COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 24 MAI 2023
PRUD'HOMMES
N° RG 20/01240 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPYX
Société PAPETERIE DE CONDAT
c/
Monsieur [D] [M]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 février 2020 (R.G. n°F 19/00006) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 02 mars 2020,
APPELANTE :
SAS Papeterie de Condat, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 1] -en son établissement de ............. -
N° SIRET : 622 037 513
représentée par Me Sylvain LEROY de la SELARL LEROY-GRAS, avocat au barreau de BORDEAUX assistée de Me Jean-baptiste TRAN-MINH, avocat au barreau de LYON
INTIMÉ :
Monsieur [D] [M]
né le 02 Août 1959 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 mars 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSE DU LITIGE
La SAS Papeterie de Condat a embauché M. [M], né en 1959, dans le cade d'un contrat de solidarité le 2 août 1982.
La relation contractuelle s'est poursuivie en vertu d'un contrat à durée indéterminée conclu le 12 janvier 1983, avec reprise d'ancienneté au 2 août 1982, en qualité de 2ème refendeur, puis,suite à divers avenants , en qualité de conducteur EDI chaîne 45 et enfin de visiteur/conducteur de ligne, en application de la convention collective nationale du papier, carton et cellulose.
Dans le courant de l'année 2014, M. [M] a été placé plusieurs semaines en arrêt de travail pour maladie, pris en charge dans le cadre d'une affection de longue durée.
A l'occasion d'un examen réalisé à la demande du salarié, le médecin du travail indiquait dans une fiche d'aptitude en date du 17 décembre 2014, qu'il conseillait de prolonger l'arrêt de travail et ajoutait : 'à sa reprise, prévoir un mi-temps thérapeutique sans port de charges lourdes, par exemple au massicot. Pas de travail posté'.
M. [M] était déclaré apte à temps partiel thérapeutique avec restrictions, le 9 janvier 2015. Le port de charges lourdes était contre-indiqué.
M. [M] a de nouveau été placé en arrêt de travail pour maladie, notamment à compter du 7 février 2017 jusqu'au 15 février 2018.
Par décision en date du 16 octobre 2017, M. [M] s'est vu reconnaître deux maladies professionnelles par la CPAM de la Dordogne, en l'espèce, une tendinopathie des muscles épicondyliens du coude gauche et une tendinopathie des muscles épicondyliens du coude droit.
Une visite de pré-reprise intervenait le 12 janvier 2018, le médecin du travail indiquant 'des difficultés sont à prévoir pour la reprise. Prévoir des échanges avec l'employeur'.
A l'occasion d'une visite de reprise du 22 janvier 2018, M. [M] a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail en ces termes 'inapte définitif au poste de visiteur selon l'article R.4624-42 du code du travail, étude de poste et des conditions de travail en date du 15 janvier 2018 ; fiche d'entreprise en date du 5 avril 2017; échanges avec l'employeur en date du 15 janvier et 22 janvier 2018. Le salarié peut occuper un poste en journée ou en 2*8, sans manutention de charges lourdes, gestes répétés des membres supérieurs ; prévoir la possibilité de pauses assises'.
Cet avis a été confirmé lors d'une seconde visite médicale du 8 mars 2018 'conclusions et préconisations identiques à la visite du 22 janvier 2018. Le salarié peut occuper un poste respectant les aménagements et restrictions suivantes :
- travail en journée ou 2*8,
- pas de port de charges de plus de 8 kgs
- pas de geste répétés des membres supérieurs,
- possibilité de pause assise'.
Après consultation des délégués du personnel le 20 mars 2018, un poste de contrôleur qualité en horaire de journée a été proposé à M. [M] par courrier en date du 22 mars 2018, dans le cadre d'un reclassement, avec proposition de formation complémentaire adaptée. Par courrier du 28 mars 2018, M. [M] a refusé la proposition pour manque d'informations. Par courrier du 5 avril 2018, la société a précisé la nature du poste et la rémunération, entraînant une perte de 40% mensuelle des primes qu'il percevait sur l'ancien poste de visiteur. M. [M] a confirmé son refus le 8 avril 2018.
Après avoir été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 avril 2018 auquel il ne s'est pas rendu, M. [M] s'est vu notifier son licenciement pour inaptitude d'origine non professionnelle et refus de l'emploi proposé par lettre datée du 4 mai 2018.
Par courrier du 9 juin 2018, M. [M] a contesté le motif de la rupture et rappelé qu'il a toujours bénéficié d'arrêts de travail pour maladie reconnue comme maladie professionnelle.
A la date du licenciement, M. [M] avait une ancienneté de 35 ans et 9 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.
Soutenant que son licenciement pour inaptitude est d'origine professionnelle, que son employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement, que son inaptitude est due au comportement fautif de son employeur et contestant à titre principal la validité (action en nullité du licenciement) et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement (action en contestation de la cause réelle et sérieuse) et réclamant diverses indemnités outre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M.[M] a saisi le 9 janvier 2019, le conseil de prud'hommes de Périgueux qui, par jugement de départage rendu le 19 février 2020, a :
- dit que le licenciement notifié à M. [M] par la SAS Condat en date du 4 mai 2018, est sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Condat à payer à M.[M] les sommes suivantes:
* 45.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 22.196,31 euros à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement,
* 544,36 euros brut à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,
* 54,44 euros brut au titre des congés payés afférents au solde d'indemnité compensatrice de préavis,
- condamné la société Condat à rembourser à l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage Pôle Emploi, les indemnités de chômage qui ont été servies à M. [M], dans la proportion de six mois,
- condamné la société Condat à remettre à M. [M] une attestation Pôle Emploi rectifiée, qui devra mentionner le motif exact de la rupture ainsi que les différentes indemnités allouées par le présent jugement,
- assorti cette condamnation d'une astreinte de 50 euros par jour de retard, qui courra à compter du 20ème jour suivant la notification du présent jugement et ce, pendant un délai de 60 jours,
- dit que passé ce délai et en cas d'inexécution ou d'exécution tardive de la condamnation, il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution pour qu'il soit de nouveau fait droit,
- débouté M. [M] de sa demande de remise sous astreinte d'un certificat de travail rectifié,
- dit que les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Périgueux pour les sommes à caractère de salaire et à compter du présent jugement pour le surplus,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- fixé, en application des dispositions de l'article R.1454-28-3° du code du travail, le salaire moyen des trois derniers mois à la somme de 2.795,43 euros brut,
- condamné la société Condat à payer à M. [M] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [M] du surplus de ses demandes,
- débouté la société Condat de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Condat aux dépens de l'instance,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 2 mars 2020, la société Papeterie de Condat a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 février 2023, la société Papeterie de Condat demande à la cour de :
- déclarer l'appel recevable et bien fondé,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Périgueux du 19 février
2020 en ce qu'il a :
* dit que le licenciement notifié à M. [M] par la société par la SAS Condat, est sans cause réelle et sérieuse,
* condamné la société Condat à payer à M.[M] les sommes suivantes
.45.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
.22.196,36 euros à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement,
.544,36 euros brut à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,
.54,44 €brut au titre des congé payé afférents au solde d'indemnité compensatrice de préavis,
* condamné la société Condat à rembourser àl'organisme gestionnaire de
l'assurance chômage Pôle Emploi, les indemnité de chômage qui ont été servies à M.[M], dans la proportion de six mois,
* condamné la société Condat à remettre à M.[M] une attestation Pôle Emploi rectifiée, qui devra mentionner le motif exact de la rupture ainsi que les différentes indemnités allouées par le présent jugement,
* condamné la société Condat à payer à M.[M] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- juger qu'elle a respecté les prescriptions de la médecine du travail,
- juger qu'elle a respecté ses obligations au titre du reclassement,
- juger que M. [M] a refusé de manière abusive la proposition de reclassement sur un poste de contrôleur qualité en horaires de jour,
- juger que le licenciement de M. [M] pour inaptitude repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouter en conséquence M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- juger que l'indemnité spéciale de licenciement n'est pas due,
- débouter en conséquence M. [M] de sa demande de ce chef,
- débouter M. [M] de sa demande au titre de l'indemnité de préavis,
- débouter M. [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
En tout état de cause,
- condamner M. [M] au paiement d'une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- le condamner aux dépens d'instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 janvier 2023, M. [M] demande à la cour de':
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf à porter le quantum des dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 56.000 euros,
Dès lors,
- condamner la société Papeterie de Condat à lui régler les sommes suivantes:
* 56.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 22.196,31 euros à titre de solde d'indemnité spéciale de licenciement,
* 544,36 euros bruts à titre de solde d'indemnité compensatrice de préavis,
* 54,44 euros bruts au titre des congés payés afférents au solde d'indemnité compensatrice de préavis,
* 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de 1ère instance,
- ordonner à la société Papeterie de Condat de lui remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée mentionnant le motif exact de la rupture ainsi que les différentes indemnités allouées,
- assortir cette condamnation d'une astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du 20ème jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir,
- dire que les intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées seront dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le Bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes de Périgueux pour les sommes à caractère de salaire et à compter du jugement pour le surplus,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- débouter la société Papeterie de Condat de l'intégralité de ses demandes, - condamner la société Papeterie de Condat à lui régler la somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Papeterie de Condat aux dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 mars 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 28 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la rupture du contrat de travail
Pour voir infirmer le jugement déféré, la société qui ne conteste pas le caractère professionnel de l'inaptitude, soutient avoir mis tous les moyens pour se conformer à son obligation de reclassement pour avoir proposé la création d'un poste de contrôleur qualité en horaires de jour, respectant les prescriptions du médecin du travail dans ses avis d'inaptitude des 22 janvier et 8 mars 2018 et avoir également demandé au médecin du travail d'évaluer ce poste et, si nécessaire, de venir l'étudier sur place, par courriel des 5 et 6 mars 2018, avoir ensuite consulté les délégués du personnel le 22 mars et enfin, avoir apporté des précisions au salarié sur la nature du poste, sa qualification et la rémunération le 5 avril 2018.
Elle verse le courriel du 5 mars 2018, aux termes duquel le médecin du travail donne un avis favorable au poste de contrôleur qualité dès lors qu'il respectait les restrictions médicales émises et rappelle avoir procédé à plusieurs échanges réguliers instaurant un 'dialogue sur les possibilités de postes disponibles' et conteste les allégations du salarié selon lesquelles ce poste comportait le port de charges lourdes.
La société soutient que le refus de la proposition de poste par le salarié était abusif, car ne mentionnant aucun motif après qu'elle lui ait apporté les précisions demandées quant à la nature du poste et sa rémunération. Selon elle, le poste de reclassement n'entraînait aucune modification de sa rémunération ni de son positionnement conventionnel même s'il ne pouvait plus prétendre au versement de la prime mensuelle attachée spécifiquement au poste de visiteur (prime compensant la pénibilité liés aux horaires de nuit, dimanche et jours fériés) puisque non contractualisée. La société soutient que ,soucieuse de maintenir un niveau de rémunération proche de celui qu'il percevait auparavant, elle a proposé le versement d'une indemnité compensatrice mensuelle correspondant à 60% de la moyenne mensuelle de ses primes, sans pouvoir créer une rupture d'égalité aves les autres salariés.
La société fait enfin valoir que durant l'exécution du contrat de travail, le poste de visiteur ne nécessitait aucun port de charges lourdes et qu'en cas de port de telles charges, le salarié devait utiliser des aides à la manutention.
Elle soulève en tout état de cause l'incompétence de la juridiction prud'homale au profit de celle des affaires de sécurité sociales permettant l'indemnisation des dommages résultant d'un manquement à l'obligation de sécurité.
Pour contester le caractère sérieux et loyal de la proposition de reclassement, justifiant son refus sans qu'il puisse être caractérisé d'abusif d'une part mais demandant que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse, M. [M] invoque d'une part la baisse de rémunération attachée à cette proposition, d'autre part l'absence de conformité aux prescriptions médicales en ce qu'il s'agissait de porter des charges lourdes, et que pour ces tâches il n'était pas possible de se faire aider par du matériel contrairement à ce que prétend l'employeur. Il soutient enfin que suite au refus du salarié de la proposition de reclassement, l'employeur aurait dû procéder à une nouvelle recherche de reclassement, la mention dans la lettre de licenciement de ce qu'aucune autre solution de reclassement n'a pu être identifiée n'étant pas suffisante.
Au soutien d'un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, M. [M] invoque également la faute de l'employeur à l'origine de l'inaptitude, en raison de la multitude d'opérations qu'il a du réaliser en tant que conducteur ou visiteur et qui ont nécessité le plus souvent le port de charges lourdes. Malgré les avis d'aptitude pour un mi-temps thérapeutique avec restriction sur l'absence de port de charges lourdes depuis 2014, son poste n'aurait jamais été aménagé par l'employeur.
- Sur la compétence de la juridiction prud'homale
Si l'indemnisation des dommages résultat d'un accident du travail, qu'il soit ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, relève de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale, la juridiction prud'homale est seule compétente pour statuer sur le bien-fondé de la rupture du contrat de travail et pour allouer le cas échéant, une indemnisation au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Sur le manquement à l'obligation de sécurité à l'origine de l'inaptitude d'origine professionnelle
Le licenciement pour inaptitude médicalement constatée est dénué de cause réelle et sérieuse, lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
L'employeur, tenu de l'obligation d'assurer la préservation de la santé des salariés doit notamment mettre en oeuvre les mesures de prévention nécessaires en considération des risques inhérents à l'activité de ces derniers, de la pénibilité au travail.
Selon l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version applicable au moment des faits, L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail;
2° Des actions d'information et de formation ;
3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.
L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'article L. 4121-2 du même code détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.
Selon l'article L. 4541-1 du code du travail, les règles de prévention des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs résultant de la manutention des charges sont déterminées par décret en conseil d'état pris en application de l'article L. 4111-6.
L'article R. 4541-8 du code du travail prévoit que l'employeur doit faire bénéficier les travailleurs dont l'activité comporte des manutentions manuelles d'une
information sur les risques et d'une formation adéquate à l'exécution de ces opérations
***
En l'espèce, les dernières fonctions occupées par M. [M] de visiteur consistait à 'visiter le papier selon le plan de contrôle, dans le respect des consignes de sécurité, de la qualité et de l'environnement, soit un poste d'opérateur de production', ce travail consistant à contrôler et éliminer les défauts du papier et impliquant le port de charges lourdes et manipulation de commandes : manutention du stock d'enrouleurs à visiter, décharger les enrouleurs, assurer leur approvisionnement par la manutention de stocks de papier etc...
M. [M] produit son dossier médical et notamment la visite de pré-reprise du 17 décembre 2014 suite à un arrêt de travail pour maladie, qui recommandait un mi-temps thérapeutique sans travail posté et sans port de charges lourdes, puis la visite de reprise du 9 janvier 2015 qui le déclarait apte dans le cadre d'un temps partiel thérapeutique avec restrictions relatives au port de charges lourdes et au travail posté, mentionnant par ailleurs 'apte pointeur élinguer cariste'.
La société ne conteste pas que le poste de travail de M. [M] n'a pas fait l'objet d'aménagement après ce premier arrêt de travail pour maladie ayant conduit un avis d'aptitude avec réserves.
Dans le cadre d'un suivi médical renforcé dont il bénéficiait, les avis rendus en 2015 (11 février, 3 mars, 22 avril, 6 octobre) en 2016 (21 avril 15 septembre, 6 décembre) et en 2017 (31 janvier) rappelaient les mêmes contre indications.
A partir du 7 février 2017, M. [M] a bénéficié d'arrêts de travail sur une période de plus de huit mois, pour maladie, dont le caractère professionnel a été reconnu par la CPAM de Dordogne le 16 octobre 2017, à savoir une tendinopathie des muscles épicondyliiens du coude gauche et tendinopathie des muscles épicondyliens du coude droit.
Le médecin du travail a établi, après une visite de pré-reprise puis une visite de reprise les 12 janvier et 22 janvier 2018 et un dernier avis médical le 8 mars, un avis d'inaptitude comportant des préconisations en lien avec ces maladies : 'le salarié peut occuper un poste en journée ou en 2*8, sans manutention de charges lourdes, gestes répétés des membres supérieurs ; prévoir la possibilité de pauses assises'.
A l'occasion d'une visite de reprise du 22 janvier 2018, M. [M] a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail en ces termes 'inapte définitif au poste de visiteur selon l'article R.4624-42 du code du travail, étude de poste et des conditions de travail en date d u15 janvier 2018 ; fiche d'entreprise en date du 5 avril 2017; échanges avec l'employeur en date du 15 janvier et 22 janvier 2018. Le salarié peut occuper un poste en journée ou en 2*8, sans manutention de charges lourdes, gestes répétés des membres supérieurs ; prévoir la possibilité de pauses assises'.
Malgré le nombre de réitération des mêmes préconisations, l'employeur ne conteste pas que le poste de travail de M. [M] n'a jamais été aménagé ni modifié. Il est bien resté au même poste que celui qui l'a conduit en arrêt de travail pour deux maladies dont le caractère professionnel a été reconnu en 2017.
Elle ne conteste pas non plus ne pas avoir aménagé le poste de travail et la simple affirmation de la conformité du poste de visiteur aux préconisations ne saurait convaincre la cour, qui, se référant à la fiche descriptive des tâches constate, qu'un certain nombre de tâches étaient contre-indiquées comme consistant en port de charges lourdes et que le travail posté s'est poursuivi toutes ces années.
L'inaptitude définitive de M. [M] à un poste de travail est restée identique pendant plusieurs années alors que le service de santé du travail avait expressément et précisément alerté l'employeur sur la nécessité d'adaptation de ce poste lié à l'état de santé du salarié, doit être considérée comme procédant d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
L'employeur ne conteste d'ailleurs pas le caractère professionnel de la maladie à l'origine de l'inaptitude, ayant été destinataire de la décision de la CPAM.
Il sera donc considéré, comme l'ont retenu à juste titre les premiers juges, que l'employeur, en ne mettant pas en oeuvre toutes les mesures de prévention nécessaires, a par ce manquement à son obligation de sécurité, contribué à l'inaptitude médicalement constatée, puisque rendant possible un reclassement sur des seuls postes sans port de charges lourdes et sans sollicitation de s membres supérieurs et sans travail posté, l'inaptitude faisant par ailleurs suite à des arrêts de travail continus depuis le 7 février 2017 en lien avec des maladies en lien avec les conditions de travail du salarié, dont le caractère professionnel a été reconnu.
Il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse sans qu'il soit nécessaire d'examiner la demande relative au manquement à l'obligation de reclassement.
- Sur le refus non abusif de la proposition par le salarié et dénuant le licenciement de cause réelle et sérieuse
Aux termes des articles L. 1226-10 et suivants du code du travail, le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, licencié à la suite d'une déclaration d'inaptitude à son poste par le médecin du travail, peut prétendre au versement des indemnités spéciales prévues par l'article L.1226-14.
La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.
Toutefois, ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.
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M. [M] exerçait avant son arrêt maladie et l'avis d'inaptitude du 22 janvier 2018 un poste de visiteur, en horaire posté. La proposition de reclassement qui lui a été faite consistait en une création du poste de 'contrôleur qualité en horaire jour'.
S'agissant d'un poste qui modifiait les tâches quotidiennes du salarié et qui emportaient une diminution de son salaire, la prime de sujétion en qualité de visiteur n'étant plus versée en raison d'un changement d'horaire et notamment le passage d'horaires nuit à des horaires jours, la société devait recueillir l'accord de M. [M] et son refus ne pouvait être abusif ni justifier son licenciement.
Il ne saurait être reproché au salarié de ne pas accepter une modification de sa rémunération induisant une modification de son contrat de travail.
Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes financières
Il résulte de l'attestation Pôle Emploi renseignée par l'employeur que M. [M] a perçu sur les 12 derniers mois travaillés la somme de 2.795,43 euros, correspondant aux trois derniers mois de travail effectif, avec prise en compte de la prime annuelle mensualisée, somme retenue par l'employeur pour le calcul de l'indemnité de licenciement.
Il y a donc lieu de confirmer les premiers juges qui ont alloué à M. [M] un rappel sur l'indemnité compensatrice de préavis, l'employeur invoquant à tort l'article L. 1234-20 pour dire la demande prescrite alors que cet article vise l'effet libératoire du solde de tout compte.
M. [M] sollicite que la somme qui lui a été allouée par les premiers juges pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit portée à 56.000 euros, représentant 20 mois de salaire et fait valoir son ancienneté de 36 ans dans la société et qu'il était âgé de 59 ans au moment du licenciement, n'ayant pas pu retrouver d'emploi.
La cour, après examen des pièces versées au dossier, compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [M] au moment de son licenciement, de son âge, de son ancienneté, de ses difficultés à trouver un nouvel emploi eu égard à son âge et son handicap, ayant été reconnu travailleur handicapé le 14 décembre 2018, il convient de fixer à 53.000 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [M] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la remise des documents de fin de contrat
La SAS Papeterie de Condat devra délivrer à M. [M] une attestation Pôle Emploi rectifiée mentionnant le motif exact de la rupture ainsi que les différentes indemnités allouées, en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée.
Sur les intérêts
Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant. La capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article1343-2 du même code.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La SAS Papeterie de Condat, partie perdante, sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à M. [M] de la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré sauf sur le quantum de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SAS Papeterie de Condat à verser à M. [M] la somme de 53.000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Ordonne à la SAS Papeterie de Condat de délivrer à M. [M] une attestation Pôle Emploi rectifiée mentionnant le motif exact de la rupture ainsi que les différentes indemnités allouées, en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision.
Dit n' y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
Rappelle que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article devenu l'article 1343-2 du code civil,
Condamne la SAS Papeterie de Condat à verser à M. [M] la somme complémentaire de 2.000 euros,
Condamne la SAS Papeterie de Condat aux dépens.
Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard