COUR D'APPEL DE BORDEAUX
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 06 AVRIL 2023
F N° RG 20/03914 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LXUL
[T], [J] [X]
c/
[E] [V]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 24 septembre 2020 par Juge aux affaires familiales de BORDEAUX (cabinet , RG n° 20/00432) suivant déclaration d'appel du 20 octobre 2020
APPELANTE :
[T], [J] [X]
née le [Date naissance 1] 1981 à [Localité 11]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 9]
Représentée par Me Amandine CLERET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
[E] [V]
né le [Date naissance 2] 1988 à [Localité 5]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
Représenté par Me Alexis GARAT, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du cpc, l'affaire a été débattue le 09 mars 2023 hors la présence du public, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Danièle PUYDEBAT, Conseiller chargée du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Président : Hélène MORNET
Conseiller : Isabelle DELAQUYS
Conseiller : Danielle PUYDEBAT
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Florence Chanvrit
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.
Des relations de Mme [X] et M. [V] est née [I] le [Date naissance 3] 2012.
Par jugement du 27 janvier 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux a constaté l'exercice conjoint de l'autorité parentale, fixé la résidence de l'enfant alternativement chez le père et la mère une semaine sur deux, avec partage des frais
par moitié.
Par jugement du 04 mai 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux, statuant en référé, a fixé la résidence habituelle de l'enfant au domicile du père, à compter du départ de la mère en Martinique, avec un droit de visite et d'hébergement au profit de cette dernière pendant les vacances scolaires.
Par jugement du 22 juin 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux a homologué l'accord parental sur les appels téléphoniques entre la mère et la fille.
Par requête reçue au greffe le 15 janvier 2020, Mme [X] a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de transfert de la résidence de l'enfant à son domicile.
Par jugement du 24 septembre 2020, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- débouté la demanderesse de sa demande,
- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Procédure d'appel:
Par déclaration en date du 20 octobre 2020, Mme [X] a relevé appel de l'intégralité du jugement de première instance.
Selon dernières conclusions en date du 06 février 2023, Mme [X] demande à la cour de
la juger recevable et bien fondée en son appel, en conséquence, infirmer le jugement et statuant de nouveau :
- maintenir l'exercice conjoint de l'autorité parentale sur [I],
- fixer la résidence principale de [I] au domicile de sa mère à compter du 28 août 2023,
- juger que le père bénéficiera, sauf meilleur accord, d'un droit de visite et d'hébergement qui s'exercera :
* l'intégralité des petites vacances scolaires de Toussaint, d'hiver et de Pâques,
* la moitié des congés d'été et de fin d'année avec alternance première partie les années paires et deuxième partie les années impaires et du 15 juillet au 15 août pour l'été,
* le week-end du pont de l'ascension ainsi que tout autre week-end de plus de deux jours consécutifs si le père le souhaite,
- juger que le coût des trajets sera partagé par moitié entre les parents,
- juger que l'enfant voyagera en avion accompagnée de la mère ou d'un tiers digne de confiance, à charge pour le père de conduire ou d'amener l'enfant à l'aéroport de [6],
- juger que les charges fixes de [I] seront partagées par moitié entre les parents (frais de scolarité, cantine scolaire et activité extra-scolaire),
- autoriser Mme [X] à inscrire [I] en classe de sixième au sein du collège d'enseignement privé [10] du Sacre C'ur à [Localité 8] pour l'année scolaire 2023/2024,
à titre subsidiaire :
- avant-dire droit si la cour n'est pas assez informée, ordonner une mesure médico-psychologique sur l'ensemble des membres de la famille avant de statuer sur la résidence de l'enfant,
- juger que la provision à verser au titre de la consignation pour l'expertise, sera partagée par moitié entre les parties,
- renvoyer à une audience ultérieure après le dépôt du rapport pour statuer sur les mesures liées à l'exercice conjoint de l'autorité parentale,
en tout hypothèse :
- débouter M. [V] de ses demandes plus amples et contraires,
- juger que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens et juger n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon dernières conclusions en date du26 octobre 2022, M. [V] demande à la cour de :
à titre principal :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,
- condamner Mme [X] à verser à M. [V] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
à titre subsidiaire :
- donner acte à M. [V] de ce qu`il ne s`oppose pas à la mesure médico-psychologique sollicitée par Mme [X] sous réserve que celle-ci soit provisionnée uniquement par l'appelante.
En application de l'article 1072-1 du code de procédure civile, la cour a vérifié l'existence d'une procédure d'assistance éducative à l'égard de [I].
Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 février 2023.
SUR QUOI, LA COUR :
Il convient de rappeler que la décision ne statuant pas sur l'autorité parentale, Mme [X] n'est pas recevable à demander à la cour de maintenir l'exercice conjoint de celle-ci.
Sur la résidence de l'enfant mineur :
Aux termes de l'article 373-2-9 du code civil, la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux.
Le juge statue en considération de l'intérêt de l'enfant.
En application des dispositions de l'article 373-2-11 du code civil, le juge prend notamment en compte la pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu'ils avaient pu antérieurement conclure, les sentiments exprimés par l'enfant mineur lorsque celui-ci est entendu, l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et à respecter les droits de l'autre, le résultat, le cas échéant des mesures d'investigation ordonnées (enquête sociale, expertise) et enfin, les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre.
La résidence alternée permet à l'enfant de trouver auprès de ses père et mère une éducation équilibrée dans la coparentalité, de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs et est de nature à réduire les conflits liés à l'exercice du droit de visite et d'hébergement.
Toutefois, ce mode d'hébergement doit correspondre à l'intérêt de l'enfant, qui est défini en fonction des besoins qui lui sont propres, de sa personnalité et de son âge.
L'article 373-2-12 du code civil permet au juge, avant toute décision fixant les modalités de l'autorité parentale et du droit de visite ou confiant l'enfant à un tiers, de donner mission à toute personne qualifiée d'effectuer une enquête sociale, qui a pour but de recueillir des renseignements sur la situation de la famille et les conditions dans lesquelles vit et est élevé l'enfant mineur.
En l'espèce, il convient de rappeler que [I], aujourd'hui âgée de 11 ans, vivait en alternance au domicile de chacun de ses parents depuis décembre 2014, quand Mme [X] a souhaité suivre son nouveau compagnon en Martinique. La résidence de l'enfant, après décision judiciaire qui n'a pas été frappée d'appel, a alors été fixée chez le père. [I] y réside ainsi depuis le départ de sa mère en mai 2017. Mme [X] réside désormais, depuis septembre 2022, sur [Localité 7] avec son compagnon et leurs enfants.
Il sera constaté que si [I] a été entendue par un avocat membre de l'institut du droit des mineurs du barreau de Bordeaux, d'un commun accord des parents, au cours de l'été 2022, l'enfant a finalement indiqué qu'elle ne souhaitait pas être entendue dans la procédure judiciaire.
L'appelante ne peut sérieusement en déduire qu'elle 'craint que [I] se plie à l'autorité de son père par peur de le décevoir sans se sentir libre de faire connaître ses sentiments' sans se livrer à une interprétation toute personnelle de cet évènement.
Mme [X] fonde sa demande principalement sur les entraves mises par le père dans les relations personnelles entre [I] et sa mère au visa des pièces 6 et 14. La pièce 6 est un écrit de l'appelante qui ne peut ainsi se constituer une preuve à elle-même.La pièce 14, attestation du 4 novembre 2019, est insuffisante à établir que le père de [I] entraverait volontairement les conversations téléphoniques entre mère et fille. Si la grand-mère maternelle (pièce 9) et la tante de l'intimé, Mme [H] (pièce 8) se plaignent que le père leur interdit tout contact avec l'enfant, ces faits, s'ils étaient avérés, ne constituent pas une quelconque violation des droits de la mère par le père. De même, l'appelante ne peut sérieusement tirer de deux seuls échanges de SMS (pièces 22 et 23), anciens en ce qui concerne ceux figurant en pièce 23, que le père tiendrait un discours dénigrant à l'enfant à l'encontre de sa mère alors que les propos sont échangés entre les parents.
Le compte-rendu psychologique versé aux débats par l'appelante en pièce 7, censé établir le souhait de l'enfant de vivre avec sa mère et 'l'emprise' de M.[V] sur sa fille, doit être appréhendé avec prudence, dès lors que l'initiative de la rencontre avec Mme [K] appartient à la mère, que d'emblée, cette professionnelle se positionne par principe en faveur de la fixation de la résidence des jeunes enfants auprès de leur mère, ce qui augure mal de son impartialité, et qu'elle juge le comportement de M.[V], sans l'avoir jamais rencontré, au travers des seules allégations de Mme [X]. Quant à [I], il ressort de ce compte-rendu qu'elle ne s'est pas 'livrée' et ainsi la cour s'interroge sur les conclusions qu'en a tirées cette professionnelle (qui ne précise nullement combien de fois elle l'a rencontrée et dans quelles conditions) en terme de conflit de loyauté entre ses deux parents, de stratégie mise en place par l'enfant pour se protéger, ou encore de représailles ou pressions exercées par [I] si elle exprimait qu'elle se sent bien chez sa mère, ce qu'en tout état de cause, M. [V] ne conteste pas dans ses écritures.
D'autre part, rappelant que Mme [X] souhaitait initialement la fixation de la résidence de sa fille en Martinique, l'opposition de M. [V] à cette demande ne caractérise nullement un 'problème de positionnement'du père qui exprimait légitimement sa crainte d'être ainsi séparé de sa fille qu'il avait principalement élevée depuis 2017, et ne cherchait pas ainsi à culpabiliser sa fille en terme d'éventuelle 'trahison', les écritures des parties n'étant en tout état de cause nullement destinées à être lues par [I] mais par les juridictions.
Si l'intérêt de l'enfant est enfin évoqué par Mme [X] pour affirmer que celui-ci devrait conduire la cour à fixer la résidence de [I] chez le parent qui permettrait des relations avec l'autre 'sans sentir l'hostilité' du parent hébergeant, la cour constate que cette hostilité ne ressort d'aucune pièce et qu'au surplus, l'appelante ne démontre pas que M.[V] ne la tiendrait pas informée de la situation de l'enfant, tant sur le plan de la santé, [I] n'ayant subi notamment aucun grave ennui de santé qui aurait conduit le père à devoir en informer la mère, que sur le plan scolaire, la mère disposant de l'exercice conjoint de l'autorité parentale lui permettant l'accès direct aux enseignants sans passer par le père.
Si l'appelante soutient encore que [I] ne bénéficierait d'aucune présence féminime à ses côtés, elle ne verse aux débats aucune pièce démontrant que 'la compagne de son père ne lui offre pas une liberté de parole et une oreille ouverte à tous les problèmes d'une jeune pré-adolescente'.
Elle reconnaît par ailleurs que [I] est une bonne élève, ce qui signe à tout le moins une absence de perturbation chez cette enfant, l'appelante en tirant quant à elle comme conclusions qu'un changement d'établissement n'aurait ainsi pas de répercussion négative sur sa scolarité, ce qui interroge quant à la notion personnelle de Mme [X] de l'intérêt de sa fille.
Ses conditions d'hébergement matérielles sur [Localité 8] ne sont pas contestées, ses capacités éducatives ne font pas débat, pas plus que les relations entretenues entre [I] et son beau-père.
Si une fratrie a été recomposée au domicile maternel par la naissance de [C] puis [W], il en est de même au domicile paternel par la naissance de [M], aucune des parties ne faisant état de difficultés relationnelles entre [I] et ces enfants.
Enfin, Mme [X] affirme qu'elle télétravaille depuis la Bretagne et n'aura besoin de se déplacer en Martinique qu'une fois par an, ce dernier élément ne ressortant nullement de l'attestation de son employeur s'il établit en revanche que l'appelante télétravaille (pièce 33), ce qui n'implique pas pour autant qu'elle aurait toute disponibilité pour s'occuper de ses trois enfants si elle obtenait la résidence de [I].
L'intimé verse quant à lui de nombreuses attestations dont il ressort des capacités éducatives avérées, qui ne sont au demeurant pas contestées par l'appelante, ainsi que la preuve d'une famille reconstituée fonctionnant harmonieusement et dans l'intérêt de [I].
Compte tenu de cette analyse dont il ressort que Mme [X] procède par simples allégations sans rapporter aucune preuve de ce que [I] se trouverait au centre d'un conflit de loyauté, alimenté par son père, une mesure d'expertise médico-psychologique ne saurait se justifier dans le seul but de suppléer la carence de l'appelante dans l'administration de la preuve des allégations soutenues.
La cour dispose, en effet, suite aux écritures des parties et des pièces produites, des éléments suffisants pour statuer, au regard de l'intérêt de l'enfant, sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale et notamment le maintien de la résidence de l'enfant au domicile de M. [V] sans au préalable ordonner la mesure d'investigation sollicitée.
La décision sera en conséquence confirmée.
La nature familiale du litige conduit à rejeter la demande de l'intimé au titre des frais irrépétibles mais Mme [X] sera condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant après rapport fait à l'audience,
CONFIRME la décision déférée ;
Y ajoutant,
DEBOUTE M.[V] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [X] aux dépens d'appel.
Signé par Hélène MORNET, Présidente de Chambre et par Florence Chanvrit AAP Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente