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26/04/2023 | FRANCE | N°19/06499

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 26 avril 2023, 19/06499


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/06499 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLMZ















Monsieur [D] [B]



c/



Société Latecoere Services devenue SAS Latesys

















Nature de la décision : AU FOND














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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 novembre 2019 (R.G. n°F 18/00952) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 12 décembre 2019,





APPELANT :

Monsieur [D] [B]

né le 04 Juin 1988 à [L...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 26 AVRIL 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/06499 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLMZ

Monsieur [D] [B]

c/

Société Latecoere Services devenue SAS Latesys

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 novembre 2019 (R.G. n°F 18/00952) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 12 décembre 2019,

APPELANT :

Monsieur [D] [B]

né le 04 Juin 1988 à [Localité 4]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représenté et assisté de Me Yann HERRERA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Latecoere Services devenue Latesys prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 378 735 534

représentée par Me Laurence COMBEDOUZON, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Me Sébastien JUILLARD substituant Me Stéphanie FONTAINE, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 mars 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame ROUAUD-FOLLIARD Catherine, présidente et Madame Bénédicte LAMARQUE, conseillère chargée d'instruire l'affaire

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [D] [B], né en 1988, a été engagé en qualité d'ingénieur commercial par la SAS Latecoere Services, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 août 2015. La société a pour activité l'ingénierie et les études techniques notamment dans l'industrie aéronautique et spatiale.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et de sociétés de conseils dite Syntec.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M.[B] s'élevait à la somme de 2.400 euros bruts (rémunération fixe), auquel s'est ajoutée une prime de 5.700 euros pour l'année 2015.

Au cours du mois de décembre 2016, la société Latecoere Services a fait l'objet d'un rachat par la société ADF et se nomme désormais Latesys.

Le 15 décembre 2016, M. [B] et la société ont signé un avenant au contrat de travail à effet au 1er janvier 2016. Ce dernier prévoyait que la rémunération fixe de M.[B] était maintenue à 2.400 euros. Une rémunération variable sur objectifs était également convenue d'un montant de 5.700 euros. Le seuil déclencheur de ces objectifs a été fixé à 60%.

Par plusieurs courriels à partir du 16 février 2017, M.[B] a réclamé à la société le paiement de sa prime 2016. Celle-ci lui a été versée sur son bulletin de paie de mars 2017 pour un montant de 1.044,68 euros.

Le 22 mai 2017, il lui a été notifié le montant de la prime 2017 de 5.900,07 euros et un objectif à atteindre de 3,4 millions d'euros.

Le 17 juillet 2017, les objectifs de M.[B] sur l'année 2017 ont été établis à 2,4 millions d'euros.

Par courrier du 7 août 2017, M. [B] a informé son employeur de sa démission.

A la date de la fin du contrat de travail, M.[B] avait une ancienneté de 2 ans et 4 jours et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Par courrier du 28 août 2017, M.[B] a demandé à la société un rappel de rémunération variable pour les années 2016 et 2017.

Soutenant que la démission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamant diverses indemnités, outre des rappels de prime, une prime sur objectif sur l'année 2017, des dommages et intérêts pour préjudice et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M.[B] a saisi le 18 juin 2018 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 8 novembre 2019, a :

- dit que la démission de M.[B] présente un caractère non équivoque, qu'il n'y a donc pas lieu à la requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le déboute des demandes afférentes,

- débouté M.[B] de sa demande de rappel de prime sur objectifs pour les années 2016 et 2017,

- débouté M.[B] de sa demande de dommages et intérêts liés aux primes sur objectifs,

- condamné M.[B] à payer à la société Latecoere Services 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M.[B] aux dépens et frais éventuels d'exécution.

Par déclaration du 12 décembre 2019, M.[B] a relevé appel de cette décision, notifiée le 12 novembre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 31 août 2020, M.[B] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- condamner la société Latecoere Services à lui verser, la somme de 5.700 euros et subsidiairement celle de 2.839,86 euros au titre de la prime sur objectifs 2016 sous déduction de la somme de perçue de 1.044,68 euros,

- condamner la société Latecoere Services à lui verser, la somme de 4.425 euros au titre de la prime sur objectifs 2017,

- condamner la société Latecoere Services à lui verser, la somme de 6.851euros en réparation de son préjudice,

- requalifier sa démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Latecoere Services à lui verser :

* une indemnité compensatrice de préavis de 5.964 euros outre 596,40 euros de congés payés sur préavis,

* une indemnité légale de licenciement de 1.807,50 euros,

* une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 8.676 euros,

- la condamner à verser la somme de 2.400 euros selon l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- assortir la décision de l'exécution provisoire.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 juin 2020, la société Latecoere Services demande à la cour de, rejetant toutes conclusions contraires comme injuste et mal fondées,

- confirmer le jugement rendu le 8 novembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il a:

* dit que la démission de M.[B] présentait un caractère non équivoque et débouté de ses demandes afférentes,

* débouté M.[B] de sa demande de rappel de prime sur objectif pour les années 2016 et 2017,

* débouté M.[B] de sa demande de dommages et intérêts liées aux primes sur objectifs,

* condamné M.[B] à la somme de 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Par conséquent,

- dire qu'aucun reliquat de rémunération variable n'est dû pour l'année 2016,

- dire qu'aucune rémunération variable n'est due pour 2017,

En tout état de cause,

- dire que M.[B] n'a pas atteint ses objectifs pour 2017,

- dire que la démission de M.[B] est claire et non équivoque,

En conséquence,

- débouter M.[B] de l'intégralité de ses demandes,

Reconventionnellement,

- condamner M.[B] à lui payer la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 février 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 7 mars 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le rappel des primes d'objectifs

Pour voir infirmer le jugement qui l'a débouté de ses demandes en paiement des rappels de primes d'objectifs, M. [B] soutient que les objectifs doivent être considérés comme lui étant inopposables, qu'il appartient au juge de les fixer en fonction des éléments retenus les années précédentes, propose de retenir un objectif de 2,4 millions d'euros pour 2016 et de calculer la prime 2017 au prorata de sa présence au sein de la société. Il développe les moyens suivants :

- les objectifs quantitatifs de 3,9 millions d'euros en 2016 et 2,4 millions d'euros en 2017 étaient déraisonnables :

* son prédécesseur qui avait une ancienneté de 14 mois n'avait réalisé que 2,4 millions d'euros de prise de commande, la fixation à 3,9 millions d'euros correspondant à une augmentation de 64,10% alors qu'il n'avait une ancienneté que de 5 mois dans la société,

* le contexte n'était pas favorable à la filière aéronautique, la société Latecoere ayant supprimé 236 postes en 2016 avec un déficit de 39 millions d'euros et la société Latecoere Services, devenue Latesys présentait un déficit de 97.600 euros fin 2016, la société reconnaissant dans une note du 10 avril 2017 que le dispositif d'engagement corrélatif aux nombreux projets avait été supérieur aux éléments chiffrés lors de la prise de commande, et reconnaissant les difficultés conjoncturelles,

* l'agence de [Localité 3] a connu le départ de son responsable en 2016 et d'une dizaine de salariés,

- ces objectifs quantitatifs lui ont été transmis tardivement, au mois de mai 2016 pour un exercice courant au 1er janvier 2016, au mois de juillet 2017 pour une exercice courant au 1er janvier 2017 sans qu'un entretien soit organisé dans les premières semaines du début de l'exercice pour expliciter les objectifs comme prévu au contrat.

Il soulève également que le montant de la prime 2017 lui a été communiqué en mai 2017.

Subsidiairement, si les objectifs fixés par l'employeur devaient être considérés comme valablement fixés, il soutient que :

- les objectifs de marge brute ont été atteints puisque c'est le chargé d'affaires qui fixait les prix moyennant une marge comprise entre 25 à 35%, irréalistes au vu de l'état du marché et occasionnant nombre de refus. Le taux de marge qui lui était imposé était de 1.033 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 3,9 millions d'euros, soit une marge moyenne de 26,49%. Or, il indique avoir réalisé une marge brute de 600.970 euros pour un chiffre d'affaires de 2,36 millions d'euros, soit une marge moyenne de 25,47 %,

- l'objectif de 'tenue de la fonction' a été atteint, se basant sur le compte rendu d'entretien et l'attestation de M. [X], les critères fixés pour apprécier cet objectif étant invérifiables, l'employeur ne rapportant pas la preuve de ce qu'il ne serait pas atteint,

- l'objectif qualitatif 'développer la prospection' est atteint d'après le taux de réalisation mentionné dans le compte rendu d'évaluation de 2017, mais, une nouvelle fois, les critères et items permettant de les apprécier sont subjectifs et invérifiables,

A titre infiniment subsidiaire, si l'on s'en tient aux performances retenues par l'employeur, M. [B] soutient qu'il aurait dû percevoir au moins 2.839,86 euros au titre de la rémunération variable de 2016 alors que l'employeur n'a évalué la prime qu'à 1.044,68 euros, reconnaissant avoir indexé la rémunération variable, qui n'est pourtant pas prévue dans l'avenant et n'apporte aucune explication sur le calcul de cette prime qui représente 18,31% de la somme qu'il aurait dû percevoir.

La société contestant le bien fondé de la demande de M. [B] soutient que si la communication des objectifs n'est intervenue qu'en mai 2016, ils étaient connus de toute l'équipe commerciale dès le comité mensuel qui s'est tenu le 8 février 2016 et qu'il les a acceptés comme réalistes et atteignables dès cette date, lorsqu'il les a validés et de nouveau en décembre 2016 lorsqu'il a signé l'avenant au contrat, n'émettant aucune réserve lors de son entretien d'évaluation du 31 janvier 2017 au cours duquel il se projetait sur l'objectif de 3,9 millions d'euros.

A partir des objectifs fixés à son prédécesseur en 2014 et 2015 d'une part et à lui même en 2015 d'autre part, la société soutient que les objectifs étaient en progression, atteignables et adaptés, ceux fixés à M. [B] ayant été fixés à un niveau inférieur que ceux fixés à son collègue, afin de tenir compte de son ancienneté.

La société soutient avoir pris en compte, le contexte économique en diminuant les objectifs de 4,3 millions d'euros en 2015 à 2,4 millions d'euros en 2017, et savait que l'agence de [Localité 3] ne pouvait avoir qu'un taux d'atteinte de 60%, dont le marché de l'aéronautique représente la majorité de son activité et soutenant que ce marché était en croissance sur la période 2015-2017, tout comme celui de l'aérospatial. Elle met en doute l'attestation de M. [X] selon laquelle les objectifs de M. [B] étaient irréalisables en 2016, en ce qu'il n'était pas commercial mais responsable technique.

Elle a ainsi accepté de baisser les objectifs de M. [B] en 2017 pour être au plus près de la réalité économique et de l'agence de [Localité 3] et ne lui a jamais reproché une insuffisance professionnelle en ce qu'il n'aurait pas atteint ses objectifs.

Sur l'année 2017, la société s'appuyant sur le contrat initial, rappelle qu'aucune rémunération variable n'était prévue pour les années suivantes. Le fait que des objectifs aient été fixés en 2016 n'implique pas un droit à rémunération qui ne résulte d'aucun contrat ni avenant. Elle conteste avoir informé le salarié le 22 mai 2017 que sa prime sur objectif serait de 5.900 euros. Ainsi, la rémunération variable était définie en fonction d'objectifs fixés unilatéralement par l'employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction. Elle soutient qu'elle pouvait modifier les objectifs même si cela avait une incidence sur le montant du salaire.

Subsidiairement, si la cour retenait l'existence d'un droit à une rémunération variable pour 2017, elle fait valoir l'absence de réalisation de l'objectif, alors même qu'il avait été fortement diminué à 2,4 millions d'euros et était conforme à la présentation de l'activité de M. [B] et à ses perspectives pour janvier 2017, présentés à tous les commerciaux.

Ces objectifs n'étaient pas inatteignables puisque identiques au chiffre d'affaires réalisé l'année précédente et donc inférieurs de 40% à celui de 2016.

***

Le mode de rémunération du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut pas être modifié sans son accord. Lorsque le calcul de la rémunération dépend d'éléments détenus par l'employeur, celui-ci est tenu de les produire en vue d'une discussion contradictoire.

Pour être valable, la clause de variation du salaire doit être fondée sur des éléments objectifs, indépendant de la volonté de l'employeur et ce dernier est tenue à une obligation de transparence le contraignant à communiquer au salarié les éléments servant de base au calcul du salaire. En effet, une clause du contrat de travail ne peut permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle, qui laisserait le salarié dans l'ignorance du niveau de cette modification. Le juge conserve alors la possibilité de rétablir la part variable de la rémunération en fonction des critères visés au contrat.

Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

Aux termes de l'avenant au contrat de travail du 15 décembre 2016 à effet au 1er janvier 2016, l'article 4.1 fixe la rémunération de M. [B] à 2.400 euros mensuels bruts et l'article 4.2 prévoit une rémunération variable.

Pour 2016, la rémunération variable sur objectifs a été ainsi fixée :

'Les objectifs 2016 et la définition de leur critères permettant d'évaluer leur réalisation sont explicités dans le SIRH passenger.

La réalisation de ces objectif sera récompensée par l'attribution d'une prime d'un montant brut annuel de 5.700 euros.

Le seuil déclencheur de ces objectifs est à 60%.

Tous les objectifs auront un accélérateur de 2 à compter de 100% capé à 150% (accélérateurs inclus).

Les accélérateurs ne s'appliquent qu'aux critères quantitatifs et non aux critères qualitatifs.

Le solde de la prime sera versé une fois les résultats définitivement connus et validés.

Le salarié reconnaît que, sauf circonstances imprévisibles qui l'empêcheraient de l'atteindre et qu'il lui appartiendrait alors d'établir, cet objectif est raisonnable.

Si le salarié n'atteint pas cet objectif, il devra justifier des raisons qui l'en ont empêché.

Chaque année, la société Latecoere Services réviser ces chiffres. Un entretien sera organisé dans les première semaines du début de l'exercice pour expliciter ces objectifs.'

Cet avenant a été signé en décembre 2016 pour des objectifs à atteindre sur l'année qui se terminait, la société ne démontrant pas avoir communiqué le montant de la prime pas plus que le niveau des objectifs à atteindre avant le 16 mai 2016, par mention dans le logiciel dédié au suivi de l'activité des commerciaux.

La société ne démontre pas avoir communiqué à M. [B] ses objectifs 2016 en début d'exercice comme elle s'y engageait, aucun élément ne permettant d'établir qu'ils avaient déjà été annoncés en comité de direction du 8 février 2016, ni que ces objectifs auraient été construits avec les commerciaux, aucun compte rendu n'étant versé et la production d'un tableau édité par la société elle même n'est pas suffisamment probante.

La société, ne produit aucune pièce justifiant de ce que les objectifs fixés étaient réalisables alors que M. [B] produit un extrait des données de 'societe.com', informant au 31 décembre 2016 d'un résultat net de - 39.409 millions d'euros pour la société Latecoere et de -97.600 euros pour la société Latesys.

L'entretien d'évaluation de M. [B] pour l'année 2016 fait apparaître que les critères des objectifs fixés étaient ainsi pondérés :

- prise de commande, objectif de 3,9 millions d'euros, réalisation de 2,36 millions d'euros, soit 60,5% de réalisation, ce critère représentant 60% des objectifs,

- marge brute sur prise de commande : objectif de 1,033 millions d'euros, réalisation de 0,62 millions d'euros, soit 60% de réalisation, ce critère représentant 10% des objectifs,

- tenue de la fonction, réalisation de 50%, ce critère représentant 20% des objectifs,

- développer la prospection de clients en lien avec l'activité économique : réalisation de 75%, ce critère représentant 10% des objectifs.

En dehors des prises de commande et de la marge brute vérifiable, la société ne produit aucune explication sur le calcul de la rémunération variable telle que définie par la pondération des critères ci-dessus, deux d'entre eux relevant d'une appréciation subjective de l'exercice des missions du salarié par sa hiérarchie. De même la société ne peut expliquer si le seuil de déclenchement de 60% entraînait le versement d'une partie de la rémunération variable et de quelle façon elle était calculée.

La société est ainsi défaillante tant dans la démonstration de ce que les objectifs auraient été fixés de manière réaliste, que dans la communication du mode de calcul de la rémunération variable, ayant versé la somme de 1.044, 68 euros sur l'exercice 2016, qui représente 18% de la totalité du montant de la prime fixée pour cette année alors que la société retenait que le salarié avait rempli ses objectifs à 61,40 % tous critères confondus et 63,80 % en appliquant la pondération.

La société étant défaillante dans ses obligation de transparence de la fixation de la part variable de la rémunération de M. [B] et ayant communiqué tardivement les objectifs à atteindre, elle sera condamnée à lui verser la totalité de la prime, déduction faite de la somme déjà perçue à ce titre, soit la somme de 4.655,32 euros.

Pour l'année 2017, la société a adressé le 22 mai 2017 un courrier à M. [B] l'informant de sa rémunération globale à objectifs atteints à 34 500 euros, montant qui est annoncé comme porté à 35 852,07 euros au 1er mai 2017, soit une augmentation de 3,92 % avec effet rétroactif au 1er avril 2017. Il est indiqué que sa rémunération se décompose ainsi : salaire annuel de 29.952 euros et prime sur objectifs de 5.900,07 euros.

Ce courrier qui modifie la rémunération fixe du salarié en chiffrant le montant de la part variable constitue une modification de la rémunération globale du salarié, qui nécessitait son accord et en tout état de cause qui n'a pas fait l'objet d'un avenant en début d'exercice 2017 comme stipulé dans l'avenant signé entre les parties en 2016.

La société échoue à démontrer qu'elle a porté à la connaissance de M. [B] les objectifs à atteindre avant le 17 juillet 2017, par mention au logiciel de suivi de l'activité des commerciaux, aucun compte rendu d'une réunion préalable ne permettant d'établir la communication de cet objectif ni de ce qu'un entretien a été organisé dans les première semaines du début de l'exercice pour expliciter les objectifs comme mentionné à l'avenant au contrat de décembre 2016.

En l'absence de révision des objectifs par la société dans les conditions contractuellemnt fixées en 2016, la rémunération variable faisant l'objet d'un article spécifique comme composante de la rémunération globale du salarié, il convient d'allouer à M. [B] la totalité de la prime fixée pour 2017, calculée au prorata de sa présence dans la société, soit la somme de 4.425 euros.

Sur la demande indemnitaire

M. [B] sollicite l'indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de rémunération variable qui s'est traduit par une baisse de salaire, qu'il n'avait pu anticiper, le mettant en difficulté pour le paiement des échéances mensuelles de son crédit immobilier.

Il évalue son préjudice aux frais de renégociation de ce crédit, consécutifs au délai de réponse de l'employeur qui l'a obligé à différer de cinq mois cette renégociation, le versement de la prime devant servir à régler la renégociation du crédit.

La société soutient n'avoir commis aucune faute qui aurait entraîné un préjudice au salarié, celui-ci ayant bénéficié d'une avance sur salaire de 1.125 euros, et qu'en tout état de cause, ce n'est pas la rémunération de 2.839 euros qu'il sollicite subsidiairement qui aurait pu lui permettre de renégocier son prêt. Elle conteste être responsable d'un quelconque échec dans la renégociation du prêt.

M. [B] établit par les nombreux courriels versés qu'il a sollicité son employeur dès février 2017 pour obtenir des informations sur le versement de sa prime dont il ne connaissait pas le montant, qu'il menait parallèlement des négociations avec sa banque pour modifier ses échéances mensuelles de remboursement du crédit immobilier, que la prime ne lui sera versée qu'en mars 2017 à un montant correspondant à 18% de son montant total et qu'il bénéficiera d'un acompte de 1125 euros lui permettant de régler ses impôts sur le revenus avant le 17 février 2017.

Devant l'opacité de la société à communiquer à M. [B] le montant de sa rémunération et la date de son versement, celui démontre avoir subi un préjudice de 6.851 euros correspondant à l'augmentation des taux d'intérêts entre janvier et mai 2017 et à la différence de gain perçu sur la renégociation du crédit.

La société sera ainsi condamnée à verser à M. [B] la somme de 6.851 euros en réparation du préjudice subi.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail

Soutenant que sa démission doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié fait valoir la déloyauté de l'employeur qui lui a proposé de voir diminuer la part fixe de sa rémunération par rapport à sa précédente rémunération chez un autre employeur au profit d'une part variable dont il connaissait le versement improbable comme fixé à la faveur de critères incertains. Il fait valoir la concomitance de sa démission avec les nombreuses demandes de versement de sa prime.

La société au contraire fait valoir le caractère clair et non équivoque de la démission, qui ne comporte aucun motif, le courrier adressé 20 jours après dans lequel il sollicite le paiement de la rémunération variable de 2016 et 2017 ne faisant pas le lien avec la démission et sollicitant un préavis réduit pour pouvoir signer un nouveau contrat de travail auprès d'une autre société au 1er octobre, indiquant qu'à défaut de paiement de la prime, il saisirait le conseil des prud'hommes et n'engageant la procédure que 10 mois après sa démission.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, il appartient à la cour d'apprécier s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée celle-ci était équivoque. Dans cette hypothèse, la démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.

Pour que la remise en cause de la démission soit accueillie, il faut que le salarié justifie qu'un différend antérieur ou contemporain de la démission l'avait opposé à son employeur. L'existence d'un lien de causalité entre les manquements imputés à l'employeur et l'acte de démission est nécessaire. Ce lien sera établi si lesdits manquements sont antérieurs ou au moins contemporains de la démission, et s'ils avaient donné lieu à une réclamation, directe ou indirecte du salarié afin que l'employeur puisse rectifier la situation.

Ainsi, même émise sans réserve, une démission est nécessairement équivoque si le salarié parvient à démontrer qu'elle trouve sa cause dans des manquements antérieurs ou concomitants de l'employeur.

En l'espèce, la démission de M. [B] en date du 7 août 2017 ne mentionne aucun motif. Toutefois, M. [B] a adressé à la société huit courriels entre le 25 janvier 2017 et le 8 juin 2017 aux termes desquels il demande une revalorisation de sa rémunération fixe et des informations sur le montant de sa prime et la date de son versement, indiquant clairement être en difficulté financière. Par courrier du 28 août 2017, il a mis la société en demeure de lui verser le reliquat de prime qu'il estime lui être dû pour 2016 et 2017. Sa démission est contemporaine aux réponses qui lui seront faites d'une part de la modification de sa rémunération par simple courrier le 22 mai 2017 puis de la fixation de ses objectifs le 17 juillet 2017 et enfin du courrier de mise en demeure du 28 août 2017.

Ainsi, en adressant une lettre de démission moins d'un mois après communication des objectifs pour l'année en cours et après avoir fait connaître ses réserves à la société à de nombreuses reprises les mois précédents, et encore deux semaines après, M. [B] fait le lien entre la sa volonté de quitter l'entreprise et l'existence de griefs qui son antérieurs ou contemporains à la rupture et la rende équivoque.

La démission de M. [B] en ce qu'elle est équivoque doit donc s'analyser en une prise d'acte.

La prise d'acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

Il appartient dans cette hypothèse au salarié de rapporter la preuve de ce que les manquements reprochés sont d'une gravité suffisante pour justifier l'impossibilité de poursuivre la relation de travail.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige.

Il appartient donc au conseil de prud'hommes, puis à la cour, d'examiner l'ensemble des griefs invoqués par le salarié à l'encontre de l'employeur, quelle que soit leur ancienneté, même s'ils n'ont pas été mentionnés dans la lettre de prise d'acte.

M. [B] justifie de ce que l'employeur a manqué à ses obligations de loyauté en fixant un salaire composé d'une partie variable sans communiquer aucune précision sur ses modalités de calcul et l'a laissé dans l'ignorance de sa rémunération qui devait être révisée annuellement ; ces manquements étant suffisamment graves comme touchant à la rémunération du salarié pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les demandes financières

M. [B] a effectué un mois de préavis dont il a été payé et a rejoint un nouvel emploi le 1er octobre 2017. La demande de M. [B] de bénéficier de l'indemnité compensatrice de préavis sera rejetée.

M. [B] avait une ancienneté de 2 ans et 4 jours. Conforment à la convention collective applicable, il lui sera alloué une indemnité de licenciement de 1807,50 euros dans la limite de la demande, la rémunération variable de l'année 2017 ayant été réintégrée dans le salaire de référence correspondant au salaire moyen perçu les douze derniers mois précédent le licenciement.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [B], de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi dès le lendemain de la rupture du contrat, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il lui sera alloué une somme de 8 500 euros la somme de nature à assurer la réparation du préjudice subi à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La Société Latesys, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement à M. [B] de la somme de 2.400 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Dit que la démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse;

Condamne la SAS Latesys venant aux droits de la société Latecoere Services à payer à M. [B] les sommes de :

- 4.655,32 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2016,

- 4.425 euros au titre de la rémunération variable pour l'année 2017,

- 6.851 euros à titre de dommages et intérêts pour non paiement des primes variables,

- 1 807,50 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 8 500 euros au titre du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.400 euros au titre des frais irrépétibles engagés en appel ;

Déboute M. [B] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

Condamne la SAS Latesys aux dépens de première instance et d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/06499
Date de la décision : 26/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-26;19.06499 ?
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