COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 29 MARS 2023
PRUD'HOMMES
N° RG 20/00696 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOJT
Madame [P] [G]
c/
GFA AUX ENFANTS DE LA TERRE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 janvier 2020 (R.G. n°19/00007) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 février 2020,
APPELANTE :
Madame [P] [G], née le 01 Octobre 1975 à [Localité 7] de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
représentée par Me Michèle BAUER, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
GFA aux Enfants de la Terre, pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
N° SIRET : 819 811 712
représenté par Me Emilie VAGNAT de la SELARL EV AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche conseillère, chargée d'instruire l'affaire,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
Madame Bénédicte Lamarque, conseillère
Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le groupement foncier agricole (GFA) Aux Enfants de la Terre, créé en 2016 avec pour projet d'exploiter une activité d'agro-tourisme, a pour gérant M. [A] et pour associée, la société Mercury International Consulting, dont M. [C] est l'actionnaire principal et réside sur place.
Entretenant une relation amoureuse avec M. [C], rencontré à la fin de l'année 2017, Mme [P] [G], née en 1975, s'est séparée de lui en juillet 2018 après avoir déposé plainte à son encontre notamment pour des faits de violences.
Cette plainte, initialement classée sans suite, a été réitérée dans le cadre d'un dépôt de plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction de Bordeaux, lequel a renvoyé M. [C] le 14 mars 2022 devant le tribunal correctionnel pour des faits de violences commis par concubin n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail supérieure à 8 jours.
Entretemps, le 11 octobre 2019, M. [C] et le GFA Aux Enfants de la Terre ont déposé une plainte à l'encontre de Mme [I] [S] pour dénonciation calomnieuse.
Le 30 juillet 2018, Mme [I] [S] a adressé un courrier au GFA pour solliciter la régularisation de sa situation, obtenir son contrat de travail, le paiement de ses salaires et la mise en oeuvre d'une procédure de rupture conventionnelle à défaut de laquelle, elle entendait demander une résiliation judiciaire de son contrat de travail.
N'ayant obtenu aucune réponse du GFA, Mme [I] [S] a saisi le 3 janvier 2019 le conseil de prud'hommes de Bordeaux pour voir reconnaître l'existence d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein de janvier à juillet 2018, la résiliation judiciaire de ce contrat aux torts du GFA ainsi que le paiement de diverses indemnités et rappels de salaire outre la remise des bulletins de salaire et des documents de fin de contrat sous astreinte.
Par jugement rendu le 10 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :
- débouté Mme [I] [S] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté le GFA Aux Enfants de la Terre de ses demandes reconventionnelles,
- condamné Mme [I] [S] aux dépens.
Par déclaration du 7 février 2020, Mme [I] [S] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 décembre 2022, Mme [I] [S] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes rendu le 10 janvier 2020 en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- de statuer à nouveau en raison de l'existence d'un lien de subordination entre le GFA Aux Enfants de la Terre et elle-même et, par conséquent, d'un contrat de travail à temps plein,
- de condamner le GFA Aux Enfants de la Terre à lui payer les sommes suivantes :
* 21.834 euros bruts à titre de rappel de salaire,
* 2.183,40 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,
* 21.834 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
- de résilier le contrat de travail la liant au GFA Aux Enfants de la Terre à la date de l'arrêt de la cour d'appel,
- de condamner le GFA Aux Enfants de la Terre à lui payer les sommes suivantes :
* 3.639 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 21.834 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 2.183,40 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
- d'assortir les sommes des intérêts de retard à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et de capitaliser les intérêts,
- de condamner le GFA Aux Enfants de la Terre à lui payer une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 septembre 2020, le GFA Aux Enfants de la Terre demande à la cour de':
- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 10 janvier 2020 en ce qu'il a débouté Mme [I] [S] de l'intégralité de ses demandes,
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 10 janvier 2020 en ce qu'il l'a débouté de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
Sur ce point et statuant de nouveau,
- condamner Mme [I] [S] à lui payer la somme de 2.500 euros à titre d'indemnité
sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [I] [S] aux dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 février 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Pour voir infirmer le jugement déféré, Mme [I] [S], qui conteste avoir vécu sur la propriété, soutient avoir réalisé, de janvier à juillet 2018, pour le compte du GFA intimé, un travail salarié à temps plein en qualité de chargée de projets, de communication et de développement commercial, en toute responsabilité et autonomie du fait de sa position de cadre de sorte qu'elle ne pourrait produire des directives bien précises.
Elle prétend avoir ainsi accompli de nombreuses tâches, pour le compte du GFA et de son gérant, à compter du 8 janvier 2018. Elle produit à cet effet une liste des missions (pièce 38) qu'elle prétend avoir réalisées au titre d'actions en administration et communication marketing à raison de 25 heures hebdomadaires ce qui, en l'état, ne correspond pas au travail à temps plein revendiqué.
Cette liste comprend :
- des rendez-vous et des préparations de dossiers pour [Z] [T], l'office du tourisme, le maire de [Localité 8], une demande de fonds 'leader financements européens', demande de publication Sud-Ouest, montage dossiers Mimosa et Kisskiss Bank fin participatif, école alternative, projet Quincallière,briefings et debriefings projet au Starbucks, DRAC [Localité 5], demandes de subventions ;
- pour le site WEB AEDL : conception charte graphique du site et dessin du logo, réflexion sur l'ADN du site, arborescence, création du contenu, selection photos, recherche pour l'écriture ADN dans l'histoire des traditions agricoles du peuple berbère,
pour le parrainage 'pommiers' : écriture du projet à présenter sur le site, aide à la conception des flyers et permanence téléphonique, définition de la dimension éco-responsable du projet ;
- une veille concurrentielle sur l'offre touristique de la région, pour mise en place des parrainages d'arbres fruitiers, mise à jour des visuels du site AEDLT, appels téléphoniques et courriels, contacts récurrents avec le webdesigner 'goutduweb' et pour les aspects techniques liés aux paiements hors ligne lors des parrainages de pommiers,
un suivi des locations, la gestion des relations avec les sites proposant les gîtes et les chambres, la coordination des passages de la femme de ménage, airbnb, suivi des demandes de réservations, Wwoofing ;
- au titre de la communication autre : administration de la page Facebook, Wwoofing (création page, enregistrement suivi messagerie).
Le GFA affirme qu'aucun contrat de travail ne le lie à Mme [I] [S] et qu'aucun lien de subordination ne peut être identifié.
Il ajoute que l'appelante, compagne de M. [C], gérant de fait, avec lequel elle a vécu, s'est installée en compagnie de sa fille sur le domaine fin 2017 jusqu'à l'été 2018. Il prétend que Mme [I] [S] pratiquait le Wwoofing, qui consiste à travailler bénévolement au profit d'une entité avec en retour, le gîte, le couvert et l'apprentissage d'une pratique agricole à l'exclusion de tout lien de subordination.
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L'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
En l'absence d'un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui s'en prévaut de rapporter la preuve qu'il a fourni un travail moyennant rémunération et dans le cadre d'un lien de subordination avec celui qu'il désigne comme son employeur.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements à son subordonné.
A cet effet, l'appelante a produit les pièces suivantes :
- un document adressé le 6 janvier 2018 par ses soins à [K] [C], intitulé «'description de poste [P] [G]'» comprenant les tâches suivantes: «'reporte à [K] [C], assure le suivi des échéances, des conditions et des moyens pour mettre en oeuvre les activités découlant des orientations stratégiques décidées par [K] [C], étudie et synthétise les dossiers administratifs, rationalise les BDD images, appui pour la collecte de dons et mécénats privés, interaction permanente avec tous les acteurs du projet pour vérifier la bonne exécution des missions en interne/externe, en liaison avec le prestataire, développer les outils de communication pour fédérer autour du projet, faire vivre le site web et la page Facebook, en liaison avec les institutions touristiques, coordonne les activités du domaine et est la force de proposition pour les développer, co-gestion des aspects administratifs liés au lancement d'un festival de musique sur le domaine à l'horizon 2020, veille concurrentielle et étude de cas, suit la gestion administrative du domaine avec montage de dossiers pour l'obtention de financements institutionnels, RH : CV screening, pré-sélection de candidatures pour répondre aux besoins en ressources éventuels, organise et anime des réunions et groupes de travail éventuels'» ;
- une lettre en date du 30 juillet 2018, établie après le dépôt de plainte pour violences, mettant en demeure le GFA Aux Enfants de la Terre de régulariser sa situation et de lui adresser son contrat de travail ainsi qu'un salaire brut mensuel de 3.639 euros ;
- des témoignages faisant état de sa qualité de :
* chargée de communication du projet intéressant un lieu d'exposition en plein air au sein du domaine, selon M. [N], agent d'artiste, galeriste,
* collaboratrice du projet de développement du lieu, selon Mme [V], art-thérapeute-sophrologue,
* accompagnatrice du gérant pour la mise en place d'un accord achat/vente de pommes bio, selon M. [R] dirigeant salarié ;
- un mail de réponse de M. [C] à 'dd.maisuan' : «'en copie [P], qui reprend le dossier dès le 8'»';
- un mail de M. [C] à [Localité 6] Tourisme :'«'nous faisons le suivi avec [P] que je mets en destination...'» ;
- un mail de M. [C] à l'appelante «'à voir pour collecte collaborative parrainage Kisskiss Bank'» ;
- un mail de M. [C] à l'appelante : il s'agit d'un dossier partagé ;
- un échange de courriels entre l'appelante et [O] [L] au sujet d'un projet Mimosa lui demandant les documents Kbis, les statuts et registres du GFA, Mme [I] [S] indiquant à sa correspondante de garder M. [C] en copie de leurs échanges ;
- la réponse de M. [C] à une transmission de courriel relatif à un devis d'une petite ligne de transformation de fruits, il écrit «'13600 HT sans la partie qui embouteille'», sans autre précision ;
- un courriel de M. [C] à l'appelante «'sorry for typo'» ;
- un message de M. [C] à l'appelante : «' dis moi ce que tu en penses, je mettrais bien l'histoire de aux enfants de la terre au verso'» elle lui répond «'inverser contenu recto et verso , recto pour présenter le site pour annoncer parrainage'» ;
- un courriel de l'appelante à info@bionouvelle Aquitaine :'«' je vous contacte à la demande de M. [C] gérant de Aux Enfants de la Terre...'» ;
- un échange de courriel entre M. [C] et l'appelante au sujet de la biographie des gérants du GFA qu'elle a rédigée, aux termes duquel elle lui demande en objet «'tu valides''» ;
- un transfert d'un message de M. [C] sur une demande de certification AB ;
- des transferts de dossiers partagés relatifs au projet [U] [X] ;
- un mail de demande de rendez-vous à Nouvelle Aquitaine pour bénéficier d'un co-financement européen, signé de Mme [G] sans autre précision et sans référence au GFA pour lequel elle indique travailler ;
- un courriel adressé à un prénommé [M] relatif à l'arborescence et au contenu du site, qu'elle signe de son nom, sans référence au GFA ou à sa qualité au sein de cette entité ;
- un document relatif à la présentation et à l'histoire du site sur lequel apparaît son numéro de téléphone sous l'adresse du Château [Localité 4], [Adresse 1] à [Localité 8] ;
- un échange de courriels avec une salariée du quotidien Sud-Ouest à laquelle elle indique qu'il faut communiquer le numéro de téléphone «'d'[K]'» car elle n'est pas présente tous les jours sur le site ;
- un échange de courriels avec [Localité 6] Tourisme relatifs à la fiche «'chambres chez l'habitant'» et des modifications à y apporter ;
- des courriels sur une liste des pommes ;
- un courriel adressé par l'appelante à la mairie de [Localité 8] en vue d'un partenariat commercial pour la livraison de pommes produites Aux Enfants de la Terre dans les cantines scolaires ;
- un relevé d'information d'assurance automobile sur lequel elle apparaît en qualité de conducteur désigné le 4 avril 2018 pour le GFA ;
- un courriel du 29 septembre 2020 de la responsable du réseau associatif Wwoof confirmant que l'appelante n'est pas «'passée par le Wwoofing'» ;
- une attestation de Mme [Y] qui indique avoir hébergé Mme [I] [S] à [Localité 5] entre 2017 et jusqu'à l'été 2018 ;
- une attestation de la crèche [Adresse 9] pour l'accueil de la fille de Mme [G] 2,5 jours par semaine de janvier à juillet 2018.
La lecture de l'ensemble de ces pièces ne fait ressortir à aucun moment que des instructions ont été données à Mme [G] par le GFA ; M. [C] lui transfère de manière très occasionnelle des fichiers ou des demandes de renseignements.
Si certaines pièces établissent que M. [C] donnait parfois son avis ou sollicitait celui de Mme [G], aucune ne démontre l'exercice d'un contrôle exercé par le GFA ou son gérant sur les activités menées par Mme [I] [S] : les mails qu'elle échange notamment avec des tiers ne sont pas adressés en copie au gérant du GFA et sont établis sous sa seule signature sans référence à sa qualité au sein de la structure.
Certains des mails produits témoignent de la large liberté dont elle disposait et aucun ne permet de retenir qu'elle référait au gérant pour ses activités.
En outre, il convient de relever que les courriels sont adressés à partir de sa boîte mail personnelle et non à partir d'une boîte mail dédiée au GFA.
Il n'est pas plus justifié d'un contrôle sur les jours et horaires de travail ni sur ses congés.
Par ailleurs, il résulte des pièces versés par le GFA aux Enfants de la Terre et notamment de sept attestations que Mme [I] [S] était la compagne de M. [C] avec lequel elle vivait au Château de [Localité 4] selon ses propres déclarations recueillies dans le cadre de l'enquête pénale et l'inventaire de ses biens dressé à cette occasion, ce qui explique sa présence sur le site du GFA.
Ainsi, comme l'a retenu à juste titre le conseil de prud'hommes, s'il est établi que Mme [I] [S] a développé une activité au sein du GFA Aux Enfants de la Terre, rien ne permet de retenir que cette activité a été accomplie dans le cadre d'un lien de subordination.
La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté Mme [I] [S] de l'ensemble de ses prétentions.
Mme [I] [S], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à verser au GFA Les Enfants de la Terre la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne Mme [I] [S] à verser au GFA Aux Enfants de la Terre la somme de 1.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
Condamne Mme [I] [S] aux dépens.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire