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17/05/2023 | FRANCE | N°19/06696

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 17 mai 2023, 19/06696


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 17 MAI 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/06696 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LL6F













Madame [E] [I]



c/



SA SNCF Voyageurs venant aux droits de EPIC SNCF Mobilités

















Nature de la décision : AU FOND























Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 décembre 2019 (R.G. n°F 18/00140) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 20 décembre 2019,





APPELANTE :

Madame [E] [I]

née le 27 Sept...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 17 MAI 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/06696 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LL6F

Madame [E] [I]

c/

SA SNCF Voyageurs venant aux droits de EPIC SNCF Mobilités

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 décembre 2019 (R.G. n°F 18/00140) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 20 décembre 2019,

APPELANTE :

Madame [E] [I]

née le 27 Septembre 1964 de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Iwann LE BOEDEC, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SA SNCF Voyageurs venant aux droits de EPIC SNCF Mobilités, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 552 049 447

représentée par Me Fabienne GUILLEBOT-POURQUIER de la SELARL GUILLEBOT POURQUIER, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 mars 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [E] [I], née en 1966, a été engagée en qualité d'agent d'exécution par la SNCF, par contrat de travail à compter du 18 juillet 1983.

Depuis avril 2010, Mme [I] est contrôleur interne à la Délégation ARV Atlantique à [Localité 3].

En 2010, Mme [I] a été élue titulaire cadre du comité d'entreprise.

En juillet 2013, Mme [I] a été désignée en qualité d'assesseur du TASS de la Gironde pour une durée de 3 ans.

Mme [I] a été placée en arrêt de travail pour maladie au cours du mois de novembre 2015 et du 4 janvier au 4 juillet 2016. Elle a repris ses fonctions dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique.

Le 2 décembre 2015, l'employeur a notifié un blâme à Mme [I].

En février 2017, à la fin de la période de mi-temps thérapeutique, Mme [I] a repris son poste à temps complet.

Réclamant l'annulation de son blâme du 2 décembre 2015, soutenant qu'elle a été victime de harcèlement moral, que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et demandant des dommages et intérêts en réparation des préjudices subis, Mme [I] a saisi le 31 janvier 2018 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 6 décembre 2019, a :

- dit que le blâme adressé à Mme [I] le 2 décembre 2015 était justifié,

- dit que la SNCF Mobilités n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat et n'a pas commis d'acte de harcèlement moral à l'encontre de Mme [I],

En conséquence,

- débouté Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouté la SNCF Mobilités de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [I] aux entiers dépens.

Par déclaration du 20 décembre 2019, Mme [I] a relevé appel de cette décision, notifiée le 9 décembre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 juin 2020, Mme [I] demande à la cour de :

- réformer le jugement en ce qu'il a été considéré que :

* le blâme du 2 décembre 2015 était justifié,

* la société SNCF Voyageurs venant aux droits de la société SNCF Mobilités n'avait pas manqué à son obligation de sécurité,

* elle n'avait pas été victime de faits de harcèlement,

* elle n'avait pas été victime de faits discriminatoires,

Statuant à nouveau,

- dire recevable l'ensemble de ses demandes,

- annuler son blâme notifié le 02 décembre 2015,

- dire qu'elle a été victime de faits caractérisant une situation de harcèlement moral,

- dire qu'elle a été victime de faits caractérisant une situation de discrimination,

- dire que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité,

En conséquence,

- condamner la société SNCF Voyageurs à lui verser les sommes suivantes :

* 40.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,

* 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 CPC,

- condamner l'intimée aux dépens et aux éventuels frais d'exécution forcée,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 17 mars 2020, la société SNCF Mobilités demande à la cour de':

- juger irrecevable suivant les dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile la demande de Mme [I] relative à l'indemnisation du préjudice lié à la discrimination syndicale,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 6 décembre 2019:

* dire justifié le blâme notifié le 2 décembre 2015 à Mme [I],

* dire que la société SNCF Voyageurs venant aux droits de la société EPIC SNCF Mobilités n'a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat et n'a pas commis d'acte de harcèlement moral à l'encontre de Mme [I],

- si par extraordinaire, la Cour ne jugeait pas irrecevable suivant les dispositions des articles 564 et suivants du code de procédure civile la demande de Mme [I] relative à l'indemnisation du préjudice lié à la discrimination syndicale, débouter celle-ci de cette demande,

En conséquence,

- débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- la condamner à la somme de 2.000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 20 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Mme [I] demande la condamnation de la société intimée au paiement de la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice résultant d'une part de la notification d'un blâme non justifié et d'autre part, d'un harcèlement moral qui serait en lien avec une discrimination syndicale.

L'annulation du blâme

Le blâme sans inscription au dossier, daté du 2 décembre 2015, est ainsi rédigé :

' le 15 octobre 2015, au cours d'une intervention au BCC de [Localité 3], vous avez indiqué aux agents, en contradiction avec les propos tenus par leur DET, que la fusion était programmée depuis longtemps et que leur DPX avait été mis en place en amont pour fermer leur chantier. Pourtant, l'ensemble du personnel de la Délégation Atlantique d'ARV avait été mis en garde à maintes reprises contre les conséquences d'une communication inappropriée. Dans cet esprit, le compte rendu de la réunion de délégation du 25 septembre 2014 précisait : ' Evolution Réseau BBCC / Caisses: l'optimisation du réseau BCC et Caisses entre dans une réflexion plus globale. ARV émet des souhaits mais les Axes et la DRH Voyages restent décisionnaires. Les informations que vous entendez et / ou détenez relèvent du secret professionnel : attention aux conséquences de leur divulgation qui peuvent être lourdes, notamment sur le sujet social'.

Vos propos ont déstabilisé les agents et créé un émoi préjudiciable au climat social de l 'EEV de [Localité 3]. Cette divulgation de sujets que vous saviez confidentiels et non divulgables, constitue une faute grave pour un cadre affecté à votre poste.

De plus, cette communication hors de votre périmètre professionnel a décrédibilisé l'ensemble de la ligne hiérarchique, en particulier la DPX, qui a perdu la confiance de l'ensemble de ses collaborateurs. L 'EEV a donc demandé que vous n'interveniez plus au BCC de [Localité 3]. Cette situation met la délégation Atlantique et d'autres services d'ARV dans l'embarras'.

La société intimée produit :

- un procès verbal de la réunion de la délégation Atlantique // [Localité 5] du 25 septembre 2014 qui fait état d' une réflexion globale sur l'optimisation du réseau BCC et Caisses et indique que les informations entendues ou détenues relèvent du secret professionnel, toute divulgation pouvant avoir des conséquences lourdes notamment au plan social,

- deux mails datés des 26 septembre et 1er octobre 2014 aux termes desquels il est rappelé à leurs destinataires - dont Mme [I]- la ' nécessaire confidentialité ' des informations détenues sur les fusions, suppressions de postes ou fermetures, les demandeurs d'informations devant être renvoyés à leur hiérarchie,

- coté 1bis, un mail daté du 16 octobre 2015 rédigé par Mme [M] pour M. [C], directeur de la délégation Atlantique et supérieur hiérarchique direct de Mme [I], aux termes duquel, ' devant tous les agents présents dans le 2ème module du BCC, elle a dit que [T] avait été nommée pour fermer le BCC et que tout était acté depuis plusieurs mois. Conséquences : des agents perturbés. Il en va aujourd'hui de la crédibilité de ma DPX ,de celle du DET, de la mienne. Les ACM étaient en pleurs suite au ton très autoritaire et menaçant de ton agent. Peux tu faire en sorte que cette personne ne mette plus les pieds au BCC. Nous n 'avons pas besoin de ce genre de pression dans le contexte que tu connais'.

Avant le prononcé de la sanction querellée, Mme [I] avait décrit son passage au BCC de [Localité 3] le 15 octobre 2015: deux agents- mesdames [G] et [R]- ont fait part de leur ressenti (leur dirigeante, Mme [O], avait été mise sur un poste qui allait être supprimé, elles étaient traitées comme des Kleenex usagés); Mme [I] a répondu que Mme [O] avait connaissance des projets d'ARV lors de sa prise de poste et, partant, n'avait pas été victime d' une absence de considération. Mme [I] précisait que ces faits s'inscrivaient dans le contexte des rumeurs de fusions des BCC circulant depuis plusieurs mois et qu'elle ne comprenait pas la stratégie du silence laissant ' court à tout et n'importe quoi'.

Mme [I] a donc méconnu l'injonction réitérée de sa hiérarchie -dont il ne lui appartenait pas de discuter le bien fondé-, dans un contexte laissant craindre des fusions voire des suppressions de postes, peu important qu'elle n'ait pas connu les éléments de communication de l'équipe managériale, seule décisionnaire.

En dépit de l'absence de sanction antérieure, le blâme sans inscription au dossier était une sanction proportionnée et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande de ce chef.

Discrimination syndicale et harcèlement moral

Au visa des articles 564,565 et 566 du code de procédure civile, la société conclut à l'irrecevabilité de la demande de reconnaissance d'une discrimination syndicale.

La cour ne lit pas de réponse de la salariée.

Aux termes des dispositions de l' article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Aux termes de l' article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent.

Aux termes de l' article 566 du même code, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

Les premiers juges ont débouté Mme [I] de ses demandes tendant à l'annulation du blâme, à la reconnaissance d'un harcèlement moral et d'une violation de l' obligation de sécurité. Pour asseoir le harcèlement moral, Mme [I] avait fait état, notamment, d'une discrimination syndicale.

La déclaration d'appel renseignée par Mme [I] mentionne, au rang des chefs expressément critiqués, la demande portant sur le harcèlement moral. La discrimination syndicale n'est pas un nouveau moyen, le serait-il, il serait recevable en vertu de l' article 565 précité, ni une demande nouvelle, aucune demande n'étant formulée sur le seul fondement de la discrimination.

La société sera déboutée de sa demande.

Mme [I] fait valoir qu'elle a été victime d'une discrimination en raison de son activité syndicale mentionnée dans un compte rendu d'évaluation et que son avancement a été retardé pendant quatre années.

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte notamment en matière de rémunération, de qualification, de classification, de promotion professionnelle en raison, notamment, de ses activités syndicales ou mutualistes.

Aux termes de l' article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige en raison de la méconnaissance des dispositions du chapitre II, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l' article Ier de la loi du 27 mai 2008.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Il est constant que Mme [I] a exercé une activité syndicale au moins jusqu'en juin 2014 et qu'elle était élue du comité d' entreprise en 2010.

Ses pièces cotées 31 et 32 établissent que Mme [N] relevait comme elle de la classification F I 23 en 2013,- cette date n'étant pas contestée-,et qu'en 2018, la première était classée F 2 26 tandis que Mme [I] atteignait le niveau F 2 25.

Au vu des pièces 32 de la salariée, 16 et 17 de la société, Mme [I] est passée du niveau E I au niveau E II en 10 ans et 10 mois (en comparaison d'une durée moyenne de 10 ans et 4 mois) et a atteint la classification F II après 10 années à la classification F I (en comparaison d'une moyenne de 8 ans et 4 mois).

Mme [I] ajoute qu'elle n'avait pas atteint le niveau G en 2020 soit 15 ans plus tard alors que la moyenne est de 8 ans et 1 mois.

L'évaluation cotée 4 de la salariée, réalisée en février 2015 pour le travail effectué au cours de l'année 2014, porte les mentions suivantes : ' [E] a vécu les 6 derniers mois de 2014 comme une course pour atteindre ses objectifs. À noter qu'avant juin 2014, [E] était investie dans l'activité syndicale à quasi temps plein... [E] a été concernée aussi (...) par un conflit managérial avec le précédent manager de la zone Atlantique. Cette situation l'a poussée à prendre du recul et s'investir dans l'activité syndicale'. Cette indication a été mentionnée dans le cadre d'une évaluation portant notamment sur les compétences développées au cours de cette année et de l'appréciation de la performance.

Ces éléments, pris dans leur ensemble laissent présumer l'existence d'une discrimination et la société doit prouver que ces faits reposaient sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La société oppose que les changements de qualification sont fondés sur la compétence et les connaissances professionnelles et la qualité des services, qu'ayant saisi la commission de notation et en dépit d' un avis défavorable, elle a obtenu la PR 25 le 1er avril 2017, décision qui aurait mis en colère ses collègues.

L'avis des collègues de l'intéressée est indifférent.

La société n'apporte pas de justification objective à l'avis défavorable - non produit - émis devant la commission de recours. L'évaluation des compétences professionnelles de l'année 2014, alors que Mme [I] était élue au comité d'entreprise, a été motivée au moins en partie, par référence au recul pris par la salariée par rapport à son activité professionnelle et à son investissement - ' à quasi temps plein'- dans une activité syndicale.

L' employeur ne prouve pas non plus l'élément objectif expliquant que la raison pour laquelle le temps écoulé entre la position F I et la position F II, de 10 ans, de 2005 et 2015, soit pendant l'activité syndicale exercée au moins de 2010 à 2014, a été supérieur à la durée moyenne de 8 ans et 4 mois.

La cour retient que Mme [I] a été victime d' une discrimination syndicale.

Mme [I] fait aussi état d'agissements qui relèveraient d'un harcèlement moral.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge examine les éléments de fait pris dans leur ensemble, en ce compris les certificats médicaux.

a - la modification unilatérale du lieu de travail

Des pièces produites (cotées 4 et 5 de la salariée) , il résulte que Mme [I] a été en charge du BCC de [Localité 4] puis de celui de [Localité 3]. Son lieu de travail a cependant toujours été situé à [Localité 3] et aucun élément n'établit que le changement de BCC contrôlé ait été source d'un alourdissement de sa charge de travail.

b- la téléconférence en période de congés

Par mail du 20 mars 2015, M. [C] a informé les participants à une téléconférence prévue le 26 mars suivant, que ' [E], bien qu'en congés, participera à cette TKF'.

c- les objectifs irréalisables

Mme [I] fait valoir que les objectifs qui lui ont été assignés pour le second semestre de l'année 2016, à son retour d'une absence pour maladie de six mois, étaient disproportionnés par rapport à ceux de ses collègues. Elle verse le mail daté du 12 juillet 2016 fixant un objectif de 29 contrôles au titre de l'année 2016 et renvoie aux conclusions de la société selon laquelle trois autres salariés devaient réaliser 40 ou 42 contrôles sur toute l'année 2016.

Considération prise des cinq mois de travail sur l'année 2016 et des objectifs fixés aux autres salariés sur une année entière, Mme [I] devait atteindre des objectifs proportionnellement supérieurs.

d- le caractère arbitraire de décisions de l' employeur

Ce dernier aurait refusé à Mme [I] de se rendre à un rendez vous avec la psychologue du travail pendant ses horaires de travail.

Par mail du 8 novembre 2016, M. [C] a refusé que la salariée consulte un praticien pendant ses horaires de travail motif pris que le praticien n'était pas le médecin du travail.

Mme [I] n'établit pas que son rendez -vous était nécessité par une urgence ou pris auprès du médecin du travail et le refus opposé par l'employeur était justifié.

Ce dernier aurait aussi refusé à Mme [I] une formation dans les termes suivants; 'sans explication complémentaire, je ne valide pas cette formation' ; Mme [I] ayant demandé son inscription à la formation PCFAMAT, dont il n'est pas contesté qu'elle était ouverte à tous les salariés volontaires, il revenait à son supérieur d'indiquer le motif de son refus sans opposer le défaut d'autre précision.

e- l'isolement de la salariée

Mme [I] fait valoir qu'elle a été privée de toute tâche pendant huit jours lors de son retour en mi -temps thérapeutique le 4 juillet 2016.

Mme [I] ajoute que son activité faisait l'objet d'un suivi inapproprié et disproportionné et verse un échange de messages électroniques des 21 et 22 février 2017 relatif à un déplacement à [Localité 5] au cours duquel elle avait été victime d'un malaise. Le 21 février 2017 à 15 heures, M. [C] l'a interrogée sur le motif de son absence ; cette dernière a répondu que, ne se sentant pas bien, elle était rentrée chez elle en informant une autre salariée. Le supérieur hiérarchique lui a reproché de ne l'avoir pas prévenu alors qu'il circulait dans le même train et que cette absence devait être justifiée par un certificat médical, ou compensée par la prise d'un demi- jour de congés.

Le 23 février suivant, M. [C] a rappelé à Mme [I] l'exigence de justification. Cette dernière s'est tournée vers une salariée du service des ressources humaines pour connaître la suite à donner à sa demande de congé faite la veille . Cette interlocutrice a répondu ne pouvoir se substituer à M. [C] ' qui va poser ton demi congé du 21/2 après midi pour régularisation '.

Il en résulte d'une part, que le service des ressources humaines ne conteste pas la demande de congé effectuée le 22 février par Mme [I] et d'autre part, qu'il revenait à son supérieur de 'poser cet arrêt '.

f- l'évocation par l' employeur de l'apparence physique de la salariée

L'évocation de l'apparence physique de Mme [I] par M. [C] lors d'un entretien professionnel est corroborée par le message électronique rédigé par ce dernier le 22 mai 2017: ' elle aurait bien voulu être choisie pour ce poste. Je lui ai rappelé que le choix négatif de la DUO avait été dicté en partie par son image très dégradée et lui ai donné plusieurs exemples ( prise de poste après 9 heures, le matin et départs vers 16h30 le soir, travail peu productif, tenue vestimentaire cool) '.

g- la privation de travail pendant une semaine au retour d'un arrêt de travail

L' employeur, tenu de l'obligation de fournir du travail à sa salariée, l'a laissée sans tâche à effectuer pendant une semaine à son retour d' un arrêt de maladie six mois.

h - les certificats médicaux

Mme [I] a été placée en arrêt de travail pendant six mois à compter du mois de novembre 2015. L'un des avis porte la mention d'une anxiété généralisée et deux d' un état dépressif caractérisé. Des prescriptions sont produites de médicaments anxiolytiques et antidépresseurs ; Mme [I] a aussi consulté une psychologue.

Ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral et il revient à l' employeur d'établir que ces agissements reposaient sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

b- il est constant que Mme [I] était en congés à la date de la téléconférence et l' employeur n'établit pas que son message aux autres participants constituait une confirmation du souhait de la salariée d'y assister et non pas une injonction de sa part.

c- l' employeur n'établit pas que certaines des entités que Mme [I] devait contrôler étaient petites et qu'elle pouvait parfois travailler en doublon avec une collègue. Les objectifs qui lui ont été fixés sur une durée de cinq mois (29 contrôles) étaient proportionnellement plus élevés que les 40 ou 42 fixés pour d'autres salariés.

d- l' employeur ne verse pas d'élément corroborant la préconisation du médecin du travail le contraignant à refuser à Mme [I] la formation sollicitée et ne peut exciper d'une usage normal de son pouvoir de direction dès lors que cette formation était ouverte à tous les salariés.

e- l' employeur ne produit pas de pièce établissant qu'il a dû remettre en état de marche ou paramétrer l'ordinnateur de Mme [I], laissée sans tâche à effectuer pendant une semaine.

L 'insistance de M. [C] à exiger de Mme [I] de poser une demi-journée de congé pour compenser son retour anticipé à son domicile au retour d'un déplacement n'était pas fondée d'une part, parce que la salariée avait fait la démarche auprès du service des ressources humaines et d'autre part, parce qu'il revenait à ce supérieur de décider de la date de cette demi journée.

f- la remarque faite par M. [C] à Mme [I] sur son apparence physique n'admet aucune justification.

g- si le lien de causalité entre les conditions de travail de Mme [I] est ses arrêts de travail n'est pas établi, la cour retient que les faits sus examinés sont constitutifs d'un harcèlement moral en ce qu'il ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail de Mme [I], susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, de compromettre son avenir professionnel.

L'obligation de sécurité

Mme [I] fait aussi valoir que l' employeur, informé d'agissements de harcèlement moral, n'est pas intervenu et n'a pas diligenté d'enquête. Elle ajoute qu'elle avait mentionné ' le contexte particulier' avant la sanction infligée en 2015 par l'employeur.

Certains des faits sus examinés sont antérieurs de plus de deux ans à l'entretien managérial tenu le 23 mai 2017 et à la décision de l' employeur de confier le suivi du travail de Mme [I] à M. [X]. Au regard des arrêts de travail de Mme [I] qui avait évoqué, lors d'une lettre datée du 15 novembre 2015, d'importants troubles du sommeil, l'employeur aurait dû examiner la demande de changement de poste de sa salariée et solliciter l'avis du médecin du travail.

La société a manqué à son obligation de sécurité.

Mme [I] a subi un préjudice moral résultant de conditions de travail dégradées du fait de l' employeur qui sera condamné à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Vu l'équité, l' employeur sera condamné à payer à Mme [I] la somme de

3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Partie perdante, la société supportera les entiers dépens des frais de première instance et d'appel et les frais d'exécution.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté Mme [I] de sa demande tendant à l'annulation du blâme notifié le 2 décembre 2015,

statuant à nouveau,

Déboute la société SNCF de sa demande d'irrecevabilité,

Condamne la société SNCF Voyageurs à payer à Mme [I] la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant tant d'une discrimination syndicale, d'un harcèlement moral et du non respect de l' obligation de sécurité,

Condamne la société SNCF à verser à Mme [I] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société SNCF aux entiers dépens des procédures de première instance et d'appel en ce compris les frais d'exécution de la présente décision.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/06696
Date de la décision : 17/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-17;19.06696 ?
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