er février portant 'changement d'intitulé de poste et de rattachement hiérarchique pour un nouveau poste intitulé 'RTC convention réseau',

- son bulletin de salaire porte la mention RTC convention réseaux à partir du 1er février,

- la société reconnaît elle même le 'départ de M. [E] en raison de la réorganisation intervenue du service DSP' dans le compte rendu annuel de concession 2019 pour l'activité 2018,

- par courriel du 3 avril 2018, la société demande à M. [E] de lister l'ensemble de ses tâches (DSP) et le temps qu'il consacre à chacune, afin qu'on puisse lui préciser quelles missions il conserve et quelles autres missions seront transférées à un autre collaborateur (M. [W]).

Toutefois, le 1er mars, M. [E] était encore sur les missions de DSP, il recevait du directeur commercial un pouvoir le 27 mars pour conduire les négociations relatives à des appels d'offre en sa qualité de responsable DSP. Le courriel du 3 avril de la DRH parle des activités en cours faisant référence aux missions de DSP.

Dans un courriel du 9 avril, la directrice relation client a laissé entendre que la mission se poursuit dans le secteur public et privé puis et lui indique que pendant la période de transition, il continuerait à s'occuper des DSP jusqu'au 28 janvier 2021.

Il ressort par ailleurs des pièces versées que la direction n'avait pas défini son poste le 1er mars, puisque sa nouvelle hiérarchie devait prendre contact avec lui pour 'la mise en place des nouvelles missions qui seront autour de la fidélisation des conventions réseaux', que ce n'est que le 20 avril qu'un projet de définition de ses fonctions est établi, qu'une réunion se tient le 26 avril avec sa supérieure hiérarchique dont l'objet était de définir ses fonctions, et que ce n'est que par le courrier de la DRH du 1er juin qu'il aura connaissance du caractère définitif de la précédente fiche de poste.

Par ailleurs, apparaissent encore dans cette fiche de poste définitive, des missions DSP avec les collectivités locales et les autorités concédantes ou publiques en plus des missions de convention de réseau, alors que dans le même temps il lui était indiqué le 1er juin que M. [W] reprenait l'ancienne activité DSP dans son ensemble confirmant à M. [E] qu'il 'n'a pas à assurer le suivi des DSP'. La société soutient donc à tort qu'il s'agissait d'un simple développement de son portefeuille alors qu'il a bien eu création d'un nouveau poste M. [E] changeant de clientèle, passant à un clientèle privée.

La société ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle a bien informé M. [E] de la nouvelle organisation lors d'une conférence téléphonique le 9 mars, puisque il ressort des pièces versées que le 26 avril, la direction des ressources humaines n'était pas au courant du fonctionnement actuel des différents services et de ce qui était attendu des salariés.

La société ne peut pas, en second lieu, reprocher à M. [E] de s'être opposé à la réorganisation de la société alors qu'il n'a pas obtenu de réponses à se demandes sur son changement de poste :

- dès le 22 janvier, il était informé de manière officieuse de son changement d'affectation, son responsable n'a pas répondu à interrogations mais a transmis à la hiérarchie pour qu'il lui soit donné des précisions et a invité M. [E] à se rapprocher de sa nouvelle supérieure hiérarchique, dont le nom lui a été indiqué par courriel avec le changement de poste,

- la directrice des ressources humaines n'a pas répondu à ses demandes des 22 janvier et 6 avril 2018, et ne confirmera que dans son courriel du 12 avril qu'elle n'a pas eu le temps de lui proposer un rendez-vous,

- la directrice relations clients dans un courriel du 9 avril indique que la prochaine réunion permettra de 'mieux appréhender votre charge de travail actuelle, organiser la passation des activités en cours et planifier ensemble les nouvelles activités sur les réseaux publics et privés', mais n'a pas pris la peine de recevoir M. [E].

Il ne peut être reproché une insubordination de M. [E] en sollicitant des explications et en demandant d'être reçu par la direction des ressources humaines pour avoir confirmation et explication de son changement de poste, et de recevoir une lettre de mission sous forme d'avenant les 30 mars et 6 avril alors que lors de la réunion du 26 avril, soit 2 mois après son changement de poste, personne ne pouvait lui assurer du contenu de ses nouvelles missions, sa nouvelle supérieure hiérarchique n'ayant pas pris contact avec lui.

Ce grief n'est pas établi.

2 - Le défaut de remise des rapports d'activité

La société reproche à M. [E] de ne pas répondre aux directives de la société, qui lui demandait dès le 3 avril de lister l'ensemble des activités actuellement sous sa responsabilité avec la charge en temps associé, puis le 9 avril d'ouvrir son agenda à sa nouvelle supérieure hiérarchique et d'envoyer tous les lundis un rapport de la semaine précédente. Elle constate que le salarié ne transmettra son premier rapport que le 11 juin.

Elle lui reproche également d'avoir tardé à commencer à travailler sur l'opération ToGazer qu'à compter du 7 juin, ayant fait part préalablement de son refus.

M. [E] soutient au contraire que sa fiche de poste ne mentionnait pas l'obligation de fournir un rapport hebdomadaire ni la définition de son poste en janvier 2012, mais qu'il y a procédé à partir du 11 juin, comme demandé le 7 juin, alors qu'il n'avait eu que deux contacts avec sa supérieur hiérarchique par courriel le 1er mars et le 7 juin.

M. [E] indique avoir toujours répondu à toutes les demandes formulées par ses supérieurs hiérarchiques et produit différentes transmissions demandées dans les délais et a répondu à la demande formulée en conférence le 12 avril dans le projet ToGazer, ayant démarché des entreprises dès le 25 juin.

Si la société soutient qu'elle était en droit d'attendre une attitude différente de la part du salarié pour accompagner l'évolution de la stratégie de la société, il n'est pas démontré qu'elle ait permis à M. [E] d'accompagner cette évolution et de s'en sentir acteur, aucune réunion d'information n'étant produite et au contraire la nouvelle directrice refusant de le recevoir.

M. [E] a toutefois répondu aux demandes concernant la liste des sujets sur lesquels il travaillait et le temps passé sur chaque sujet trois jours après en avoir reçu la demande, soit le 6 avril 2018.

La société ne rapporte pas la preuve que les reporting hebdomadaires étaient demandés dans ses anciennes fonctions, la demande lui en étant faite pour la première fois le 9 avril alors que ses missions n'étaient pas encore définies et qu'il apparaissait légitime qu'il s'inquiète des raisons de cette demande de remontée d'information nouvelle, la demande de 'reporting' étant motivée dans ce courriel pour 'suivre votre tâche de travail'. Il s'y est toutefois conformé le 11 juin, après validation de sa fiche de poste définitive qui est intervenue le 1er juin.

Sur la mission ToGazer, le salarié justifie avoir répondu dans les temps aux commandes passées (le 25 juin pour le 23 juin) et était par ailleurs remercié pour sa réponse.

Ce grief n'est pas établi.

Il ressort de l'ensemble des pièces versées que la modification des tâches de M. [E] s'est faite de manière opaque, sans que soit définies les missions attendues, sa nouvelle responsable le sollicitant au contraire pour connaître la réalité des missions dont elle avait déchargé dans un premier temps, l'informant de ses nouvelles tâches dans un second temps mais son ancienne hiérarchie continuant à le solliciter pour la passation de marchés publics relevant des fonctions au sein des collectivités locales.

De la même manière, il ne peut être reproché au salarié de ne pas avoir participé à la définition de son poste quand il a adressé de nombreuses demandes de rendez-vous à la directrice des ressources humaines et sollicité des informations précises.

Les griefs d'insubordination ne sont pas établis.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes financières

La société rappelle l'importance de l'indemnité conventionnelle de licenciement (88.355 euros) qui a permis à M. [E] de percevoir 53.640 euros de plus que ce qu'il aurait perçu par application des dispositions légales.

Pour solliciter la confirmation du premier jugement, M. [E] invoque la confiance dont il bénéficiait au sein de la société, ayant remplacé des collègues absents, parfois sur de longues périodes ainsi que son ancienneté.

M. [E] justifie de sa période de chômage et de son projet de monter un restaurant en 2019 avec son fils qui n'a pu aboutir.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [E] (5.080,33 euros), de son âge au moment de la rupture du contrat de travail (59 ans), de son ancienneté (22 ans et 8 mois) de ses difficultés à retrouver un nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué à 83.825,45 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [E] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera confirmé à ce titre.

Sur la demande en dommages et intérêts pour préjudice moral

La société s'oppose à la demande formée par M. [E] au titre d'un préjudice moral, en ce qu'il n'en rapporterait pas la preuve, que la juridiction prud'homale n'est pas compétente pour statuer en réparation d'un préjudice résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnellel.

Sur le fond, elle soutient que rien ne démontre que la perte de poids qu'il invoque à l'appui d'une dégradation de sa santé, soit en lien avec l'exercice de son contrat de travail, d'autant que 10 mois se sont écoulés entre les visites médicales des 25 août 2017 et 15 juin 2018.

M. [E] sollicite la condamnation de la société à lui verser la somme de 10.000 euros, la société, en menant sa réorganisation et en le privant d'information sur le périmètre de son poste, ayant entraîné un stress particulier. Il justifie avoir été victime d'un ulcère gastrique post-stress constaté par un certificat médical ' accident de travail' du 7 mars 2018, que l'employeur n'a toutefois pas adressé à la CPAM.

Suivant visite au service de santé au travail le 15 juin 2018, il présentait un état de santé dégradé avec perte de poids de 10kgs depuis la précédente visite du 25 août 2017.

M. [E] a été placé en arrêt de travail en raison d'un 'ulcère gastrique post stress' le 7 mars 2018, le médecin délivrant un certificat d'accident du travail - maladie professionnelle, que le salarié a adressé à son employeur le lendemain. Toutefois, il ressort des échanges entre la CPAM et la société qu'à la date du 24 avril la déclaration d'accident correspondant n'avait pas été adressée à la CPAM. Par courrier des 11 mai et 18 juin M. [E] a relancé la société qui a refusé de faire suivre la déclaration.

Il ressort des éléments produits que pendant plusieurs mois, M. [E] a poursuivi ses missions dans un contexte où étaient retirées des tâches sans que de nouvelles missions lui soient clairement définies, que les deux autres salariés de son service connaissaient les mêmes difficultés et que le stress diagnostiqué qui est à l'origine de l'arrêt de travail en date du 7 mars 2018 est en lien avec cette situation causée par le manque de transparence à son égard.

Par ailleurs, la société a manqué à ses obligations en refusant de transmettre la déclaration d'accident du travail à la CPAM.

Pour compenser le préjudice subi par le salarié, il lui sera alloué une indemnité de 2.000 euros.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à M. [E] de la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

*

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [E] de sa demande au titre du préjudice moral,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société CGP PRIMAGAZ à payer à M. [E] la somme de 2.000 euros au titre du préjudice moral,

Condamne la société CGP PRIMAGAZ à payer à M. [E] la somme complémentaire de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Condamne la société CGP PRIMAGAZ aux dépens.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/01449
Date de la décision : 24/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-24;20.01449 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award