COUR D'APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 06 AVRIL 2023
N° RG 20/00462 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNU3
Monsieur [L] [R]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/20/3289 du 02/07/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
Madame [K] [H]
Représentée par son tuteur, Madame [V] [D]
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 13 décembre 2019 (R.G. 11-19-429) par le Tribunal d'Instance d'ARCACHON suivant déclaration d'appel du 27 janvier 2020
APPELANT :
[L] [R]
né le 14 Mai 1986 à LA TESTE (33115)
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Valérie CHAUVE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
Madame [K] [H],
née le 23 février 1959 à ([Localité 5]) [Localité 5],
de nationalité française,
demeurant [Adresse 3],
Représentée par son tuteur, Madame [V] [D], demeurant [Adresse 4], es qualité de Mandataire Judiciaire à la protection des majeurs
Représentées par Me CONDEMINE substituant Me Sandra CATHELOT-CEBOLLERO, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 février 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Paule POIREL, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Madame Christine DEFOY, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Audrey COLLIN
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [K] [H] est l'unique héritière de son père décédé le 19 juin 2016.
Cette dernière a été placée sous sauvegarde de justice par jugement du tribunal d'instance d'Arcachon le 21 juillet 2016, puis sous tutelle par jugement du même tribunal le 9 mars 2017, Mme [V] [D] ayant été désignée mandataire spécial, puis tutrice de Mme [H].
Mme [D] a appris que Mme [H] avait signé un acte de prêt à usage le 23 octobre 2017 portant sur le bien immobilier dont elle a hérité, situé [Adresse 2], avec M. [L] [R].
Le 3 janvier 2018, une sommation de quitter les lieux a été signifiée à M. [R].
Face au refus de M. [R] de quitter les lieux, Mme [D] a été autorisée par le juge des tutelles à engager une action pour préserver les intérêts de la personne protégée.
Ainsi, par exploit d'huissier en date du 18 septembre 2019, Mme [D], es qualité de tutrice de Mme [K] [H], a fait assigner M. [L] [R] devant le tribunal d'instance d'Arcachon, au visa des articles 414-1 et 473 et suivants du code civil, afin de voir prononcer la nullité du prêt à usage, d'ordonner la libération des lieux par M. [R], à défaut, d'ordonner l'expulsion de M. [R], d'ordonner l'enlèvement et le dépôt des meubles garnissant les lieux loués aux frais, risques et périls du défendeur, de condamner M. [R] à lui verser une indemnité d'occupation de 1 500 euros par mois à compter de la sommation d'avoir à quitter les lieux du 3 janvier 2018 jusqu'à complète libération des lieux, outre une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le tout sous exécution provisoire.
Par jugement rendu le 13 décembre 2019, le tribunal d'instance d'Arcachon a :
- prononcé la nullité du commodat signé par Mme [H] le 23 octobre 2017 ;
- ordonné la libération immédiate des lieux [Adresse 1], occupé sans droit ni titre par M. [L] [R] et tout autre occupant introduit de son chef avec remise des clefs immédiate après établissement d'un état des lieux de sortie ;
A défaut :
- ordonné la libération immédiate des lieux par M. [L] [R] et tout autre occupant introduit de son chef avec assistance de la force publique ;
- ordonné l'enlèvement immédiat des meubles par M. [L] [R] et à défaut l'autorisation du demandeur à faire enlever et déposer les meubles et objets mobiliers garnissant les lieux occupés sans droit ni titre, en un lieu approprié, aux frais, risques et périls de M. [L] [R] ;
- condamné M. [L] [R] au paiement d'une indemnité d'occupation de 1500 euros à compter de la sommation d'avoir à quitter les lieux du 3 janvier 2018 jusqu'à la libération effective des lieux ;
- condamné M. [L] [R] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [L] [R] aux entiers dépens de l'instance,
-ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration électronique en date du 27 janvier 2020, enregistrée sous le n° RG 20/00462, M. [N] [R] a relevé appel de l'ensemble des dispositions de cette décision.
Par conclusions d'incident en date du 27 mars 2020, Mme [H], représentée par son tuteur, Mme [D], a demandé au conseiller de la mise en état, au visa de l'article 526 du code de procédure civile, constatant que l'appelant n'avait pas exécuté le jugement, de prononcer la radiation du rôle et de le condamner à lui payer 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 9 juillet 2020, le conseiller de la mise en état, considérant que l'appelant démontrait qu'il était, au moins en partie, dans l'impossibilité d'exécuter la décision de justice, a rejeté la demande de radiation du rôle de l'affaire et a réservé les dépens de l'incident.
M. [R] , dans ses dernières conclusions d'appelant en date du 27 avril 2020, demande à la cour, au visa de l'article 414-1 du code civil, de :
Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Statuant à nouveau,
- constater la validité du contrat de commodat signé le 23 octobre 2017.
- dire qu'aucune indemnité d'occupation ne saurait être mise à sa charge,
- condamner Mme [V] [D], es qualité de tutrice de Mme [K] [I] [H], à lui verser une indemnité de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- condamner Mme [V] [D], es qualité de tutrice de Mme [K] [I] [H], aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Mme [H], représentée par son tuteur, Mme [D], es qualité de mandataire judiciaire à la protection des majeurs, dans ses dernières conclusions d'intimée en date du 27 juillet 2020, demande à la cour de :
- confirmer purement et simplement le jugement entrepris.
- condamner M. [R] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2023.
Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.
L'affaire a été appelée à l'audience du 21 février 2023 et mise en délibéré au 6 avril 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
- Sur l'annulation du contrat de prêt à usage
Aux termes de l'article 1875 du code civil, 'le prêt à usage (abrogé par L. n° 2009-526 du 12 mai 2009, art. 10) «ou commodat» est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi'.
L'obligation de rendre la chose prêtée après s'en être servi est de l'essence du commodat.
Selon l'article 473 du code civil, 'Sous réserve des cas où la loi ou l'usage autorise la personne en tutelle à agir elle-même, le tuteur la représente dans tous les actes de la vie civile.
Toutefois, le juge peut, dans le jugement d'ouverture ou ultérieurement, énumérer certains actes que la personne en tutelle aura la capacité de faire seule ou avec l'assistance du tuteur'.
L'article 465 du même code dispose que ' A compter de la publicité du jugement d'ouverture, l'irrégularité des actes accomplis par la personne protégée ou par la personne chargée de la protection est sanctionnée dans les conditions suivantes: [...]
2° Si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être assistée, l'acte ne peut être annulé que s'il est établi que la personne protégée a subi un préjudice;
3° Si la personne protégée a accompli seule un acte pour lequel elle aurait dû être représentée, l'acte est nul de plein droit sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un préjudice'.
En l'espèce, M. [R] sollicite la réformation du jugement déféré qui a fait droit à la demande d'annulation du contrat de prêt à usage qui lui a été consenti par Mme [I] [H], majeure protégée pour avoir été placée sous tutelle le 9 mars 2017, à la demande de Mme [V] [D], ès qualités de mandataire la protection des majeurs.
Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait valoir que Mme [H] a signé ce contrat de commodat, le 23 octobre 2017, en connaissance de cause, dès lors que l'immeuble concerné était une maison en bois nécessitant de nombreux travaux et qu'en sa qualité de peintre, il s'était engagé à y procéder en échange d'un toit.
Il considère donc que le jugement entrepris indiquant que le contrat litigieux a été conclu en violation de l'article 414-1 du code civil, alors que Mme [H] n'était pas saine d'esprit, n'est pas pertinent et que le fait qu'il comporte quelques erreurs ne constitue pas la preuve d'un abus de faiblesse.
Mme [H], représentée par son tuteur, Mme [D], demande la confirmation du jugement critiqué, considérant que :
- par application de l'article 465 du code civil, le prêt à usage ne pouvait être signé que par le tuteur, s'agissant d'un acte d'administration.
- l'absence de signature de cet acte par le tuteur, postérieurement à la mise sous protection, implique donc la nullité de ce contrat.
La cour ne pourra que confirmer l'analyse des intimées, sans qu'il lui soit nécessaire de s'interroger sur le fait de savoir si Mme [H] a signé le commodat litigieux, alors qu'elle était saine d'esprit, comme exigé à l'article 414-1 du code civil, dès lors que :
- le contrat de commodat a été signé le 23 octobre 2017, après que Mme [H] ait été placé sous tutelle par jugement du 9 mars 2017 du juge des tutelles d'Arcachon,
- qu'il s'agit d'un contrat de prêt à usage constitutif d'un acte d'administration que le majeur sous tutelle ne peut faire seul, en l'absence d'autorisation expresse du juge des tutelles, en application de l'article 473 du code civil, inexistante en l'espèce,
- l'acte accompli seule par la personne protégée, alors qu'elle aurait dû être représentée, est nul de plein droit sans qu'il soit nécessaire de justifier d'un préjudice, en application de l'article 465 du même code.
Il s'ensuit que le jugement entrepris ne pourra qu'être confirmé en ce qu'il a prononcé l'annulation du contrat de commodat signé le 23 octobre 2017 par Mme [H], avec toutes les conséquences de droit à savoir la libération immédiate des lieux par M. [R], dépourvu de titre d'occupation, ainsi que par tout occupant de son chef et l'enlèvement de l'ensemble des biens mobiliers garnissant les lieux.
- Sur l'indemnité d'occupation
L'indemnité d'occupation se définit comme une somme d'argent donnée au propriétaire d'un bien immobilier en échange de l'occupation de ce bien par une personne dépourvue de titre juridique pour y procéder.
M. [R] critique le jugement déféré qui l'a condamné à payer à Mme [H] une indemnité d'occupation de 1500 euros par mois à compter de la sommation d'avoir à libérer les lieux intervenue le 3 janvier 2018 jusqu'à la libération effective des lieux, la considérant comme manifestement disproportionnée.
Pour ce faire, il expose que la maison litigieuse est en réalité une cabane au fond des bois, d'une superficie de 60m2, précédemment louée 150 euros par mois, alors qu'en réalité elle était impropre à la location, ne pouvant être assurée, comme en atteste la main-courante établi par la tutrice le 17 octobre 2017. En outre, il ajoute qu'il a réalisé plus de 3 000 euros de travaux dans ce logement, sans compter la main d''uvre pour le rendre habitable.
Mme [H], représentée par son tuteur, Mme [D], expose qu'il n'a pas été possible de faire évaluer le prix locatif de la maison litigieuse et que le tribunal a fixé l'indemnité d'occupation à la somme de 1 500 euros au regard des prix habituels du marché dans ce secteur géographique du bassin d'Arcachon.
La cour, qui ne dispose d'aucune évaluation immobilière concernant le bien considéré ne pourra néanmoins que diminuer le montant de l'indemnité d'occupation préalablement fixée, et ce, au vu des photographies produites par l'appelant, qui attestent de son mauvais état général et de la main-courante dressée le 19 octobre 2017, à la demande de Mme [D], tutrice de Mme [H], qui indique que cette habitation n'est pas aux normes, l'impact des travaux exécutés par l'appelant sur la valeur de l'immeuble restant en outre indéterminé.
Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef, l'indemnité d'occupation litigieuse étant fixée à la somme de 1000 euros par mois.
-Sur les autres demandes,
Il ne paraît pas inéquitable de condamner M. [L] [R], qui succombe en son appel, à payer aux intimés la somme de 2000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
M. [R] sera pour sa part débouté de ses demandes formées à ces titres.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par décision contraidictoire, mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf s'agissant du montant de l'indemnité d'occupation incombant à M. [L] [R],
Statuant à nouveau de ce chef,
Fixe le montant de l'indemnité d'occupation à 1000 euros par mois,
Y ajoutant,
Condamne M. [L] [R] à payer à Mme [K] [H] représentée par Mme [V] [D] la somme de 2000 euros, en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [L] [R] aux entiers dépens de la procédure,
Déboute M. [L] [R] de ses demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE