La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/03/2023 | FRANCE | N°20/00637

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mars 2023, 20/00637


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 29 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/00637 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOEL















SARL DILMEX



c/



Monsieur [A] [P]

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :


>à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2020 (R.G. n°F 16/02650) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 février 2020,





APPELANTE :

SARL Dilmex, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/00637 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOEL

SARL DILMEX

c/

Monsieur [A] [P]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2020 (R.G. n°F 16/02650) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 février 2020,

APPELANTE :

SARL Dilmex, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 5]

N° SIRET : 342 106 960

représentée et assistée de Me Marine RAIMBAULT, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Vanessa MEYER de la SELARL MEYER & SEIGNEURIC, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ :

Monsieur [A] [P]

né le 08 Avril 1976 à [Localité 4] (93) de nationalité Française

Profession : Conducteur poids lourds, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Iwann LE BOEDEC, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée déterminée conclu le 5 septembre 2011 pour une durée expirant le 30 septembre 2011, renouvelé à cette date jusqu'au 31 mars 2012, puis suivant contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er avril 2012, Monsieur [A] [P], né en 1976, a été engagé en qualité de conducteur poids lourds à temps complet par la SARL Dilmex dont le gérant est M. [Y] [B].

Cette société, dont l'activité initiale était l'exploitation de carrières, s'est ensuite orientée vers les travaux de désamiantage, de démolition et de terrassement et emploie actuellement 28 salariés sur des emplois soit administratifs, soit de désamianteurs et de chauffeurs de camions.

Elle dispose de deux sites, celui de [Localité 3], correspondant au siège social de l'entreprise, et un dépôt à [Localité 2], acquis ultérieurement à l'embauche de M. [P] par la société mais à une date non justifiée.

Le contrat de travail à durée indéterminée conclu le 1er avril 2012 prévoit que le lieu d'embauche du salarié est à [Localité 2] ou « si besoin direct chantier » ou [Localité 3].

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries de carrières et de matériaux.

Après avoir réclamé à leur employeur des explications sur les modalités de leur rémunération dans un courrier non daté, plusieurs salariés ont, par lettre du 3 février 2013, sollicité l'intervention de l'inspection du travail, dénonçant des irrégularités portant sur le règlement effectué sous forme de primes d'une partie des heures supplémentaires qu'ils réalisaient, l'absence de repos compensateur, le décompte de la durée du temps de travail des chauffeurs à partir du traceur GPS et non des disques chronotachygraphes, le non-paiement du temps passé aux tâches étrangères à la conduite des véhicules (nettoyage, plein de carburant...), l'absence de locaux sur les deux sites de [Localité 3] et [Localité 2] leur permettant de se changer, se laver et manger pendant leurs coupures, le préfabriqué installé sur les locaux de [Localité 2] étant insalubre, l'absence de sanitaire sur certains chantiers et l'insuffisance des installations de sécurité.

Un avertissement a été notifié à M. [P] le 28 mars 2013 pour ne pas avoir respecté certaines consignes relatives au chargement du camion dont il avait la charge. Il a contesté cette sanction.

Le lendemain d'un contrôle sur site réalisé le 6 mai 2013, l'inspectrice du travail a adressé une lettre à l'entreprise, rappelant un courrier d'observations envoyé le 5 novembre 2012 et resté sans réponse malgré l'engagement pris par l'employeur à ce sujet le 14 mars 2013.

Elle a demandé à l'employeur de lui faire parvenir divers documents tels que les bulletins de salaires et relevés de décompte de la durée du travail pour les mois de février et mars 2013 ainsi que les données numériques des cartes conducteurs pour les chauffeurs.

Le 26 avril 2013, les parties ont conclu une rupture conventionnelle qui a pris effet le 13 mai 2013.

Par lettre du 13 août 2013, l'inspectrice du travail relevait :

- le défaut de majoration des heures supplémentaires détaillées dans un tableau établi pour les mois de février et mars 2013,

- le défaut de mention de ces heures supplémentaires sur les bulletins de paie,

- que les règles applicables au repos compensateur ne semblaient pas être mises en oeuvre,

- la différence entre les heures figurant sur les récapitulatifs mensuels d'activité et celles mentionnées sur les bulletins de paie joignant également un tableau à ce sujet,

- des dépassements des durées de travail maximale quotidienne et hebdomadaire, détaillés dans deux tableaux,

- la non-prise en compte des temps de trajet considérés comme du temps de travail effectif lorsque :

* l'employeur impose le passage du salarié au siège ou au dépôt avant qu'il se rende sur le lieu de travail,

* le salarié doit prendre un véhicule de l'entreprise pour transporter du personnel ou du matériel,

* le salarié doit procéder au chargement ou au déchargement de matériaux avant de se rendre sur un chantier.

Le 18 juin 2013, M. [P] a, ainsi que 12 autres salariés, saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux sollicitant notamment la nullité de la rupture conventionnelle de son contrat de travail, demande qu'il a ensuite abandonnée.

Suite à l'audience de conciliation du 3 septembre 2013, M. [U], en sa qualité de délégué du personnel, a adressé une lettre à l'employeur au terme de laquelle il prenait acte de la volonté exprimée par ce dernier de ne plus faire réaliser d'heures supplémentaires aux salariés ayant engagé la procédure prud'homale.

Par lettre du 16 décembre 2013, la société a, par la voix de son conseil, répondu au courrier de l'inspection du travail du 13 août 2013 et à un autre courrier de celle-ci du 29 novembre 2013, en contestant la prise en compte des temps de trajet dans le temps de travail effectif et en évoquant des récupérations d'heures supplémentaires pour justifier le différentiel entre les heures figurant sur les bulletins de salaire et celles mentionnées sur les fiches mensuelles.

Dans cette lettre, il est fait état de tableaux détaillant les heures de trajet et les récupérations.

Ces tableaux ne sont pas versés aux débats.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix sur le litige opposant les parties à l'issue d'une audience du bureau de jugement du 19 décembre 2014.

Une procédure pénale pour des infractions aux conditions de travail a été ouverte par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux, semble-t'il suite à un procès verbal établi le 6 janvier 2014 par la Direccte, qui n'est pas versé aux débats ; cette procédure a fait l'objet d'un classement sans suite le 18 février 2016.

Par jugement rendu en formation de départage le 12 décembre 2016, le conseil a dit n'y avoir plus lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de l'enquête pénale et a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [N] [F] qui, ayant rencontré de graves difficultés de santé, a tardé à exécuter sa mission et ne l'a pas achevée, malgré l'adjonction d'une assistante, Mme [W], et la prorogation de délai autorisée par le juge départiteur.

Un pré-rapport a été établi le 9 mai 2019 mais par la suite, aucun rapport définitif n'a été déposé par l'expert désigné.

L'examen du litige a été fixé à l'audience du 19 novembre 2019.

Par jugement rendu en formation de départage le 14 janvier 2020, le conseil de prud'hommes a fait le constat des insuffisances de l'expert, relevant notamment que seul l'un des salariés, M. [V], avait été entendu par l'expert, que celui-ci n'avait pas répondu aux missions qui lui avaient été confiées quant à l'analyse des feuilles de présence, des conditions de décompte des temps de pause, de repas, d'exécution des travaux de nettoyage des véhicules', ni n'avait estimé nécessaire de recueillir des informations auprès de l'inspection du travail, qu'il n'avait répondu que de façon très ponctuelle sur l'éventuel versement de primes au titre de la rémunération d'heures supplémentaires et n'avait pas donné d'indications chiffrées sur les heures supplémentaires alléguées par les salariés.

Le conseil, estimant détenir des éléments suffisants pour se déterminer sur l'existence d'heures supplémentaires, a rejeté la nouvelle demande d'expertise présentée par les deux parties et a :

- prononcé la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps plein à compter du 5 septembre 2011,

- condamné la SARL Dilmex à payer à M. [P] les sommes suivantes :

* 8.374,05 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires outre la somme de 837,40 euros au titre des congés payés afférents,

* 12.050,39 euros au titre du travail dissimulé,

* 4.633,20 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

* 2.008,39 euros au titre de l'indemnité de requalification,

* 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- débouté la SARL Dilmex de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Dilmex aux dépens.

Par déclaration du 6 février 2020, la société Dilmex a relevé appel de cette décision.

La société Dilmex a fait assigner le salarié le 25 juin 2020 devant le premier président pour voir prononcer la suspension de l'exécution provisoire de la décision rendue le 14 janvier 2020 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux. Elle a été déboutée de sa demande par ordonnance de référé du 3 septembre 2020 et condamnée à payer au salarié la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Dans ses premières conclusions adressées le 6 mai 2020, la société Dilmex demande à la cour de la dire recevable et bien fondée en son appel, d'infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat et, statuant à nouveau et rejetant toutes conclusions contraires, de :

- débouter M. [P] de ses demandes en rappel de salaire et congés payés afférents,

au titre de la contrepartie obligatoire en repos et du travail dissimulé ainsi que de sa demande d'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

- condamner M. [P] à lui verser une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement [sic] ainsi qu'aux dépens.

Le 6 décembre 2022 à 16h55, soit l'avant-veille de la date prévue pour l'ordonnance de clôture fixée au 8 décembre 2022, la société Dilmex a adressé de nouvelles conclusions modifiant ses demandes initiales en ce qu'il est demandé à la cour de :

- ramener les demandes formulées au titre des heures supplémentaires par M. [P] à de plus justes proportions, dans la limite de 1.229,80 euros au titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires outre 122,98 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,

- débouter M. [P] de ses demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- débouter M. [P] de ses demandes au titre du travail dissimulé,

- débouter M. [P] de sa demande d'indemnité de requalification.

La société a également communiqué les nouvelles pièces suivantes auxquelles elle fait référence dans ses écritures :

22. Explications relatives à la lecture des relevés chronotachygraphes,

23. Relevés chronotachygraphes de M. [P],

24. Décompte du temps de travail à partir des données figurant sur les relevés chronotachygraphes,

25. Tableaux chiffrés reprenant les heures supplémentaires du salarié telles qu'elles apparaissent sur les relevés chronotachygraphes,

26. Preuve des versements intervenus au titre de l'exécution provisoire,

27. Carte représentant le lieu de travail de M. [P] par rapport à son domicile personnel.

Le 7 décembre 2022 à 19h26, la société Dilmex a adressé à la cour de nouvelles écritures dans lesquelles a été sollicité le report de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries.

Dans ses premières écritures adressées le 3 août 2020, M. [P] demande à la cour de le dire recevable et bien fondé en ses demandes et de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que ses demandes de rappels de salaire étaient bien fondées, en conséquence, faire droit aux demandes de rappel d'heures supplémentaires et congés payés afférents et aux demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- à titre subsidiaire, désigner un nouvel expert aux fins de poursuite des opérations d'expertise judiciaire, enfermées dans un délai de trois mois,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le délit de travail dissimulé était caractérisé et condamner en conséquence la société Dilmex à lui verser, à titre principal, la somme de 13.743,24 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 8221-5 alinéa 2 et suivants du code du travail, et à titre subsidiaire, la somme de 12.050,39 euros,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a été fait droit à la demande de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, en conséquence, condamner la société Dilmex à lui verser, à titre principal, la somme de 2.290,54 euros et, subsisiairement, celle de 2.008,39 euros au titre de l'indemnité de requalification contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il relève les manquements graves de la société Dilmex en termes d'obligation de sécurité, statuant à nouveau, dire fondée la demande indemnitaire formulée à ce titre, en conséquence, condamner l'appelante à lui verser la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

De nouvelles écritures de M. [P] ont été adressées au greffe le 7 décembre 2022 à 13h49 ; ses prétentions sont identiques mais il demande à la cour de déclarer irrecevables les pièces et conclusions communiquées le 6 décembre 2022 par la société appelante.

Il a communiqué lui-même une nouvelle pièce consistant en un arrêt de la Cour de cassation concernant un autre salarié (M. [S]) rendu le 19 mai 2021 et une lettre officielle du 29 novembre 2021 (pièce p).

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 décembre 2022 par le conseiller de la mise en état au motif notamment de l'ancienneté de la procédure ayant permis aux parties de disposer du temps nécessaire aux échanges.

Le conseil du salarié a adressé de nouvelles écritures au fond le 13 décembre 2022 ainsi que des conclusions de procédure dans lesquelles il est demandé à la cour de :

« déclarer irrecevables les pièces et conclusions communiquées depuis le 5 décembre 2022 par la société Dilmex,

- subsidiairement, d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des présentes ».

A l'audience, la cour, après s'être retirée pour en délibérer, a ordonné la jonction au fond des incidents de procédure, révocation de l'ordonnance de clôture et irrecevabilité des conclusions et pièces communiquées tardivement.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Il n'est justifié ni même allégué d'aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture au sens de l'article 803 du code de procédure civile dans une procédure engagée depuis le 18 juin 2013 et dans laquelle l'appel à l'encontre de la décision de première instance a été relevé le 6 février 2020 soit il y a près de trois ans.

La demande de révocation de l'ordonnance de clôture est par conséquent rejetée.

Sur la demande d'irrecevabilité des conclusions et rejet de pièces complémentaires

Aux termes des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

En l'espèce, la procédure a été engagée le 3 février 2013 et l'appel a été formé le 6 février 2020.

Les parties disposaient donc d'un temps largement suffisant pour se communiquer leurs écritures, moyens et pièces.

L'envoi par la société appelante, deux jours avant la date fixée pour la clôture annoncée deux mois auparavant, de nouvelles écritures ajoutant des moyens à son argumentation ainsi que de pièces nouvelles, constitue un manquement au principe du contradictoire et de la loyauté des débats et ne permettait pas à l'intimé de répondre en temps utile, soit en réalité dans les 48 heures.

Les dernières conclusions et les nouvelles pièces communiquées par la société seront donc déclarées irrecevables et par suite, les conclusions au fond en réponse du salarié ainsi que sa pièce p le seront également.

La cour se référera en conséquence aux premières écritures et pièces communiquées le 6 mai 2020 par la société appelante et le 3 août 2020 par le salarié intimé pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties.

Sur la demande au titre de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée

Pour voir infirmer la décision déférée qui a fait droit à la demande de requalification du contrat à durée déterminée conclu entre les parties en contrat à durée indéterminée, la société invoque les éléments suivants :

- le recrutement de M. [P] en contrat de travail à durée déterminée était motivé par un surcroît d'activité et non par le remplacement d'un salarié : la société produit un tableau récapitulatif de l'évolution des résultats d'exploitation attestant d'une croissance de production sur les années 2010-2011 ; le mois de septembre 2011 comporte un pic d'activité lié à la reprise de trajets non assurés pendant la période estivale et ce surcroît s'est prolongé au-delà du mois de septembre (pièce 14), le chiffre d'affaires ne cessant d'augmenter jusqu'en décembre ;

- le contrat à durée déterminée de M. [P] pour le mois de septembre 2011, qui répondait à la nécessité de répondre au surcroît d'activité habituel observé à la rentrée scolaire, s'est finalement mué en contrat à durée indéterminée face au caractère durable de cet accroissement ;

- l'employeur justifie donc parfaitement de la réalité du motif pour lequel le contrat de travail à durée déterminée a été conclu.

M. [P] sollicite la confirmation du jugement et fait valoir que :

- comme ses collègues, il a été embauché dans le cadre de contrats à durée déterminée successifs aux motifs identiques, à savoir un prétendu accroissement temporaire d'activité ;

- ces contrats de travail duraient généralement entre quelques semaines et 6 mois ;

- or, compte tenu du caractère identique de l'objet des contrats, de la fréquence du recours à ceux-ci, il n'est manifestement pas contestable qu'en réalité, il s'agissait d'embaucher les salariés dans le cadre d'une période d'essai déguisée et non de faire face à un réel surcroît temporaire d'activité ;

- l'interdiction de recourir au contrat à durée déterminée pour un motif de préembauchage a fréquemment été rappelée par la jurisprudence.

***

Le contrat de travail à durée déterminée conclu le 5 septembre 2021 était motivé par un surcroît d'activité temporaire de l'activité habituelle de l'entreprise et a été renouvelé à son terme jusqu'au 31 mars 2012.

Aux termes des dispositions des articles L. 1242-1 et 1242-2 du code du travail dans leur version applicable au litige, un contrat de travail à durée déterminée ne peut quel que soit son motif, avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; il ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, seulement dans des cas limitativement énumérés et notamment en cas d'accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise.

Il appartient à l'employeur de rapporter la preuve du motif allégué.

L'examen des résultats d'exploitation versés aux débats par la société fait apparaître que le chiffre d'affaires réalisé, se situant entre 450.000 euros environ et 482.000 euros entre juin et août 2011 est passé à plus de 630.000 euros en septembre, 578.000 en octobre, 667.000 euros en novembre et 826.000 euros en décembre pour redescendre en suite au cours des premiers mois de l'année 2012.

Il est ainsi justifié d'une augmentation sensible de l'activité de l'entreprise et donc du motif du recours invoqué dans le contrat de travail à durée déterminée conclu entre les parties, étant observé que la fréquence des recours à des contrats de travail à durée déterminée alléguée par le salarié n'est étayée par aucune des pièces individuelles et communes versées aux débats.

M. [P] sera en conséquence débouté de ses demandes au titre de la requalification de son contrat, le jugement déféré étant infirmé de ces chefs.

Sur les demandes au titre des dépassements de la durée du travail

M. [P] sollicite la confirmation de la décision déférée qui lui a alloué la somme de

8.374,05 euros au titre des heures supplémentaires réalisées outre celle de 837,40 euros au titre des congés payés afférents.

Pour voir infirmer la décision déférée, la société fait valoir que les éléments probatoires soumis par le salarié sont insuffisamment précis :

- le conseil de prud'hommes a alloué à M. [P] la somme qu'il sollicitait en se fondant sur le tableau récapitulatif produit par le salarié et se référant exclusivement aux heures réalisées par d'autres salariés conducteurs poids lourds ;

- ce raisonnement par référence ne saurait prospérer : la conduite de poids lourds n'étant pas une activité par équipe, chaque salarié dispose d'horaires qui lui sont propres et travaille en parfaite autonomie ;

- le conseil n'a pas tenu compte des relevés chronotachygraphes fournis par la société dans le cadre de l'expertise en estimant que les relevés de la carte conducteur, d'une part, ne tenaient pas compte des périodes de congés, alors qu'il était aisé de corriger ces données en ajoutant 35 heures hebdomadaires pour ces périodes, et, d'autre part, qu'ils ne tenaient pas non plus compte des temps de déplacement entre le siège et le dépôt alors qu'il ne s'agirait pas d'un temps de travail effectif.

M. [P] invoque notamment les éléments suivants :

- l'inspectrice du travail a constaté, concernant la période contrôlée (février-mars 2013), de nombreuses heures supplémentaires réalisées non rémunérées ;

- la société a toujours considéré certaines tâches réalisées par les salariés, à sa demande, comme ne constituant pas du travail effectif (nettoyage des véhicules, plein d'essence, rédaction des rapports d'activité, déplacement du siège vers le chantier, déplacement du dépôt au siège') : les salariés ont alerté la direction, en vain et pour l'inspectrice du travail, il s'agit bien de tâches constitutives d'un travail effectif ;

- l'expert ne s'est pas rapproché de l'inspection du travail alors que sa mission le prévoyait ;

- l'employeur considère que les temps de trajets du dépôt ([Localité 2]) au siège ([Localité 3]) ou du dépôt vers le chantier, ne sont pas constitutifs de temps de travail, alors même que ces déplacements sont intervenus entre 2 lieux de travail avec des moyens mis en oeuvre par l'employeur ;

- M. [P] a demandé la communication des récapitulatifs mentionnant les heures d'embauche et de fin de journée, demandes restées vaines ;

- il précise que ces récapitulatifs mensuels, instaurés par l'employeur mais non produits, étaient remplis par les salariés, sur la base des rapports journaliers, également établis par eux ;

- les bulletins de salaire mentionnent chaque mois 20 heures supplémentaires ;

- or, au cours de l'expertise, l'employeur a fini par communiquer des relevés de carte conducteur de M. [P] sur lesquels la durée de travail fluctue beaucoup plus que ce qu'indiquent les bulletins de salaire ;

- il n'y pas de preuve de prétendues pauses café d'une heure le matin ;

- il n'y a pas lieu de déduire des coupures repas ne figurant pas sur les relevés des cartes conducteur ;

- le repos compensateur de remplacement n'était pas mis en place au sein de la société ;

- les arguments présentés par l'appelante, et pour lesquels l'inspection de travail a déjà indiqué qu'ils étaient inopérants, ne pourront donc qu'être écartés.

***

Aux termes des articles L. 3171-2 alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés et, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments.

Il sera relevé à titre liminaire que le pré-rapport d'expertise, auquel se réfère la société, est totalement inexploitable en raison du fait que l'expert n'a examiné que la situation d'un autre salarié concerné par le litige, M. [V], et encore sur la base « d'un échantillonnage » (non défini : quelles pièces et quelle période) pour en tirer des conclusions ne reposant que sur des hypothèses ou des appréciations non objectivées par la référence à des pièces précises, l'expert relevant par exemple :

- qu'il n'est « pas réaliste de ne pas manger entre 6h du matin et 19h le soir », que la pause repas était d'une heure ou 45 minutes ou 30 minutes ou encore pouvait se résumer à un sandwich avalé pendant le chargement du camion ;

- que « pour les désamianteurs, ne pas manger quand le chef d'équipe s'arrête pour manger, c'est suspect » ;

- que le temps de trajet entre les deux sites, était « semble-t'il payé en temps de travail (ou plutôt indiqué comme payé en temps de travail mais cette vérification prend du temps) » ;

- qu'un « camion qui, le matin, ne bouge qu'une heure après la soi-disant embauche, indique (...) que le chauffeur a par exemple pris son petit déjeuner et lu le journal » ;

- qu'il y avait « pour certains salariés (dont M. [X]) des compensations à de probables heures supplémentaires officiellement impayées » ;

- qu'on « peut compter a priori environ 5 à 6 heures par mois impayées. Pour le moment, il s'agit d'un arbitraire plus qu'autre chose faute de vérification systématique (extrêmement longue) ... » ;

- la situation d'autres salariés (M. [A] [X], M. [A] [P], M. [Z] et M. [I] n'a été envisagée par l'expert que sous l'angle de la critique non étayée des éléments retenus par l'inspectrice du travail, l'expert relevant ne pas avoir disposé des fiches mensuelles pour le mois de l'échantillonnage ['], que M. [K] était hors échantillonnage et faisant état d'une vérification ponctuelle pour M. [U] en mars 2012 ;

- enfin les relevés effectués sur site par Mme [W] en novembre 2017 sont dépourvus de pertinence en ce qu'ils sont intervenus plus de 4 ans après la saisine de la juridiction prud'homale, M. [V] ayant souligné lors de son entretien avec Mme [W] le 8 décembre 2017 que « l'activité maintenant n'a pas grand-chose à voir avec 2010-2013 ».

M. [P] fait référence dans ses écritures à un décompte hebdomadaire qui témoignerait d'heures supplémentaires à hauteur de la somme qu'il réclame et qui figurerait en pièce n° 11.

Le bordereau de communication de pièces adressé à la cour ne mentionne aucun décompte au titre des pièces individuelles de M. [P] qui sont numérotées de 1 à 10 bis, dont aucune n'est un décompte, qui ne figure pas non plus dans les pièces communes des salariés concernés par le litige.

Il ressort en revanche de la lettre de l'inspection du travail des éléments suffisamment précis quant aux heures réalisées en février et mars 2013.

Seront ainsi retenues 7,5 heures en février et 8,25 en mars, compte tenu des heures supplémentaires réglées sur les bulletins de paie qui ne portent pas mention de repos compensateur, soit une somme due de 212,62 euros, le surplus de la demande étant rejetée faute pour M. [P] de produire des éléments suffisamment précis au soutien de celle-ci.

Si la société fait état de temps de trajet entre ses deux sites, le contrat stipulait trois lieux d'embauche possibles et en l'état des pièces produites, la cour ne dispose d'aucun élément pour déduire de la créance retenue ces temps de trajet de même que celui d'une éventuelle pause repas.

Enfin, faute d'éléments suffisamment précis au soutien du surplus de la somme réclamée, M. [P] sera débouté de sa demande subsidiaire d'expertise à laquelle il ne saurait être fait droit, en l'absence de tout élément détaillant la créance dont le paiement est sollicité.

En conséquence, la société Dilmex sera condamnée à payer à M. [P] la somme de

212,62 euros bruts à titre de rappel de salaire et celle de 21,26 euros bruts pour les congés payés afférents.

L'octroi de cette seule somme et le rejet de la demande au titre des heures supplémentaires pour le surplus entraînent le rejet des demandes au titre de la contrepartie obligatoire en repos, du travail dissimulé - l'élément intentionnel requis étant insuffisamment établi - et de la violation de la réglementation sur le temps de travail, aucun dépassement de la durée maximale quotidienne ou hebdomadaire n'ayant été relevé par l'inspection du travail dans sa lettre du 13 août 2013 en ce qui concerne M. [P].

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes de M. [P] de ces chefs.

Sur les autres demandes

La société, condamnée en paiement, supportera les dépens, la somme allouée en première instance sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile étant confirmée, sans qu'il soit inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

Déclare irrecevables les conclusions au fond et pièces communiquées par les parties à compter du 5 décembre 2022,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [A] [P] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail et condamné la société Dilmex aux dépens ainsi qu'à payer à M. [A] [P] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

Dit n'y avoir lieu à requalification du contrat de travail à durée déterminée conclu entre la société Dilmex et M. [A] [P],

Condamne la SARL Dilmex à payer à M. [A] [P] les sommes de 212,62 euros bruts au titre des heures supplémentaires réalisées durant les mois de février et mars 2013 outre 21,26 euros bruts pour les congés payés afférents,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Rappelle que la présente décision emporte obligation pour M. [A] [P] de restituer l'excédent des sommes versées au titre de l'exécution des condamnations prononcées en première instance assorties de l'exécution provisoire de plein droit,

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses frais irrépétibles d'appel,

Condamne la SARL Dilmex aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/00637
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;20.00637 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award