La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/04/2023 | FRANCE | N°21/02809

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 26 avril 2023, 21/02809


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 21/02809 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDRA













S.A. ELECTRICITE DE FRANCE



c/



Monsieur [G] [X]

Syndicat FORCE OUVRIERE EDF - CNPE DU [Localité 3]

















Nature de la décision : AU FOND







r>














Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 mars 2021 (R.G. n°F 18/00175) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LIBOURNE, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 17 mai 2021,





APPELANTE :

SA EDF, agissa...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 21/02809 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MDRA

S.A. ELECTRICITE DE FRANCE

c/

Monsieur [G] [X]

Syndicat FORCE OUVRIERE EDF - CNPE DU [Localité 3]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 mars 2021 (R.G. n°F 18/00175) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LIBOURNE, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 17 mai 2021,

APPELANTE :

SA EDF, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 552 081 317

représentée par Me Cécile AUTHIER de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Michel JOLLY de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMÉS :

Monsieur [G] [X]

né le 08 Novembre 1971 à [Localité 5] de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

Syndicat FORCE OUVRIERE EDF - CNPE DU [Localité 3] pris en la personne de son secrétaire général domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 4]

représentés et assistés de Me Caroline DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 mars 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

La SA Electricité de France (ci-après dénommée société EDF) est soumise à une réglementation particulière issue des dispositions spécifiques de la branche des Industries Electriques et Gazières (IEG) composées du statut national, de notes « DP » (direction du personnel) et de circulaires dites « Pers ».

Au sein de la société EDF, le personnel est classé en groupes fonctionnels (GF), définis en application de la convention du 31 mars 1982, relative à la réforme de la structure des rémunérations, annexée au statut des IEG (Industries Electriques et Gazières), groupes répartis ainsi qu'il suit :

- GF 1 à 6 pour le personnel d'exécution,

- GF 7 à 11 pour les agents de maîtrise,

- GF 12 à 19 pour les cadres.

Le salaire est fixé au regard du classement en GF mais aussi en fonction du niveau de rémunération (NR) et d'un échelon, variant selon l'ancienneté du salarié :

- le collège du personnel d'exécution débute au NR 30, le maximum étant le NR 160,

- le collège des agents de maîtrise débute au NR 60, le maximum étant le NR 240,

- le collège des cadres débute au NR 160, le maximum étant le NR 370.

Il existe 67 positions de NR espacées chacune de 5 points (30, 35, 40,45...).

En application d'un accord du 29 janvier 2008 relatif aux mesures salariales dans les branches des IEG, les passages d'échelons résultent de conditions d'ancienneté avec un coefficient majorateur du salaire, fonction de l'échelon attribué.

*

Le classement des salariés à l'embauche au sein des collèges exécution et maîtrise résulte de circulaires dites Pers 952, Pers 954 et 914 :

- la circulaire Pers 954 du 1er mars 1995 est relative au recrutement du personnel du collège exécution,

- la circulaire Pers 952 du 20 octobre 2014 est relative à l'embauche, l'insertion et à la rémunération des jeunes techniciens supérieurs,

- la circulaire Pers 914 du 2 novembre 1990 concerne les candidats recrutés au regard de leur expérience professionnelle.

*

L'article 12 §4 du décret n°46-1541 du 22 juin 1946 approuvant le statut national du personnel des IEG prévoit que le temps passé sous les drapeaux au titre du service militaire légal, de périodes d'instruction et éventuellement de mobilisation, compte pour les changements d'échelon.

La note DP. 32.58 du 11 août 1983, mentionnant que les articles 96 et 97 de la loi n° 72-6 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires doivent être appliqués aux anciens militaires recrutés au titre des emplois réservés, a prévu que le temps passé sous les drapeaux par les anciens militaires non officiers engagés ou sous-officiers de carrière est pris en compte pour l'ancienneté d'échelon dans les conditions suivantes :

- en ce qui concerne les emplois d'exécution, pour la durée effective jusqu'à concurrence de 10 ans,

- en ce qui concerne les emplois de maîtrise, pour la moitié de la durée effective jusqu'à concurrence de 5 ans, à condition que les intéressés n'aient pas demandé lors de leur recrutement la substitution des diplômes et qualifications militaires aux titres et diplômes exigés.

La note DP. 32.60 du 17 avril 1984 a précisé que sont concernés par ces mesures les anciens militaires engagés non officiers ou sous-officiers de carrière, recrutés par EDF, qui sont amenés à occuper des emplois d'exécution ou des emplois de maîtrise, ajoutant que :

« Par emploi de maîtrise, il faut entendre les seuls postes qui dans la fonction publique ne relèveraient pas de la catégorie A, c'est à dire dont l'accès n'exige pas, au minimum, le niveau du BAC plus deux années d'études (DEUG, DUT, BTS...et au-delà licence maîtrise (...) ».

Une note dite « Chaptal » du 29 octobre 1984, non versée aux débats, a ainsi exclu le bénéfice de la reprise d'ancienneté au-delà du GF7.

*

Suite à un désaccord avec la société EDF quant à l'interprétation de ces textes, le syndicat Force Ouvrière EDF CNPE du [Localité 3] a saisi le tribunal de grande instance de Libourne qui, par décision du 14 janvier 2016, a :

« - déclaré recevable l'action du SYNDICAT FORCE OUVRIERE-EDF CNPE DU [Localité 3],

- dit que le bénéfice de la prise en compte du temps passé sous les drapeaux des anciens militaires non officiers engagés ou sous-officiers de carrière pour l'ancienneté en échelon est applicable aux groupes fonctionnels GF1 à GF11 inclus tels que décrits par le décret n°46-1541 du 22 juin 1946,

- condamné la société ELECTRICITE DE FRANCE prise en la personne du représentant légal de l'établissement CENTRALE DU [Localité 3] à verser au SYNDICAT FORCE OUVRIERE EDF CNPE DU [Localité 3] la somme de 500€ en réparation de son préjudice.»

Suite à l'appel formé par la société EDF, par arrêt rendu le 6 septembre 2017, la cour d'appel de Bordeaux a confirmé le jugement rendu par le tribunal de Libourne dans toutes ses dispositions et, y ajoutant, a « dit que la société EDF CNPE DU [Localité 3] devra faire application de l'interprétation donnée par la cour aux textes réglementaires sus-énoncés », à savoir que le temps passé sous les drapeaux des militaires non officiers doit être pris en compte pour les salariés embauchés dans les groupes fonctionnels 1 à 11 inclus tels que décrits par la convention du 31 mars 1982.

Le 22 février 2018, la société EDF s'est désistée du pourvoi en cassation qu'elle avait formé le 6 novembre 2017 contre l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux.

Plusieurs salariés, ayant eu une carrière militaire préalablement à leur embauche au sein de la société EDF, ont alors demandé l'application à leur profit des notes DP. 32.58 et 32.60, telles que les avait interprétées la cour d'appel de Bordeaux.

La société n'a pas accédé à leurs demandes considérant que les conditions requises pour bénéficier d'une reprise d'ancienneté n'étaient pas remplies par ces agents et que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Bordeaux, outre qu'il retiendrait une solution contraire à la lettre des textes en litige, n'était pas transposable à leurs situations.

*

M. [G] [X], né en 1971, a été engagé en juillet 2012 par la société EDF par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en qualité de technicien d'exploitation conduite, dans le collège maîtrise avec un classement en GF9 NR120.

Sa fiche C01 [relatant son parcours au sein de la société] porte mention à la rubrique Diplômes d'un DEUG, mention sciences-section sciences des structures et de la matière, diplôme de niveau III.

M. [X] avait été antérieurement au service de l'armée en dernier lieu en qualité de sous-officier du 30 août 1993 au 1er juillet 2012.

*

Le 25 octobre 2018, M. [X] et seize autre salariés ont saisi le conseil de prud'hommes de Libourne pour voir comptabiliser dans leur ancienneté le temps d'activité effectué en tant qu'ancien militaire et, ainsi, obtenir le réajustement de leur échelon conventionnel respectif, sollicitant le paiement du rappel de salaires, primes et congés payés correspondant ainsi que de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et résistance abusive.

Le syndicat Force Ouvrière EDF-CNPE du [Localité 3] est intervenu volontairement à la procédure et a sollicité des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession.

Par jugement rendu en formation de départage le 22 mars 2021, le conseil de prud'hommes a estimé que M. [X] remplissait les conditions pour bénéficier de la reprise d'ancienneté pour les années accomplies en tant qu'ancien militaire et a :

- déclaré recevables l'intervention du syndicat Force Ouvrière EDF-CNPE du [Localité 3] ainsi que l'action de M. [X],

- déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes de rappel de salaires, primes et congés payés portant sur la période antérieure au 25 octobre 2015,

- condamné la société EDF à verser à M. [X] les sommes suivantes :

* 7.095,17 euros à titre de rappels de salaires de primes et de congés payés consécutifs à la majoration d'échelon résultant de la prise en compte du temps passé sous les drapeaux en qualité d'ancien militaire non officier ou sous-officier de carrière,

* 709,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents au rappel de salaires,

* 300 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et exécution déloyale du contrat de travail,

* 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société EDF de délivrer à M. [X] un bulletin de paie rectifié faisant apparaître ces rappels de salaire en application des échelons 5 et 6 et dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte,

- condamné la société EDF à verser au syndicat Force Ouvrière EDF-CNPE du [Localité 3] les sommes suivantes :

* 300 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession,

* 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société EDF aux dépens,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.

La société EDF a relevé appel de ce jugement le 17 mai 2021.

Dans ses conclusions en date du 10 janvier 2023, la société EDF sollicite la réformation du jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes de rappels de salaires portant sur la période antérieure au 25 octobre 2015 et sauf en ce qu'il n'a pas ordonné d'astreinte.

Elle demande à la cour de :

- déclarer prescrite l'action de M. [X],

- déclarer irrecevables ou injustifiées les demandes présentées par M. [X] et par le syndicat,

- débouter M. [X] et le syndicat de leurs demandes,

- condamner solidairement les intimés aux dépens ainsi qu'à lui verser la somme de 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société EDF a adressé de nouvelles écritures le 15 février 2023, soit la veille de la date prévue pour l'ordonnance de clôture. Ses demandes sont identiques mais ont été rajoutés des éléments quant à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 6 septembre 2017 par la présente cour et quant à l'inégalité de traitement invoquées par les salariés.

Dans ses conclusions en date du 18 janvier 2023, M. [X] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré son action recevable, en ce qu'il lui a alloué un rappel de salaire outre les congés payés y afférents, en ce qu'il a ordonné la remise de documents rectifiés, en ce qu'il a condamné la société pour exécution déloyale et résistance abusive, sur le principe mais non sur le quantum et en ce qu'il a fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [X] demande également à la cour de :

- faire droit à sa demande de réactualisation des rappels de salaire et indemnité de congés payés au prorata en cause d'appel jusqu'à février 2023,

- condamner la société EDF à lui verser les sommes suivantes :

* 12.305,05 euros à titre de rappel de salaire et primes résultant des échelons d'ancienneté pour la période allant de novembre 2015 à février 2023,

* 1.230,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés au prorata de ce rappel de salaire,

* 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et résistance abusive,

* 1.500 euros à titre d'indemnité complémentaire sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société EDF de l'ensemble de ses demandes en cause d'appel et la condamner aux dépens.

Par conclusions de procédure du 23 février 2023 puis, par conclusions de procédure et au fond du 2 mars 2023, M. [X] sollicite le rejet des conclusions communiquées tardivement par la société au regard du principe du contradictoire et de la loyauté des débats.

Par conclusions du 27 février 2023, la société EDF demande à la cour de déclarer recevables ses conclusions notifiées le 15 février 2023, de déclarer irrecevable ou injustifiée la demande d'irrecevabilité de celles-ci et de rejeter cette demande.

Dans ses dernières conclusions en date du 25 octobre 2021, le syndicat Force Ouvrière EDF- CNPE du [Localité 3] demande à la cour de le dire recevable et bien fondé à agir dans la procédure, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré son intervention recevable et condamné la société EDF à lui payer la somme de 300 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice collectif causé à la profession et celle de 150 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, y ajoutant, de lui allouer la somme complémentaire de 1.000 euros à ce titre, compte tenu des frais exposés en cause d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 février 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande au titre de l'irrecevabilité des conclusions adressées le 15 février 2023 par la société EDF

En vertu des principes de contradiction et de loyauté des débats, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

Contrairement à ce que soutient la société EDF, ses dernières écritures, communiquées la veille de la date prévue pour l'ordonnance de clôture, contiennent un moyen de droit nouveau opposé à l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 6 septembre 2017 par la cour d'appel de Bordeaux ainsi qu'à l'inégalité de traitement, qui étaient déjà invoquées par les salariés dès leurs premières conclusions notifiées le 22 octobre 2021.

Ces conclusions, en réponse aux écritures adressées près d'un mois avant par les salariés intimés, seront donc déclarées irrecevables comme ne permettant pas à ceux-ci d'y répondre en temps utile.

La cour se réfèrera en conséquence pour l'examen du litige ainsi que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, à leurs conclusions écrites respectivement notifiées, pour la société appelante le 10 janvier 2023, pour les salariés intimés le 18 janvier 2023 et pour le syndicat le 25 octobre 2021 ainsi qu'au jugement déféré.

Sur la prescription des demandes

La société EDF demande à la cour de réformer le jugement déféré qui a jugé recevables les demandes de M. [X] au motif que celles-ci sont prescrites.

Elle soutient que M. [X] sollicite le bénéfice des notes DP. 32.58 du 11 août 1983 et 32.60 du 17 avril 1984, applicables à la date de son embauche en prétendant au bénéfice d'une reprise de son ancienneté militaire pour le calcul de son échelon d'ancienneté lors de son recrutement.

Selon la société, l'action engagée par M. [X] est donc relative à l'exécution de son contrat de travail et est soumise à la prescription de deux ans prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail, ce délai ayant couru dès son embauche, outre que les bulletins de paie qui lui ont été délivrés mentionnent expressément l'échelon d'ancienneté qui lui a été accordé, inférieur à celui qui est revendiqué.

Le conseil de prud'hommes ayant été saisi le 25 octobre 2018, les demandes de M. [X] sont prescrites, la cour ne pouvant que réformer le jugement déféré qui a en outre retenu à tort que le délai de prescription n'avait pu courir avant l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 6 septembre 2017 relatif à l'interprétation des textes en cause.

M. [X] conclut à la confirmation du jugement déféré soutenant que s'agissant d'une créance de nature salariale, c'est le délai prévu par l'article L. 3245-1 du code du travail de trois ans, courant à compter de la date d'exigibilité du salaire, qui doit s'appliquer.

***

La créance dont se prévaut M. [X] ayant une nature de salaire, la prescription applicable est celle de l'article L. 3245-1 du code du travail selon lequel l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer et qui prévoit que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

En application de ces dispositions, le délai pour agir en paiement de salaires, qui court à compter de la date d'exigibilité des sommes dues, est de trois ans à partir de cette date.

La demande formulée en cause d'appel porte sur une période inférieure à trois ans au regard de la date de saisine de la juridiction prud'homale ; l'action en paiement engagée par M. [X] n'est donc pas prescrite et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré recevables les demandes présentées au titre des sommes exigibles dans le délai de trois ans antérieur à la saisine.

Sur l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt rendu le 6 septembre 2017 par la cour d'appel de Bordeaux

Pour voir infirmer le jugement déféré, la société EDF fait tout d'abord valoir que l'arrêt rendu par la cour le 6 septembre 2017 est dépourvu de l'autorité de la chose jugée car :

- d'une part, la condition d'identité des parties prévue par l'article 1355 du code civil fait défaut puisqu'en l'espèce, M. [X] n'a pas été partie dans la procédure ayant abouti à cette décision,

- d'autre part, dans l'arrêt rendu le 6 septembre 2017, la cour d'appel n'a pas statué sur la question de la substitution des titres et qualifications militaires aux diplômes exigés pour apprécier la situation des anciens militaires recrutés sur des emplois de maîtrise car ce point n'était pas en débat dans le cadre de ce contentieux.

M. [X] soutient que dans son arrêt rendu le 6 septembre 2017, la cour a définitivement jugé que les emplois de maîtrise entrant dans le dispositif de reprise d'ancienneté devaient se définir exclusivement par rapport aux GF 7 à 11 et non par rapport à un niveau d'accès à un concours de catégorie A de la fonction publique, la note « Chaptal » devant être écartée.

Selon M. [X], cette décision a donc autorité de la chose jugée et, en application du principe de concentration des moyens, la société n'est plus recevable à invoquer le moyen tiré de la substitution éventuelle des titres et qualifications militaires aux diplômes exigés.

*

Aux termes de l'article 1355 du code civil, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, qu'elle soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité.

M. [X], qui n'était pas partie à l'instance ayant abouti à l'arrêt rendu le 6 septembre 2017 par la présente cour, ne peut donc utilement se prévaloir de l'autorité de chose jugée attachée à cette décision pour obtenir la réévaluation de son échelon et le paiement des salaires en découlant et, par suite le moyen tiré de l'éventuelle substitution des titres et qualifications militaires détenus aux diplômes exigés est recevable.

Sur la demande en paiement de rappel de salaires et accessoires présentée par M. [X]

L'argumentation de M. [X] s'organise autour de deux moyens :

- l'interprétation erronée faite par la société des notes DP. 3258 et 3260,

- l'inégalité de traitement subie au regard de la situation d'autres salariés.

- Sur les notes DP.32.58 et 32.60

La société EDF soutient que M. [X] n'a pas droit à la reprise de son ancienneté en tant que militaire au regard de la définition des emplois de maîtrise autorisant la prise en compte du temps passé sous les drapeaux.

Elle fait valoir en effet que la note DP. 32.60 définit les emplois de maîtrise donnant droit à la reprise d'ancienneté, comme ceux « dont l'accès n'exige pas, au minimum, le niveau du baccalauréat plus 2 années d'études (DEUG, DUT, BTS etc ... et au-delà : licence, maîtrise (...) ».

Cette note a entendu restreindre la prise en compte de l'ancienneté pour les agents recrutés dans le collège maîtrise, aux emplois correspondant à une qualification inférieure à un BAC + 2 et donc relevant uniquement du GF7.

En effet, selon la société, le classement égal ou supérieur au GF 8 nécessite, en application de la circulaire Pers 952, d'avoir au moins soit un diplôme de niveau Bac +2 (GF8) soit un diplôme de niveau Bac+3 (GF9 et au-delà) et correspond donc à des emplois qui relèvent de la catégorie A de la fonction publique, situation expressément exclue du bénéfice de la reprise d'ancienneté par l'alinéa 2 de l'article 2 de la note DP. 32.60.

M. [X], reprenant les éléments retenus par la cour d'appel de Bordeaux dans son arrêt du 6 septembre 2017, fait valoir que les emplois de maîtrise entrant dans le dispositif d'ancienneté doivent se définir exclusivement par rapport aux GF et non par rapport à un niveau d'accès à un concours de catégorie A de la fonction publique car la note DP. 3260 fait référence à la notion de poste et non à celle d'accès à un concours.

En outre, la catégorie A, propre à la fonction publique, s'adresse exclusivement à des candidats de niveau Bac+3 et supérieur et les diplômes pour accéder à la catégorie A ne correspondant plus à ceux visés par la note, qui outre qu'elle date de 1984, n'est pas transposable à des agents relevant d'un statut de droit privé.

L'interprétation donnée par la société EDF, reposant sur la note « Chaptal » a été écartée par la cour d'appel de Bordeaux non seulement dans son arrêt du 6 septembre 2017 mais aussi dans un arrêt rendu le 7 décembre 2010, dans un litige individuel opposant la société à un salarié, M. [R], recruté en GF8, au motif notamment que cette note ne fait pas partie des statuts et que l'exclusion qu'elle emporte est en discordance avec les GF instaurés par les statuts, le GF8 n'exigeant qu'un diplôme de niveau Bac+2, soit d'un niveau inférieur à celui requis pour l'accès à la catégorie A de la fonction publique.

***

La circulaire Pers 952 du 20 octobre 1984 relative à l'embauche, l'insertion et à la rémunération des jeunes techniciens supérieurs définit le classement en fonction des diplômes détenus par le candidat ainsi qu'il suit :

* en GF7 pour les candidats titulaires de DPCE (diplôme de premier cycle économique),DPCT (diplôme de premier cycle technique), DPCA (diplôme depremier cycle en administration et gestion du personnel, DPECF (diplôme préparatoire aux études comptables et financières) et, selon la note du centred'expertise RH de la société en date du 3 décembre 2010, titres certifiés de niveau III ;

* en GF8 pour les candidats titulaires de BTS (brevet de technicien supérieur), DUT (diplôme universitaire technologique), DEUST (diplôme d'études universitaires scientifiques et techniques), DEUG (diplôme d'études universitaires générales) et DEST (diplôme d'études supérieures techniques des universités et des facultés), DECF (diplôme d'études comptables supérieures délivré jusqu'en 1981) ;

* en GF9 pour les candidats titulaires des diplômes suivants délivrés par le CNAM [DESE (diplôme d'études supérieures économiques), DESA (diplôme d'études supérieures appliquées et DEST (diplôme d'études supérieures techniques)], licence, DECF (diplôme d'études comptables et financières), DECS (diplôme d'études comptables supérieures délivré de 1981 à 1988), DESCF (diplôme d'études supérieures comptables et financières délivré à partir de 1988) et, selon la note du centre d'expertise RH de la société, titres certifiés de niveau II et I.

La circulaire Pers 914 du 2 novembre 1990 envisage le classement des candidats ayant une expérience professionnelle, en complément au recrutement de personnel en sortie du système éducatif, dans la limite de 10% des embauches de l'année n-1, tous collèges et directions confondus, pour permettre « de répondre pour un emploi donné à un besoin de compétence spécifique que les établissements ne possèdent pas et, si nécessaire, de diversifier l'expérience professionnelle » mobilisable au sein d'une équipe.

Elle précise que ces agents peuvent être recrutés dans tous les collèges, à un des NR compris dans la plage du ou des GF correspondant à l'emploi qui leur est destiné, leur position en échelon se déterminant conformément aux dispositions règlementaires en vigueur.

Les notes DP. 32.58 et DP. 32.60 correspondent à la mise en application de la loi n° 72-262 du 13 juillet 1972, portant statut général des militaires, dans ses dispositions applicables aux « emplois réservés aux engagés » et notamment ses articles 95 à 97, articles abrogés par la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 :

- article 95 alinéa premier : l'engagé ayant accompli des obligations d'une durée supérieure à celle du service actif bénéficie des dispositions relatives aux emplois réservés ;

- article 96 : pour l'accès aux emplois de l'Etat, des collectivités locales, des établissements publics et des entreprises publiques dont le personnel est soumis à un statut réglementaire, l'engagé visé au premier alinéa de l'article précédent bénéficie, dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, des dispositions suivantes :

1. la limite d'âge supérieure pour l'accès à ces emplois est reculée, dans la limite de dix années, d'un temps égal à celui qui a été passé effectivement sous les drapeaux,

2. pour l'accès auxdits emplois, les diplômes et qualifications militaires pourront être substitués aux titres et diplômes exigés par les statuts particuliers ;

- article 97 : le temps passé sous les drapeaux pour un engagé accédant à un emploi visé à l'article 96 ci-dessus est compté pour l'ancienneté :

a) pour les emplois de catégories C et D, ou de même niveau de qualification, pour sa durée effective jusqu'à concurrence de dix ans,

b) pour les emplois de catégorie B, ou de même niveau de qualification, pour la moitié de sa durée effective jusqu'à concurrence de cinq ans, à condition que l'intéressé n'ait pas demandé, pour faire acte de candidature au concours ou à l'examen, le bénéfice des dispositions prévues au 2 de l'article 96 ci-dessus.

Contrairement à ce que soutient M. [X], ces textes peuvent être transposés à la société EDF puisqu'au-delà de la référence à des catégories propres aux emplois de la fonction publique, il est aussi mentionné «  ou de même niveau de qualification ».

Ce « même niveau de qualification » doit être apprécié au regard des dispositions régissant les conditions d'accès aux concours des catégories A et B de la fonction publique qui, pour la première, exige la détention d'un diplôme de niveau Bac+3 - et non seulement Bac+2, comme soutenu à tort par la société.

Or, pour l'accès au GF9, est exigé un diplôme de niveau égal ou supérieur à Bac+3 (licence ou anciens titres certifiés de niveau II et I correspondant aux actuels diplômes de niveau 6 (Bac+3 ou Bac+4) et 7 (Bac+5) et donc un titre « de même niveau de qualification » que les emplois de la catégorie A de la fonction publique.

C'est dès lors à juste titre que la société EDF a estimé que M. [X], qui a bénéficié d'un classement lors de son embauche au GF9, ne pouvait bénéficier de la reprise d'ancienneté au titre du temps passé sous les drapeaux.

- Sur l'inégalité de traitement

M. [X] fait exposer que d'autres agents, occupant des emplois de maîtrise au CNPE du [Localité 3], ont bénéficié d'une reprise d'ancienneté et, qu'en vertu du principe d'égalité de traitement, il doit être fait droit à ses demandes.

Sont citées les situations :

- des employés recrutés dans le collège exécution qui ont bénéficié de la reprise d'ancienneté,

- de Messieurs [M] [R], [K] [S] et [K] [W], classés comme M. [X] en GF9,

- de Messieurs [C] [E] et [V] [N], classés en GF11.

La société EDF conteste l'existence d'une inégalité de traitement en faisant valoir d'une part, que les agents cités sont ceux concernés par des contentieux judiciaires ayant abouti aux décisions dont M. [X] se prévaut. Or, l'application d'une décision de justice est une raison objective et pertinente de traiter différemment des salariés par rapport aux autres.

D'autre part, les salariés cités n'ont pas tous été embauchés avec le même classement ni n'ont tous les mêmes diplômes et cursus militaires que M. [X] qui ne peut donc utilement se comparer à eux, faute de démontrer qu'ils sont dans une situation identique ou similaire à la sienne.

***

Il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.1242-14, L.1242-15, L. 2261-22.9°, L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, une égalité de traitement entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article 1315 du code civil devenu l'article 1353, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération et il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

M. [X] qui a bénéficié d'un recrutement au sein du collège maîtrise ne peut se prévaloir d'une différence de traitement au regard de salariés recrutés dans le collège exécution, dont la reprise d'ancienneté découlait des dispositions de la note DP.32.58 qui fait clairement la distinction entre les deux collèges, reprenant au demeurant les dispositions des articles précités de la loi de 1972.

Ainsi, outre que la situation de ces salariés n'est ni identique, ni similaire à celle de M. [X], la différence de traitement repose sur un élément objectif pertinent.

S'agissant de M. [R], outre que ce dernier a été engagé dans un GF inférieur (GF8) à celui attribué à M. [X], la différence de traitement invoquée trouve son origine et sa justification dans l'effet relatif de la chose jugée attaché à la décision rendue à son profit par la cour d'appel de Bordeaux le 6 décembre 2010 que la société EDF a mise en 'uvre à l'égard de ce salarié.

S'agissant des autres salariés cités, est seulement versée aux débats la fiche C01 les concernant outre, pour M. [E], un bulletin de paie du mois de février 2018.

Ces seuls documents ne permettent pas à la cour d'apprécier si ces salariés sont placés dans une situation identique à celle de M. [X] alors que d'une part, ne sont notamment précisés ni leur mode de recrutement ni leur situation militaire à l'embauche et que, d'autre part, la lecture de l'unique bulletin de paie de M. [E], qui mentionne certes des rappels de salaire mais sous des codes totalement inexplicites, ne permet pas de déduire que ce salarié aurait bénéficié d'un rappel de salaire au titre d'une reprise d'ancienneté, aucun document, autre que la fiche C01, n'étant versé aux débats pour les autres salariés cités.

M. [X] échoue ainsi à établir des faits susceptibles de caractériser l' inégalité de traitement invoquée au soutien de sa demande.

En conséquence, il y a lieu de rejeter la demande en paiement du rappel de salaire et de congés payés afférents présentée par M. [X], le jugement déféré étant infirmé.

Sur la demande indemnitaire au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et de la résistance abusive de la société EDF

La demande en paiement du rappel de salaire et de congés payés afférents présentée par M. [X] étant rejetée, il n'y a pas lieu de faire droit à ses prétentions au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail ou de la résistance abusive de l'appelante.

Sur les demandes du syndicat

Les demandes de M. [X] étant rejetées, le syndicat intervenant à ses côtés sera débouté de ses prétentions.

Sur les autres demandes

Les intimés, parties perdantes à l'instance, seront condamnés aux dépens ainsi qu'à payer à la société EDF la somme de 300 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare irrecevables les conclusions adressées par la société EDF le 15 février 2023 ainsi que les conclusions au fond communiquées par la société et par M. [X] après l'ordonnance de clôture,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable la demande en paiement de M. [X] ainsi que l'intervention du syndicat,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déboute M. [X] et le syndicat Force Ouvrière EDF-CNPE du [Localité 3] de l'ensemble de leurs demandes,

Condamne in solidum M. [X] et le syndicat Force Ouvrière EDF-CNPE du [Localité 3] aux dépens ainsi qu'à payer à la société EDF la somme de 300 euros au titre des frais irrépétibles.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/02809
Date de la décision : 26/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-26;21.02809 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award