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26/04/2023 | FRANCE | N°21/00949

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 26 avril 2023, 21/00949


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 21/00949 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6HT

















Société de Concept de Restauration (SOCOREST), devenue SAS KEATCHEN



c/



Monsieur [B] [L] [Z]



S.E.L.A.R.L. EKIP'ès-qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARLU AMM

UNEDIC Délégation

AGS-C.G.E.A. DE [Localité 4]

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2021 (R.G. n°F 19/00914) par le Conseil de Prud'hommes - ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 21/00949 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6HT

Société de Concept de Restauration (SOCOREST), devenue SAS KEATCHEN

c/

Monsieur [B] [L] [Z]

S.E.L.A.R.L. EKIP'ès-qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARLU AMM

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. DE [Localité 4]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2021 (R.G. n°F 19/00914) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 16 février 2021,

APPELANTE :

Société de Concept de Restauration (SOCOREST), devenue SAS KEATCHEN, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 8]

N° SIRET : 381 948 975

représentée par Me François PETIT de la SELAS FPF AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, assistée de Me Pierre AUDIGUIER de la SCP D, M & D, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

Monsieur [B] [L] [Z]

né le 01 Mars 1997 à [Localité 6] (ANGLETERRE) de nationalité Française Profession : Employé(e) polyvalent(e), demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Olivier MEYER de la SCP GUEDON - MEYER, avocat au barreau de BORDEAUX

SELARL EKIP' ès-qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARLU AMM (RCS Bordeaux n° 822 829 065, dont le siège social est sis [Adresse 3]), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 453 211 393

représentée par Me MANERA substituant Me Patrick TRASSARD de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 4], prise en la personne de son directeur régional domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 5]

représentée par Me Jérémy GRANET de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 février 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [B] [L] [Z], né en 1997, a été engagé en qualité d'employé polyvalent par la société AMM, par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel (17h hebdomadaires) à compter du 1er août 2017.

La société AMM exploitait un fonds de commerce en location gérance appartenant à la société BCD 33 jusqu'au 6 juillet 2017, date à laquelle ledit fonds a été cédé à la société Socorest, devenue société Keatchen le 22 avril 2021.

La société AMM a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 4 juillet 2018 avant que la procédure collective soit convertie en liquidation judiciaire par jugement du 29 août 2018.

La SELARL Mandon, aux droits de laquelle vient la SELARL Ekip' a été désignée mandataire-liquidateur.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de la restauration rapide.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [Z] s'élevait à la somme de 727,76 euros.

Par lettre datée du 30 août 2018, M. [Z] a été convoqué par le mandataire liquidateur es qualité à un entretien préalable fixé au 7 septembre 2018 en vue de son licenciement pour motif économique compte tenu de la liquidation judiciaire de la société AMM.

Le mandataire liquidateur a résilié le 31 août 2018 le contrat de location gérance conclu entre la société AMM et le propriétaire du fonds, la société SOCOREST, avec une restitution des clefs prévue le 10 septembre 2018.

M. [Z] a parallèlement été informé de la résiliation du contrat de location gérance.

Le mandataire liquidateur a également sollicité en vain la société Socorest sur les possibilités de reclassement du personnel de la société AMM.

M. [Z] a ensuite été licencié pour motif économique à titre conservatoire compte tenu de la restitution du fonds de commerce exploité par la société AMM, par lettre datée du 11 septembre 2018.

Par courrier en date du même jour, le liquidateur judiciaire a informé M. [Z] que son contrat de travail était transféré à compter du 10 septembre 2018 à la société Socorest dans le cadre de la restitution du fonds de commerce.

Le 14 septembre 2018, la société Socorest a contesté le transfert des contrats de travail par courriel adressé au mandataire liquidateur au motif de la ruine ou caractère inexploitable du fonds.

Par courrier réceptionné le 26 décembre 2018 par la société Socorest, M. [Z] l'a mise en demeure de lui fournir du travail et de lui verser sa rémunération avec régularisation depuis la date du transfert.

A la date du licenciement à titre conservatoire par le mandataire judiciaire, M. [Z] avait une ancienneté de 1 an et 1 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Demandant la reconnaissance du transfert de son contrat de travail et demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et diverses indemnités, dont le paiement de salaires jusqu'à la résiliation ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement abusif, M. [Z] a saisi le 25 juin 2019 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 14 janvier 2021, a :

- fixé le transfert du contrat de travail de M. [Z] à la société Socorest (devenue Keatchen) à la date du 10 septembre 2018,

- fixé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Z] à la date du 10 décembre 2020,

- jugé bien fondées et recevables les demandes de M. [Z],

- fixé la créance de M. [Z] au passif de la liquidation judiciaire de la société AMM à la somme de 839,72 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés, pour la période du ler août 2017 au 9 septembre 2018,

- condamné la société Socorest à verser à M. [Z] les sommes suivantes:

* 19.649,52 euros à titre de rappel de salaire,

* 1.964,95 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,

* 606,46 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 1.455,52 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 145,52 euros à titre de congés payés sur préavis,

* 2.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 800 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la remise des bulletins de salaires, un certificat de travail et une attestation pour l'assurance chômage, sous astreinte de trente euros par jour, à partir d'un mois de la décision du jugement a intervenir, et s'est laissé le droit de liquider l'astreinte,

- n'a pas prononcé l'exécution provisoire,

- débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

- rendu le présent jugement pour les congés payés opposable à la société Ekip' ès-qualité de mandataire liquidateur de la société AMM, ainsi qu'à l'AGS-CGEA de [Localité 4] dans la limite légale de sa garantie,

- mis les dépens par moitié à la charge de la liquidation de la société AMM et à la société Socorest (Keatchen).

Par déclaration du 16 février 2021, la société SOCOREST a relevé appel de cette décision, notifiée le 18 janvier 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 février 2022, la société Socorest devenue la société Keatchen demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il a :

* fixé le transfert du contrat de travail de M. [Z] à la société Keatchen à la date du 10 septembre 2018,

* fixé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [Z] à la date du 10 décembre 2020,

* jugé bien fondées et recevables les demandes de M. [Z],

* condamné la société Keatchen à verser à M. [Z] les sommes suivantes :

- 19.649,52 euros à titre de rappel de salaire,

- 1.964,95 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire,

- 606,46 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 1.455,52 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 145,52 euros à titre de congés payés sur préavis,

- 2.200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- 800 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* ordonné la remise des bulletins de salaire, un certificat de travail et une

attestation pour l'assurance chômage sous astreinte de 30 euros par jour à partir d'un mois du jugement à intervenir,

* mis les dépens pour moitié à la charge de la société Keatchen (anciennement dénommée Socorest) ,

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il a débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

En conséquence et statuant à nouveau,

- débouter M. [Z] de l'intégralité de ses demandes résultant du prétendu transfert de son contrat de travail à la société Keatchen et de sa résiliation judiciaire (rappels de salaires, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de préavis, congés payés y afférents, dommages et intérêts pour licenciement abusif, article 700, remise des documents sociaux sous astreinte),

A titre subsidiaire,

- constater que M. [Z] ne justifie pas de sa situation à compter du 10 septembre 2019, qu'il n'était pas à la disposition de la société Keatchen, qu'il a retrouvé un autre emploi à temps plein à compter du 15 juillet 2019,

- débouter M. [Z] de sa demande de rappel de salaire pour la période du 10 septembre 2019 jusqu'au 10 décembre 2020, date de prononcé du jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux ayant acté de la résiliation judiciaire du contrat de travail, et à tout le moins la limiter à 7.030,18 euros bruts pour la période du 10 septembre 2018 au 30 juin 2019,
- s'agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, faire application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail,

En tout état de cause,

- débouter la société Ekip', es qualité de mandataire liquidateur de la société AMM, de ses demandes à l'encontre de la société Keatchen,

- débouter l'Unedic, délégation AGS de [Localité 4] de ses demandes à l'encontre de la société Keatchen,

- condamner M. [Z] à la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par Me Petit.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 mars 2022, M. [Z] demande à la cour de':

A titre principal,

- confirmer le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en toutes ses dispositions,

- débouter la société Keatchen de ses demandes,

- la condamner à verser à M. [Z] une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

A titre subsidiaire,

- réformer le jugement rendu le 14 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il a débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

- fixer la créance de M. [Z] au passif de la procédure collective de la société AMM aux sommes suivantes :

* salaire du 10 au 11 septembre 2018 : 79,04 euros,

* indemnité de congés payés afférents : 7,90 euros,

* indemnité compensatrice de congés payés : 839,72 euros,

* indemnité compensatrice de préavis : 727,76 euros,

* indemnité de congés payés afférents : 72,78 euros,

* indemnité légale de licenciement : 130,35 euros,

* indemnité sur le fondement de l'article 700, 1°, du code de procédure civile : 2.000 euros,

- dire que les sommes ci-dessus sont couvertes par la garantie de l'AGS, à l'exception du salaire du 10 au 11 septembre 2018 et de l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à la société Ekip' en qualité de liquidateur judiciaire de la société AMM de remettre à M. [Z] les documents suivants : certificat de travail, attestation pour l'assurance chômage,

- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective de la société AMM.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 juillet 2021, la SELARL Ekip' demande à la cour de':

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le contrat de travail de M. [Z] a été transféré à la société Socorest à compter du 10 septembre 2018,

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société Ekip', ès qualité de liquidateur judiciaire de la société AMM,

- débouter la société Socorest de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Socorest à payer à la société Ekip, ès qualité de liquidateur judiciaire de la société AMM, la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Socorest aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 avril 2022, le CGEA de [Localité 4] demande à la cour de':

A titre principal :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- débouter la société Keatchen anciennement dénommée Socorest de ses demandes,

- débouter M. [Z] de ses demandes subsidiaires tendant à la fixation au passif de la société AMM au titre des salaires afférents à l'exécution du contrat postérieurement au 9 septembre 2018 et au titre des indemnités de rupture de son contrat, compte tenu du transfert de son contrat à la société Keatchen anciennement dénommée Socorest par l'application de l'article L. 1224-1 du code du travail, et ce à l'exception des congés payés acquis avant le transfert,

Subsidiairement, en cas d'absence de transfert et sur la garantie de l'AGS :

- déclarer opposable l'arrêt à intervenir à l'AGS - CGEA de [Localité 4] dans la limite légale de sa garantie, laquelle exclut :

* le rappel de salaire de 79,04 euros du 10 et 11 septembre 2018 qui excède la limite de garantie prévue au 5°de l'article L.3253-8,

* l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 27 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

Faisant état du transfert de son contrat de travail au bailleur, suite à la résiliation du contrat de location gérance du fonds de commerce par son employeur, de la remise des clefs et de la présence dans les locaux de l'ensemble des moyens matériels permettant l'exploitation du fonds, M. [Z] sollicite la résiliation du contrat de travail, son nouvel employeur ne lui ayant pas fourni de travail depuis le 10 septembre 2018, date à du transfert du contrat de travail.

M. [Z] reconnaît avoir retrouvé un emploi à temps partiel du 3 avril au 1er juin 2019, puis à temps complet à compter du 1er juillet 2019, mais soutient qu'il demeurait à la disposition de la société avec laquelle il était lié par un contrat de travail à temps partiel de 17 heures hebdomadaires.

Pour voir infirmer la décision des premiers juges qui ont reconnu le transfert du contrat de travail, la société appelante fait état de l'absence d'expression claire et explicite du mandataire liquidateur de résilier le contrat de location gérance du fonds de commerce au 10 septembre 2018, de l'absence de restitution du local, de ce qu'en tout état de cause, elle n'aurait pu intervenir que le 24 octobre 2018 enfin, du caractère inexploitable du fonds de commerce au moment de sa restitution.

A cet effet, la société soutient que le fonds de commerce, laissé à l'abandon pendant plusieurs mois du fait du manque de diligence du locataire gérant puis du mandataire liquidateur, était dégradé et déjà inutilisable avant que la liquidation soit prononcée compte tenu de la perte de clientèle, d'un local vandalisé, de l'absence de matériel et moyens de production ne permettant pas l'exploitation du fonds de commerce et du choix fait par le mandataire liquidateur de rompre le contrat de travail des salariés. La société s'appuie sur des plaintes de clients suite à la fermeture du local en juin 2018, sur un courriel du locataire gérant du 28 août 2018 évoquant les vols, sur le courrier de l'inspecteur de salubrité publique de la commune relatif à la présence de

conteneurs toujours remplis de déchets et sur le constat d'huissier en date du 3 juin 2019.

La société soutient enfin que le mandataire liquidateur avait déjà engagé une procédure de licenciement économique avant de transférer le contrat de travail de M. [Z], dont la notification a pris effet aux termes des 21 jours du délai qui lui était imparti pour accepter le contrat de sécurisation professionnelle, le salarié ayant reconnu cette acceptation, soit le 1er octobre 2018, date à laquelle la résiliation n'avait pas encore pris effet. La société indique que la résiliation du contrat de location gérance ne pourrait prendre effet que le 24 octobre 2018, date à laquelle le mandataire liquidateur lui a remis de façon certaine les courriers, les précédents datés du 10 septembre ayant été envoyés à une mauvaise adresse et les clefs n'ayant pu être restituées.

La société s'oppose à la demande de résiliation judiciaire soutenant que le licenciement économique avait déjà pris effet à la date à laquelle la résiliation du contrat de location gérance a pris effet.

Subsidiairement, elle fait valoir que le salarié ne se tenait plus à disposition de la société, ayant cherché auprès du mandataire liquidateur à obtenir ses documents de rupture et non la poursuite de contrat de travail, n'ayant engagé une action prud'homale qu'en juin 2019 et avoir trouvé un travail à temps plein sur des horaires de nuit qui ne lui aurait pas permis de poursuivre son emploi à temps partiel dont le cumul aurait en tout état de cause dépassé le maximum légal de travail hebdomadaire.

- sur le transfert du contrat de travail

Selon l'article L. 1224-1 du code du travail, 'lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise'.

Ces dispositions s'appliquent, au propriétaire d'un fonds de commerce qui lui fait retour à la suite de la résiliation du contrat de location-gérance portant sur ledit fonds, à condition que celui-ci soit exploitable au moment de sa restitution.

Le caractère inexploitable du fonds ne peut résulter de la seule décision du bailleur de ne pas en poursuivre l'activité. C'est au jour de sa restitution au bailleur, et non ultérieurement, que doit s'apprécier l'état du fonds.

En l'espèce, le mandataire liquidateur a de manière claire et précise, résilié par courrier du 31 août 2018, le contrat de location gérance, indiquant dans son courrier à la bailleresse qu'il n'entend pas poursuivre le contrat de location gérance en précisant qu'il 'envisage de restituer le fonds de commerce, sur place (...) avec tous les éléments et notamment le matériel s'y rapportant ainsi que les 7 contrats de travail existants', cette résiliation prenant effet le 10

septembre 2018, par la remise de clefs. Cette résiliation est conforme aux dispositions de l'article L. 641-11-1 du code du commerce.

Par courrier du même jour, le mandataire a informé la société bailleresse que le contrat de travail de M. [Z] lui était transféré dans le cadre de la restitution du fonds de commerce.

La société ne peut soutenir ne pas avoir été informée de la résiliation et du transfert des contrats, le mandataire liquidateur ayant adressé les courriers à sa nouvelle adresse dans l'Hérault, qu'elle occupait depuis le 1er septembre 2017, comme cela ressort du BODACC, les courriers produits par la société présentant au surplus le tampon de réception du courrier de résiliation le 3 septembre 2018 avec mention de la date de la remise des clefs et la responsable juridique de la société Socorest ayant confirmé au mandataire liquidateur le 14 septembre 2018 avoir reçu les courriers dans lesquels il informait du licenciement des salariés d'une part et de la restitution du fonds de commerce d'autre part. Il lui appartenait donc de se déplacer pour la remise des clefs ou d'envoyer un mandataire pour réceptionner les clefs, lesquelles lui ont été adressées de manière certaine par l'intermédiaire d'un commissaire priseur.

La société appelante ne rapporte pas la preuve, qu'au jour de la résiliation du contrat de location-gérance la liant a la société mise en liquidation judiciaire, le fonds de commerce dont elle est propriétaire, constitué d'une pizzeria, était inexploitable, l'activité venant juste de prendre fin, les livreurs venant toujours sur place encore en juin 2018. Il est établi qu'elle détenait bien le droit commercial pour l'occupation des locaux étant propriétaire du fonds mais également une société de franchise qui a créée 'la boîte à Pizza', détenant ainsi une licence d'exploitation de cette marque, de sorte qu'elle ne peut exciper d'une perte de clientèle.

C'est à tort que la société fait valoir que la résiliation des contrats de travail rendait le fonds inexploitable, le licenciement économique ayant au contraire été notifié aux salariés à titre conservatoire dans l'attente d'une décision du repreneur, le transfert des sept contrats de travail rattachés au fonds de commerce en même temps que sa résiliation permettait de garantir la main d'oeuvre attachée pour son exploitation.

Au jour de la résiliation du contrat de location-gérance, le mandataire liquidateur mentionne bien restituer le fonds et le matériel sur place, le procès verbal d'huissier en date du 3 juin 2019 faisant par ailleurs mention de ces éléments. Il ne peut être reproché la dégradation de ce matériel, le constat étant dressé dix mois après la date de la restitution sans que la société se rende au rendez-vous pour la remise des clefs, lesquelles lui ont été adressées par courrier, l'adresse parisienne étant toujours valide comme en atteste le BODACC produit par le mandataire liquidateur à cette date, le caractère exploitable du fonds s'appréciant au jour de la restitution.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté le transfert des contrats de travail au propriétaire du fonds le 10 septembre 2018.

- sur la résiliation du contrat

Aux termes de l'article 1224 du code civil, en cas d'inexécution de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat.

Il appartient au salarié qui sollicite la résiliation judiciaire d'un contrat de travail , de rapporter la preuve de manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations contractuelles, quelle que soit leur ancienneté, ne permettant pas la poursuite du contrat de travail.

Pour apprécier la gravité des griefs reprochés à l'employeur dans le cadre de la demande de résiliation judiciaire, le juge n'a pas à se placer à la date d'introduction de la demande de résiliation judiciaire et doit tenir compte de leur persistance jusqu'au jour du licenciement.

L'obligation de fournir du travail et celle de verser la rémunération convenue sont deux obligations essentielles de l'employeur en exécution du contrat de travail. Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a rempli ses obligations.

En l'espèce, il n'est pas contesté que, suite au transfert du contrat de travail à la société bailleresse du fonds de commerce le 10 septembre 2018, aucun travail n'a été proposé à M. [Z], aucune rémunération ne lui a été versée, la société n'ayant pas donné suite à la mise en demeure du salarié en date du 26 septembre 2018.

En adressant la lettre de mise en demeure à la société, M. [Z] a ainsi fait part de sa disponibilité à l'égard de son employeur, pour un emploi de 17 heures hebdomadaires conformément à son contrat de travail, ce qui lui permettait de travailler pour un autre employeur.

Le licenciement pour motif économique a été notifié à M. [Z] à titre conservatoire le 11 septembre 2018 'pour le compte de qui il appartiendra', conformément à l'article L. 641-4 du code de commerce afin de sauvegarder les droits du salarié au regard de la garantie des créances de rupture. Le contrat de sécurisation professionnelle a été proposé à M. [Z] lors de l'entretien préalable avec mention du délai d'acceptation du 28 septembre 2018.

Par courrier du même jour, le mandataire liquidateur a informé le salarié du transfert de son contrat de travail au nouvel employeur, lui demandant de se rapprocher de lui pour 'envisager les modalités de reprise de l'activité' et lui donnait l'adresse du siège social à [Localité 7].

Sans nouvelle de la société, M. [Z] a interrogé le mandataire liquidateur le 29 octobre 2018 pour percevoir des allocations de chômage. Il ne saurait se déduire de cette démarche la volonté du salarié de ne pas poursuivre le contrat de travail.

Ce manquement de l'employeur rendait impossible la poursuite de la relation de travail et c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Toutefois, M. [Z] ayant retrouvé un emploi à temps complet le 1er juillet 2019 d'une durée hebdomadaire de 35 heures, il ne pouvait plus se tenir à disposition de la société Socorest à cette date, le temps partiel qu'il effectué à raison de 17 heures par semaine ne pouvant être cumulé sauf à dépasser la durée légale du temps de travail.

Il convient en conséquence de prononcer la date de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur au 1er juillet 2019.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes financières

M. [Z] sollicite la confirmation du premier jugement sur toutes les demandes financières.

- sur le rappel des salaires du 10 septembre 2018 à la date de résiliation du contrat de travail

Il convient d'infirmer la décision des premiers juges qui ont mis à la charge de la société le paiement du rappel des salaires sur la période du 10 septembre 2018 au 10 décembre 2020 et de la fixer sur la période du 10 septembre 2018 au 1er juillet 2019 à la somme de 7.030,18 euros outre la somme de 703,01 euros au titre des congés payés y afférents.

- sur l'indemnité compensatrice de congés payés

Au regard des bulletins de paye, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a fixé la créance de M. [Z] au passif de la société AMM à la somme de 839,72 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis

Dès lors que l'inexécution du préavis est imputable à l'employeur, et même si le salarié a retrouvé un emploi, l'indemnité compensatrice de préavis reste due. Dès lors, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a fixé la créance de la société à l'égard de M. [Z] à la somme de 1.455,52 euros au titre de l'indemnité de préavis outre celle de 145,55 euros au titre des congés payés y afférents.

- sur l'indemnité de licenciement

A la date du licenciement, M. [Z] avait une ancienneté de 2 ans et 1 mois.

La date de résiliation du contrat de travail ayant été fixée au 1er juillet 2019, le jugement déféré sera infirmé et l'indemnité de licenciement d'un montant de 378,77 euros sera allouée à M. [Z].

- sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge au moment de la résiliation du contrat (23 ans), de son ancienneté de 2 ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi à temps partiel puis à temps plein 11 mois après le transfert du contrat de travail, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué à 2.200 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi par M. [Z] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la remise des bulletins de salaire

La société Keatchen venant aux droits de la société Socorest devra délivrer à M. [Z] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La Société Keatchen venant aux droits de la société Socorest, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à M. [Z] de la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision déférée, sauf en ce qu'elle a fixé la date de résiliation du contrat au 10 décembre 2020, et sur le quantum du rappel de salaire et de l'indemnité légale de licenciement.

Statuant à nouveau,

Prononce la résiliation du contrat de travail de M. [Z] à la date du 1er juillet 2019,

Condamne la Société Keatchen venant aux droits de la société Socorest à payer à M. [Z] les sommes de :

- 7.030,18 euros au titre du rappel de salaire pour la période du 10 septembre 2018 au 1er juillet 2019,

- 703,01 euros au titre des congés payés y afférents,

- 378,77 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

Ordonne à la société Keatchen venant aux droits de la société Socorest de délivrer à M. [Z] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Condamne la société Keatchen venant aux droits de la société Socorest aux dépens,

Condamne la société Keatchen venant aux droits de la société Socorest à verser à M. [Z] la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Déclare le présent arrêt opposable à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 4], dans les limites légales et réglementaires de sa garantie et du plafond applicable ;

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 21/00949
Date de la décision : 26/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-26;21.00949 ?
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