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05/04/2023 | FRANCE | N°19/06492

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 05 avril 2023, 19/06492


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 05 AVRIL 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/06492 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLMI













Monsieur [X] [Y]



c/



SAS SGS FRANCE

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :



à

:

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 novembre 2019 (R.G. n°F 17/01901) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 11 décembre 2019,





APPELANT :

Monsieur [X] [Y]

né le 27 Octobre 1979 à [Localité 9] de nationalité Française...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 05 AVRIL 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/06492 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLMI

Monsieur [X] [Y]

c/

SAS SGS FRANCE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 novembre 2019 (R.G. n°F 17/01901) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 11 décembre 2019,

APPELANT :

Monsieur [X] [Y]

né le 27 Octobre 1979 à [Localité 9] de nationalité Française

Profession : Directeur d'agence, demeurant [Adresse 2]

représenté et assisté de Me Caroline DUPUY, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS SGS France, prise en la personne de son représentant légal domicilié en

cette qualité au siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 552 031 650

représentée par Me Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX,

assistée de Me Philippe ROZEC de l'AARPI DE PARDIEU BROCAS MAFFEI, avocat au barreau de PARIS, substitué par Me DE RINCQUSEN

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 13 février 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : S. Déchamps

Greffier lors du prononcé : AM Lacour Rivière

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [X] [Y], né en 1979, a été engagé en qualité de contrôleur maritime par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 septembre 2004 au sein de la SAS SGS AGRI MIN, fusionnée depuis au sein de la SAS SGS France, qui effectue des missions d'inspection des matières premières agricoles destinées au commerce international ou aux industriels du secteur agro-alimentaire.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite convention Syntec.

A compter du 1er octobre 2007, M. [Y] a accédé au poste de responsable des opérations Atlantique Minerals Services, bénéficiant du statut cadre, annexe 2, position I.1, coefficient 95 et étant placé sous le régime d'un forfait annuel de 218 jours.

Par avenant en date du 15 septembre 2010, il a été nommé directeur agence MIN région Atlantique ainsi que directeur technique MIN France, position II.2, coefficient 130.

A compter du 1er janvier 2015, M. [Y] a été nommé directeur MIN région Normandie / Bretagne. L' avenant conclu entre les parties prévoyait une rémunération forfaitaire de 3.259 euros et, sans modifier le forfait annuel en jours, précisait l'existence d'un suivi régulier de la charge de travail et d'un entretien annuel individuel à ce sujet.

Dans un courriel du 4 janvier 2017, M. [Y] a fait part au directeur des ressources humaines de la société de son état d'épuisement.

Du 5 janvier 2017 au 16 juin 2017, M. [Y] a été placé en arrêt de travail.

Lors de la visite médicale de reprise du 19 juin 2017, M. [Y] a été déclaré inapte en une seule visite par le médecin du travail, l'avis d'inaptitude précisant que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Par courrier recommandé en date du 26 juin 2017, la société SGS France a proposé un poste de reclassement de directeur technique à M. [Y] auquel ce dernier n'a pas donné suite.

Par lettre datée du 7 juillet 2017, M. [Y] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 19 juillet 2017.

Il a indiqué ne pas pouvoir s'y rendre en raison de son état de santé et a ensuite été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre datée du 24 juillet 2017.

Le 3 mai 2018, M. [Y] a sollicité de la société une régularisation de son attestation Pôle Emploi, ce qui lui a été refusé. Après avoir écrit directement à Pôle Emploi, il a obtenu la production de ses bulletins de paie avec un nouvel avis de prise en charge revoyant ses droits à la hausse.

A la date du licenciement, M. [Y] avait une ancienneté de 13 ans et la société occupait à titre habituel plus de 11 salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, des rappels de salaires, notamment au titre d'heures supplémentaires et au titre de la contrepartie obligatoire de repos, des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité, M. [Y] a saisi le 12 décembre 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 8 novembre 2019, a :

- jugé que la demande de M. [Y] au titre du rappel sur heures supplémentaires pour les années 2015 et 2016 est recevable et qu'elle est bien fondée,

- condamné en conséquence la société SGS France à régler à M. [Y] les sommes

suivantes :

* 12.530,19 euros à titre de rappel pour heures supplémentaires au titre de l'année 2015,

* 1.253,01 euros à titre d'indemnités compensatrice de congés payés au prorata,

* 10.235,97 euros à titre de rappel pour heures supplémentaires au titre de l'année 2016,

* 1.023,59 euros à titre d'indemnités compensatrice de congés payés au prorata,

* 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit, conformément aux dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois, cette moyenne étant de 7.889,28 euros,

- débouté M. [Y] du surplus et de ses plus amples demandes,

- débouté la société SGS France de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société SGS France aux dépens.

Par déclaration du 11 décembre 2019, M. [Y] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre adressée par le greffe aux parties le 12 novembre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 septembre 2022, M. [Y] demande à la cour de :

- réformer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 8 novembre 2019 et condamner la société SGS France au versement des sommes suivantes :

* à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail : 18*4.047,58 = 72.856,44 euros,

* à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

et violation de l'obligation de sécurité : 6*4.047,58 : 24.285,48 euros,

* au titre de la contrepartie obligatoire de repos pour l'année 2015 : 7.802,83 euros et pour l'année 2016 : 5.460,83 euros,

* à titre de rappel sur gratifications d'astreintes pour 2015 : 2.490 euros et pour 2016 : 2.305 euros,

* au titre de l'indemnité compensatrice de préavis : 4.047,58*3 : 12.142,74 euros,

* au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés au prorata du préavis : 1.214,27 euros,

* à titre de rappel de salaire pour la période allant du 19 au 25 juillet 2017 : 4.047,58/31 x 7 : 913,96 euros,

* au titre de l'indemnité compensatrice au prorata de ce rappel de salaire : 91,39 euros,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déjà condamné la société SGS France au versement des sommes suivantes et débouter la société SGS France de son appel incident :

* à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées au cours de l'année 2015 : 12.530,19 euros,

* au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés au prorata de ce rappel de salaire : 1.253,01 euros,

* à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires effectuées au cours l'année 2016 : 10.235,97 euros,

* au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés au prorata de ce rappel de salaire : 1.023,59 euros,

* au titre de l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile : 800 euros,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société SGS France de sa demande au titre du remboursement d'un trop-perçu par M. [Y] à hauteur de 3.374,61 euros et, subsidiairement, limiter le montant de la restitution à hauteur de 171 euros,

- condamner enfin la société SGS France au versement d'une indemnité complémentaire de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile compte tenu des frais exposés en appel et débouter la société SGS France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société SGS France de l'ensemble de ses demandes formulées en cause d'appel,

- condamner la société SGS France aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 octobre 2020, la société SGS France demande à la cour au titre de l'appel incident de':

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en ce qu'il l'a condamnée à régler à M. [Y] les sommes de :

* 12.530,19 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2015 et de 1.253,01 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

* 10.235,97 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires pour l'année 2016 et de 1.023,59 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés,

- infirmer le jugement en qu'il n'a pas fait droit à la demande de la société SGS France au titre du trop-perçu à l'occasion de la rupture du contrat de travail de M. [Y],

- confirmer le jugement pour le surplus, en conséquence :

* ordonner le remboursement par M. [Y] à la société SGS France de la somme nette de 19.830,39 euros payée au titre de l'exécution provisoire de droit outre les intérêts légaux à compter de la date de la décision d'appel,

* condamner M. [Y] au remboursement de la somme de 3.374,61 euros au

titre du trop-perçu à la société SGS France outre les intérêts légaux à compter de la date de la décision d'appel,

* recevoir la société SGS France en sa demande au titre des frais irrépétibles et condamner M. [Y] à lui verser la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamner M. [Y] aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 13 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes en nullité du forfait jour et en paiement d'heures supplémentaires et de contrepartie obligatoire en repos pour les années 2015 et 2016.

- Sur la question de la validité de la convention de forfait

M. [Y] soulève l'illégalité du forfait jours auquel il a été soumis pour la période du 1er octobre 2007 au 24 juillet 2017 car une telle convention de forfait n'était pas prévue dans un accord d'entreprise, d'établissement ou de branche, la loi ne prévoyant pas de déroger aux dispositions sur le temps de travail par un simple accord cadre négocié au niveau du groupe.

En outre, l'accord de groupe invoqué par la société en date du 20 août 2000, modifié par avenant du 24 octobre 2005, ne prévoyait pas de clause de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition dans le temps du travail de l'intéressé et la protection de sa sécurité et de sa santé, ne prévoyant qu'un nombre maximal de jours et le temps de repos minimum.

M. [Y] s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour de cassation ayant jugé illégales en 2013 les dispositions de l'article 4 de l'accord Syntec du 22 juin 1999, estime que le forfait qui lui a été imposé l'était en violation avec les dispositions légales puisqu'il n'existait plus d'accord d'entreprise ni accord de branche permettant de prévoir cette clause de forfait.

Quant à la clause prévue à l'avenant au contrat de travail du 31 octobre 2014, si elle est bien prise en application du nouvel avenant cadre signé par les partenaires sociaux le 1er avril 2014 suite à l'illégalité de la précédente, elle n'était pas conforme aux exigences de cet accord cadre :

- en ce que M. [Y] ne remplissait pas les conditions d'application de cette clause, n'étant ni mandataire social, ni affecté à un poste de catégorie III, ni ne percevait une rémunération égale à au moins deux fois le plafond annuel de la sécurité sociale,

- en ce que l'employeur n'a pas mis en place un outil de suivi pour assurer le respect du temps de repos quotidien et hebdomadaire,

- en ce que la fréquence minimale de 2 entretiens par an sur l'organisation du temps de travail n'a pas été appliquée,

- en ce que l'employeur avait jusqu'au 31 novembre 2014 pour se mettre en conformité avec le nouvel avenant signé par les partenaires sociaux notamment sur les dispositions impératives, concernant notamment la mise en place d'un suivi du repos hebdomadaire et journalier, le respect du temps minimal de repos journalier à hauteur de 11 heures, le respect du temps minimal de repos hebdomadaire de 35 heures, l'affichage dans l'entreprise du début et de la fin de la période quotidienne et hebdomadaire de travail, la mise en place de la consultation des IRP sur le recours au forfait jours et d'un suivi médical spécifique et le respect du droit à la déconnexion du salarié, ce qu'il n'a pas fait.

La société soutient que le forfait jours figurant au contrat de M. [Y] est légal car, suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 24 avril 2013 concernant les conventions de forfait en jours dans la branche Syntec, par nouvel accord de branche du 1er avril 2014, les partenaires sociaux ont rendu d'application directe certaines dispositions dites impératives, tant pour les accords existants que pour ceux à venir, et même pour les entreprises dépourvues d'accord.

Dès lors, les dispositions relatives au champ d'application du forfait jours n'étaient applicables que de manière supplétive ; or la société soutient qu'elle disposait d'un accord de groupe sur l'aménagement du temps de travail du 20 août 2000, modifié par avenant du 24 octobre 2005, lequel prévoyait bien la possibilité pour M. [Y] d'en bénéficier en sa qualité de cadre de catégorie II.

La société rappelle en outre que l'avenant signé par M. [Y] en sa qualité de directeur MIN Région Normandie était postérieur à l'avenant Syntec du 1er avril 2014.

Sur les dispositions d'application immédiate, la société soutient que M. [Y] a bénéficié d'entretiens annuels au cours desquels a été abordée la question de la charge de travail.

***

Les articles L. 3121-39 et suivants du code du travail, applicables à la date des faits, disposaient que la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.

L'article L.3121-43 du code du travail, dans sa rédaction applicable au cas d'espèce prévoit, que peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année, dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L.3121-39 :

1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.

En l'espèce, l'accord de branche des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils et sociétés de conseils, dit accord Syntec, du 22 juin 1999 prévoyait l'application du forfait jours aux cadres étant au minimum à la position 3 de la classification ou bénéficiant d'une rémunération annuelle supérieure à deux fois le plafond de la sécurité sociale. L'avenant du 1er avril 2014 n'a pas modifié le champ d'application du forfait jours.

L'accord cadre de groupe de 2000 modifié en 2005 a prévu en son article 7 que le forfait jour concernerait tous les cadres, à l'exception des cadres de direction qui sont classés au minimum III dans la convention collective Syntec, dérogeant de manière moins favorable à l'accord de branche.

Le contrat de travail de M. [Y], à effet au 1er octobre 2007, le nomme en qualité de cadre, annexe II, position I.1 et le soumet à un aménagement du temps de travail en forfait jours faisant référence à la convention de branche Syntec et à l'accord de groupe SGS France du 20 août 2000.

Par avenant en date du 15 septembre 2010, M. [Y] est nommé sur des fonctions de directeur de l'agence Atlantique ainsi que directeur technique de la division Minerals, statut cadre, position II.2, coefficient 130, laissant les dispositions relatives au temps de travail inchangées.

A compter du 31 octobre 2014, M. [Y] a signé un avenant en qualité de directeur MIN Région Normandie / Bretagne avec effet au 1er janvier 2015, qui remplace le précédent avenant sur le temps de travail et le nomme cadre, position II.3, coefficient 150.

En l'absence de possibilité de prévoir une annualisation du temps de travail dans le cadre d'une convention de groupe avant le 22 août 2016, M. [Y] ne remplissait pas les conditions posées par l'accord de branche Syntec pour se voir proposer le bénéfice d'une annualisation de son temps de travail comme relevant du statut cadre I.1 alors que cet aménagement était prévu pour les cadres de niveau 3.

En revanche, à partir du 22 août 2016, les dispositions de l'accord de groupe prévalent sur les clauses de l'accord de branche ayant le même objet, que cet accord ait été conclu antérieurement ou postérieurement à l'accord de branche ; par conséquent, la clause de forfait jours pouvait valablement lui être appliquée en sa qualité de cadre de catégorie II.

*

En application de l'avenant de révision de l'article 4 de l'accord de branche Syntec en date du 1er avril 2014, des dispositions impératives doivent figurer dans les accords d'entreprise, notamment pour permettre un contrôle du temps de travail effectué et pour garantir la sécurité et la santé au travail, en laissant les anciens accords d'entreprise applicables sur les autres points, même s'ils étaient moins favorables que l'accord de branche.

Par avenant en date du 1er décembre 2014, M. [Y], devenu cadre de catégorie II, a signé une nouvelle clause individuelle de forfait jours, par référence au même accord cadre Syntec de 1999, sans mention du nouvel accord du 1er avril 2014 et renvoyant au même accord de groupe précédemment cité, pour un maximum de 218 jours, l'avenant au contrat ajoutant des paragraphes sur le contrôle du décompte des jours travaillés / non travaillés, à renseigner par le salarié sous le contrôle de la société pour acceptation et validation, sur la durée minimale de repos et sur la tenue d'un entretien annuel individuel.

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'un contrôle effectif de la charge de travail du salarié et de l'amplitude du temps de travail.

Or, si la société indique avoir mis en place un système de suivi de la durée et de la charge de travail des salariés par le biais du logiciel Melco RH, elle ne peut en produire les extraits concernant le temps de travail de M. [Y] sur les années 2015 et 2016 et ne peut donc démontrer qu'elle s'est effectivement assurée du suivi des temps de repos et de l'amplitude journalière de travail.

La société ne démontre pas plus avoir mis en place un suivi de la charge et de l'organisation de travail ni de l'organisation d'entretiens annuels avec le salarié portant sur la charge de travail de celui-ci, l'organisation du travail dans l'entreprise et l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale.

Il résulte en effet du seul entretien annuel d'appréciation des performances et compétences du salarié pour 2015, que contrairement à ce que prétend l'employeur, le document servant de support à l'entretien d'évaluation ne comporte aucune mention sur la charge de travail.

Ces dispositions impératives devaient être mises en oeuvre par la société dans les 6 mois de la publication de l'accord du 1er avril 2014 au Journal Officiel ; or, il ressort des éléments produits par la société qu'aucun contrôle des heures de travail n'a été mis en place permettant au salarié bénéficiant d'un forfait jours de déclarer ses horaires avec deux entretiens annuels minimaux organisés par la hiérarchie pour s'assurer de la charge de travail et de l'équilibre avec la vie personnelle.

Par voie de conséquence, il convient de confirmer la décision de première instance ayant considéré que la convention de forfait jours était sans effet à l'égard de M. [Y].

- Sur la question des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos

Pour voir confirmer la décision déférée qui a condamné la société au paiement des sommes de 12.530,19 euros au titre des heures supplémentaires pour l'année 2015 et de 10.235,97 euros au titre des heures supplémentaires pour l'année 2016, outre les congés payés y afférents, M. [Y] fait valoir avoir exercé trois postes en même temps, celui de directeur MIN Région Normandie/Bretagne, de directeur de l'agence Atlantique et de directeur technique division Minerals. Il soutient qu'il devait également intervenir en remplacement de nombreux collaborateurs sur son secteur, étant d'astreinte de permanence les nuits et week-end.

Au soutien de ses demandes, il verse ses agendas détaillés sur les années 2015 et 2016, comptabilisant certaines semaines 53 heures de travail effectif et appelle l'attention de la cour sur ses nombreux déplacements pour se rendre dans le cadre de l'exercice de ses fonctions à [Localité 12], [Localité 4], [Localité 11], ou [Localité 8], comme excédant le temps normal de trajet entre le domicile et son lieu de travail.

M. [Y] produit également trois courriels échangés avec sa hiérarchie en septembre 2012, janvier 2013 et février 2013 décomptant des heures hebdomadaires dépassant la durée légale ainsi que deux attestations de M. [M], conducteur de travaux et M. [G], ancien contrôleur vacataire, décrivant les grandes amplitudes des horaires de travail de M. [Y] pour le contrôle des opérations navire en '24/24 et 7/7 jours' et un 'rythme de travail effréné et difficilement soutenable compte tenu du faible effectif sans compter les personnes absentes, non remplacées et démissionnaires'. Les deux témoignages attestent ainsi de l'intervention de M. [Y] sur le terrain.

M. [Y] produit aussi deux courriels du 25 novembre 2016 et 22 décembre 2016 informant sa hiérarchie, suite à une demande d'intervention sur une mission de responsabilité technico-commerciale, que : 'compte tenu de l'absence (quasi chronique) de personnel (...) Je serai beaucoup trop mobilisé sur le terrain lundi dès 6h jusqu'à 14h, puis bureautique pour pourvoir assurer ces tâches commerciales' et encore le 23 décembre 2016 : 'aucune idée de ma disponibilité à venir car comme annoncé, il n'y a plus d'inspecteurs actuellement pour réaliser les prestations - et c'est un problème. En conséquence, dès qu'il y a deux opérations ou alors du travail en 6-22H, sois quasi sûr que je 'm'y colle'.

M. [Y] fait enfin valoir que n'ayant pas pu prendre tous ses jours de congés, il bénéficiait en janvier 2017 d'un cumul de 98,5 jours sur son CET.

Expliquant le calcul opéré pour ses demandes en paiement, M. [Y] indique avoir effectué sur l'année 2015, un total de 583,125 heures et ne pas avoir bénéficié des majorations y compris de 100% les dimanches et de la contrepartie obligatoire de repos au-delà de 220 heures sur 363,125 heures.

Sur l'année 2016, il comptabilise un total d'heures effectuées de 470,75 heures avec majorations appliquées et 250,75 heures dépassant les 220 heures par an.

***

La convention de forfait jours ayant été déclarée sans effet, M. [Y] est en droit de solliciter le paiement des heures supplémentaires réalisées selon le régime de droit commun.

Aux termes des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail et L. 3171-4 du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

M. [Y] produit des relevés hebdomadaires des heures de travail effectuées en 2015 et 2016, qui constituent des éléments suffisamment précis pour permettre à l' employeur de répondre et de justifier des horaires effectivement réalisés.

Pour s'opposer à la demande en paiement d'heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos, la société s'appuie sur la validité de la convention de forfait annuel en jours.

Subsidiairement, elle soutient que :

- M. [Y] ne justifie pas que ses temps de trajet pour se rendre sur le lieu de travail ou en revenir seraient du temps de travail effectif, comptabilisant ainsi des heures de route ou de TGV,

- M. [Y] produit des copies illisibles de ses agendas, portant parfois des ratures avec des chiffres ajoutés a posteriori, qu'il ajoute des heures de bureautique après des interventions sans démontrer qu'il aurait eu l'accord de son employeur pour effectuer ces heures supplémentaires,

- la convention Syntec prévoit une majoration des jours de travail les dimanches et jours fériés uniquement en cas de travail exceptionnel lesdits jours alors que les activités d'inspection et d'audit des cargaisons des navires étaient inhérentes aux activités d'inspection dans les ports. La société rappelle à ce titre que M. [Y] a déjà été rémunéré pour les journées habituellement travaillées les dimanches et jours fériés et ne peut prétendre à aucune majoration à ce tire.

*

En vertu de l'article L. 3121-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au présent litige, la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.

L'article L. 3121-4 du même code précise que le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif, mais s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière.

Enfin, les heures supplémentaires sont dues en cas d'accord implicite de l'employeur dès lors qu'elles correspondent à du travail entrant dans les missions du salarié et qu'elles sont rendues nécessaires par les tâches confiées aux salarié.

Il n'est pas contesté que les fonctions de M. [Y] l'amenaient à se déplacer dans différentes villes en région Sud-Ouest de [Localité 4] à [Localité 8] et Nord Ouest de [Localité 11] au [Localité 6].

Le contrat de travail ayant fixé le lieu de travail de M. [Y] à [Localité 3], son temps de trajet pour se rendre dans les différentes agences correspondait à des temps où il était soumis à la direction de son employeur sans qu'il puisse vaquer à ses occupations, de sorte que ces temps de trajets doivent être assimilés à du temps de travail effectif.

S'agissant des dimanches travaillés, la convention Syntec prévoit en son article 35.3 pour les ingénieurs et cadres, que les heures effectuées les dimanches et jours fériés sont rémunérées avec une majoration de 100 %, indépendamment des majorations résultant des heures supplémentaires éventuelles, sans que ce paiement soit conditionné à la réalisation d'un 'travail exceptionnel', comme le soutient la société, l'accord collectif se contentant de rappeler que le travail des dimanches et jours fériés doit résulter de 'circonstances exceptionnelles'.

Au vu de ces éléments et alors que la société est défaillante à justifier les horaires de travail de M. [Y], la cour a la conviction que celui-ci a effectué les heures supplémentaires qu'il revendique et que la société est redevable à son égard des sommes suivantes :

- 12.530,19 euros au titre des heures supplémentaires non payées pour l'année 2015 outre 1.253,01 euros au titre des congés payés afférents,

- 10.235,97 euros au titre des heures supplémentaires non payées outre celle de1.023,59 euros au titre des congés payés afférents pour l'année 2016.

Enfin, s'agissant de la contrepartie obligatoire en repos, s'il convient de se référer au contingent annuel de 220 heures supplémentaires invoqué par le salarié, ouvrant droit à une rémunération à 100% des heures effectuées au-delà de ce contingent pour les entreprises employant plus de 20 salariés, ce qui était le cas en l'espèce, le nombre d'heures de travail effectuées doit être calculé sans tenir compte des heures majorées.

La société est ainsi redevable au titre de la contrepartie obligatoire en repos des sommes de 4.308,34 euros pour l'année 2015 et de 2.602,46 euros pour l'année 2016.

Le jugement déféré sera confirmé sur les sommes allouées au titre des heures supplémentaires et des congés payés y afférents mais infirmé du chef de la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos.

Sur la demande en paiement au titre des astreintes pour 2015 et 2016

M. [Y] sollicite le paiement des astreintes qu'il effectuait en tant que cadre responsable, chargé de remplacer les inspecteurs en nombre insuffisant ou absents.

Il produit un courrier adressé à sa hiérarchie le 18 juin 2014 mentionnant qu'en raison de l'indisponibilité d'un collaborateur, il est intervenu le dimanche pour inspecter les cales d'un navire et que le week-end d'après, il remplacera le même collègue, ainsi que le courriel du 11 septembre 2016 où il indique être intervenu certains week-end sur [Localité 8] suite aux absences de deux collègues en congés d'été.

Il soutient avoir été d'astreinte 46 jours en 2015, dont 12 avec travail effectif, et 45 jours en 2016, dont 8 avec travail effectif.

Pour s'opposer aux demandes de M. [Y], la société soutient ne pas lui avoir demandé de réaliser ces astreintes, la présence des inspecteurs SGS n'étant pas systématique sur toutes les opérations de chargement et déchargement de navires.

***

L'article L. 3121-5 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, définit l'astreinte comme une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de

l'entreprise.

La durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif.

L'article L. 3121-8 du code du travail prévoit quant à lui que la programmation individuelle des périodes d'astreinte est portée à la connaissance de chaque salarié concerné 15 jours à l'avance, sauf circonstances exceptionnelles et sous réserve que le salarié en soit averti au moins un jour franc à l'avance.

Aux termes de l'article R. 3121-2 du code du travail, en fin de mois, l'employeur doit établir et remettre au salarié un document récapitulant le nombre d'heures d'astreintes accomplies par lui au cours du mois écoulé, ainsi que la compensation correspondante.

Contrairement à ce que soutient la société, le déplacement et la nécessité de la présence de M. [Y] en sa qualité d'inspecteur SGS pour valider l'inspection sont attestés par les rapports signés par M. [Y] à bord et par le commandant du navire en 2015 pour 8 interventions et en 2016 pour 5 interventions.

La société ne produit aucun décompte alors qu'il lui appartenait de le faire pour chaque salarié mais aussi en amont de mettre en place un planning.

M. [Y] produit des échanges de courriels permettant d'établir qu'aucun calendrier d'astreinte n'avait été fait par la direction, ce dont elle convenait. Il verse également le bulletin de salaire de M. [M] de juin 2015 qui porte mention d'une astreinte de 90 euros pour le mois, démontrant que la société rémunérait les astreintes.

Conformément à la rémunération des astreintes fixées par le DRH dans son courriel du 27 décembre 2013, M. [Y] a déjà été indemnisé des jours travaillés les dimanches décomptés dans les heures supplémentaires ci-avant et peut obtenir une indemnisation pour la sujétion d'astreinte avec déplacement d'un montant de 80 euros et d'une indemnisation pour les jours d'astreinte sans déplacement d'un montant de 45 euros, étant resté à disposition de l'employeur, chez lui, les bulletins de paie produits attestant de l'absence de versement de toute prime d'astreinte sur l'année 2016 et l'employeur étant défaillant dans la production des bulletins de paie de 2015.

En compensation des astreintes effectuées telles que listées par M. [Y] sans déplacement, et non rémunérées, la société sera condamnée à verser à M. [Y] la somme de 2.490 euros pour 2015 et celle de 2.305 euros pour 2016.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur la demande en paiement au titre du rappel de salaire du 19 au 25 juillet 2017

M. [Y] sollicite le paiement du salaire auquel il avait droit à l'issue du délai d'un mois suivant la constatation de son inaptitude par le médecin du travail.

La société ne conteste pas cette demande.

***

En application de l'article L. 1226-4 du code du travail, au vu du certificat du médecin du travail en date du 19 juin déclarant M. [Y] inapte à reprendre tout emploi, du licenciement de M. [Y] le 25 juillet 2017 et de son bulletin de paie du mois de juillet 2017, il sera fait droit à sa demande de rappel de salaire pour la période du 19 au 25 juillet et la société sera condamnée à lui verser la somme de 913,96 euros outre 91,39 euros au titre des congés payés y afférents.

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail et la violation de l'obligation de sécurité

Pour voir condamner la société à lui verser la somme de 24.285,48 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'exécution déloyale du contrat de travail et violation de l'obligation de sécurité, M. [Y] invoque le comportement fautif de l'employeur soulignant :

- que l'employeur l'a contraint à travailler à un rythme effréné, en cumulant des fonctions à haute responsabilité et en le plaçant dans une situation de sous-effectif chronique,

- qu'il l'a rémunéré pendant 10 ans sur la base d'un forfait illégal, sans paiement des heures supplémentaires ni astreintes,

- qu'il s'est abstenu d'assurer le suivi de la charge de travail et est resté sourd aux différentes alertes,

- qu'il a maintenu une pression permanente sur les résultats et l'a privé de l'accès à sa messagerie à compter d'avril 2017.

M. [Y] soutient que ce comportement fautif l'a conduit à un burn out et à une période de 5 mois d'arrêt de travail pour maladie, exposant avoir alors été sous traitement antidépresseur et anxiolytique.

M. [Y] invoque aussi le comportement déloyal de la société qui, après la rupture du contrat de travail, lui a remis une attestation Pôle Emploi erronée qu'elle a refusée de régulariser.

La société s'oppose aux demandes de M. [Y] en l'absence de démonstration de son comportement fautif ou déloyal, aucune pièce médicale ne mettant en lien son inaptitude médicale et son origine professionnelle.

Elle soutient au contraire avoir toujours adopté un comportement loyal invoquant les éléments suivants :

- M. [Y] ne s'est jamais plaint de ses conditions de travail ou d'une surcharge de travail ;

- il entretenait des bonnes relations avec sa hiérarchie, laquelle a été attentive aux remarques qu'il pouvait faire ;

- il a bénéficié des moyens nécessaires pour accomplir ses fonctions, les collaborateurs qui ont quitté l'entreprise en 2016 ont été remplacés, la société ne pouvant être responsable des postes restés vacants temporairement ;

- pour le décharger des tâches administratives et pour lui permettre de se concentrer sur les aspects commerciaux et techniques, il a été promu au poste de responsable des opérations à compter du 1er avril 2016 ;

- il a lui-même tenu des propos brutaux et dénigrants notamment envers une collègue, Mme [L] ;

- la société a dû 'recadrer' M. [Y] sur son comportement et l'amener à travailler sur sa communication, lui reprochant de mettre la pression sur ses collaborateurs et lui a financé une formation sur le coaching en 2015.

***

En vertu de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

A ce titre, l'employeur a un devoir de loyauté dans l'exécution du contrat de travail aussi bien en ce qui concerne tant la mise en oeuvre du contrat que l'application de la législation du travail.

Par ailleurs, selon l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version applicable au moment des faits, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur doit veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

L'article L. 4121-2 du code du travail détermine les principes généraux de prévention sur le fondement desquels ces mesures doivent être mises en oeuvre.

Il en résulte que constitue une faute contractuelle engageant la responsabilité de l'employeur le fait d'exposer un salarié à un danger sans avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés alors que l'employeur doit assurer l'effectivité de l'obligation de sécurité qui lui incombe en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise

En l'espèce, les tableaux faisant apparaître de manière récurrente des dépassements des durées légales journalière et/ou hebdomadaire du travail ne sont pas utilement démentis par la société ainsi qu'il l'a déjà été relevé, M. [Y] ayant effectué 420,5 heures de travail sur l'année 2015 et 339 heures sur l'année 2016, comprenant des week-end, des temps de déplacement importants dans les différents ports de la façade Atlantique, des remplacements sur le terrain et le cumul de trois postes de direction depuis 2007.

La société ne peut ainsi valablement soutenir avoir promu M. [Y] à un poste de responsable des opérations pour lui permettre de se concentrer sur les aspects commerciaux et techniques alors qu'en réalité, cette promotion ne le déchargeait pas de ses anciennes fonctions, le plaçant dans une situation de cumul de trois postes.

M. [Y] avait par ailleurs alerté sa hiérarchie sur ses plages horaires importantes dans plusieurs courriels dont celui du vendredi 28 septembre 2012 dans lequel il écrit : 'quant à moi je reprends mon marathon (ayant à hier soir 50H de travail sur le terrain depuis lundi, je ne compte pas mon dimanche- ça n'est pas une complainte mais un fait) avec la finition d'un navire d'engrais dès 6H, et la reprise des chargements de BigBags à 8h (...).

Tout allant bien je suis sensé me rendre sur [Localité 10] échantillonner des BBags de grenaille de cuivre (...) puis [Localité 4] pour leurs analyses.

Reste à confirmer le travail de samedi avec potentiellement des chargements de BB en 6-22H (pas de renforts petro possibles) à [Localité 5] et un navire d'engrais liquide samedi soir 23h à [Localité 7].

Et nous avons dès lundi 2 navires d'engrais à [Localité 7] ( et les BB à bordeaux si pas terminés)'.

Dans l'échange de courriels des 27 et 28 janvier 2013, M. [Y] s'étonne d'un message figurant sur le logiciel Melco RH le courrier du 27 janvier 2013 ainsi rédigé : 'Je reconnais avoir respecté les plafonds de durée de travail légaux (...) puis ajoute : ' (...) Pour résumer voilà ma situation depuis 2013 :

- 'semaine 1 : 40 h (sans comptabiliser le 1er janvier)

- semaine 2 : 57h30 (travail du samedi et dimanche inclus),

- semaine 3 : 53h30,

semaine 4 : 55h30 (travail de dimanche inclus)

avec des journées parfois de 14h30.

Nous sommes loin des plafonds décrits'.

D'autres courriels ont été adressés au sujet de l'absence d'un collègue nécessitant son intervention le week-end.

Ces différentes alertes de M. [Y] n'ont pas entraîné de changement de la direction, qui n'a pas reçu le salarié pour un entretien quant à sa charge de travail, n'a pas mis en place un décompte d'heures, ni répondu à ses demandes de mettre en place les effectifs nécessaires à la réalisation des objectifs, comme il l'avait mentionné explicitement sans son entretien d'évaluation de 2015.

Les courriels produits par la société, traduisant des échanges cordiaux dans un cadre professionnel et le ton 'brutal' adopté par M. [Y] dans certains de ses échanges avec Mme [L], ne permettent pas d'atténuer les manquements fautifs de l'employeur à ses obligations ni de l'exonérer du non-respect de celles-ci pas plus que le financement d'une formation de deux jours en 2015 qui répond à l'obligation de formation de la société, étant rappelé que M. [Y], invoquant sa charge de travail, avait indiqué ne pas pouvoir assumer le volet commercial de son activité qu'il lui avait été demandé de développer en avril 2016.

Ces dépassements importants d'horaire étaient à eux seuls de nature à altérer la santé du salarié, M. [Y] ayant été placé en arrêt de travail pour maladie, le lendemain de la dernière alerte faite au directeur des ressources humaines dans lequel il lui indiquait être 'au bord de l'épuisement professionnel', l'arrêt de travail ayant perduré durant 5 mois, au terme duquel le médecin du travail conclura à l'inaptitude du salarié à reprendre son poste en une seule visite.

M. [Y] justifie par ailleurs que la société lui a remis une attestation Pôle Emploi comportant les salaires perçus au jour de son licenciement en mentionnant les 6 derniers mois alors qu'il était en arrêt de travail pour maladie, et qu'elle aurait ainsi dû faire partir les premiers salaires de son dernier jour travaillé de janvier 2017. Cette attestation n'a été modifiée et régularisée qu'en mai 2018, ce retard occasionnant un préjudice financier à M. [Y].

En compensation du préjudice subi par M. [Y], et alors que l'exposition du salarié au danger pour sa santé suffit à caractériser le comportement fautif de l'employeur, il lui sera alloué une indemnité de 10.000 euros.

Sur la rupture du contrat de travail

M. [Y] invoque l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement pour inaptitude, dès lors que celle-ci découle d'une part, du comportement fautif de l'employeur au regard de ses obligations de sécurité et, d'autre part, du manquement à son obligation de reclassement. M. [Y] relève en effet que la seule proposition faite est déloyale car elle concernait le poste de directeur technique, soit un des 3 postes occupés au moment de la rupture du contrat, proposition, qui de surcroît n'a pas été soumise au médecin du travail.

La société s'oppose aux demandes de M. [Y], en raison, d'une part, de l'absence de preuve d'un lien entre l'exécution du contrat de travail et l'état de santé de M. [Y] et, d'autre part, en soutenant avoir respecté les dispositions du code du travail relatives à la procédure de licenciement pour inaptitude et alors que le médecin du travail l'avait déclaré inapte à tout reclassement dans un emploi, n'ayant donc aucune obligation de rechercher un autre emploi à M. [Y]. En tout état de cause, il lui a été proposé un poste de reclassement qui aurait pu servir de base à un premier échange pour clarifier le profil du poste.

- Sur le manquement à l'obligation de sécurité comme cause de l'inaptitude du salarié

Le licenciement pour inaptitude médicalement constatée est dénué de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

M. [Y] produit un courriel du 4 janvier 2017 dans lequel il fait part à son employeur d'un épuisement professionnel, sans cependant verser aux débats ni son arrêt de travail initial ni les arrêts de prolongation.

Il s'appuie sur la visite auprès du médecin du travail qu'il a sollicité le 18 mai 2017, au moment de sa reprise et au cours de laquelle il a fait part de la charge de travail, de ce que la direction demanderait plus de rendement et qu'il ne pouvait prendre ni repos ni congés, ainsi que sur l'avis établi par le médecin du travail le 19 mai 2017 concluant à une inaptitude totale faisant obstacle à tout reclassement dans un emploi.

M. [Y] verse également le courrier du 31 mai 2017 du Dr [B], psychiatre qui le suit depuis le 13 janvier 2017, adressé au médecin du travail faisant part d'un syndrome dépressif sur un terrain de trouble de l'anxiété généralisé et de ce qu'en mai 2017, M. [Y] présentait toujours des 'ruminations anxieuses avec des idées négatives obsédantes sur le thème du travail avec un trouble de l'adaptation avec le développement de symptôme dans le registre émotionnel qui l'invalide au quotidien : manque de confiance, angoisse, troubles mnésiques de concentration...'. Le médecin concluait 'dans ces conditions, je pense que la reprise du travail dans cette entreprise risque d'entraîner une décompensation de son état psychique'.

Si la dégradation de l'état de santé de M. [Y] est établie par les pièces versées, en revanche, il n'est pas démontré que celle-ci résulte du manquement de l'employeur à ses obligations de sécurité et à la dégradation de ses conditions de travail, aucune pièce médicale ne venant l'établir, ni que l'inaptitude médicalement constatée est consécutive au manquement préalable de l'employeur qui l'aurait provoquée, l'avis du médecin du travail n'en faisant aucunement mention.

- Sur l'obligation de reclassement

Aux termes des dispositions de l'article L. 1226-2 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date du licenciement, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte, après avis des délégués du personnel lorsqu'ils existent, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise. Le médecin du travail formule également des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d'une formation le préparant à occuper un poste adapté.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

Lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.

L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

En l'espèce, l'avis du médecin du travail en date du 19 juin 2017 déclarait le salarié inapte en une seule visite et mentionnait que 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.'

De sorte que la société n'étant pas tenue de proposer de poste de reclassement à M. [Y], il ne saurait lui être reproché d'avoir proposé un poste de manière déloyale qui correspondait en réalité à un des trois postes qu'il occupait précédemment.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

- Sur les demandes financières au titre de la rupture du contrat

Le licenciement reposant une cause réelle et sérieuse, les demandes financières de M. [Y] à ce titre seront rejetées et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle en remboursement d'un trop-perçu sur le solde de tout compte

La société invoquant son erreur sur le versement de l'indemnité de licenciement sollicite le remboursement de la somme de 3.374,61 euros, déduction faite de la somme réclamée au titre du rappel de salaire sur la période comprise entre le 19 et le 24 juillet 2017.

Elle soutient que s'agissant d'une inaptitude d'origine non professionnelle, aucun préavis n'était dû et que la prime variable de 1.200 euros n'a pas à être prise en compte pour le calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Par ailleurs, en raison du décalage de la paie, n'auraient pas été déduits les 18 jours d'absence pour maladie du mois de juillet (1.943,46 euros) et les absences en raison de sa sortie des effectifs en cours de mois du 24 au 31 juillet 2017, soit 5 jours ouvrables (772,45 euros).

***

Conformément à la convention collective applicable, le mois de rémunération servant de calcul pour l'indemnité de licenciement s'entend du 1/12ème de la rémunération des 12 derniers mois précédant la notification de la rupture du contrat de travail, incluant les primes prévues par les contrats, ce qui était le cas du bonus 'target', dont le montant de 1.200 euros n'est pas contesté.

S'agissant des bulletins de paie de M. [Y], la société justifie avoir versé à tort une somme de 171 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement de sorte que M. [Y] en est redevable..

Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société SGS France, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à M. [Y] de la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles

exposés en cours d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [Y] de ses demandes au tittre de la contrepartie obligatoire de repos pour les années 2015 et 2016, de rappel sur gratifications d'astreintes pour les mêmes années, de rappel des salaires entre le 19 et 25 juillet 2017 et de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat et violation de l'obligation de sécurité,

Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmés,

Condamne la SAS SGS France à verser à M. [Y] les sommes suivantes :

- 4.308,34 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2015,

- 2.602,46 euros bruts au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour l'année 2016,

- 2.490 euros au titre des astreintes pour l'année 2015,

- 2.305 euros au titre des astreintes pour 2016,

- 913,96 euros bruts au titre du rappel de salaire entre le 19 et 25 juillet 2017,

- 91,39 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'emplyeur à ses obligations d'exécution loyale du contrat et de sécurité,

Condamne M. [Y] à rembourser à la SAS SGS France la somme de 171 euros bruts,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SAS SGS France aux dépens ainsi qu'à verser à M. [Y] la somme complémentaire de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/06492
Date de la décision : 05/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-05;19.06492 ?
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