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29/03/2023 | FRANCE | N°20/00349

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 mars 2023, 20/00349


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 29 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/00349 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNLT



















Monsieur [F] [S]



c/



SNC BORDELAISE DE MATERIAUX ENROBES

















Nature de la décision : AU FOND













Gross

e délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 décembre 2019 (R.G. n°F 17/00284) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 21 janvier 2020,





APPELANT :

Monsieur [F] [S]

né le 10 Octobre 1983 à [Localité 3] ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/00349 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNLT

Monsieur [F] [S]

c/

SNC BORDELAISE DE MATERIAUX ENROBES

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 décembre 2019 (R.G. n°F 17/00284) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 21 janvier 2020,

APPELANT :

Monsieur [F] [S]

né le 10 Octobre 1983 à [Localité 3] de nationalité Française

Profession : Employé, demeurant [Adresse 1]

représenté et assisté de Me Marie-Odile CLAVERIE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SNC Bordelaise de Matériaux Enrobés (BME), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 467 200 150

représentée par Me Laurence MUNIER de la SELAS GESTION SOCIALE APPLIQUEE G.S.A., avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Sylvie Tronche conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [F] [S], né en 1983, a été engagé en qualité d'opérateur de poste par la SNC Bordelaise de Matériaux Enrobés, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2008 avec reprise d'ancienneté au 1er juin 2008. Il avait notamment pour fonction de piloter le système automatisé de production, de gérer la production des enrobés et d'assurer le chargement des camions.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M.[S] s'élevait à la somme de 2.310 euros.

Le 8 juin 2015, M.[S] a été placé en arrêt de travail pour maladie de cinq jours.

Puis, le 24 juin 2015, il a été placé en arrêt maladie de longue durée pour 'dépression liée à son travail : insomnie, angoisses, perte de l'élan vital' et le médecin a préconisé un repos de 60 jours à compter du 25 août 2015 après avoir relevé : «'qu'il est certain qu'il se passe des choses peu propices à son bien être dans son poste de travail'».

A l'issue d'une année d'arrêt et de la seconde visite médicale de reprise, le médecin du travail a conclu le 7 juin 2016 que M.[S] était inapte à son poste de travail mais 'apte à un poste dans un contexte organisationnel et relationnel différent'.

Par lettre datée du 18 juillet 2016, M.[S] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 28 juillet 2016 mais ne s'est pas présenté à l'entretien.

M.[S] a ensuite été licencié pour inaptitude d'origine non professionnelle par lettre datée du 3 août 2016.

A la date du licenciement, M.[S] avait une ancienneté de 7 ans et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Soutenant avoir subi un licenciement pour inaptitude nul compte tenu du harcèlement moral et d'une dégradation de ses conditions de travail dont il avait été victime et réclamant diverses indemnités outre des dommages et intérêts pour licenciement nul, M.[S] a saisi le 24 février 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 19 décembre 2019, a :

- rejeté l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Bordelaise de Matériaux Enrobés de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,

- rejeté toute autre demande, plus ample ou contraire,

- condamné M.[S] aux dépens.

Par déclaration du 21 janvier 2020, M.[S] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 20 décembre 2019.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 11 mai 2020, M.[S] demande à la cour de dire recevable et bien fondé son appel, de réformer le jugement déféré dans son intégralité et de :

- dire qu'il a subi un licenciement pour inaptitude nul compte tenu de conditions de travail dégradées et des faits de harcèlement moral,

- condamner son ancien employeur au paiement des sommes de 4.620 euros à titre d'indemnité de préavis, 462 euros représentant les congés payés afférents et celle de 41.580 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire et juger son licenciement dépourvu de toute cause en raison des conditions de travail à l'origine de son inaptitude à son poste de travail et pour manquement de l'employeur à son obligation légale impérative de reclassement,

A titre subsidiaire,

- condamner la société Bordelaise de Matériaux Enrobés au paiement des sommes de 4.620 euros à titre d'indemnité de préavis, de 462 euros au titre des congés payés afférents et de 41.580 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail,

En tout état de cause,

- condamner la société Bordelaise de Matériaux Enrobés au paiement d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et frais éventuels d'exécution.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 juillet 2020, la société Bordelaise de Matériaux Enrobés demande à la cour de':

- confirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 19 décembre 2019 en ce qu'elle a débouté M.[S] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M.[S] à payer 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 janvier 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 6 février 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

M. [S] soutient que son licenciement est nul car son inaptitude est la conséquence du harcèlement moral dont il a été victime. Il prétend également que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, son inaptitude étant consécutive aux manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat et à son obligation de reclassement.

- Sur la nullité du licenciement

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.

Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l'employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L.1152-2 du code du travail, le licenciement intervenu en méconnaissance de ces dispositions est nul.

L'article L. 1154-1, dans sa version applicable au litige, prévoit qu'en cas de litige, si le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de ses prétentions, le salarié affirme avoir été victime de harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, M. [B], qui, à compter du printemps 2015, l'aurait rabaissé et humilié en ces termes : «' je suis chef, je peux être énervé'» et le 8 juin 2015 aurait fait preuve de violence verbale de la façon suivante : «' casse toi d'ici, je veux plus te voir, tu es malade, va te faire soigner...'» : ces allégations ne sont étayées par aucun élément.

Les seuls certificats médicaux constatant «'un état anxio-dépressif'», «'une dépression liée à son travail... il est certain qu'il se passe de choses peu propices à son bien-être dans son poste de travail!!!!'», «'un état dépressif en lien avec une souffrance au travail'» sont également insuffisants à établir un lien entre la dégradation de son état de santé et les faits de harcèlement moral dont il se prévaut.

Par ailleurs, M. [S] considère que l'avis du médecin du travail, établi lors de la visite de reprise du 7 juin 2016, concluant à son inaptitude à son poste mais à son aptitude à un poste dans un contexte organisationnel et relationnel différent en précisant, le 23 juin 2016, que les recherches de reclassement devaient s'orienter vers d'autres structures du groupe Colas à l'exclusion des postes de la centrale BME, est consécutif aux faits de harcèlement dénoncés, mais ce seul avis médical ne suffit pas à caractériser des faits permettant de présumer une situation de harcèlement.

En conséquence, M. [S] sera débouté de sa demande au titre de la nullité de son licenciement et le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

- Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

Sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat

Le salarié soutient que son inaptitude a été provoquée par l'employeur qui a manqué à son obligation de sécurité de résultat en raison de ses conditions de travail ayant généré une charge mentale importante ainsi qu'un stress, ce que conteste l'employeur relevant relevant d'une part, que c'est dans le prolongement de l'étude de poste réalisée en septembre 2015 que les conclusions du médecin du travail ont été rendues en juin 2016 et, d'autre part, que le médecin du travail ne fait aucun lien entre la situation de M. [S] et une dégradation de ses conditions de travail.

La société ajoute que le salarié a toujours été déclaré apte avant le 8 juin 2015, qu'il a repris son travail le 12 juin 2015 et s'est à nouveau arrêté le 22 juin 2015, lorsqu'il a appris que sa candidature en qualité de chef de poste n'avait pas été retenue.

* * *

L'employeur, tenu à une obligation de sécurité et de préservation de la santé des salariés, doit mettre en oeuvre les mesures destinées à la prévention des risques encourus par les salariés dans l'exécution des tâches qui leur incombent, en particulier, en leur donnant la formation nécessaire à l'utilisation de leurs outils de travail et les instructions appropriées.

Le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude est consécutive à une faute préalable de l'employeur.

Le salarié produit les différents certificats médicaux évoqués supra et se prévaut de l'étude de poste réalisée par le médecin du travail le 15 septembre 2015 faisant état d'un poste avec des contraintes physiques et posturales occasionnelles et une charge mentale importante (attention et concentration nécessaires + poste de sécurité + stress lors de périodes d'activités intense).

Comme le souligne à juste titre la société, les contraintes ainsi relevées par le médecin du travail attachées à la nature même du poste occupé par le salarié ne sont pas suffisantes à établir un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité dans la mesure où il n'est pas justifié de conditions de travail dégradées ou d'un comportement fautif de ce dernier. De même, les certificats médicaux produits ne sont objectivés par aucun élément de nature à étayer une quelconque dégradation des conditions de travail du salarié.

L'avis d'inaptitude du médecin du travail ne fait pas état d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Dés lors, il ne peut être retenu que l'origine de l'inaptitude de son salarié est imputable à un tel manquement.

Sur les manquements de l'employeur à son obligation de reclassement

Le salarié prétend que la société n'a pas satisfait à son obligation de reclassement en ne formulant aucune proposition en ce sens alors qu'il dispose d'un permis pour exercer les fonctions de conducteur d'engins, soulignant que l'employeur s'est abstenu de produire le registre du personnel ainsi que des fiches de postes.

La société s'en défend, faisant valoir que des recherches de reclassement ont été effectuées au sein du groupe Colas mais qu'aucun poste correspondant aux compétences et à l'état de santé du salarié n'était disponible.

Elle indique, qu'interrogé sur sa mobilité, le salarié avait limité les recherches à quatre départements mais qu'elle avait malgré tout organisé une recherche sur le plan national. Elle ajoute que le permis de conduire produit aux débats par le salarié est un permis provisoire dont la validité de cinq ans expirait au 2 février 2016, bien avant l'engagement de la procédure alors qu'il ne justifie d'aucun permis définitif pour conduire les engins de travaux publics.

* * *

Aux termes de l'article L.1226-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.

L'emploi proposé est aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.

En l'espèce, il ressort des pièces versées à la procédure par l'employeur que la recherche de reclassement a été effectuée dans un premier temps au sein de la société et la consultation du registre du personnel produit aux débats, contrairement à ce que soutient le salarié, permet de constater qu'aucun poste correspondant aux aptitudes physiques et professionnelles du salarié n'était disponible, ce dernier ne justifiant pas d'un quelconque permis de conduire des engins de travaux publics utilisés dans l'activité du groupe auquel appartient la société.

Il est également justifié de 26 recherches de postes auprès de sociétés appartenant au groupe Colas sur l'ensemble du territoire national alors qu'en réponse au questionnaire qui lui avait été adressé, le salarié avait limité sa mobilité géographique aux départements du Limousin, à ceux de la Dordogne et du Lot ainsi qu'à ceux de la région Provence Alpes Côte d'Azur.

Les courriers ainsi adressés étaient accompagnés du CV du salarié et des conclusions du médecin du travail.

Dans ces conditions, la cour considère à l'instar du conseil de prud'hommes que la société a respecté son obligation de reclassement.

Sur les autres demandes

Le salarié, partie perdante à l'instance, supportera les dépens.

L'équité commande de faire application des dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en conséquence de condamner M. [S] à verser à la société la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M. [S] à verser à la SNC Bordelaise de Matériaux Enrobés la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [S] aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/00349
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;20.00349 ?
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