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11/05/2023 | FRANCE | N°20/04425

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 11 mai 2023, 20/04425


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 11 MAI 2023









N° RG 20/04425 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LZAL







[B] [E] épouse [N]



c/



[F] [N]

S.A. SOCIETE GENERALE



























Nature de la décision : AU FOND





























Grosse délivrée le : 11 MAI 2023



aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 octobre 2020 par le du Tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 18/10188) suivant déclaration d'appel du 16 novembre 2020





APPELANTE :



[B] [E] épouse [N]

née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 8] (33)

de n...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 MAI 2023

N° RG 20/04425 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LZAL

[B] [E] épouse [N]

c/

[F] [N]

S.A. SOCIETE GENERALE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le : 11 MAI 2023

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 29 octobre 2020 par le du Tribunal judiciaire de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 18/10188) suivant déclaration d'appel du 16 novembre 2020

APPELANTE :

[B] [E] épouse [N]

née le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 8] (33)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]

Représentée par Me Eléonore TROUVE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[F] [N]

né le [Date naissance 2] 1962 à [Localité 7] (47)

de nationalité Française, demeurant chez Madame [R] [N], [Adresse 4]

Représenté par Me Valérie CHAUVE, avocat au barreau de BORDEAUX

S.A. SOCIETE GENERALE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

Représentée par Me Marc DUFRANC de la SCP AVOCAGIR, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

Greffier lors des débats : Séléna BONNET

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Suivant contrat du 1er décembre 2011, la SA Société Générale a prêté à la société Transports Gabriel, dont le gérant était M. [F] [N], la somme de 450 000 euros au taux de 3,40% l'an, remboursable en 84 échéances mensuelles, les fonds étant destinés à l'acquisition de la totalité des actions de la société Transports Gabriel.

Selon acte de cautionnement du 17 novembre 2011, ce prêt était garanti par la caution solidaire personnelle de M. [N] et de son épouse Mme [B] [E] épouse [N], à concurrence chacun de 292 500 euros, soit 50% de toutes sommes dues au titre de l'obligation garantie, sur une durée de neuf ans.

Dans le cadre d'une renégociation du prêt en 2016, les époux [N] ont souscrit un nouvel engagement de caution le 7 octobre 2016, dans la limite de 123 237 euros, soit 50% de l'obligation garantie pour une durée de 6 ans et 9 mois.

Le 9 novembre 2016, la société Transports Gabriel a été placée en redressement judiciaire et la Société Générale a déclaré ses créances entre les mains du mandataire judiciaire.

Le 18 juillet 2018, la société Transports Gabriel a été placée en liquidation judiciaire, avec publication au BODACC le 28 juillet 2018. La Société Générale a déclaré ses créances entres les mains du mandataire judiciaire le 19 septembre 2018.

Suite à la requête en divorce déposée par Mme [N], le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux a rendu une ordonnance de non-conciliation le 8 février 2018.

Par courriers recommandés avec accusé de réception en date du 4 octobre 2018, la Société Générale a mis en demeure chacun des consorts [N] de lui régler, en leur qualité de caution, la somme de 112 117,81 euros.

Par acte du 14 novembre 2018, la Société Générale a assigné les consorts [N] en paiement devant le tribunal de grande instance de Bordeaux.

Par jugement réputé contradictoire du 29 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- condamné Mme [N] à payer à la société générale la somme de 130 534,59 euros, avec intérêts au taux de 7,40% à compter du 14 novembre 2018 jusqu'à complet paiement, dans la limite de 123 237 euros,

- condamné M. [N] à payer à la société générale la somme de 112 117,81 euros, avec intérêts au taux de 7,40% à compter du 4 octobre 2018 jusqu'à complet paiement, dans la limite de 123 237 euros,

- condamné in solidum les consorts [N] à payer à la société générale la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné in solidum les consorts [N] aux dépens.

Mme [N] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 16 novembre 2020.

Par jugement du 18 décembre 2020, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux a prononcé le divorce des époux [N].

Selon arrêt du 11 février 2021, la première présidente de la cour d'appel de Bordeaux, saisie par Mme [E] divorcée [N], a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire résultant du jugement du 29 octobre 2020.

Par conclusions déposées le 10 août 2021, Mme [E] divorcée [N] demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 29 octobre 2020 en ce qu'il a :

* condamné Mme [N] à payer à la société générale la somme de 130 534,59 euros, avec intérêts au taux de 7,40% à compter du 14 novembre 2018 jusqu'à complet paiement, dans la limite de 123 237 euros,

* condamné M. [N] à payer à la société générale la somme de 112 117,81 euros, avec intérêts au taux de 7,40% à compter du 4 octobre 2018 jusqu'à complet paiement, dans la limite de 123 237 euros,

* condamné in solidum les consorts [N] à payer à la société générale la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* ordonné l'exécution provisoire de la décision,

* débouté les parties du surplus de leurs demandes,

* condamné in solidum les consorts [N] aux dépens,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- constater le caractère manifestement disproportionné du cautionnement souscrit par Mme [E],

- rejeter toute demande tendant au paiement de l'engagement en résultant,

A titre subsidiaire,

- déclarer Mme [E] hors de cause dans le cadre de la présente procédure en vertu des dispositions de l'article 1387-1 du code civil,

- par conséquent, condamner M. [N] seul au paiement des sommes réclamées par la société générale,

A titre infiniment subsidiaire,

- constater la déchéance de la société générale de ses droits à intérêts, dont il devra être tenu compte afin de déduire cette somme de la créance revendiquée,

- octroyer un délai de paiement de 24 mois à Mme [E] sous la forme d'un report de délai,

En toute hypothèse,

- condamner la société générale au paiement à Mme [E] de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 7 mars 2023, M. [N] demande à la cour de :

- juger M. [N] recevable en son appel incident,

- réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux du 29 octobre 2020 en ce qu'il a condamné M. [N] à régler à la société générale la somme de 112 117,81 euros avec intérêts au taux de 7,40% à compter du 4 octobre 2018 jusqu'à complet paiement dans la limite de 123 237 euros,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que l'engagement de caution souscrit par M. [N] est entaché de nullité en raison du dol commis par la banque,

A titre subsidiaire,

- condamner la société générale à verser à M. [N] la somme de 56 058,91 euros (112 117,81/2) correspondant à 50% des sommes dues en vertu de son engagement de caution et ce, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'il a subi par suite du non-respect par la banque de son obligation d'information et ce, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire que la société générale est déchue du droit de demander le paiement de l'engagement de caution souscrit par les consorts [N] en raison de la disproportion manifeste de ces engagements avec leur patrimoine et revenus que ce soit au jour où l'engagement a été souscrit qu'à ce jour,

A titre encore plus subsidiaire,

- dire que la société générale est déchue de ses droits à intérêts, dont il devra être tenu compte afin de déduire cette somme de la dette revendiquée,

- octroyer un report de 24 mois à M. [N] pour honorer sa dette éventuelle à l'égard de la société générale,

- condamner la société générale au versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 8 mars 2023, la société générale demande à la cour de:

- confirmer le jugement dont appel,

Par voie de conséquence,

- débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes et contestations,

- débouter M. [N] de l'ensemble de ses demandes et contestations,

- condamner Mme [N] à payer à la société générale la somme de 103 534,59 euros avec intérêts au taux de 7,40% du 14 novembre 2018 et jusqu'à complet paiement dans la limite de 123 237 euros,

- condamner M. [N] à payer à la société générale la somme de 112 117,81 euros avec intérêts au taux de 7,40% du 4 octobre 2018 et jusqu'à complet paiement dans la limite de 123 237 euros,

Y ajoutant,

- condamner solidairement les consorts [N] à payer à la société générale la somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement les consorts [N] aux entiers dépens.

L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 23 mars 2023.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 9 mars 2023.

Par message RPVA du 9 mars 2023, le conseil de Mme [E] divorcée [N] demande le rabat de la clôture et le renvoi de l'affaire à la mise en état afin de répliquer aux écritures déposées le 8 mars 2023 par la Société Générale.

Lors de l'audience du 23 mars 2023, le conseil de Mme [E] divorcée [N] ne sollicite plus le renvoi de l'affaire.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au préalable, la Société Générale évoque, dans l'exposé de ses moyens en page 4 de ses conclusions, l'irrecevabilité de l'appel incident de M. [N] sans toutefois en tirer de conséquences dans le dispositif de ses écritures qui seul lie la cour en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile. Au demeurant, la cour observe que Mme [E] a, par acte du 18 janvier 2021, fait signifier la déclaration d'appel, ses conclusions d'appelante et ses pièces à M. [N] lequel a constitué avocat puis déposé des conclusions d'appel incident le 16 avril 2021 conformément aux dispositions de l'article 909 du code de procédure civile.

Sur la nullité de l'acte de cautionnement

Invoquant la réticence dolosive de la banque du fait d'un manquement à l'obligation précontractuelle d'information sur les conditions de la garantie OSEO, M. [N] soutient que ce manquement l'a induit en erreur puisqu'il a toujours été convaincu qu'en cas de défaillance de la société Transports Gabriel dans le remboursement du prêt, cette garantie serait actionnée à hauteur de 50% de l'encours du prêt.

La banque rétorque que les dispositions du contrat de prêt indiquent clairement que la garantie bénéficie au seul banquier alors que l'acte de cautionnement par lequel M. [N] s'est engagé ne fait aucunement référence à la garantie OSEO, de sorte qu'il est clairement apparent que la caution n'est nullement subordonnée à la réalisation de cette autre garantie.

S'il est exact qu'aux termes du contrat de prêt, la garantie OSEO apparaît dans les premières garanties prises par la banque, avant les cautionnements solidaires des époux [N], il n'est toutefois indiqué nulle part qu'elle jouerait en premier en cas de défaillance de la débitrice principale ou que la garantie OSEO s'imputerait sur la dette des époux [N] envers la banque.

Au contraire, l'acte de cautionnement signé par les époux [N], qui ne fait aucunement référence à la garantie OSEO, stipule expressément que : 'La caution solidaire est tenue de payer à la banque ce que doit ou devra le cautionné au cas où ce dernier ne ferait pas face à ce paiement pour un motif quelconque. Dans la limite en montant de son engagement, la caution est tenue à ce paiement sans que la banque ait :

- à poursuivre préalablement le cautionné,

- à exercer des poursuites contre les autres personnes qui se seront portées caution du cautionné, la banque pouvant demander à la caution le paiement de la totalité de ce que lui doit le cautionné.'

Ainsi, M. [N] a été clairement informé de ce que son cautionnement n'avait aucun caractère subsidiaire et qu'il pouvait être recherché indifféremment par le prêteur même avant de poursuivre le débiteur ou une autre garantie.

En tout état de cause, il ne démontre pas que l'erreur sur les modalités de mise en oeuvre de la garantie OSEO résultant d'une réticence dolosive aurait été déterminante de l'engagement auquel il a consenti.

M. [N] sera donc débouté de sa demande en nullité de l'acte de cautionnement.

Sur le manquement de la banque au titre de son obligation d'information

M. [N] reproche subsidiairement à la banque un défaut d'information quant au fonctionnement de la garantie OSEO et sollicite la somme de 56.0658,91 euros correspondant à 50% des sommes dues en vertu de son engagement de caution, à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1231-1 du code civil.

Cependant, pour les mêmes motifs qui précèdent, M. [N] a été suffisamment informé que son engagement de caution serait mis en oeuvre sans possibilité de se prévaloir d'une autre garantie.

M. [N] sera donc débouté de sa demande de ce chef.

Sur la disproportion de l'engagement de caution

Aux termes de l'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable au litige, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution ne lui permette de faire face à ses obligations au moment où elle est appelée.

Il est constant qu'il appartient à la caution de prouver que son cautionnement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Le caractère manifestement disproportionné s'apprécie en analysant l'endettement global de la caution au moment où l'engagement est consenti, au regard du montant de cet engagement et des biens et revenus déclarés par la caution, dont le créancier, en l'absence d'anomalies apparentes, n'a pas à vérifier l'exactitude.

En l'espèce, selon acte de cautionnement du 17 novembre 2011, les époux [N] se sont portés cautions solidaires à hauteur, chacun, de 292.500 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard au titre du prêt souscrit par la société Transports Gabriel. A cette occasion, ils ont rempli une fiche de renseignements, laquelle était signée par les deux époux le 3 août 2011. Dans cette fiche, produite en pièce n°4 par la banque, il est indiqué que M. [N] est gérant d'entreprise, que Mme [N] est aide soignante, qu'ils sont mariés sans contrat de mariage. Sous la rubrique 'ressources', il est simplement mentionné 'voir relevé d'imposition'. Au titre du patrimoine immobilier, il est fait mention d'une maison d'habitation sise à [Localité 6], évaluée à 350.000 euros, appartenant à la SCI Terreneuve dont les époux [N] détiennent 100% des parts, ainsi que d'un terrain et d'un bâtiment industriel évalués à 430.000 euros, appartenant à la SCI Aquistock dont '[N]' détient 66% des parts, la fiche précisant quant à ces derniers biens la mention : 'pas de prêt/caution'.

Courant 2016, dans le cadre d'une renégociation du prêt qui n'aura finalement pas lieu, les époux [N] ont souscrit un nouvel engagement de caution le 7 octobre 2016, dans la limite de 123 237 euros, se substituant au précédent cautionnement. Une nouvelle fiche de renseignements a alors été remplie le 24 mars 2016. Cette fiche, produite en pièce n°6 par la banque, est signée par M. [N] seul et indique que les époux [N] sont mariés sous le régime de la communauté universelle. La rubrique 'montant annuel total des revenus' n'est pas renseignée. Au titre du patrimoine immobilier, il est mentionné une maison d'habitation sise à [Localité 6] sans qu'il soit précisé qu'elle appartient à la SCI Terreneuve, un terrain et un bâtiment industriel évalués à 440.000 euros et grevés d'un prêt dont le capital restant du est de 144.000 euros, ces biens appartenant à la SCI Aquistock dont M. [N] détenait 66%. Il est également mentionné un crédit à la consommation dont l'encours est de 38.412 euros.

Comme justement souligné par Mme [E], il apparaît que :

- seul M. [N] a rempli et signé la fiche de renseignements du 24 mars 2016 alors que les deux époux étaient déjà cautions solidaires depuis le 17 novembre 2011 et qu'ils étaient invités à renouveler cet engagement dans l'acte du 7 octobre 2016,

- dans la première fiche établie en 2011, les époux déclaraient être mariés sans avoir conclu de contrat de mariage alors qu'en 2016, M. [N] indiquait, seul, qu'ils étaient mariés sous le régime de la communauté universelle,

- en 2011, les époux [N] précisaient que le bien immobilier sis au Barp appartenait à la SCI Terreneuve alors qu'en 2016, M. [N] ne mentionnait plus l'existence de la SCI Terreneuve, ce qui pouvait laisser penser que la maison d'habitation était la propriété des époux [N].

En outre, alors que la déclaration de patrimoine de 2011 mentionne l'absence de prêt grevant les biens appartenant à la SCI Aquistock, la fiche de 2016 porte mention d'un tel prêt.

Ces divergences, qui constituent des anomalies apparentes, auraient dû alerter la banque à qui il appartenait dès lors de solliciter des informations complémentaires auprès des époux [N] sur la propriété exacte des biens mentionnés, sur leurs ressources et charges précises ainsi que sur leur régime matrimonial.

Il résulte de ces éléments que la fiche de renseignement du 24 mars 2016, utilisée dans le cadre de l'engagement de caution du 7 octobre 2016 dont se prévaut la banque, présente des anomalies apparentes et doit en conséquence être écartée. Il conviendra dès lors d'apprécier la disproportion du cautionnement au regard de la situation réelle de la caution.

A ce titre, il est constant que la disproportion des engagements de cautions mariées sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts, ce qui était le cas des époux [N], doit s'apprécier au regard non seulement de leurs biens et revenus propres mais aussi des biens et revenus de la communauté.

L'avis d'impôt 2017 produit par Mme [E] en pièce n°10 établit qu'au titre de l'année 2016, Mme [E] percevait un revenu annuel de 21.882 euros (soit 1.823 euros par mois) tandis que M. [N] déclarait la somme de 6.499 euros (soit un revenu mensuel moyen de 541 euros).

Concernant l'évaluation du patrimoine immobilier des époux [N], il ressort des pièces produites aux débats par l'appelante qu'au moment de la souscription de l'engagement de caution, tant de 2011 que de 2016, ils n'étaient plus propriétaires de la maison d'habitation sise au Barp puisque celle-ci appartenait à une SCI Terreneuve qu'ils ont créée en 1999 et dont ils ont, par acte notarié du 14 juin 1999, fait donation des parts en nue-propriété à leurs trois filles, chacun des époux ne disposant plus, à l'issue de cet acte, que d'une seule part de la SCI en pleine propriété.

Quant au terrain et bâtiment industriel appartenant à la SCI Aquistock dont il est acquis que M. [N] détenait 66% des parts, ils étaient évalués à la somme de 430.000 euros, le capital restant dû sur le prêt grevant ces biens au jour du cautionnement étant de 144.000 euros, de sorte qu'à cette date, leur valeur s'élevait à 286.000 euros. L'évaluation des parts de M. [N] peut donc être chiffrée à 286.000 x 66% = 188.760 euros.

Au moment de leur engagement, les biens et ressources des époux [N] s'élevaient donc à la somme de 21.882 + 6.499 + 188.760 = 217.141 euros.

Quant à leurs charges, les époux [N] s'étaient donc engagés chacun, aux termes de l'acte de cautionnement du 7 octobre 2016, à hauteur de 123.237 euros, soit globalement 246.474 euros. A cela s'ajoute un crédit à la consommation dont l'encours était de 38.412 euros. Si Mme [E] fait également état d'un engagement de caution souscrit par les époux au titre du prêt contracté par la SCI Aquistock le 12 février 2008 d'un montant de 261.000 euros, force est de constater que ledit acte n'est pas versé aux débats.

Au regard du montant global de l'engagement (246.474 euros), des charges liées au crédit à la consommation (38.412 euros), des revenus et de la consistance du patrimoine immobilier des époux [N] (217.141 euros), leur engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à leurs biens et revenus propres et communs.

Il est constant qu'il incombe au créancier professionnel qui entend se prévaloir d'un contrat de cautionnement manifestement disproportionné lors de sa conclusion aux biens et revenus de la caution, personne physique, d'établir que, au moment où il l'appelle, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

En l'espèce, la Société Générale ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, qu'au jour de l'appel en garantie, soit le 14 novembre 2018, jour de l'assignation, le patrimoine et les revenus de Mme [E] et de M. [N] leur permettaient de faire face à leurs obligations. Il ressort au contraire des pièces produites par l'appelante que ses revenus annuels s'élevaient, en 2019, à la somme de 23.391 euros, soit 1.949,25 euros par mois, qu'elle est actuellement en arrêt de travail suite à un accident professionnel et que ses charges annuelles s'élèvent à environ 15.500 euros. Quant à M. [N], le jugement du 20 septembre 2022 prononçant la mainlevée de la mesure de curatelle renforcée aux biens et à la personne prise par jugement du 23 novembre 2021 à son encontre, fait état de ce qu'il accumule les dettes et envisage de déposer un dossier de surendettement.

Il résulte de ce qui précède que la Société Générale ne peut se prévaloir des engagements de caution solidaire conclus par Mme [E] divorcée [N] et M. [N] le 7 octobre 2016 en garantie du prêt souscrit par la société Transports Gabriel et doit en conséquence être déboutée de sa demande en paiement à ce titre. Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. La Société Générale, échouant en ses prétentions, supportera la charge des dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, la Société Générale sera condamnée à payer à Mme [E] et à M. [N] la somme, à chacun, de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant de nouveau,

Déboute la Société Générale de ses demandes,

Y ajoutant,

Déboute M. [N] de ses demandes en nullité de l'engagement de caution et en dommages et intérêts,

Condamne la Société Générale à payer à Mme [E] et à M. [N] la somme, à chacun, de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la Société Générale aux dépens d'appel,

Rejette toutes demandes des parties plus amples ou contraires.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 20/04425
Date de la décision : 11/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-11;20.04425 ?
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