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29/03/2023 | FRANCE | N°20/00634

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mars 2023, 20/00634


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 29 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/00634 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOD4













SARL DILMEX



c/



Monsieur [S] [R]

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :



à :>
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2020 (R.G. n°F 13/02142) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 février 2020,





APPELANTE :

SARL Dilmex, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qual...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/00634 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LOD4

SARL DILMEX

c/

Monsieur [S] [R]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2020 (R.G. n°F 13/02142) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 février 2020,

APPELANTE :

SARL Dilmex, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 5]

N° SIRET : 342 106 960

représentée et assistée de Me Marine RAIMBAULT substituant Me Vanessa MEYER de la SELARL MEYER & SEIGNEURIC, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [S] [R]

né le 22 Mars 1967 à [Localité 2] de nationalité Française

Profession : Conducteur poids lourds, demeurant [Adresse 1]

représenté par Me Iwann LE BOEDEC, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon contrat de travail à durée déterminée conclu le 8 octobre 2001 renouvelé le 9 novembre 2001 pour un an puis transformé en contrat à durée indéterminée, Monsieur [S] [R], né en 1967, a été engagé en qualité de conducteur poids lourds à temps complet par la SARL Dilmex dont le gérant est M. [B] [Y].

Cette société, dont l'activité initiale était l'exploitation de carrières, s'est ensuite orientée vers les travaux de désamiantage, de démolition et de terrassement et emploie actuellement 28 salariés sur des emplois soit administratifs, soit de désamianteurs et de chauffeurs de camions.

Elle dispose de deux sites, celui de [Localité 4], correspondant au siège social de l'entreprise, et un dépôt à [Localité 3], acquis ultérieurement à l'embauche de M. [R] par la société mais à une date non justifiée.

Seuls sont versés aux débats le contrat de travail à durée déterminée et son avenant sur lequel le lieu d'embauche de M. [R] ne figure pas.

Les relations contractuelles entre les parties sont soumises à la convention collective nationale des industries de carrières et de matériaux.

Après avoir réclamé à leur employeur des explications sur les modalités de leur rémunération dans un courrier non daté, plusieurs salariés ont par lettre du 3 février 2013, sollicité l'intervention de l'inspection du travail, dénonçant des irrégularités portant sur le règlement effectué sous forme de primes d'une partie des heures supplémentaires qu'ils réalisaient, l'absence de repos compensateur, le décompte de la durée du temps de travail des chauffeurs à partir du traceur GPS et non des disques chronotachygraphes, le non-paiement du temps passé aux tâches étrangères à la conduite des véhicules (nettoyage, plein de carburant...), l'absence de locaux sur les deux sites de [Localité 4] et [Localité 3] leur permettant de se changer, se laver et manger pendant leurs coupures, le préfabriqué installé sur les locaux de [Localité 3] étant insalubre, l'absence de sanitaire sur certains chantiers et l'insuffisance des installations de sécurité.

Le lendemain d'un contrôle sur site réalisé le 6 mai 2013, l'inspectrice du travail a adressé une lettre à l'entreprise, rappelant un courrier d'observations envoyé le 5 novembre 2012 et resté sans réponse malgré l'engagement pris par l'employeur à ce sujet le 14 mars 2013.

Elle a demandé à l'employeur de lui faire parvenir divers documents tels que les bulletins de salaires et relevés de décompte de la durée du travail pour les mois de février et mars 2013 ainsi que les données numériques des cartes conducteurs pour les chauffeurs.

Par lettre du 13 août 2013, l'inspectrice du travail relevait :

- le défaut de majoration des heures supplémentaires détaillées dans un tableau établi pour les mois de février et mars 2013,

- le défaut de mention de ces heures supplémentaires sur les bulletins de paie,

- que les règles applicables au repos compensateur ne semblaient pas être mises en oeuvre,

- la différence entre les heures figurant sur les récapitulatifs mensuels d'activité et celles mentionnées sur les bulletins de paie joignant également un tableau à ce sujet,

- des dépassements des durées de travail maximale quotidienne et hebdomadaire, détaillés dans deux tableaux,

- la non-prise en compte des temps de trajet considérés comme du temps de travail effectif lorsque :

* l'employeur impose le passage du salarié au siège ou au dépôt avant qu'il se rende sur le lieu de travail,

* le salarié doit prendre un véhicule de l'entreprise pour transporter du personnel ou du matériel,

* le salarié doit procéder au chargement ou au déchargement de matériaux avant de se rendre sur un chantier.

Le 18 juin 2013, M. [R] a, ainsi que 12 autres salariés, saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux sollicitant notamment le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société Dilmex.

Suite à l'audience de conciliation du 3 septembre 2013, M. [D], en sa qualité de délégué du personnel, a adressé une lettre à l'employeur au terme de laquelle il prenait acte de la volonté exprimée par ce dernier de ne plus faire réaliser d'heures supplémentaires aux salariés ayant engagé la procédure prud'homale.

Par lettre du 16 décembre 2013, la société a, par la voix de son conseil, répondu au courrier de l'inspection du travail du 13 août 2013 et à un autre courrier de celle-ci du 29 novembre 2013, en contestant la prise en compte des temps de trajet dans le temps de travail effectif et en évoquant des récupérations d'heures supplémentaires pour justifier le différentiel entre les heures figurant sur les bulletins de salaire et celles mentionnées sur les fiches mensuelles.

Dans cette lettre, il est fait état de tableaux détaillant les heures de trajet et les récupérations.

Ces tableaux ne sont pas versés aux débats.

Le conseil de prud'hommes s'est déclaré en partage de voix sur le litige opposant les parties à l'issue d'une audience du bureau de jugement du 19 décembre 2014.

Une procédure pénale pour des infractions aux conditions de travail a été ouverte par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux, semble-t'il suite à un procès verbal établi le 6 janvier 2014 par la Direccte, qui n'est pas versé aux débats ; cette procédure a fait l'objet d'un classement sans suite le 18 février 2016.

Par jugement rendu en formation de départage le 12 décembre 2016, le conseil a dit n'y avoir plus lieu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de l'enquête pénale et a ordonné une mesure d'expertise confiée à M. [A] [W] qui, ayant rencontré de graves difficultés de santé, a tardé à exécuter sa mission et ne l'a pas achevée, malgré l'adjonction d'une assistante, Mme [P], et la prorogation de délai autorisée par le juge départiteur.

Un pré-rapport a été établi le 9 mai 2019 mais par la suite, aucun rapport définitif n'a été déposé par l'expert désigné.

L'examen du litige a été fixé à l'audience du 19 novembre 2019.

Par jugement rendu en formation de départage le 14 janvier 2020, le conseil de prud'hommes a fait le constat des insuffisances de l'expert, relevant notamment que seul l'un des salariés, M. [J], avait été entendu par l'expert, que celui-ci n'avait pas répondu aux missions qui lui avaient été confiées quant à l'analyse des feuilles de présence, des conditions de décompte des temps de pause, de repas, d'exécution des travaux de nettoyage des véhicules', ni n'avait estimé nécessaire de recueillir des informations auprès de l'inspection du travail, qu'il n'avait répondu que de façon très ponctuelle sur l'éventuel versement de primes au titre de la rémunération d'heures supplémentaires et n'avait pas donné d'indications chiffrées sur les heures supplémentaires alléguées par les salariés.

Le conseil, estimant détenir des éléments suffisants pour se déterminer sur l'existence d'heures supplémentaires, a rejeté la nouvelle demande d'expertise présentée par les deux parties et a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R], à la date de la décision,

- condamné la SARL Dilmex à payer à M. [R] les sommes suivantes :

* 11.353,35 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires outre la somme de 1.135,33 euros au titre des congés payés afférents,

* 12.904,62 euros au titre du travail dissimulé,

* 10.642,27 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

* 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 11.108,33 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 3.078,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 307,89 euros au titre des congés payés afférents,

* 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- débouté la SARL Dilmex de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Dilmex aux dépens.

Le contrat de travail de M. [R] est toujours en cours.

Par déclaration du 6 février 2020, la société Dilmex a relevé appel de cette décision.

La société Dilmex a assigné le salarié le 25 juin 2020 devant le premier président pour voir prononcer la suspension de l'exécution provisoire de la décision rendue le 14 janvier 2020 par le conseil de prud'hommes de Bordeaux. Elle a été déboutée de sa demande par ordonnance de référé du 3 septembre 2020 et condamnée à payer au salarié la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Dans ses premières conclusions adressées le 6 mai 2020, la société Dilmex demande à la cour de la dire recevable et bien fondée en son appel et de :

- infirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts au titre de la violation de l'obligation de sécurité de résultat et, statuant à nouveau et rejetant toutes conclusions contraires, de :

- ramener les demandes formulées au titre des heures supplémentaires par M. [R] à de plus justes proportions, dans la limite de 6.266,43 euros au titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires outre 626,64 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés y afférent,

- ramener les demandes formulées par M. [R] au titre de la contrepartie obligatoire en repos à de plus justes proportions, dans la limite de 5.435,32 euros,

- débouter M. [R] de ses demandes au titre du travail dissimulé,

- débouter M. [R] de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ainsi que des demandes indemnitaires afférentes,

- condamner M. [R] aux dépens et à lui verser une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement (sic).

La société Dilmex a adressé à la cour de nouvelles écritures le 5 décembre 2022 à 14h59, soit trois jours avant la date prévue pour l'ordonnance de clôture, dans lesquelles ses demandes ainsi que ses moyens ont été complétés et modifiés, notamment par une demande de prescription des demandes nouvelles présentées en cause d'appel par M. [R] au titre des heures supplémentaires et de la contrepartie obligatoire en repos, et a communiqué des nouvelles pièces :

18. Explications relatives à la lecture des relevés chronotachygraphes,

19. Relevés chronotachygraphes de M. [R],

20. Bulletins de salaire de M. [R] au titre de l'année 2021-2022,

21. Preuve des versements intervenus au titre de l'exécution provisoire.

Elle a adressé des dernières écritures le 7 décembre 2022 à 19h23 pour solliciter le report de l'ordonnance de clôture au jour des plaidoiries.

Dans ses premières conclusions adressées le 3 août 2020, M. [R] demande à la cour de le dire recevable et bien fondé en ses demandes et de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que ses demandes de rappels de salaire étaient bien fondées, en conséquence, faire droit aux demandes suivantes :

* 11.353,35 euros au titre de rappel d'heures supplémentaires,

* 1.135,33 euros au titre des congés payés afférents,

* 10.642,27 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

Y ajouter les sommes suivantes, pour la période courant du 23 juin 2008 au 20 juin 2013 :

* 9.921,13 euros au titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires,

* 992,11 euros au titre des congés payés afférents,

* 9.519,58 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- à titre subsidiaire, désigner un nouvel expert aux fins de poursuite des opérations d'expertise judiciaire, enfermées dans un délai de trois mois,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré que le délit de travail dissimulé était caractérisé et condamner en conséquence la société Dilmex à lui verser, à titre principal, la somme de 13.591,42 euros à titre principal et 12.904,62 euros [à titre subsidiaire], à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 8221-5 alinéa 2 et suivants du code du travail,

- confirmer le jugement en ce qu'il a considéré qu'il y avait lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, en conséquence, faire droit aux demandes suivantes :

* 13.968,92 euros au titre de l'indemnité de licenciement à titre principal et, subsidiairement, 13.258,33 euros,

* 3.078,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre la somme de 307,89 euros pour les congés payés y afférents,

* 49.835,06 euros sur le fondement de l'article L. 1235-1 du code du travail,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il relève les manquements graves de la société Dilmex en termes d'obligation de sécurité,

- statuant à nouveau, dire fondée la demande indemnitaire formulée à ce titre, en conséquence, condamner l'appelante à lui verser la somme de 18.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M. [R] a adressé de nouvelles conclusions le 7 décembre 2022, dans lesquelles ses prétentions sont identiques si ce n'est qu'il demande à la cour de déclarer irrecevables les dernières pièces et conclusions communiquées par la société appelante.

Il a produit une nouvelle pièce (pièce commune p) consistant en un arrêt de la Cour de cassation concernant un autre salarié (M. [C]) rendu le 19 mai 2021 et lettre officielle du 29 novembre 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 décembre 2022 par le conseiller de la mise en état au motif notamment de l'ancienneté de la procédure ayant permis aux parties de disposer du temps nécessaire aux échanges.

Le conseil du salarié a adressé de nouvelles écritures au fond le 13 décembre 2022 dans lesquelles il a étayé son argumentaire quant aux manquements invoqués au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et communiqué deux nouvelles pièces :

- pièce individuelle 13 : courriers officiels des 18 et 23 février 2022 ;

- pièce individuelle 14 : RQTH.

Il a également adressé des conclusions de procédure dans lesquelles il est demandé à la cour de :

« déclarer irrecevables les pièces et conclusions communiquées depuis le 5 décembre 2022 par la société Dilmex,

- subsidiairement, d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture au jour des présentes ».

A l'audience, la cour, après s'être retirée pour en délibérer, a ordonné la jonction au fond des incidents de procédure, révocation de l'ordonnance de clôture et irrecevabilité des conclusions et pièces communiquées tardivement.

Il a été précisé que M. [R] était en arrêt de travail pour maladie depuis le 14 septembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Il n'est justifié ni même allégué d'aucune cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture au sens de l'article 803 du code de procédure civile dans une procédure engagée depuis le 18 juin 2013 et dans laquelle l'appel à l'encontre de la décision de première instance a été relevé le 6 février 2020 soit il y a près de trois ans.

La demande de révocation de l'ordonnance de clôture est par conséquent rejetée.

Sur la demande d'irrecevabilité des conclusions et rejet de pièces complémentaires

Aux termes des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

En l'espèce, la procédure a été engagée le 3 février 2013 et l'appel a été formé le 6 février 2020.

Les parties disposaient donc d'un temps largement suffisant pour se communiquer leurs écritures, moyens et pièces.

L'envoi par la société appelante, trois jours avant la date fixée pour la clôture, annoncée deux mois auparavant, de nouvelles écritures ajoutant des moyens à son argumentation ainsi que de pièces nouvelles, constitue un manquement au principe du contradictoire et de la loyauté des débats et ne permettait pas à l'intimé de répondre en temps utile, soit en réalité dans les 48 heures.

Les dernières conclusions et les nouvelles pièces communiquées par la société seront donc déclarées irrecevables et par suite, les conclusions au fond en réponse du salarié ainsi que ses pièces p, 13 et 14 le seront également.

La cour se référera en conséquence aux premières écritures et pièces communiquées le 6 mai 2020 par la société appelante et le 3 août 2020 par le salarié intimé pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties.

Sur les demandes au titre des dépassements de la durée du travail

- Sur la demande en paiement au titre des heures supplémentaires

M. [R] demande la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 11.353,35 euros à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées outre 1.135,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente ainsi qu'une somme complémentaire de 9.921,13 euros et de 992,11 euros pour les congés payés afférents pour la période « du 23 juin 2008 au 20 juin 2013 », mais en réalité ses calculs portent sur une période allant jusqu'au 31 août 2013.

Pour voir infirmer la décision déférée, la société fait valoir les éléments suivants :

- M. [R] ne fait pas partie de l'échantillon de salariés analysés par l'inspection du travail ;

- M. [R] a produit des états récapitulatifs mensuels d'heures supplémentaires qu'il prétend avoir effectuées sans en avoir été rémunéré ainsi que des fiches de présence mensuelle remplies par ses soins ;

- le salarié décompte systématiquement ses heures de repas mais il inclut dans ses décomptes les heures de déplacement entre le siège et le dépôt (2h par jour) ;

- or, il ne ressort d'aucun élément du dossier que le lieu d'embauche de M. [R] se situe à [Localité 4] ;

- le temps de trajet ne donne lieu à rémunération que s'il dépasse le temps de trajet habituel et uniquement pour la part dépassant ce temps de trajet ;

- par ailleurs, les temps de déplacement professionnel entre deux lieux d'exécution du travail, notamment entre le siège d'une entreprise et les chantiers, ne sont pas systématiquement constitutifs de temps de travail : le salarié doit, durant ce temps de trajet, être à la disposition de l'employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, et ce, y compris, si le trajet est réalisé au moyen d'un véhicule de fonction mis à disposition par l'employeur ;

- le conseil de prud'hommes a fait droit aux demandes de rappel de salaire sans retirer les heures correspondant aux trajets du salarié ;

- pour minimiser la charge financière des trajets ainsi que l'usure des véhicules personnels des salariés, l'employeur a proposé aux salariés :

* un système de covoiturage des salariés de [Localité 4] vers le dépôt de [Localité 3] au moyen d'une navette mise à leur disposition,

* la mise à disposition de véhicules utilitaires de la société : les salariés récupèrent le véhicule (à [Localité 4] ou [Localité 3]), s'ils le souhaitent, le lundi matin, et le restituent en fin de semaine ;

- les temps de trajet depuis le dépôt, vers un chantier, constituent du temps de travail effectif lorsqu'ils sont imposés par l'employeur - notamment afin de récupérer des marchandises - ; il en va autrement des déplacements intervenant entre [Localité 4] et [Localité 3] par une navette mise à disposition des chauffeurs habitant le Médoc ;

- la cour devra déduire l'ensemble des trajets de M. [R] (navette, véhicule personnel et véhicule mis à disposition par la société) ;

- sur ses fiches de présence, M. [R] prend en compte l'heure à laquelle il partait du dépôt de [Localité 4] comme heure d'embauche ;

- il en ressort que 439 heures supplémentaires sollicitées sur trois années correspondent à des temps de trajet.

La société a établi un tableau faisant apparaître les heures réalisées par M. [R], sur la base des relevés mensuels de présence correspondant aux relevés issus de la carte conducteur du salarié (pièce 16) selon lequel M. [R] a réalisé :

* année 2010 (à partir de la semaine 25) : 41 heures supplémentaires,

* année 2011 : 451 heures supplémentaires et 157 heures de temps de trajet,

* année 2012 : 388 heures supplémentaires et 148 heures de temps de trajet,

* année 2013 : 152 heures supplémentaires et 96 heures de temps de trajet.

Aux termes de ces feuilles de calcul, M. [R] aurait dû percevoir la somme de 17.114,25 euros bruts au titre du rappel d'heures supplémentaires effectuées durant la période allant de la semaine 25 de l'année 2010 à la semaine 35 de l'année 2013, alors qu'il a perçu la somme de 10 847, 82 euros ; il reste à devoir une somme ne pouvant être supérieure à celle de 6.266,43 euros au titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires, outre 626,64 euros au titre des congés payés afférents.

M. [R] invoque les éléments suivants :

- l'inspectrice du travail a constaté, concernant la période contrôlée (février-mars 2013), de nombreuses heures supplémentaires réalisées non rémunérées ;

- il convient de comparer la durée de travail figurant sur les bulletins de salaire à celle portée sur les récapitulatifs mensuels d'activité ;

- la société a toujours considéré certaines tâches réalisées par les salariés, à sa demande, comme ne constituant pas du travail effectif (nettoyage des véhicules, plein d'essence, rédaction des rapports d'activité, déplacement du siège vers le chantier, déplacement du dépôt au siège') : les salariés ont alerté la direction, en vain et pour l'inspectrice du travail, il s'agit bien de tâches constitutives d'un travail effectif ;

- l'expert ne s'est pas rapproché de l'inspection du travail alors que sa mission le prévoyait ;

- les temps de trajets du dépôt ([Localité 3]) au siège ([Localité 4]) ou du dépôt vers le chantier sont du temps de travail, ces déplacements sont intervenus entre 2 lieux de travail avec des moyens mis en oeuvre par l'employeur et le contrat de travail de M. [R] prévoit expressément une embauche sur le site de [Localité 4] ; ces temps représentent environ une heure le matin et une heure le soir ;

M. [R] a demandé la communication des récapitulatifs mentionnant les heures d'embauche et de fin de journée, demandes restées vaines.

Il précise que ces récapitulatifs mensuels, instaurés par l'employeur mais non produits, étaient remplis par les salariés, sur la base des rapports journaliers, également établis par eux.

Il ajoute que :

- les bulletins de salaire mentionnent chaque mois 20 heures supplémentaires ;

- au cours de l'expertise, l'employeur a fini par communiquer des relevés de carte conducteur de M. [R] sur lesquels la durée de travail fluctue beaucoup plus que ce qu'indiquent les bulletins de salaire ;

- il n'y a pas de preuve de prétendues pauses café d'une heure le matin ;

- les arguments présentés par l'appelante, et pour lesquels l'inspection de travail a déjà indiqué qu'ils étaient inopérants, ne pourront donc qu'être écartés.

En pièce 7, M. [R] produit un décompte hebdomadaire précis de son temps de travail : c'est ainsi que de la semaine 25 de l'année 2010 à la semaine 35 de l'année 2013, M. [R] aurait dû percevoir la somme de 22.201,17 euros ; il n'a perçu que 10.847,82 euros ; il lui reste donc dû la somme de 11.353,35 euros à titre de rappel de salaire outre 1.135,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente.

Au stade de l'appel, un rappel additionnel pour la période courant à compter de la semaine 26 de l'année 2008 est demandé par le salarié au vu d'un décompte établi en pièce 10 portant sur la semaine 26 de l'année 2008 à la semaine 24 de l'année 2010.

M. [R] verse par ailleurs aux débats des cahiers tenus par lui pour les années (pièce 6) portant sur les périodes suivantes :

- 1er cahier : octobre 2007 à décembre 2008,

- 2ème cahier : janvier 2009 à décembre 2010,

- 3ème cahier commençant par l'année 2011, puis 2012, puis 2013, reprenant ensuite les années 2009 et 2010,

- 4ème cahier : années 2011 et 2012,

- 5ème cahier : année 2013 et année 2014.

Il produit enfin ses bulletins de paie des années 2008 à 2013, accompagnés de ses fiches de présence mensuelle ainsi que de très nombreux relevés chronotachygraphes.

***

Aux termes des articles L. 3171-2 alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés et, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments.

Il sera relevé à titre liminaire que le pré-rapport d'expertise, auquel se réfère la société, est totalement inexploitable en raison du fait que l'expert n'a examiné que la situation d'un autre salarié concerné par le litige, M. [J], et encore sur la base « d'un échantillonnage » (non défini : quelles pièces et quelle période) pour en tirer des conclusions ne reposant que sur des hypothèses ou des appréciations non objectivées par la référence à des pièces précises, l'expert relevant par exemple :

- qu'il n'est « pas réaliste de ne pas manger entre 6h du matin et 19h le soir », que la pause repas était d'une heure ou 45 minutes ou 30 minutes ou encore pouvait se résumer à un sandwich avalé pendant le chargement du camion ;

- que « pour les désamianteurs, ne pas manger quand le chef d'équipe s'arrête pour manger, c'est suspect » ;

- que le temps de trajet entre les deux sites, était « semble-t'il payé en temps de travail (ou plutôt indiqué comme payé en temps de travail mais cette vérification prend du temps) » ;

- qu'un « camion qui, le matin, ne bouge qu'une heure après la soi-disant embauche, indique (...) que le chauffeur a par exemple pris son petit déjeuner et lu le journal » ;

- qu'il y avait « pour certains salariés (dont M. [T]) des compensations à de probables heures supplémentaires officiellement impayées » ;

- qu'on « peut compter a priori environ 5 à 6 heures par mois impayées. Pour le moment, il s'agit d'un arbitraire plus qu'autre chose faute de vérification systématique (extrêmement longue) ... » ;

- la situation d'autres salariés (M. [I] [T], M. [I] [K], M. [Z] et M. [H]) n'a été envisagée par l'expert que sous l'angle de la critique non étayée des éléments retenus par l'inspectrice du travail, l'expert relevant ne pas avoir disposé des fiches mensuelles pour le mois de l'échantillonnage ['], que M. [R] était hors échantillonnage et faisant état d'une vérification ponctuelle pour M. [D] en mars 2012 ;

- enfin les relevés effectués sur site par Mme [P] en novembre 2017 sont dépourvus de pertinence en ce qu'ils sont intervenus plus de 4 ans après la saisine de la juridiction prud'homale, M. [J] ayant souligné lors de son entretien avec Mme [P] le 8 décembre 2017 que « l'activité maintenant n'a pas grand-chose à voir avec 2010-2013 ».

C'est par ailleurs à juste titre que les premiers juges ont estimé disposer des éléments pour statuer sur le litige opposant les parties au regard des règles de preuve applicables en matière de durée du travail, une nouvelle mesure d'expertise ne pouvant pas être ordonnée en raison du délai raisonnable auquel peut prétendre tout justiciable de voir juger son affaire ainsi que du coût que représenterait une mesure d'instruction près de 10 ans après la saisine de la juridiction de première instance.

Il sera ensuite relevé que la demande en paiement présentée en cause d'appel par M. [R] porte sur la période du 23 juin 2008 au 31 août 2013 et repose sur deux décomptes :

- pièce 10 : du 23 juin 2008 au 20 juin 2010 ;

- pièce 7 : du 21 juin 2010 au 31 août 2013.

Ces décomptes établis par semaine sont suffisamment précis pour permettre à la société d'y répondre.

Par ailleurs, ces décomptes et les fiches de présence mensuelle produites par le salarié témoignent de la prise en compte d'une pause repas généralement d'une heure mais parfois d'une durée moindre.

S'agissant de la contestation émise par la société au sujet des temps de trajet, il est acquis aux débats que lorsque M. [R] a été engagé, la société ne disposait que d'un site, celui de [Localité 4] où se situait donc nécessairement le lieu d'embauche du salarié, soit à environ 8 kms de de son domicile.

Si, par la suite, à une date pour laquelle aucun justificatif ni précision ne sont fournis, la société a acquis de nouveaux locaux à [Localité 3], il n'est pas établi que la société a modifié ce lieu d'embauche qui générait une augmentation sensible du trajet d'une durée de l'ordre d'une heure compte tenu des difficultés de circulation dans l'agglomération bordelaise.

La société explique qu'elle a alors proposé aux salariés qui, tels M. [R], résidaient en Haut-Médoc, de continuer de se rendre à [Localité 4] et de profiter d'une navette avec un véhicule de la société pour regagner le dépôt de [Localité 3].

Il n'est pas contesté que M. [R] a eu recours à ce système, générant des frais moindres de déplacement à sa charge mais il n'est pas précisé qui conduisait le véhicule qui aurait transporté plusieurs salariés.

Par ailleurs, aucun élément fiable ne permet de valider les déductions opérées par la société au titre des temps de trajet dans son décompte (pièce 16) : outre que ce décompte ne concerne que la période postérieure au 20 juin 2010, d'une part, il mentionne des durées de trajet à déduire variant selon les semaines entre 0 à 10 heures sans qu'aucune explication ne soit donnée.

D'autre part, la comparaison faite entre l'horaire d'embauche invoqué par le salarié correspond aux relevés chronotachygraphes qu'il produit.

Etant rappelé qu'il appartient à l'employeur de contrôler le temps de travail, il sera considéré en l'état des pièces et explications dont dispose la cour, que la demande de M. [R] est fondée dans son principe.

En revanche, le décompte proposé par M. [R] est erroné en ce qu'il n'a pas tenu compte de l'intégralité des sommes réglées au titre des heures supplémentaires majorées à 125% figurant sur les bulletins de paie pour la première période et a retenu des heures supplémentaires non dues pour la semaine du 8 février 2010 et, pour la seconde période, n'a pas pris en compte une journée de récupération en novembre 2010.

Sous le bénéfice de ces constats, la créance de M. [R] sera fixée à la somme de 20.404,10 euros.

La société Dilmex sera en conséquence condamnée au paiement des sommes de 20.404,10 euros au titre des heures supplémentaires réalisées et non payées entre le 23 juin 2008 et le 31 août 2013 outre 2.040,41 euros pour les congés payés afférents.

- Sur la demande en paiement au titre de la contrepartie obligatoire en repos

M. [R] sollicite la confirmation de la décision déférée qui lui a alloué la somme de 10.642,27 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos outre 9.519,58 euros pour la période pour la période « du 23 juin 2008 au 20 juin 2013 », mais en réalité ses calculs portent sur une période allant jusqu'au 31 août 2013.

Pour voir rejeter la demande à ce titre du salarié, la société Dilmex fait valoir les éléments suivants :

- l'accord du 22 décembre 1998 attaché à la convention collective nationale des industries de carrières et matériaux prévoit la possibilité d'un contingent complémentaire de 35 heures supplémentaires pouvant être utilisé (pièce n°11), soit un repos compensateur dû à partir de la 181ème heure ;

- cette disposition dérogatoire avait trouvé application devant la cour dans l'instance l'ayant opposée à M. [C] (cour d'appel de Bordeaux - chambre sociale, section B N° RG 17/05596) ;

- l'expert n'a pas constaté de dépassement des durées maximales de travail, si les temps de pause et notamment de repas venaient à être correctement décomptés et le salarié ne tient pas compte dans ces calculs des repos compensateurs pris ;

- la société verse un tableau (pièce 16) qui ne prend en compte, selon elle, que les heures réalisées par le salarié et qui laisse apparaître une contrepartie obligatoire en repos nettement inférieure aux prétentions de ce dernier :

* semaine 25 à 52 de l'année 2010 : 56,50 heures au-delà du contingent de 180 heures, soit 573,47 euros (56,50 x 10,15),

* année 2011 : 271 heures au-delà du contingent, soit 2.750,65 euros (271 x 10,15)

* année 2012 : 208 heures au-delà du contingent, soit 2.111,20 euros (208 x 10,15),

* les semaines 1 à 35 de l'année 2013 : aucune heure au-delà du contingent.

Elle en conclut que la cour ne pourra mettre à la charge de l'employeur qu'une somme ne pouvant être supérieure à 5.435.32 euros pour la période.

Au soutien de sa demande, M. [R] a établi le tableau suivant, rappelant que l'effectif de la société étant de plus de vingt salariés, il convient d'appliquer la compensation maximale de 100% du taux horaire, par heure effectuée au-delà du contingent annuel d'heures supplémentaires.

ANNÉE

Heures au-delà du

contingent d'HS

TOTAL

21 juin au 31 décembre 2010

129

1.309,35 €

2011

450

4.567,50 €

2012

375

3.811,32 €

2013

94

954,10 €

TOTAL

10.642,27 €

Il est aussi formulé une demande de rappel de salaire au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour la période antérieure, soit du 23 juin 2008 au 20 juin 2010 à hauteur de 9.519,58 euros, selon un tableau détaillé en page 31 des écritures du salarié.

***

Aux termes des dispositions de l'article L. 2121-11 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel défini par une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche.

Une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche fixe l'ensemble des conditions d'accomplissement d'heures supplémentaires au-delà du contingent annuel ainsi que les caractéristiques et les conditions de prise de la contrepartie obligatoire en repos due pour toute heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel, la majoration des heures supplémentaires étant fixée selon les modalités prévues à l'article L. 3121-22. Cette convention ou cet accord collectif peut également prévoir qu'une contrepartie en repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent.

En vertu de l'article 1.5 de l'accord du 22 décembre 1998 relatif à l'organisation, la réduction du temps de travail et à l'emploi (ouvriers, ETAM, cadres) dans les industries de carrières et matériaux, le contingent annuel d'heures supplémentaires, fixé à 145 heures, peut être augmenté de 35 heures par an, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut des délégués du personnel ou, à défaut, après information du personnel.

Dans la mesure où il n'est justifié ni même allégué de la consultation des IRP ou de l'information des salariés, sera appliqué le contingent annuel de 145 heures.

En vertu de l'article 18 IV de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, chaque heure supplémentaire accomplie au-delà du contingent annuel ouvre droit à une contrepartie obligatoire en repos égale à 100% pour les entreprises de plus de 20 salariés.

Compte tenu des observations faites ci-avant à propos du décompte des heures supplémentaires , la créance de M. [R] sera fixée à la somme de 16.615,12 euros pour la période du 23 juin 2008 au 31 août 2013.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail

M. [R] sollicite l'infirmation de la décision déférée qui l'a débouté de sa demande à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation de la durée du travail et le paiement de la somme de 18.000 euros en réparation du préjudice qu'il a subi de ce chef.

Il fait valoir les éléments suivants :

- la fréquence et l'ampleur des dépassements ;

- l'absence de toute information de l'administration quant à ces dépassements ;

- la fréquence de cette violation des dispositions légales relevée par l'inspectrice du travail ;

- l'inertie de la société malgré plusieurs alertes (notamment lettres du 5 novembre 2012 et du 13 août 2013) ;

- la défaillance de l'expert qui s'est cantonné à indiquer avoir « vu très peu de dépassements des durées maximales de travail » sans préciser lesquelles ni leur volume, privant ainsi ce constat de sa pertinence ;

- les dépassements étaient quasiment constants ainsi que cela ressort de la lecture des relevés d'activité remis à l'employeur et produits aux débats ;

- les dispositions applicables aux temps de pause n'étaient pas systématiquement respectées ;

- ces dépassements ont débuté dès l'embauche et se sont poursuivis pendant près de 13 années ;

- certaines semaines, il travaillait plus de 50 heures et ce, parfois plusieurs semaines d'affilée ;

- à compter de la saisine de la juridiction, l'employeur a décidé de ne plus solliciter les salariés intimés à la procédure pour exécuter des heures supplémentaires (cf. note de service du 31 août 2015) et, pour compenser la baisse d'activité des intimés à la procédure, d'autres salariés ont été conduits à réaliser de très nombreuses heures supplémentaires tel M. [U].

Son préjudice résultant du manquement particulièrement grave à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur pendant de nombreuses années est incontestable :

- la situation a généré des effets sur sa santé : il en a été affecté moralement et a subi une profonde fatigue ;

- compte tenu de ses fonctions de chauffeur PL, cette activité a également fait courir un risque considérable au salarié ainsi qu'aux autres usagers de la route ;

- elle a eu un impact sur sa vie privée et familiale et sur la dégradation de ses rapports avec l'employeur.

Pour voir rejeter cette demande, la société invoque notamment les éléments suivants :

- M. [R] échoue à rapporter la preuve d'un quelconque préjudice physique ou moral lié à ces prétendus dépassements en lien direct avec la relation de travail ;

- la société Dilmex possède la certification AFNOR et la DREAL placée sous l'autorité du préfet de la région Aquitaine a indiqué que l'entreprise Dilmex était en parfaite conformité avec la règlementation.

***

De l'examen des fiches mensuelles relatives au temps de travail produites par le salarié, l'existence de dépassements des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail est avérée.

Le préjudice résultant de l'atteinte portée au droit au repos du salarié et à l'obligation de préservation de la santé des salariés incombant à l'employeur sera réparé par l'octroi d'une somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur la rupture du contrat de travail

M. [R] sollicite la résiliation judiciaire de son contrat.

- Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, M. [R] invoque les manquements suivants justifiant, selon lui, la résiliation judiciaire du contrat aux torts de son employeur :

- le non-paiement d'heures supplémentaires ;

- l'absence de contrepartie obligatoire en repos ;

- la violation des dispositions applicables en matière de durée maximale du travail (quotidienne et hebdomadaire) ;

- le manquement à l'obligation de sécurité de résultat ;

- la rétention indue par l'employeur du complément de salaire versé depuis son arrêt de travail pour maladie ;

- le délit de travail dissimulé.

Ces manquements se sont poursuivis pendant de nombreuses années et présentent, selon lui, une gravité suffisante pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur.

La société conclut au rejet de la demande de l'intimé soulignant qu'il ne produit pas d'état récapitulatif des heures qui ne lui auraient pas été réglées permettant de déterminer leur existence, leur ampleur et leur durée, que les manquements allégués par M. [R] n'ont nullement rendu impossible la poursuite de son contrat de travail, ce dernier faisant toujours partie des effectifs de l'entreprise et qu'elle justifie par ailleurs avoir immédiatement revu le système de contrôle des heures supplémentaires, afin de permettre au salarié d'être rémunéré pour chacune des heures effectuées au-delà de la durée légale.

***

En application des dispositions des articles 1217 et 1224 du code civil et 1231-1 du code du travail, en cas d'inexécution de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat.

La résiliation judiciaire à la demande du salarié n'est justifiée qu'en cas de manquements de l'employeur d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

Le dépassement des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail est avéré de même que le non-paiement des heures supplémentaires pour une somme non négligeable au regard du salaire perçu par M. [R].

Celui-ci n'a en outre pas bénéficié des repos compensateurs auxquels il était en droit de prétendre.

Sa demande de résiliation a été présentée après l'intervention de l'inspection du travail dans un délai qui ne présente pas de caractère excessif au regard des condamnations prononcées ci-avant dont le montant représente plus d'une année de salaire.

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'obligation au paiement du salaire est une obligation déterminante du contrat de travail et il est justifié qu'avant d'engager la procédure prud'homale, des démarches amiables ont été tentées en vain auprès de l'employeur en vue d'une régularisation de la situation.

Enfin, à l'examen comparé du relevé établi par l'assureur garantissant le régime de prévoyance (lettre du 4 juin 2014 - pièce 9 salarié) et des bulletins de paie de la période de février à juin 2014, il apparaît que l'employeur n'a pas reversé l'intégralité du complément de salaire versé par l'assureur.

Les manquements de l'employeur qui se sont poursuivis surplusieurs années précédant la demande de résiliation judiciaire et au-delà de la saisine de la juridiction prud'homale, en l'absence de régularisation postérieure, sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle et justifier que cette demande soit accueillie.

C'est donc à juste titre que le jugement déféré a prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et il sera jugé que celle-ci produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du présent arrêt dès lors que le contrat de travail de M. [R] est toujours en cours d'exécution.

- Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture

Sur le salaire de référence

M. [R] revendique un salaire brut reconstitué avec les heures supplémentaires de 2.265,23 euros.

***

Les derniers bulletins de paie versés aux débats sont ceux de janvier à juin 2014.

Il a été précisé à l'audience que M. [R] était en arrêt de travail pour maladie depuis le 14 septembre 2021.

Le salaire de référence ne peut pas être fixé au regard de la rémunération perçue il y a 9 ans.

Ainsi, dans la limite des éléments dont dispose la cour, le salaire de référence sera fixé à la somme de 1.724,18 euros (salaire de base et prime d'ancienneté en juin 2014).

Sur les sommes sollicitées au titre de la rupture

M. [R] sollicite la confirmation du jugement déféré qui lui a alloué la somme de 3.078,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 307,89 euros pour les congés payés afférents.

*

La rupture du contrat produisant les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, le jugement déféré sera confirmé de ces chefs, dans la limite de la demande du salarié.

***

M. [R] sollicite la condamnation de la société à lui payer la somme de 13.968,92 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement et, à titre subsidiaire, celle de 13.258,33 euros sur la base d'un salaire de 2.150 euros.

*

M. [R] a été engagé le 8 octobre 2001.

Compte tenu de la date de la présente décision, de l'ancienneté du salarié, préavis inclus, et du salaire de référence retenu, la société Dilmex sera condamnée à lui payer la somme de 10.967,69 euros au titre de l'indemnité de licenciement.

***

M. [R] sollicite le paiement de la somme de 49.835,06 euros à titre d'indemnité 'adéquate' au sens de l'article 10 de la convention 158 de l'OIT, soit 22 mois de son salaire reconstitué.

Le barème d'indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, n'est pas contraire à l'article 10 de la convention n° 158 de l'OIT et le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l'application du barème au regard de cette convention internationale.

En application de ce texte, et compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant du salaire de référence de M. [R], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 27.586,88 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la présente décision.

Sur la demande en paiement de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé

M. [R] sollicite à titre principal le paiement de la somme de 13.591,42 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L. 8221-5 alinéa 2 et suivants du code du travail, sur la base de son salaire reconstitué, intégrant les heures supplémentaires non réglées, de 2.265,23 euros (salaire brut perçu ' HS rémunérées + HS dues).

Subsidiairement, il sollicite la confirmation de la décision déférée qui lui a alloué la somme de 12.904,62 euros de ce chef (soit 6 x 2.150,77 euros).

La société conclut au rejet de cette demande et fait notamment valoir les éléments suivants :

- le paiement, même partiel, d'heures supplémentaires sous forme de primes n'est attesté par aucun élément tangible et a été considéré par l'expert comme une probabilité ;

- l'élément intentionnel de la dissimulation d'activité ne saurait se caractériser par de simples hypothèses qui ne sont corroborées par aucun élément sérieux.

Au soutien de sa demande, M. [R] invoque les éléments suivants :

- la preuve des heures réellement effectuées est rapportée ;

- à la lecture des bulletins de paie, un très grand nombre de ces heures supplémentaires n'ont pas été rémunérées ;

- la lettre adressée par les salariés à l'inspection du travail, mentionne : « nos heures supplémentaires qui nous sont payées sous forme de primes à l'heure actuelle et non pas majorées comme il se doit » ;

- le pré-rapport d'expertise constate de « nombreuses « primes exceptionnelles » sur les bulletins de salaire qui pourraient effectivement rémunérer des heures supplémentaires ; une « prime de chantier » trouvée pourrait avoir le même but ;

- il y avait pour certains salariés des compensations à de probables heures supplémentaires officiellement impayées selon la méthode légale et habituelle sur les bulletins de paie ;

- la « légalité du procédé est du ressort du juge en sachant qu'il s'agit de probabilités » ;

- sur les bulletins de salaire de M. [R] figurent de la même manière de nombreuses primes ;

- la matérialité et l'intentionnalité du délit ne sont pas contestables.

***

En vertu des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement soit à l'accomplissement de la formalité relative à la déclaration préalable à l'embauche, soit à la délivrance d'un bulletin de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie, soit aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L. 8223-1 prévoit qu'en cas de rupture du contrat, le salarié auquel l'employeur a eu recours en commettant les faits prévus au texte susvisé a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

D'une part, ce n'est qu'au terme d'un long débat judiciaire que le salarié se voit reconnaître une créance au titre des heures supplémentaires effectuées dont le montant a été ci-avant réduit.

D'autre part, il n'est pas justifié de réclamations antérieures à la saisine de l'inspection du travail (en février 2013) puis de la juridiction prud'homale (en juin 2013) et il est avéré que le salarié n'a plus effectué d'heures supplémentaires après le mois d'août 2013.

Par ailleurs, la procédure d'enquête pour travail dissimulé, ordonnée suite à un procès verbal établi par l'inspection du travail, qui n'est pas versé aux débats, a fait l'objet d'un classement sans suite par le Parquet du tribunal de Bordeaux.

Enfin, si le salarié allègue de primes compensant les heures supplémentaires réalisées, il ne peut qu'être relevé qu'il n'a pas estimé nécessaire de les déduire de sa créance, ces primes étant en tout état de cause soumises à cotisations sociales.

En considération de ces éléments, l'élément intentionnel requis par le texte susvisé n'est pas suffisamment établi, en sorte que le salarié doit être débouté de sa demande de ce chef, le jugement déféré étant infirmé à ce titre.

Sur les autres demandes

La société, condamnée en paiement, supportera les dépens et il sera alloué à l'intimé la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture,

Déclare irrecevables les conclusions au fond et pièces communiquées par les parties à compter du 5 décembre 2022,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [S] [R] aux torts de la société Dilmex sauf à préciser qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date du présent arrêt, en ce qu'il a condamné la société Dilmex au paiement des sommes de 3.078,90 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 307,89 euros pour les congés payés afférents et a condamné celle-ci aux dépens,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la SARL Dilmex à payer à M. [S] [R] les sommes suivantes :

- 20.404,10 euros au titre des heures supplémentaires réalisées et non payées entre le 23 juin 2008 et le 31 août 2013 outre 2.040,41 euros pour les congés payés afférents,

- 16.615,12 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour la même période,

- 2.500 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la réglementation sur le temps de travail,

- 10.967,69 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- 27.586,88 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [S] [R] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la SARL Dilmex aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/00634
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;20.00634 ?
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