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10/05/2023 | FRANCE | N°20/00795

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 10 mai 2023, 20/00795


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 10 MAI 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/00795 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOTK

















Monsieur [P] [V]



c/



S.N.C. EIFFAGE ROUTE SUD-OUEST

















Nature de la décision : AU FOND

















Gro

sse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 janvier 2020 (R.G. n°F 17/01231) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 13 février 2020,





APPELANT :

Monsieur [P] [V]

né le 16 Juin 1960 à [Localité 2] de natio...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 10 MAI 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/00795 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOTK

Monsieur [P] [V]

c/

S.N.C. EIFFAGE ROUTE SUD-OUEST

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 janvier 2020 (R.G. n°F 17/01231) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 13 février 2020,

APPELANT :

Monsieur [P] [V]

né le 16 Juin 1960 à [Localité 2] de nationalité Française Profession : Chauffeur, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Véronique LASSERRE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SNC Eiffage Route Sud-Ouest, prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 4]

N° SIRET : 399 307 370

représentée par Me Vincent LEMAY de la SELAS LE DIMEET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Maryline LE DIMEET de la SELAS LE DIMEET ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mars 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [P] [V], né en 1960, a été engagé en qualité de chauffeur poids lourd par la société Appia Nord Aquitaine, devenue la SNC Eiffage Route Sud-Ouest par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 octobre 2006.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ouvriers des travaux publics.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [V] s'élevait à la somme de 1.931 euros.

Les 2 et 8 juin 2016, des notes d'observation ont été rédigées à l'encontre du salarié, pour avoir laissé les portes de son camion ouvertes à l'occasion du transport des enrobés (entraînant une baisse de leur température à l'arrivée sur le chantier) et pour avoir accroché un poteau de caténaires sans le signaler à son encadrement.

Le 9 février 2017, une nouvelle note a été établie par son supérieur signalant trois incidents :

- écrasement d'une fiche d'implantation sur le chantier Cap Ouest,

- accrochage d'une barrière, entraînée sur un véhicule, ayant provoqué une rayure sur le montant droit du pare-brise sur le chantier Peugeot (le 02/12/2017),

- sur ce même chantier, le 08/02/2017, une manoeuvre ayant fait 'bouger une bordure de type T2'.

Par lettre datée du 10 février 2017, M. [V] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 février 2017.

Le 15 février 2017, une nouvelle note d'observation a été rédigée à l'encontre du salarié pour avoir accroché un câble Telecom aérien avec son camion benne levée, la réparation ayant nécessité l'intervention de la société Orange.

M. [V] a été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 23 février 2017 et dispensé d'exécuter son préavis.

Le 1er mars 2017, M. [V] a été placé en arrêt de travail pour maladie et a déclaré un accident du travail qui serait survenu le même jour.

Par courrier en date du 16 août 2017, la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde lui a notifié son refus de prise en charge de cet accident en raison de l'absence de caractère professionnel de celui-ci.

A la date du licenciement, M. [V] avait une ancienneté de 10 ans et 4 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant des dommages et intérêts à ce titre, M. [V] a saisi le 2 août 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 21 janvier 2020, a :

- débouté M. [V] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Eiffage Route Sud-Ouest de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [V] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 13 février 2020, M. [V] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 mai 2020, M. [V] demande à la cour de réformer dans son intégralité le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux et, statuant à nouveau, de :

- dire qu'il a été victime d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Eiffage Route Sud Ouest à la somme de 23.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- la condamner à la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 juin 2020, la société Eiffage Route Sud Ouest demande à la cour de'déclarer recevable mais non fondé l'appel interjeté par M. [V], de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes et de :

- dire que le licenciement de M. [V] est bien fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- le débouter de l'intégralité de ses demandes,

- le condamner au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 21 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement adressée le 23 février 2017 à M. [V] est ainsi rédigée :

« (...)

- Fin janvier, sur le chantier de CAP OUEST à [Localité 5], vous étiez Chauffeur de poids-lourd et lors de manoeuvres sur le chantier, vous avez écrasé une fiche d'implantation.

Les salariés du chantier ont dû réimplanter cette zone du chantier. Vous nous avez indiqué ne pas avoir vu la fiche.

- Le 2 février 2017, sur le chantier de 'PEUGEOT' au [Localité 3], lors d'une manoeuvre de recul, vous avez touché puis accroché une barrière Heras.

En repartant, vous avez entraîné cette barrière, jusqu'à taper une voiture de la concession. Vous nous avez indiqué ne pas vous être rendu compte d'avoir touché la clôture et de l'avoir entraîné sur la voiture.

- Le 8 février 2017, sur le même chantier de 'PEUGEOT', vous avez manoeuvré sur le chantier et par erreur vous avez roulé sur des bordures posées récemment. Il a fallu reposer ces bordures gratuitement. Vous n'avez pas maîtrisé votre véhicule au point de rouler sur une zone à éviter.

Cela m'amène à faire plusieurs remarques :

- par votre expérience des chantiers, vous savez l'importance de manoeuvrer avec prudence afin de ne pas dégrader ce qui peut s'y trouver.

Or, dans ces nombreux cas, vous avez engendré par vos erreurs de conduite, des frais de reprise de travaux ou de réparations de dégradations. Sans compter, l'impact néfaste vis-à-vis de nos clients qui ne peuvent que constater les dégâts.

- Au-delà de ces dégradations matérielles, ces incidents sont aussi le reflet de situations dramatiquement dangereuses car je n'ose pas imaginer les conséquences si les choses endommagées avaient été des personnes du chantier ou des riverains. Car, à chaque situation, vous nous avez indiqué ne pas avoir vu ou ne pas vous être rendu compte.

D'autre part, je vous rappelle qu'en 2016, vous avez reçu deux notes d'observations, l'une vous reprochant votre manque de professionnalisme lors du transport d'enrobé ('), l'autre vous reprochant d'avoir accroché un caténaire (') et de ne pas l'avoir signalé à l'encadrement du chantier.

(...) ».

Pour voir infirmer le jugement déféré, M. [V] fait notamment valoir les éléments suivants :

- sur le premier grief :

* il serait prescrit car survenu en réalité non pas fin janvier 2017 mais le 9 décembre 2017 : est produite la fiche de présence du salarié sur le chantier concerné à cette date,

* ce grief n'est pas établi, ne résultant que de la note d'observation de son supérieur et le planning produit par la société démontre sa présence sur le chantier le 11 janvier, ce qui contredit l'existence d'un incident 'fin janvier',

* la réimplantation ne nécessite pas la présence d'un géomètre contrairement à ce que prétend l'employeur : une photographie d'une telle fiche, qui, selon l'appelant, coûte un euro, est versée aux débats,

* la présence d'un guide de manoeuvre aurait permis d'éviter l'incident survenu la nuit ;

- sur le second grief :

* l'attestation de M. [F] démontre seulement que c'est le klaxon du chauffeur de pelle qui servirait de guide de manoeuvre, seul M. [F] attestant que la présence d'un véritable guide n'était pas nécessaire,

* le camion qu'il utilisait ce jour-là était un véhicule de location non équipé d'une caméra de recul ;

- sur le troisième grief :

* il n'a touché qu'une seule bordure béton et non plusieurs,

* cet incident était sans gravité puisqu'il a suffi de remettre un peu de béton.

Par ailleurs, M. [V] conteste avoir été destinataire de la note d'observation du 15 février 2017 ainsi que la véracité des faits qui y sont mentionnés.

Enfin, il soutient que les faits ayant fait l'objet de la note d'observation du 2 juin 2016 (transport d'enrobés en laissant le rabat de la bâche ouverte), s'expliquent par le fait que la bâche n'avait pas d'élastique et que cela n'a pas eu d'impact sur la qualité du béton.

Il reconnaît les faits objets de la note du 8 juin 2016 (accrochage d'un caténaire) mais soutient ne pas avoir cherché à les cacher à sa direction.

Il ajoute que la société ne peut se prévaloir d'un avertissement survenu le 18 octobre 2011, en application des dispositions de l'article L. 1332-5 du code du travail.

Il prétend par ailleurs que son licenciement résulterait de la volonté de la société de réduire ses effectifs car il n'a pas été remplacé à son poste, contrairement à ce que prétend la société, sans en justifier, M. [R] étant conducteur de grue.

La société conclut à la confirmation du jugement et invoque les éléments suivants :

- M. [V] a reconnu les faits reprochés en signant les notes d'observations et en indiquant au cours de l'entretien préalable, ne pas s'être rendu compte de ces incidents ;

- concernant le 1er grief, elle fait valoir que ce n'est que devant le conseil de prud'hommes que M. [V] a imaginé pouvoir dater l'incident du 9 décembre 2016 ; - s'agissant de l'accrochage de la barrière Heras, elle produit les attestations de :

* M. [F] qui indique notamment que lors de la manoeuvre, M. [V] n'a pas respecté le signal (klaxon) du chauffeur de pelle et ne s'est pas arrêté suffisamment tôt, heurtant ainsi une barrière délimitant la zone qui est tombée sur une voiture lorsqu'il est reparti. Il ajoute : « Le chauffeur de pelle s'en est aperçu, l'a klaxonné à plusieurs reprises pour qu'il s'arrête. Mr [V] a continué son chemin. J'ai suivi Mr [V] sur le chantier pour lui indiquer le problème. Il m'a indiqué ne pas s'en être rendu compte. Lors de la remise de la note d'observation, il n'a pas contesté les faits » ;

* M. [G], chauffeur de la pelle qui déclare : « Comme d'habitude, lorsqu'ils s'est placer sous la pelle, j'ai klaxonné pour lui indiquer de s'arrêter. En repartant, le camion à toucher la barrière et la trainer jusqu'à cogner une voiture qui était stationnée » ;

- ces fautes de conduite réitérées témoignent de l'absence de maîtrise de son poids lourd et ont causé des dégâts matériels chez les clients, une perte financière, une atteinte à l'image de la société et surtout, traduisent la dangerosité du comportement du salarié ;

- il n'existe pas d'obligation légale ni quant à la nécessité d'une caméra de recul ni quant à la présence d'un guide manoeuvre ;

- M. [V] a été remplacé par M. [R] et la société a engagé 67 salariés depuis février 2017.

***

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

S'agissant du 1er grief, la note d'observation établie le 9 février 2017 par M. [F] ne permet pas de dater cet incident qui, compte tenu des plannings respectifs produits par les parties peut effectivement être survenu le 9 décembre 2016, étant observé que la mention 'fin janvier 2017' portée dans la lettre de licenciement est peu compatible avec la date du 11 janvier 2017 que revendique la société.

Il sera par conséquent considéré, en application des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail que ce grief est prescrit dès lors que la procédure de licenciement a été engagée le vendredi 10 février 2017.

Le second grief n'est pas contesté par le salarié et est établi par les déclarations tant de M. [F] que du conducteur de pelle et ainsi que le fait valoir la société, ni la présence d'un guide de manoeuvre ni l'équipement d'une caméra de recul ne sont obligatoires.

Le troisième grief est au moins partiellement reconnu par M. [V] qui le limite au fait d'avoir heurté une seule bordure.

Ainsi que le soutient la société, ces fautes de conduite témoignent, indépendamment de leurs conséquences financières, d'un comportement d'autant plus dangereux pour la sécurité des autres personnes présentes sur les chantiers, que M. [V] a déclaré pour chacun des incidents ne pas s'en être rendu compte, reconnaissant par ailleurs la réalité des faits ayant donné lieu à la note d'observations du 8 juin 2016 (accrochage d'un caténaire ayant endommagé la porte de son véhicule).

Il sera, de ce fait relevé que le motif du licenciement réside dans le caractère réel et sérieux de ces fautes et non dans la volonté de la société de réduire ses effectifs.

C'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont considéré que le licenciement de M. [V] reposait sur une cause réelle et sérieuse et ont débouté celui-ci de sa demande de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

M. [V], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamné aux dépens ainsi qu'à payer à la société intimée une somme arbitrée en équité à 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M. [P] [V] aux dépens ainsi qu'à payer à la société Eiffage Route Sud Ouest la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/00795
Date de la décision : 10/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-10;20.00795 ?
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