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05/04/2023 | FRANCE | N°22/04886

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 05 avril 2023, 22/04886


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 05 AVRIL 2023







PRUD'HOMMES



F N° RG 22/04886 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6HY













S.A.R.L. AC 030



c/



Madame [P] [S]

















Nature de la décision : AU FOND













Grosse délivrée le :



à :
r>Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 13 octobre 2022 (R.G. R2022-3581) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, formation de référé, suivant déclaration d'appel du 25 octobre 2022.





APPELANTE :

S.A.R.L. AC 030 agissant en la personne de son représentant légal domicilié en c...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 05 AVRIL 2023

PRUD'HOMMES

F N° RG 22/04886 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M6HY

S.A.R.L. AC 030

c/

Madame [P] [S]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : ordonnance rendue le 13 octobre 2022 (R.G. R2022-3581) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, formation de référé, suivant déclaration d'appel du 25 octobre 2022.

APPELANTE :

S.A.R.L. AC 030 agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 802 57 4 2 10

assistée et représentée par Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, et Me Sylvain REBOUL de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE :

Madame [P] [S]

née le 06 Avril 1975 à [Localité 5] (33) de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

assistée et représentée par Me Franck BURRI de la SELARL FRB AVOCATS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND,

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Tronche, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [P] [S], née en 1975, a été engagée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 juin 2014 en qualité de responsable de zone par la SARL AC 030, entreprise de travail temporaire.

Le 1er juin 2017, le contrat de travail de Mme [S] a fait l'objet d'un avenant, stipulant en son article 12 une clause de non-concurrence.

Il a été mis fin à la relation de travail dans le cadre d'une rupture conventionnelle homologuée par la DIRECCTE le 9 novembre 2021.

Le 6 juin 2022, la société AC 030 a fait dresser un constat d'huissier de justice relevant que sur le site Linkedin, Mme [S] affichait un profil de directrice de zone Nouvelle-Aquitaine du groupe Menway, spécialisé, comme la société AC 030, dans le recrutement de travailleurs intérimaires, depuis décembre 2021.

Le 8 juillet 2022, la société AC 030 a fait signifier à Mme [S] une sommation d'avoir à respecter la clause de non-concurrence, de lui indiquer l'entité du groupe Menway l'employant et de lui communiquer le contrat de travail afférent.

Plusieurs sommations interpellatives ont également été adressées aux sociétés Menway Emploi, Menway Emploi IDF, Menway Conseil et Menway Holding afin de solliciter les mêmes informations.

Toutes sont restées vaines.

La société AC 030 a saisi le 19 août 2022 la formation de référé du conseil de prud'hommes de Bordeaux afin de voir ordonner à Mme [S] de lui communiquer sous astreinte la copie certifiée conforme à l'original du ou des contrats de travail la liant au groupe Menway ainsi que ses fiches de paie établies par le groupe Menway depuis son embauche jusqu'à la date d'audience.

Par ordonnance de référé en date du 13 octobre 2022, le conseil de prud'hommes de Bordeaux, a :

- dit n'y avoir lieu à référé,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au stade du référé,

- réservé le sort des dépens qui suivront le sort de ceux de l'instance au fond et dit qu'à défaut, chaque partie conservera la charge de ceux qu'elle a engagés dans le cadre du référé,

- rappelé que l'ordonnance est de plein droit exécutoire à titre provisoire.

Par déclaration du 25 octobre 2022, la société AC 030 a relevé appel de cette décision.

Une ordonnance de fixation de l'affaire à bref délai a été rendue le 26 octobre 2022, l'affaire étant fixée à l'audience du 14 février 2023.

L'ordonnance ainsi que les conclusions de l'appelante, adressées à la cour le 3 novembre 2022 ont été signifiées à Mme [S] par acte d'huissier délivré le 4 novembre 2022.

Mme [S] a notifié ses conclusions le lundi 5 décembre 2022.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 janvier 2023, la société AC 030 demande à la cour de réformer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions et, statuant de nouveau,

- d'ordonner à Mme [S] de lui communiquer, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, les pièces suivantes :

* la copie certifiée conforme à l'original du ou des contrats de travail la liant au groupe Menway,

* ses fiches de paie établies par le groupe Menway depuis son embauche jusqu'à la date de l'audience,

- de débouter Mme [S] de l'intégralité de ses demandes,

- de la condamner à lui payer la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel et aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 janvier 2023, Mme [S] demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a réservé le sort des dépens qui suivront le sort de ceux de l'instance au fond et dit qu'à défaut, chaque partie conservera la charge de ceux qu'elle a engagés dans le cadre du référé et, sttatuant à nouveau,

- constater que la société AC 030 ne justifie par d'un intérêt légitime,

- débouter la société AC 030 de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société AC 030 à lui payer la somme de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société AC 030 aux dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale

Pour solliciter l'infirmation de la décision déférée, la société fait valoir que le contrat de travail de la salariée ayant pris fin le 9 novembre 2021, cette dernière est liée par la clause de non-concurrence jusqu'au 9 novembre 2023.

Elle soutient que le procès-verbal de constat versé à la procédure démontre que Mme [S] communique publiquement depuis décembre 2021 sur sa nouvelle activité de directrice de zone région Nouvelle-Aquitaine au sein du groupe Menway qui exerce une activité concurrente à la sienne.

Elle affirme que ce groupe dispose de trois agences en région Nouvelle-Aquitaine situées à [Localité 3], [Localité 4], [Localité 6], au sein des départements visés par la clause de non concurrence.

A l'appui de sa demande de communication des documents sollicités, elle considère justifier d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile en ce que le groupe Menway et les sociétés qui le constituent, exercent une activité d'agence d'intérim ou de conseil en matière de recrutement et de gestion des ressources humaines qu'elle prétend concurrente à la sienne.

La société ajoute que les dispositions de l'article 146 du code de procédure civile que lui oppose la salariée sont sans application lorsque le juge est saisi sur le fondement de l'article 145 du même code et soutient ne pas être tenue au paiement de l'indemnité compensatrice de non-concurrence dès lors que la salariée a violé l'obligation de non-concurrence dès le mois de décembre 2021, soit avant l'exigibilité du premier terme de ladite indemnité, fixée à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la rupture du contrat de travail.

La société conclut que la salariée s'abstient de démontrer que l'action de l'employeur serait vouée à l'échec, condition pour que soit rejetée la demande de mesure d'instruction en vertu de l'article 145 du code de procédure civile.

Sollicitant la confirmation de la décision entreprise et le rejet des demandes de la société, Mme [S] oppose l'exception d'inexécution de l'article 1219 du code civil en raison du non-versement de la contrepartie financière de la clause de non concurrence insérée au contrat de travail dont l'exigibilité était fixée au départ effectif de l'entreprise. Elle affirme que la société n'a pas versé l'indemnité ni à la date de la rupture du contrat de travail, soit entre le 10 et le 30 novembre 2021, ni à l'échéance du trimestre échu suivant la date de son départ, soit le 28 février 2022.

Elle ajoute que cette indemnité, d'un montant ne correspondant pas à celui prévu par le contrat de travail, a été versée tardivement, soit le 20 avril 2022. Elle considère en conséquence être libérée de son obligation à l'égard de la société de sorte que cette dernière ne peut justifier d'aucun motif légitime au soutien de sa demande de mesure d'instruction. Mme [S] argue en outre d'un préjudice du fait de cette procédure, affirmant que son nouvel employeur l'a licenciée à la suite des sommations de communiquer dont il a été destinataire.

* * *

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

La demande doit reposer sur des faits précis, objectifs et vérifiables qui permettent de projeter le litige futur - qui peut n'être qu'éventuel -, comme plausible et crédible. Il appartient donc aux requérants de rapporter la preuve d'éléments suffisants à rendre crédibles leurs allégations et à démontrer que le résultat de la mesure à ordonner présente un intérêt probatoire.

En l'espèce la clause de non-concurrence est ainsi rédigée :

«'Compte tenu de la nature de ses fonctions la mettant en rapport avec la clientèle, compte tenu des connaissances acquises au sein de la société AC030, Madame [P] [S], s'engage postérieurement à la cessation de son contrat de travail, quelle quen soit la cause et quelque époque que ce soit, y compris pendant la période d'essai, à ne pas exercer directement ou indirectement de fonctions similaires ou concurrentes de celles exercées au sein de la société.

Madame [S] s'engage donc à ne pas travailler, en qualité de salariée ou non salariée, pour une entreprise concurrente, à ne pas créer directement ou indirectement, par personne interposée, d'entreprises ayant des activités concurrentes ou similaires.

Cette interdiction de concurrence est limitée à une durée de 24 mois. Sur le plan territorial, cette clause de non~concurrence porte sur le département où la salariée exerce ses fonctions, ainsi que les départements limitrophes, à savoir : Gironde (33), Charente-Maritime (17), Dordogne (24), Lot-et-Garonne (47), Landes (40).

Dans le cas d'un changement d'affectation au sein d'un autre établissement de l'entreprise AC030, la couverture territoriale s'étendra au département où s'exerceront les fonctions, ainsi qu'aux départements limitrophes.

Le non-respect de la clause de non concurrence expose la salariée au paiement :

- d'une indemnité à titre de clause pénale, égale à un mois de salaire mensuel moyen (perçus au cours des 12 derniers mois passés au service de la société AC030) par mois pendant lesquels l'infraction à la présente clause est commise ;

- d'une astreinte (clause pénale égale à 160 € par jour de retard mis à cesser l'infraction), à compter de la mise en demeure qui aura été signifiée par tout moyen (LR, Huissier. ),

- de dommages et intérêts que la société réclamerait pour compenser le préjudice subi.

Contrepartie financière :

En contrepartie de l'engagement de non concurrence pris, la salariée percevra après la cessation effective de ses fonctions et pendant toute la durée de cette interdiction une indemnité compensatrice dont le montant mensuel ne pourra être inférieur à 25 % de la moyenne mensuelle de la rémunération brute perçue au cours des trois derniers mois.

Cette contrepartie sera versée à trimestre échu.

Toute violation de l'interdiction de concurrence, libérera la société du versement de cette contrepartie et rendra la salariée redevable envers elle des remboursements de ceux qu'elle aurait pu recevoir à ce titre et cela indépendamment des sanctions et pénalités prévues ci-dessus.'»

La relation de travail a pris fin le 9 novembre 2021 à la suite d'une rupture conventionnelle,

Contrairement à ce que soutient l'intimée, il était prévu le versement d'une contrepartie financière à trimestre échu soit à compter du 9 février 2022.

Mme [S] s'est présentée sur les réseaux sociaux en qualité de directrice de zone, Région Nouvelle-Aquitaine du groupe Menway en contrat à durée indéterminée à compter de décembre 2021, soit avant l'expiration du trimestre échu pour percevoir la contrepartie financière liée à la clause de non-concurrence figurant au contrat de travail.

Les extraits K-Bis du groupe Menway démontrent l'existence de quatre sociétés Menway Holding, Menway Emploi, Menway Emploi IDF et Menway Conseil. Ces trois dernières sociétés ont pour activité la délégation de personnel intérimaire et toutes opérations relatives à cet objet, la mise à disposition de tous employeurs de tout personnel, le conseil, l'assistance l'étude en matière de stratégie de carrière, de ressources humaines, d'organisation et de gestion du personnel, de recrutement notamment.

Ces sociétés exercent donc bien une activité concurrente de celle de la société appelante.

Par ailleurs, la zone géographique d'intervention dans le cadre de son nouvel emploi, affichée par Mme [S] sur les réseaux sociaux, correspond en tous points à la délimitation géographique figurant à la clause de non-concurrence prévue par l'avenant contractuel.

Enfin, les sommations interpellatives délivrées à la demande de l'appelante tant à la salariée qu'aux sociétés du groupe Menway sont demeurées vaines.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits que la société souhaite éventuellement prouver, à savoir la violation de la clause de non-concurrence par l'intimée, sont pertinents et utiles en ce qu'ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la solution d'un probable litige.

En conséquence, la société appelante présente au soutien de sa demande un motif légitime d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre l'issue du litige, qu'elle n'a pu obtenir par d'autres moyens qu'en sollicitant la mise en oeuvre d'une mesure d'instruction.

Il convient donc de faire droit à la demande de la société appelante, dans les termes précisés au dispositif, en réduisant cependant l'astreinte sollicitée à de plus justes proportions, et d'infirmer la décision de première instance.

Sur les autres demandes

Mme [S], partie perdante à l'instance, supportera les dépens et sera condamnée à verser à la SARL AC 030 la somme de 1.500 euros.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

INFIRME l'ordonnance entreprise,

Statuant à nouveau,

Ordonne à Mme [S] de communiquer à la SARL AC 030 :

- la copie certifiée conforme à l'original du ou des contrats de travail la liant au groupe Menway,

- ses fiches de paie établies par le groupe Menway depuis son embauche jusqu'à la date de communication,

Dit que cette communication devra intervenir au plus tard dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision, sous peine passé ce délai d'une astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard, pendant une durée de trois mois, passé lequel déali, il sera à nouevau fait droit à la requête de la partie la plus diligente,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne Mme [S] aux dépens ainsi qu'à verser à la SARL AC 030 la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 22/04886
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;22.04886 ?
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