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29/03/2023 | FRANCE | N°20/00639

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mars 2023, 20/00639


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 29 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/00639 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOER















SARL DILMEX



c/



Monsieur [L] [X]

















Nature de la décision : AU FOND













Grosse délivrée le :



à :>
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2020 (R.G. n°F 16/02655) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 février 2020,





APPELANTE :

SARL Dilmex, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette q...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/00639 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOER

SARL DILMEX

c/

Monsieur [L] [X]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2020 (R.G. n°F 16/02655) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 février 2020,

APPELANTE :

SARL Dilmex, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 5]

N° SIRET : 342 106 960

représentée et assistée de Me Marine RAIMBAULT, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Vanessa MEYER de la SELARL MEYER & SEIGNEURIC, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ :

Monsieur [L] [X]

né le 17 Avril 1959 à [Localité 4] de nationalité Française

Profession : Conducteur poids lourds, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Iwann LE BOEDEC, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée déterminée conclu le 8 février 2010 renouvelé le 8 mars 2010, suivi d'un contrat à durée indéterminée conclu le 31 août 2010, Monsieur [L] [X], né en 1959, a été engagé en qualité de conducteur poids lourds à temps complet par la SARL Dilmex dont le gérant est M. [R] [I].

Cette société, dont l'activité initiale était l'exploitation de carrières, s'est ensuite orientée vers les travaux de désamiantage, de démolition et de terrassement et employait à la date du litige plus de 20 salariés sur des emplois soit administratifs, soit de désamianteurs soit de chauffeurs de camions.

Elle dispose de deux sites, celui de [Localité 3], correspondant au siège social de l'entreprise, et un dépôt à [Localité 2], acquis ultérieurement par la société à une date non justifiée.

Le contrat de travail de M. [X] prévoyait que son lieu d'embauche est à [Localité 2] ou [Localité 3] ou « direct chantier si besoin ».

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries de carrières et de matériaux.

Après avoir réclamé à leur employeur des explications sur les modalités de leur rémunération dans un courrier non daté, plusieurs salariés ont, par lettre du 3 février 2013, sollicité l'intervention de l'inspection du travail, dénonçant des irrégularités portant sur le règlement effectué sous forme de primes d'une partie des heures supplémentaires qu'ils réalisaient, l'absence de repos compensateur, le décompte de la durée du temps de travail des chauffeurs à partir du traceur GPS et non des disques chronotachygraphes, le non-paiement du temps passé aux tâches étrangères à la conduite des véhicules (nettoyage, plein de carburant...), l'absence de locaux sur les deux sites de [Localité 3] et [Localité 2] leur permettant de se changer, se laver et manger pendant leurs coupures, le préfabriqué installé sur les locaux de [Localité 2] étant insalubre, l'absence de sanitaire sur certains chantiers et l'insuffisance des installations de sécurité.

Le lendemain d'un contrôle sur site réalisé le 6 mai 2013, l'inspectrice du travail a adressé une lettre à l'entreprise, rappelant un courrier d'observations envoyé le 5 novembre 2012 et resté sans réponse malgré l'engagement pris par l'employeur à ce sujet le 14 mars 2013.

Elle a demandé à l'employeur de lui faire parvenir divers documents tels que les bulletins de salaires et relevés de décompte de la durée du travail pour les mois de février et mars 2013 ainsi que les données numériques des cartes conducteurs pour les chauffeurs.

Par lettre du 13 août 2013, l'inspectrice du travail relevait :

- le défaut de majoration des heures supplémentaires détaillées dans un tableau établi pour les mois de février et mars 2013,

- le défaut de mention de ces heures supplémentaires sur les bulletins de paie,

- que les règles applicables au repos compensateur ne semblaient pas être mises en oeuvre,

- la différence entre les heures figurant sur les récapitulatifs mensuels d'activité et celles mentionnées sur les bulletins de paie joignant également un tableau à ce sujet,

- des dépassements des durées de travail maximale quotidienne et hebdomadaire, détaillés dans deux tableaux,

- la non-prise en compte des temps de trajet considérés comme du temps de travail effectif lorsque :

* l'employeur impose le passage du salarié au siège ou au dépôt avant qu'il se rende sur le lieu de travail,

* le salarié doit prendre un véhicule de l'entreprise pour transporter du personnel ou du matériel,

* le salarié doit procéder au chargement ou au déchargement de matériaux avant de se rendre sur un chantier.

Le 18 juin 2013, M. [X] a, ainsi que 12 autres salariés, saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux sollicitant notamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Dilmex.

Le 15 septembre 2013, suite à l'audience de conciliation, M. [B], en qualité de représentant du personnel, a adressé une lettre à l'employeur au terme de laquelle il prenait acte de la volonté exprimée par ce dernier de ne plus faire réaliser d'heures supplémentaires à ses salariés.

Par lettre du 16 décembre 2013, la société a, par la voix de son conseil, répondu au courrier de l'inspection du travail du 13 août 2013 et à un autre courrier de celle-ci du 29 novembre 2013, en contestant la prise en compte des temps de trajet dans le temps de travail effectif et en évoquant des récupérations d'heures supplémentaires pour justifier le différentiel entre les heures figurant sur les bulletins de salaire et celles mentionnées sur les fiches mensuelles.

Dans cette lettre, il est fait état de tableaux détaillant les heures de trajet et les récupérations.

Ces tableaux ne sont pas versés aux débats.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix sur le litige opposant les parties à l'issue d'une audience du bureau de jugement du 19 décembre 2014.

Le contrat de travail de M. [X] a pris fin à la suite de son licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle médicalement constatée à son poste et impossibilité de reclassement dont il n'est pas contesté qu'il a pris effet le 26 juin 2015 (au vu du bullletin de paie de ce même mois, seule étant produite la lettre de convocation à l'entretien préalable).

Une procédure pénale pour des infractions aux conditions de travail a été ouverte par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux, semble-t'il suite à un procès verbal établi le 6 janvier 2014 par la Direccte, qui n'est pas versé aux débats ; cette procédure a fait l'objet d'un classement sans suite le 18 février 2016.

Par jugement rendu en formation de départage le 12 décembre 2016, le conseil a dit n'y avoir plus lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de l'enquête pénale et a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [K] [T] qui, ayant rencontré de graves difficultés de santé, a tardé à exécuter sa mission et ne l'a pas achevée, malgré l'adjonction d'une assistante, Mme [G], et la prorogation de délai autorisée par le juge départiteur.

Un pré-rapport a été établi le 9 mai 2019 mais par la suite, aucun rapport définitif n'a été déposé par l'expert désigné.

L'examen du litige a été fixé à l'audience du 19 novembre 2019.

Par jugement rendu en formation de départage le 14 janvier 2020, le conseil de prud'hommes a fait le constat des insuffisances de l'expert, relevant notamment que seul l'un des salariés, M. [A], avait été entendu par l'expert, que celui-ci n'avait pas répondu aux missions qui lui avaient été confiées quant à l'analyse des feuilles de présence, des conditions de décompte des temps de pause, de repas, d'exécution des travaux de nettoyage des véhicules', ni n'avait estimé nécessaire de recueillir des informations auprès de l'inspection du travail, qu'il n'avait répondu que de façon très ponctuelle sur l'éventuel versement de primes au titre de la rémunération d'heures supplémentaires et n'avait pas donné d'indications chiffrées sur les heures supplémentaires alléguées par les salariés.

Le conseil, estimant détenir des éléments suffisants pour se déterminer sur l'existence d'heures supplémentaires, a rejeté la nouvelle demande d'expertise présentée par les deux parties et a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [X], à la date du 26 juin 2015 [date de son licenciement],

- condamné la SARL Dilmex à payer à M. [X] les sommes suivantes :

* 5.989,75 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires outre la somme de 598,97 euros au titre des congés payés afférents,

* 14.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- débouté la SARL Dilmex de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Dilmex aux dépens.

Le conseil de prud'hommes a statué dans le corps de sa motivation sur la contrepartie obligatoire en repos et le travail dissimulé en condamnant la société à verser à M. [X] à ce titre les sommes respectives de 6.153,44 euros et 13.087,14 euros.

Toutefois ces condamnations n'ont pas été mentionnées dans le dispositif du jugement.

Par déclaration du 6 février 2020, la société Dilmex a relevé appel de cette décision.

La société Dilmex a assigné le salarié le 25 juin 2020 devant le premier président pour voir prononcer la suspension de l'exécution provisoire de la décision rendue le 14 janvier 2020 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux. Elle a été déboutée de sa demande par ordonnance de référé du 3 septembre 2020 et condamnée à payer au salarié la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Dans ses premières conclusions adressées le 6 mai 2020, la société Dilmex demande à la cour de la dire recevable et bien fondée en son appel, d'infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat et, statuant à nouveau et rejetant toutes conclusions contraires, de :

- dire le licenciement pour inaptitude du 26 juin 2015 bien fondé,

- débouter M. [X] de ses demandes au titre des heures supplémentaires,

- débouter M. [X] de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- débouter M. [X] de ses demandes au titre du travail dissimulé,

- débouter M. [X] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail entrainant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des demandes indemnitaires afférentes,

- condamner M. [X] aux dépens et à lui verser une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement (sic).

La société Dilmex a adressé de nouvelles écritures le 6 décembre 2022 à 15h40, soit l'avant-veille de la date prévue pour l'ordonnance de clôture fixée au 8 décembre dans lesquelles ses demandes sont identiques mais son argumentaire a été complété au vu des nouvelles pièces communiquées auxquelles elle fait référence dans ses écritures :

23. Explications relatives à la lecture des relevés chronotachygraphes,

24. Relevés chronotachygraphes de M. [X],

25. Preuve des versements intervenus au titre de l'exécution provisoire.

Le 7 décembre 2022 à 19h34, la société Dilmex a adressé à la cour de nouvelles écritures dans lesquelles a été sollicité le report de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries.

Dans ses premières écritures adressées le 3 août 2020, M. [X] demande à la cour de :

- le dire recevable et bien fondé en ses demandes,

- rectifier l'omission matérielle en ce que le conseil de prud'hommes a omis dans son dispositif les condamnations suivantes :

* 6.153,44 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

* 13.087,14 euros au titre des dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 8221-5 alinéa 2 et suivants du code du travail.

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que ses demandes de rappels de salaire étaient bien fondées, en conséquence, condamner la société Dilmex à lui verser :

* 5.989,75 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires outre la somme de 598,97 euros au titre des congés payés afférents,

* 6.153,44 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

Y ajouter les sommes suivantes pour la période courant du 8 février au 4 juillet 2010 :

* 2.371,29 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires outre la somme de 237,12 euros au titre des congés payés afférents,

* 1.865,06 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- à titre subsidiaire, désigner un nouvel expert aux fins de poursuite des opérations d'expertise judiciaire, enfermées dans un délai de trois mois,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le délit de travail dissimulé était caractérisé et condamner en conséquence la société Dilmex à lui verser, à titre principal, la somme de 14.288,02 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 8221-5 alinéa 2 et suivants du code du travail, et à titre subsidiaire, la somme de 13.087,14 euros,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré qu'il y avait lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail et lui faire produire ses effets au jour du licenciement, en conséquence, faire droit à la demande de 25.000 euros sur le fondement de l'article L. 1235-1 du code du travail,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il relève les manquements graves de la société Dilmex en termes d'obligation de sécurité,

- statuant à nouveau, dire fondée la demande indemnitaire formulée à ce titre, en conséquence, condamner l'appelante à lui verser la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

De nouvelles écritures de M. [X] ont été adressées au greffe le 7 décembre 2022 ; ses prétentions sont identiques mais il demande à la cour de déclarer irrecevables les pièces et conclusions communiquées le 6 décembre 2022 par la société appelante.

Il a communiqué lui-même une nouvelle pièce consistant en un arrêt de la Cour de cassation concernant un autre salarié (M. [Z]) rendu le 19 mai 2021 et une lettre officielle du 29 novembre 2021 (pièce p).

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 décembre 2022 par le conseiller de la mise en état au motif notamment de l'ancienneté de la procédure ayant permis aux parties de disposer du temps nécessaire aux échanges.

Le conseil du salarié a adressé de nouvelles écritures au fond le 13 décembre 2022 ainsi que des conclusions de procédure dans lesquelles il est demandé à la cour de :

« déclarer irrecevables les pièces et conclusions communiquées depuis le 5 décembre 2022 par la société Dilmex,

- subsidiairement, d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des présentes ».

A l'audience, la cour, après s'être retirée pour en délibérer, a ordonné la jonction au fond des incidents de procédure, révocation de l'ordonnance de clôture et irrecevabilité des conclusions et pièces communiquées tardivement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Il n'est justifié ni même allégué d'aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture au sens de l'article 803 du code de procédure civile dans une procédure engagée depuis le 18 juin 2013 et dans laquelle l'appel à l'encontre de la décision de première instance a été relevé le 6 février 2020 soit il y a près de trois ans.

La demande de révocation de l'ordonnance de clôture est par conséquent rejetée.

Sur la demande d'irrecevabilité des conclusions et rejet de pièces complémentaires

Aux termes des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

En l'espèce, la procédure a été engagée le 3 février 2013 et l'appel a été formé le 6 février 2020.

Les parties disposaient donc d'un temps largement suffisant pour se communiquer leurs écritures, moyens et pièces.

L'envoi par la société appelante, deux jours avant la date fixée pour la clôture, annoncée deux mois auparavant, de nouvelles écritures et de pièces supplémentaires qu'elle détenait depuis plusieurs mois, constitue un manquement au principe du contradictoire et de la loyauté des débats et ne permettait pas à l'intimé de répondre en temps utile, soit en réalité dans les 48 heures.

Les dernières conclusions et les nouvelles pièces communiquées par la société seront donc déclarées irrecevables et par suite, les conclusions au fond en réponse du salarié ainsi que sa pièce p le seront également.

La cour se référera en conséquence aux premières écritures et pièces communiquées le 6 mai 2020 par la société appelante et le 3 août 2020 par le salarié intimé pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties.

Sur les demandes au titre des dépassements de la durée du travail

- Sur la demande en paiement au titre des heures supplémentaires

M. [X] demande la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 5.989,75 euros à titre de rappel de salaire outre celle de 598,97 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente outre une somme complémentaire pour la période du 8 février au 4 juillet 2010 de 2.371,29 euros et 237,12 euros pour les congés payés.

Pour voir infirmer la décision déférée, la société, qui conclut au rejet de la demande en paiement de M. [X], fait valoir les éléments suivants :

- le conseil de prud'hommes a fait droit aux demandes et à la thèse de M. [X] alors même que celui-ci ne produit aucun état récapitulatif établi au fil de l'eau des heures supplémentaires prétendument réalisées, en retenant une journée de travail type générant 8h45 de travail chaque jour et que le précédent jugement avait ordonné une mesure d'instruction pour estimer les heures non payées ;

- le conseil a repris cette thèse accompagnée du rapport de l'inspectrice du travail et des bulletins de salaires mentionnant chaque mois 18 à 20 heures supplémentaires en affirmant qu'ils 'seraient des éléments suffisamment étayés et précis pour que l'employeur puisse les contester et que le débat s'engage' ;

- le conseil a considéré que le rapport de l'inspectrice du travail de 2013 venait appuyer les allégations de M. [X] alors même que ce salarié n'a pas fait partie de l'échantillon des salariés étudiés par l'inspectrice du travail et que cette étude ne porte que sur deux mois alors que la demande salariale porte sur 3 ans ;

- l'expert s'était montré particulièrement critique à l'égard de l'étude de l'inspectrice du travail ;

- les incohérences entre les bulletins de salaire et les disques chronotachygraphes trouvent leur origine dans la volonté de M. [X] de « gonfler » ses heures.

M. [X] invoque notamment les éléments suivants :

- l'inspectrice du travail a constaté, concernant la période contrôlée (février-mars 2013), de nombreuses heures supplémentaires réalisées non rémunérées ;

- il convient de comparer la durée de travail figurant sur les bulletins de salaire, à celle portée sur les récapitulatifs mensuels d'activité ;

- la société a toujours considéré certaines tâches réalisées par les salariés, à sa demande, comme ne constituant pas du travail effectif (nettoyage des véhicules, plein d'essence, rédaction des rapports d'activité, déplacements du siège vers le chantier, déplacement du dépôt au siège') : les salariés ont alerté la direction, en vain et pour l'inspectrice du travail, il s'agit bien de tâches constitutives d'un travail effectif ;

- l'expert ne s'est pas rapproché de l'inspection du travail alors que sa mission le prévoyait et il n'a même pas évoqué la situation de M. [X] ;

- l'employeur considère que les temps de trajets du dépôt ([Localité 2]) au siège ([Localité 3]) ou du dépôt vers le chantier ne sont pas constitutifs de temps de travail alors que ces déplacements sont intervenus entre 2 lieux de travail avec des moyens mis en oeuvre par l'employeur ;

- M. [X] a demandé la communication des récapitulatifs mentionnant les heures d'embauche et de fin de journée, demandes restées vaines ;

- il précise que ces récapitulatifs mensuels, instaurés par l'employeur mais non produits, étaient remplis par les salariés, sur la base des rapports journaliers, également établis par eux ;

- pourtant, outre les relevés établis par les salariés, l'employeur dispose de moyens permettant de suivre automatiquement la durée de travail de ses salariés tel le relevé Masternaut (GPS) transmis par l'employeur à M. [N] (autre salarié concerné par le litige) concernant la durée de son activité ;

- les bulletins de salaire mentionnent chaque mois 20 heures supplémentaires ;

- au cours de l'expertise, l'employeur a fini par communiquer des relevés de carte conducteur de M. [X] sur lesquels la durée de travail fluctue beaucoup plus que ce qu'indiquent les bulletins de salaire ;

- en pièces 7 bis, 8 bis et 9 bis, M. [X] produit un rapprochement entre les bulletins de salaire et le relevé mensuel de carte conducteur mais souligne qu'il reste dans l'attente des relevés de carte pour l'année 2013 et a établi un relevé des incohérences pour l'année 2011 ;

- il n'y a pas de preuve de prétendues pauses café d'une heure le matin ;

- il n'y a pas lieu de déduire des coupures repas ne figurant pas sur les relevés des cartes conducteur ;

- les temps de trajet entre le dépôt et le siège ou entre le siège et le chantier constituent un temps de travail ainsi que l'a retenu l'inspection du travail ;

- le repos compensateur de remplacement n'était pas mis en place au sein de la société ;

- les arguments présentés par l'appelante, et pour lesquels l'inspection de travail a déjà indiqué qu'ils étaient inopérants, ne pourront donc qu'être écartés ;

- M. [X] décrit le déroulement d'une journée de travail comme suit : arrivée au dépôt de [Localité 2] à 7h30, début de la prestation de travail puis départ du dépôt vers les chantiers - 45 minutes de pause le midi et à 17h : retour au dépôt de [Localité 2] ;

- il en déduit un minimum de 8h45 de travail chaque jour soit 43h45 chaque semaine (8h majorées de 25% et 45 minutes de 50%).

En conséquence, le rappel de salaire dû, pour la période non prescrite est de :

* 2010 (semaine 27 à 52) : (25 semaines x 8h x 10,15 euros x 125%) + (25 semaines x 0,75h x 10,15 euros x 150%) = 2.822,96 euros

* 2011 ' 5 semaines de CP : (47 semaines x 8h x 10,15 euros x 125%) + (47 semaines x 0,75h x 10,15 euros x 150%) = 5.307,18 euros

* 2012 ' 5 semaines de CP : (47 semaines x 8h x 10,15 euros x 125%) + (47 semaines x 0,75h x 10,15 euros x 150%) = 5.307,18 euros

Ainsi, entre la semaine 27 de l'année 2010 [soit celle du 5 juillet 2010] et la semaine 52 de l'année 2012, il aurait dû percevoir la somme de 13.437,32 euros.

Or, sur la période concernée, il n'a perçu que 7.447,57 euros, soit une somme restant due de 5.989,75 euros.

Il convient d'y rajouter un second décompte qui porte sur 21 semaines, du 8 février 2010 au 2 juillet 2010, sur la base d'une durée hebdomadaire de travail de 43,75 heures.

Il est donc présenté une demande complémentaire de rappel de salaire d'un montant de 2.371,29 euros à titre de rappel de salaire pour cette seconde période de référence (21 semaines x 8h x 10,15 euros x 125% = 2.131,50 euros et 21 semaines x 0,75h x 10,15 euros x 150 % = 239,79 euros) outre 237,12 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.

***

Aux termes des articles L. 3171-2 alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés et, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments.

Il sera relevé à titre liminaire que le pré-rapport d'expertise, auquel se réfère la société, est totalement inexploitable en raison du fait que l'expert n'a examiné que la situation d'un autre salarié concerné par le litige, M. [A], et encore sur la base « d'un échantillonnage » (non défini : quelles pièces et quelle période) pour en tirer des conclusions ne reposant que sur des hypothèses ou des appréciations non objectivées par la référence à des pièces précises, l'expert relevant par exemple :

- qu'il n'est « pas réaliste de ne pas manger entre 6h du matin et 19h le soir », que la pause repas était d'une heure ou 45 minutes ou 30 minutes ou encore pouvait se résumer à un sandwich avalé pendant le chargement du camion ;

- que « pour les désamianteurs, ne pas manger quand le chef d'équipe s'arrête pour manger, c'est suspect » ;

- que le temps de trajet entre les deux sites, était « semble-t'il payé en temps de travail (ou plutôt indiqué comme payé en temps de travail mais cette vérification prend du temps) » ;

- qu'un « camion qui, le matin, ne bouge qu'une heure après la soi-disant embauche, indique (...) que le chauffeur a par exemple pris son petit déjeuner et lu le journal » ;

- qu'il y avait « pour certains salariés (dont M. [M]) des compensations à de probables heures supplémentaires officiellement impayées » ;

- qu'on « peut compter a priori environ 5 à 6 heures par mois impayées. Pour le moment, il s'agit d'un arbitraire plus qu'autre chose faute de vérification systématique (extrêmement longue) ... » ;

- la situation d'autres salariés (M. [W] [M], M. [C] [V], M. [S] et M. [U]) n'a été envisagée par l'expert que sous l'angle de la critique non étayée des éléments retenus par l'inspectrice du travail, l'expert relevant ne pas avoir disposé des fiches mensuelles pour le mois de l'échantillonnage ['], que M. [E] était hors échantillonnage et faisant état d'une vérification ponctuelle pour M. [B] en mars 2012 ;

- enfin, les relevés effectués sur site par Mme [G] en novembre 2017 sont dépourvus de pertinence en ce qu'ils sont intervenus plus de 4 ans après la saisine de la juridiction prud'homale, M. [A] ayant souligné lors de son entretien avec Mme [G] le 8 décembre 2017 que « l'activité maintenant n'a pas grand-chose à voir avec 2010-2013 ».

C'est par ailleurs à juste titre que les premiers juges ont estimé disposer des éléments pour statuer sur le litige opposant les parties au regard des règles de preuve applicables en matière de durée du travail, une nouvelle mesure d'expertise ne pouvant pas être ordonnée en raison du délai raisonnable auquel peut prétendre tout justiciable de voir juger son affaire ainsi que du coût que représenterait une mesure d'instruction près de 10 ans après la saisine de la juridiction de première instance.

Ainsi que l'a retenu le conseil de prud'hommes, l'invocation d'un horaire journalier de 8 heures 45 minutes, - sur la base du déroulement d'une journée de travail décrit comme suit : arrivée au dépôt de [Localité 2] à 7h30, début de la prestation de travail puis départ du dépôt vers les chantiers - 45 minutes de pause le midi et à 17h : retour au dépôt de [Localité 2] - est suffisamment précise pour permettre à l'employeur d'y répondre.

M. [X] a établi des décomptes des sommes réclamées sur cette base dans ses écritures portant sur la période du 8 février 2010 au 2 juillet 2010 puis du 5 juillet 2010 au 31 décembre 2012.

Or, il ne peut qu'être relevé qu'en l'état des pièces produites par l'employeur, la sincérité des horaires allégués, au demeurant attestée par les relevés chronotachygraphes que M. [X] produit, n'est pas remise en cause.

En revanche, compte tenu des sommes figurant sur les bulletins de paie au titre des heures supplémentaires réglées par la société, la créance de M. [X] pour la période du 8 février 2010 au 31 décembre 2012 sera fixée à la somme de 7.257,23 euros.

La société Dilmex sera en conséquence condamnée à payer à M. [X] les sommes de 7.257,23 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées du 8 février 2010 au 31 décembre 2012 outre 725,72 euros bruts pour les congés payés afférents.

- Sur la demande en paiement au titre de la contrepartie obligatoire en repos

M. [X] sollicite la confirmation de la décision déférée qui lui a alloué la somme de 6.153,44 euros outre, pour la période courant du 8 février 2010 au 2 juillet 2010, le règlement de l'équivalent de 183,75 heures supplémentaires (21 semaines x 8,75 heures) au titre de la contrepartie obligatoire en repos, soit 1.865,06 euros (183,75h x 10,15).

La société conclut au rejet de cette demande et fait valoir les éléments suivants :

- l'accord du 22 décembre 1998 attaché à la convention collective nationale des industries de carrières et matériaux prévoit la possibilité d'un contingent complémentaire de 35 heures supplémentaires pouvant être utilisé (pièce n°11), en sus du contingent légal de 145 heure ;

- cette disposition dérogatoire avait trouvé application devant la cour dans l'instance l'ayant opposée à M. [Z] (cour d'appel de Bordeaux - chambre sociale, section B N° RG 17/05596) ;

- l'expert n'a pas constaté de dépassement des durées maximales de travail, si les temps de pause et, notamment de repas, venaient à être correctement décomptés ;

- M. [X] ne rapporte pas la preuve d'avoir effectué des heures supplémentaires non réglées, il ne peut donc pas justifier l'existence d'heures accomplies au-delà du contingent permettant de bénéficier de repos.

Outre la demande pour la période du 8 février 2010 au 2 juillet 2010, au soutien de sa demande, M. [X] a établi le tableau suivant, rappelant que l'effectif de la société étant de plus de vingt salariés, il convient d'appliquer la compensation maximale de 100% du taux horaire, par heure effectuée au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires.

ANNÉE

Heures au-delà du

contingent d'HS

TOTAL

2010

73

748,56 euros

2011

266

2.702,44 euros

2012

266

2.702,44 euros

TOTAL

6.153,44 euros

***

Aux termes des dispositions de l'article L. 2121-11 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l'article L. 3121-22. Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu'une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent.

En vertu de l'article 1.5 de l'accord du 22 décembre 1998 relatif à l'organisation, la réduction du temps de travail et à l'emploi (ouvriers, ETAM, cadres) dans les industries de carrières et matériaux, le contingent annuel d'heures supplémentaires, fixé à 145 heures, peut être augmenté de 35 heures par an, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut des délégués du personnel ou, à défaut, après information du personnel.

Dans la mesure où il n'est justifié ni même allégué de la consultation des IRP ou de l'information des salariés, sera appliqué le contingent annuel de 145 heures.

En vertu de l'article 18 IV de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, chaque heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ouvre droit à une contrepartie obligatoire en repos égale à 100% pour les entreprises de plus de 20 salariés.

Au vu du tableau établi par le salarié, il sera fait droit à sa demande.

La société Dilmex sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 8.018,50 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos due pour la période du 8 février 2010 au 31 décembre 2012.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail

M. [X] sollicite l'infirmation de la décision déférée qui l'a débouté de sa demande à titre de dommages et intérêts pour violation de la règlementation de la durée du travail et le paiement de la somme de 18.000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi de ce chef.

Il invoque les éléments suivants :

- la fréquence et l'ampleur des dépassements ;

- l'absence de toute information de l'administration quant à ces dépassements ;

- la fréquence de cette violation des dispositions légales relevée par l'inspectrice du travail ;

- l'inertie de la société malgré plusieurs alertes (notamment lettres du 5 novembre 2012 non versée aux débats et du 13 août 2013) ;

- le PV de l'inspectrice du travail qui fait état de 8 dépassements injustifiés de la durée maximale quotidienne de travail et de 3 dépassements de la durée hebdomadaire sur la seule période de février et mars 2013 ;

- ces dépassements étaient quasiment constants ;

- la défaillance de l'expert qui s'est cantonné à indiquer avoir « vu très peu de dépassements des durées maximales de travail » sans préciser lesquelles ni leur volume, privant ainsi ce constat de sa pertinence ;

- les dispositions applicables aux temps de pause n'étaient pas systématiquement respectées ;

- ces dépassements ont débuté dès l'embauche et se sont poursuivis pendant plus de 4 années ;

- à compter de la saisine de la juridiction, l'employeur a décidé de ne plus solliciter les salariés intimés à la procédure, pour exécuter des heures supplémentaires (cf note de service du 31 août 2015) et, pour compenser la baisse d'activité des intimés, d'autres salariés ont été conduits à réaliser de très nombreuses heures supplémentaires tel M. [O].

Le préjudice de M. [X] résultant du manquement particulièrement grave à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur est incontestable : cette situation a généré un état de fatigue, l'a affecté sur un plan moral et a fait courir un risque considérable pour sa sécurité et celle des autres usagers de la route.

De plus, il a subi des retenues sur salaire opérées par l'employeur, à la suite d'un indû versé par la CPAM à M. [X], ce dernier ayant bénéficié du maintien intégral de salaire et du versement des indemnités journalières.

Pour obtenir le remboursement, l'employeur a purement et simplement privé le salarié de tout salaire pendant 3 mois.

La société conclut au rejet de la demande du salarié, invoquant les éléments suivants :

- M. [X] échoue à rapporter la preuve d'un quelconque préjudice physique ou moral lié à ces prétendus dépassements en lien direct avec la relation de travail ;

- la société Dilmex possède la certification AFNOR et la DREAL placée sous l'autorité du préfet de la région Aquitaine a indiqué que l'entreprise Dilmex était en parfaite conformité avec la règlementation.

***

Le décompte des sommes réclamées par le salarié a été établi sur des bases qui ne traduisent aucun dépassement des durées légales quotidienne et hebdomadaire de travail.

C'est dès lors à juste titre que le conseil de prud'hommes a débouté M. [X] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail.

Sur la rupture du contrat de travail

A la date de son licenciement pour inaptitude médicale, soit le 26 juin 2015, M. [X] avait déjà saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Lorsqu'un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.

***

La société conclut à l'infirmation de la décision déférée qui a prononcé la résiliation judidiaire du contrat à ses torts exclusifs et fait valoir les éléments suivants :

- le conseil de prud'hommes a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du licenciement pour inaptitude, emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse considérant que « l'absence de contrepartie concrète aux heures supplémentaires effectuées par le salarié constitue, de part leur ampleur et leur durée, un manquement grave de nature à justifier la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur » ;

- or, M. [X] ne produit pas d'état récapitulatif des heures qui ne lui auraient pas été réglées permettant de déterminer tant leur existence, leur ampleur et leur durée ;

- M. [X] s'est maintenu en poste jusqu'à son licenciement, au mois de juin 2015.

Selon M. [X], les manquements justifiant la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur sont les suivants :

- le non-paiement d'heures supplémentaires ;

- les retenues sur salaire illégales ;

- l' absence de contrepartie obligatoire en repos ;

- la violation des dispositions applicables en matière de durée maximale du travail (quotidienne et hebdomadaire) ;

- le manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;

- le délit de travail dissimulé.

Ces manquements se sont poursuivis pendant près de 4 ans et ils présentent une gravité suffisante pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

***

En application des dispositions des 1217 et 1224 du code civil et 1231-1 du code du travail, en cas d'inexécution de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat.

Si le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.

La résiliation judiciaire à la demande du salarié n'est justifiée qu'en cas de manquements de l'employeur d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

Le dépassement de la durée légale de travail est avéré de même que le non-paiement des heures supplémentaires pour une somme non négligeable au regard du salaire perçu par M. [X] qui, de surcroît, n'a pas bénéficié des repos compensateurs auxquels il était en droit de prétendre.

Au surplus, les retenues opérées sur le salaire de M. [X] durant les mois d'août et de septembre 2013, en vue du remboursement des sommes indûment versées suite à son arrêt motivé par un accident du travail, excédaient la quotité saisissable, M. [X] n'ayant perçu aucun salaire durant ces deux mois.

C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a retenu que les manquements de l'employeur justifiaient la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur, produisant effet à la date du licenciement.

- Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture

M. [X] sollicite le paiement de la somme de 25.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base d'un salaire de référence reconstitué intégrant les heures supplémentaires effectuées de 2.381,33 euros.

La société conclut au rejet de cette demande, estimant que la preuve des heures supplémentaires n'est pas établie.

***

M. [X], engagé le 8 février 2010 a été placé en arrêt de travail à compter du 11 janvier 2013 à la suite d'un accident du travail et a été licencié le 26 juin 2015 pour inaptitude médicale d'origine professionnelle à son poste et impossibilité de reclassement.

Sont versés aux débats les bulletins de paie des années 2010 à 2012 et de janvier à octobre 2013, puis le bulletin du mois de juin 2015.

Le salaire de référence sera fixé, en considération des rémunérations versées avant l'arrêt de travail en considération des observations faites précédemment au sujet des heures supplémentaires retenues, à la somme de 2.373,94 euros.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée au salarié, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date du licenciement.

Sur la demande en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

M. [X] sollicite à titre principal le paiement de la somme de 14.288,02 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 8221-5 alinéa 2 et suivants du code du travail, sur la base de son salaire reconstitué, intégrant les heures supplémentaires et, à titre subsidiaire, il sollicite la confirmation de la décision déférée qui lui a alloué la somme de 13.087,14 euros de ce chef (soit 6 X 2.181,19 euros).

La société conclut au rejet de cette demande et fait notamment valoir les éléments suivants :

- le paiement, même partiel, d'heures supplémentaires sous forme de primes n'est attesté par aucun élément tangible, et a été considéré par l'expert comme une « probabilité » ;

- l'élément intentionnel de la dissimulation d'activité ne saurait se caractériser par de simples hypothèses qui ne sont corroborées par aucun élément sérieux.

Au soutien de sa demande, M. [X] invoque les éléments suivants :

- à la lecture des bulletins de paie, un très grand nombre de ces heures supplémentaires n'ont pas été rémunérées ;

- la lettre adressée par les salariés à l'inspection du travail, mentionne : « nos heures supplémentaires qui nous sont payées sous forme de primes à l'heure actuelle et non pas majorées comme il se doit » ;

- le pré-rapport d'expertise constate de « nombreuses primes exceptionnelles » sur les bulletins de salaire qui pourraient effectivement rémunérer des heures supplémentaires ; une « prime de chantier » trouvée pourrait avoir le même but ;

- il y avait pour certains salariés des compensations à de probables heures supplémentaires officiellement impayées selon la méthode légale et habituelle sur les bulletins de paie ;

- la « légalité » du procédé est du ressort du juge en sachant qu'il s'agit de probabilités » ;

- sur les bulletins de salaire de M. [X] figurent, de la même manière de nombreuses primes ;

- la matérialité et l'intentionnalité du délit ne sont pas contestables.

***

En vertu des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement soit à l'accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l'embauche, soit à la délivrance d'un bulletin de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 prévoit qu'en cas de rupture du contrat, le salarié auquel l'employeur a eu recours en commettant les faits prévus au texte susvisé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

D'une part, ce n'est qu'au terme d'un long débat judiciaire que le salarié se voit reconnaître une créance au titre des heures supplémentaires effectuées dont le montant a été ci-avant réduit.

D'autre part, il n'est pas justifié de réclamations antérieures à la saisine de l'inspection du travail (en février 2013) puis de la juridiction prud'homale (en juin 2013) et il est avéré que le salarié n'a plus effectué d'heures supplémentaires après le mois d'août 2013.

Par ailleurs, la procédure d'enquête pour travail dissimulé, ordonnée suite à un procès verbal établi par l'inspection du travail, qui n'est pas versé aux débats, a fait l'objet d'un classement sans suite par le Parquet du tribunal de Bordeaux.

Enfin, si le salarié allègue de primes compensant les heures supplémentaires réalisées, il ne peut qu'être relevé qu'il n'a pas estimé nécessaire de les déduire de sa créance, ces primes étant en tout état de cause soumises à cotisations sociales.

En considération de ces éléments, l'élément intentionnel requis par le texte susvisé n'est pas suffisamment établi, en sorte que le salarié doit être débouté de sa demande de ce chef, le jugement déféré étant infirmé à ce titre.

Sur les autres demandes

La société, condamnée en paiement, supportera les dépens et il sera alloué à l'intimé la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

Déclare irrecevables les conclusions au fond et pièces communiquées par les parties à compter du 5 décembre 2022,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [L] [X] aux torts de la société Dilmex qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du 26 juin 2015, en ce qu'il a débouté M. [L] [X] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail et a condamné la société Dilmex aux dépens,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL Dilmex à payer à M. [L] [X] les sommes suivantes :

- 7.257,23 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées du 8 février 2010 au 31 décembre 2012 outre 725,72 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 8.018,50 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos due pour la période du 8 février 2010 au 31 décembre 2012,

- 15.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Déboute M. [L] [X] de sa demande d'indemnité au titre du travail dissimulé,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SARL Dilmex aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/00639
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;20.00639 ?
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