COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 22 MAI 2023
N° RG 21/06511 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MN7Z
S.A.S. FONCIA [Localité 6]
c/
[I] [Y]
[J] [O]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/027109 du 20/01/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le : 22 mai 2023
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 02 novembre 2021 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal judiciaire de BORDEAUX (RG : 20/01973) suivant déclaration d'appel du 29 novembre 2021
APPELANTE :
S.A.S. FONCIA [Localité 6] venant aux droits de la SAS FONCIA CHABANEAU agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 5]
Représentée par Me Sylvie LABEYRIE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ S :
[I] [Y]
né le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 7]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 9]
Représenté par Me Jessica GARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX et assisté par Me Frédéric PEYSSON, avocat au barreau de TOULON
[J] [O]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 8]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
Représentée par Me Cyril DUBREUIL, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Sylvie HERAS DE PEDRO, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d'appel de Bordeaux
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
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EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Selon contrat du 3 juillet 2017, M. [I] [Y] a donné à bail par l'intermédiaire de la SAS Foncia Chabaneau, à Mme [J] [O] un logement situé [Adresse 4], pour un loyer mensuel de 300 euros incluant 30 euros de provision sur charges.
A la demande de Mme [O], les services d'hygiène et de la santé de la ville de [Localité 6] ont visité les lieux et ont rendu un rapport le 22 mai 2019 concluant au caractère impropre à l'habitation du logement en raison de sa superficie insuffisante.
Un arrêté préfectoral du 27 décembre 2019 a mis notamment en demeure M. [Y] de mettre fin à la mise à disposition aux fins d'habitation du local, dans un délai de deux mois.
Mme [O] est restée dans ce local jusqu'au 29 mai 2020, date à laquelle elle a emménagé dans un nouveau logement.
Par assignation du 11 septembre 2020, Mme [O] a saisi le juge du contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir engager la responsabilité contractuelle de M. [Y] et la responsabilité délictuelle de la société Foncia Chabaneau et de les voir condamner à lui payer des dommages et intérêts.
Par jugement du 2 novembre 2021, le juge des contentieux et de la protection de Bordeaux a :
- déclaré contractuellement responsable M. [Y] de la délivrance à Mme [O] d'un logement indécent,
- déclaré la société Foncia Chabaneau, aux droits de laquelle vient la SAS Foncia [Localité 6] responsable de fautes graves commises dans son mandat de gestion locative,
- condamné solidairement M. [Y] et la société Foncia Chabaneau aux droits de laquelle vient la société Foncia [Localité 6] à payer à Mme [O] la somme de 10 900 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance,
- condamné solidairement les mêmes à payer à Mme [O] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire de la décision,
- condamné solidairement M. [Y] et la société Foncia Chabaneau aux droits de laquelle vient la société Foncia [Localité 6] aux entiers dépens de la procédure,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La société Foncia [Localité 6] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 29 novembre 2021.
Par conclusions déposées le 30 juin 2022, la société Foncia [Localité 6] demande à la cour de :
En tout état de cause :
- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Foncia [Localité 6] venant aux droits de la société Foncia Chabaneau et y faisant droit,
- infirmer le jugement rendu le 2 novembre 2021,
A titre principal
- juger que la société Foncia [Localité 6] venant aux droits de la société Foncia Chabaneau n'a commis aucune faute,
- juger n'y avoir lieu à prononcer de condamnation à l'encontre de la société Foncia [Localité 6] venant aux droits de la société Foncia Chabaneau,
- condamner Mme [O] à verser à la société Foncia [Localité 6] venant aux droits de la société Foncia Chabaneau la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [O] aux entiers dépens de l'instance en ceux compris ceux de première instance et d'appel,
A titre subsidiaire
- infirmer le jugement en ce qu'il a cru devoir condamner la société concluante à verser, solidairement avec le bailleur, à Mme [O] la somme de 10 900 euros à titre de dommages-intérêts,
- réduire à de justes proportions le montant des dommages et intérêts éventuellement alloués,
- condamner M. [Y] à relever la société Foncia [Localité 6] venant aux droits de la société Foncia Chabaneau indemne de toute condamnation prononcée à son encontre,
- juger n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner chaque partie au paiement de ses propres dépens.
Par conclusions déposées le 14 avril 2022, Mme [O] demande à la cour de :
- confirmer la décision attaquée en toutes ses dispositions,
- juger la responsabilité contractuelle de M. [Y] pour non-respect de son obligation contractuelle de délivrer un logement décent et salubre,
- juger la responsabilité extracontractuelle de la société Foncia Chabaneau pour les fautes graves commises dans son mandat de gestion locative,
- condamner en conséquence, solidairement, M. [Y] et la société Foncia Chabaneau à payer à Mme [O] la somme de 10 500 euros, correspondant au montant des loyers versés depuis la prise à bail, mais également la somme de 400 euros, correspondant aux cotisations de son assurance habitation locative pour le logement litigieux, et ce au titre de son préjudice de jouissance,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. [Y] et la société Foncia Chabaneau à verser à Mme [O] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 9 février 2022, M. [Y] demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 2 novembre 2021,
- juger que la société Foncia Chabaneau dans les intérêts de son mandant, M. [Y] a commis une faute en régularisant un contrat de location d'habitation portant sur un bien qu'elle savait présenter une superficie de moins de 9 m2 et une volumétrie inférieure à 20 m3,
En conséquence :
Si la cour de céans venait à confirmer le jugement dont appel,
- condamner la société Foncia [Localité 6] à relever et garantir M. [Y] de toutes les condamnations pouvant être prononcées à son encontre, en principal, frais et article 700,
- condamner tout succombant au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'affaire a été fixée à l'audience du 13 mars 2023.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 27 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le caractère décent
Selon l'article 4 du décret N° 2002-120 du 30 janvier 2020, le logement dispose au moins soit d'une pièce principale ayant une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit d'un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes.
La surface habitable et le volume habitable sont déterminés conformément aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R111-2 du code de la construction et de l'habitation.
Selon l'article R111-2 alinéas 2 et 3 du code de la construction et de l'habitation, la surface d'un logement est la surface de plancher construite après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d'escalier, gaines, embrasures de porte et de fenêtres. Le volume habitable correspond au total des surfaces habitables ainsi définies multipliées par les hauteurs sous plafond.
Il n'est pas tenu compte de la superficie des combles non aménagés, caves, sous-sols, remises, garages, terrasses, loggias, balcons, séchoirs communs et autres dépendances des logements ni des parties des locaux d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre.
La Sas Foncia [Localité 6] fait valoir que les conditions de superficie de 9 M2 et de volume de 20 M3 sont alternatives, que l'acte d'achat stipulait une surface de 9 M2 et que le volume habitable est de 20 M3.
Mme [J] [O] réplique que la pièce principale du logement avait une surface inférieure à 9 M2 (8,37 M2 et habitable de 6,5 M2 ), qu'il n'était donc pas décent et que le volume ne pouvait être de 20 M3.
M. [I] [Y] réplique que Foncia qui savait que le logement avait une surface habitable de 8,49 M2 , soit inférieure à 9 M2, pour avoir procédé elle-même à son métré, lui avait indiqué que la condition de volume minimum de 20 M3 était remplie.
Au vu de la rédaction de l'article 4 du décret susvisé, si la pièce principale mesure moins de 9 mètres carrés mais offre un volume de 20 M3 au moins, le logement doit être considéré comme décent.
Le service d'hygiène de la ville de [Localité 6] dans son rapport du 22 mai 2019, dont ni l'impartialité ni l'expertise ne peuvent être sérieusement mises en doute, s'est borné à relever la surface de la pièce principale (6,5 M2) et de la salle d'eau, sans mesurer la hauteur sous plafond permettant de calculer le volume de la pièce principale.
Cependant, Foncia avait calculé la hauteur de plafond, avant de donner le logement à bail, fixée à 2,43 mètres.
Le volume de la pièce principale est donc de : 6,50 x 2,43 = 15,795 M3, soit un volume inférieur à 20 M3 de sorte que le logement est indécent.
La Sas Foncia [Localité 6] a calculé à tort le volume sur la base de la superficie totale du logement, salle d'eau comprise, ce qui donne un volume supérieur à 20 M3.
Le jugement déféré qui a dit que le logement était indécent sera confirmé.
Sur la responsabilité de Foncia
La Sas Foncia [Localité 6] fait valoir qu'elle n'a commis aucune faute puisque le logement est décent et qu'elle a présenté une proposition de relogement à Mme [J] [O], laquelle n'a pas donné suite, alors que cette obligation incombait au bailleur.
Mme [J] [O] réplique que la Sas Foncia [Localité 6] a commis une faute en lui louant ce logement indécent et que M. [I] [Y] n'a pas rempli son obligation de relogement, la Sas Foncia [Localité 6] faisant preuve d'inertie sur ce point, puisqu'il ne lui a pas été laissé le temps de répondre à la seule proposition qui lui a été faite.
M. [I] [Y] réplique pour sa part qu'il n'a commis aucune faute de sorte qu'il ne peut être redevable de dommages et intérêts à l'égard de Mme [J] [O] ni d'une obligation de relogement.
La Sas Foncia [Localité 6] est un professionnel de l'immobilier, et en cette qualité, était censée ne pas ignorer que le calcul du volume minimum d'un local donné à bail à usage d'habitation doit se faire sur la base de la pièce principale et non sur la superficie totale du logement.
Elle a commis une faute quasi-délictuelle à l'égard de Mme [J] [O] en lui donnant à bail à usage d'habitation un local qui était impropre à cet usage.
D'autre part, M. [I] [Y] était en droit de se reposer sur la Sas Foncia [Localité 6] pour l'appréciation du respect de la loi sur ce point, et a pu, en toute bonne foi, croire la Sas Foncia [Localité 6] lorsqu'elle lui a indiqué que si la surface minimum n'était pas suffisante, le volume minimum l'était et que le local pouvait donc être loué à usage d'habitation.
Il n'a commis aucune faute contractuelle vis-à-vis de Mme [O].
En revanche, la Sas Foncia [Localité 6] a commis une faute contractuelle dans le cadre de l'exécution du mandat que M. [I] [Y] lui avait confié.
L'obligation de relogement incombait à la Sas Foncia [Localité 6] qui a commis une faute en donnant à bail ce local.
Il ne ressort pas des échanges entre la Sas Foncia [Localité 6] et Mme [J] [O] qu'il y ait eu un manquement à cette obligation, alors que dès le 18 juin 2019, Foncia demandait à Mme [J] [O] de prendre contact avec elle pour étudier les possibilités de relogement, que le 5 juillet 2019, elle lui faisait visiter un logement [Adresse 10], que malgré ses relances fin août et début septembre, Mme [J] [O] ne faisait pas connaître ses intentions concernant cette proposition et qu'elle a préféré s'adresser aux services de la mairie.
Au vu de ce qui précède, le jugement qui a condamné solidairement la Sas Foncia [Localité 6] et M. [I] [Y] à indemniser Mme [J] [O] du préjudice de jouissance qu'elle a subi sera réformé.
Sur le préjudice de Mme [O]
Le préjudice de jouissance de Mme [J] [O] est constitué par le fait, que comme le décrit le rapport de la ville de [Localité 6], avec illustration par les photographies produites par Mme [O], elle occupait un espace tellement restreint qu'elle ne pouvait s'y mouvoir, ni y installer une table et une chaise pour y prendre ses repas ni une armoire pour y ranger ses affaires et qu'elle ne pouvait manifestement recevoir personne dans ces conditions.
Dans la mesure où cet immeuble n'aurait pas dû être mis en location à usage d'habitation, c'est à bon droit que Mme [J] [O] réclame le paiement de dommages et intérêts à hauteur de la somme versée à titre de loyers depuis l'origine du bail (10500 euros) ainsi que remboursement des cotisations d'assurance versées depuis l'origine du bail (400 euros), soit un total de 10900 euros et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
En application de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
La Sas Foncia [Localité 6] qui succombe en son appel en supportera donc la charge.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
La Sas Foncia [Localité 6] qui succombe, sera condamnée à payer à Mme [J] [O] d'une part et M. [I] [Y] d'autre part la somme de 1500 euros chacun sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné M. [I] [Y] solidairement avec la Sas Foncia [Localité 6],
Statuant à nouveau dans cette limite,
Condamne la Sas Foncia [Localité 6] seule à payer à Mme [J] [O] la somme de 10900 euros,
Y ajoutant,
Condamne la Sas Foncia [Localité 6] à payer à Mme [J] [O] d'une part et M. [I] [Y] d'autre part la somme de 1500 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la Sas Foncia [Localité 6] aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés selon la loi sur l'aide juridictionnelle pour Mme [J] [O].
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,