COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
--------------------------
ARRÊT DU : 23 MARS 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/03140 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MEOD
Madame [U] [V]
c/
URSSAF AQUITAINE POUR LA SECURITE SOCIALE DES INDEPENDANTS
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 avril 2021 (R.G. n°18/00935) par le Pôle social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 01 juin 2021.
APPELANTE :
Madame [U] [V]
née le 11 Juillet 1972 à [Localité 4] (SEINE ST DENIS) ([Localité 2])
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Julie CALEM substituant Me Mathieu GIBAUD de la SAS DELTA AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
URSSAF AQUITAINE venant aux droits du RSI, prise en la personne de son Directeur, domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 3]
représentée par Me Julie VINCIGUERRA substituant Me Matthieu BARANDAS de la SELARL GALINAT BARANDAS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 janvier 2023, en audience publique, devant Monsieur Eric VEYSSIERE, Président magistrat chargé d'instruire l'affaire, qui a retenu l'affaire
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président
Madame Sophie Lésineau, conseillère
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Evelyne GOMBAUD,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Exposé du litige
Mme [U] [V] a été affiliée au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants en raison de sa qualité de commerçante.
Le 27 avril 2018, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 12 avril 2018 portant sur une somme de 15.267 euros au titre des cotisations des mois de décembre 2016 et de février à août 2017. Trois mises en demeure en date des 11 juillet 2017 et 9 septembre 2017 avaient précédé la délivrance de la contrainte.
Le 13 juin 2018, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 5 juin 2018 portant sur une somme de 3979 euros au titre des cotisations du mois de décembre 2017. Une mise en demeure du 21 février 2018 avait précédé la délivrance de la contrainte.
Le 4 juillet 2018, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 28 juin 2018 portant sur une somme de 11.991 euros au titre des cotisations des mois de septembre à novembre 2017.Une mise en demeure du 7 décembre 2017 avait précédé la délivrance de la contrainte.
Le 10 août 2018, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 31 juillet 2018 portant sur une somme de 4 921 euros au titre des cotisations des mois de février et mars 2018. Une mise en demeure du 28 avril 2018 avait précédé la délivrance de la contrainte.
Le 30 janvier 2019, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 21 janvier 2019 portant sur une somme de 17.322 euros au titre des cotisations des mois d'avril à septembre 2018. Des mises en demeure en date des 26 juillet et 27 septembre 2018 avaient précédé la délivrance de la contrainte.
Le 6 mai 2019, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 19 avril 2019 portant sur une somme de 8491 euros au titre des cotisations des mois d'octobre et novembre 2018.Une mise en demeure du 9 janvier 2019 avait précédé la délivrance de la contrainte.
Le 22 janvier 2020, l'Urssaf Aquitaine a signifié à Mme [V] une contrainte établie le 20 janvier 2020 portant sur une somme de 2 451 euros au titre des cotisations du mois de décembre 2018. 2018. Une mise en demeure du 3 avril 2019 avait précédé la délivrance de la contrainte.
Les 4 mai 2018, 4 février 2019, 19 juin 2018, 5 juillet 2018, 23 août 2018, 14 mai 2019,
3 février 2020, Mme [V] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde, devenu le tribunal de grande instance de Bordeaux à compter du 1er janvier 2019 puis le tribunal judiciaire de Bordeaux à compter du 1er janvier 2020, aux fins de former opposition aux contraintes de l'Urssaf Aquitaine des 12 avril 2018, 21 janvier 2019, 5 juin 2018, 31 juillet 2018, 19 avril 2019, 20 janvier 2020 signifiées les 27 avril 2018, 30 janvier 2019, 13 juin 2018, 4 juillet 2018, 10 août 2018, 6 mai 2019, 22 janvier 2020.
Par jugement du 26 avril 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- prononcé la jonction des recours,
- déclaré les oppositions de Mme [V] recevables mais mal fondées,
- l'en a débouté,
- validé les contraintes des 12 avril 2018, 21 janvier 2019, 5 juin 2018, 31 juillet 2018, 19 avril 2019, 20 janvier 2020 signifiées les 27 avril 2018, 30 janvier 2019, 13 juin 2018, 4 juillet 2018, 10 août 2018, 6 mai 2019, 22 janvier 2020 pour un montant total de 34.422 euros,
- condamné Mme [V] au paiement de cette somme outre les frais de signification des contraintes, les frais d'exécution du jugement et les majorations de retard complémentaires qui pourraient rester dues,
- l'a condamnée également à payer à l'Urssaf Aquitaine la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance,
- rejeté le surplus des demandes,
- rappelé que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Par déclaration du 1er juin 2021, Mme [V] a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions enregistrées le 19 janvier 2023, Mme [V] demande à la Cour de :
- infirmer le jugement déféré,
Statuant à nouveau :
- prononcer la nullité des mises en demeure en date des 11 juillet 2017, 11 juillet 2017 et 9 septembre 2017, outre la contrainte du 12 avril 2018,
- prononcer la nullité de la mise en demeure du 21 février 2018 et de la contrainte du 5 juin 2018,
- prononcer la nullité de la mise en demeure du 7 décembre 2017 et de la contrainte du 28 juin 2018,
- prononcer la nullité de la mise en demeure du 28 avril 2018 et de la contrainte du 31 juillet 2018,
- prononcer la nullité des mises en demeure en date des 26 juillet et 27 septembre 2018, outre la contrainte du 21 janvier 2019,
- prononcer la nullité de la mise en demeure du 9 janvier 2019 et de la contrainte du 19 avril 2019,
- prononcer la nullité de la mise en demeure du 3 avril 2019 et de la contrainte du 20 janvier 2020,
- débouter l'Urssaf Aquitaine de toutes ses demandes,
- la condamner à lui payer une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par ses dernières conclusions enregistrées le 24 janvier 2023, l'Urssaf Aquitaine demande à la Cour de :
- débouter Mme [V] de son appel,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a validé les contraintes des 12 avril 2018, 21 janvier 2019, 5 juin 2018, 28 juin 2018, 31 juillet 2018, 19 avril 2019, 20 janvier 2020 signifiées les 27 avril 2018, 30 janvier 2019, 13 juin 2018, 4 juillet 2018, 10 août 2018, 6 mai 2019, 22 janvier 2020 pour un montant total de 64.422 euros,
- condamner Mme [V] au paiement de cette somme outre les frais de signification des contraintes, les frais d'exécution du jugement et les majorations de retard complémentaires qui pourraient rester dues,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [V] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'Urssaf de sa demande d'amende civile,
Statuant à nouveau,
- condamner Mme [V] au paiement d'une amende civile dont il plaira à la Cour de fixer le montant,
- condamner Mme [V] à lui payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
Motifs de la décision
Sur la validité des mises en demeure
L'appelante conteste la validité des mises en demeure au motif que le délai de régularisation des cotisations mentionné lors des significations était d'un mois alors que le délai pour contester la mise en demeure devant la commission de recours amiable a été porté à deux mois depuis le 1er janvier 2017 date de l'entrée en vigueur du décret n°2016-941 du 8 juillet 2016 codifié à l'article R 142-1 du code de la sécurité sociale.
Selon l'article R142-1 dans sa version en vigueur du 01 janvier 2017 au 01 janvier 2019 issue du décret n°2016-941 du 8 juillet 2016, les réclamations relevant de l'article L. 142-1 formées contre les décisions prises par les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole de salariés ou de non-salariés sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d'administration de chaque organisme.
Cette commission doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation. La forclusion ne peut être opposée aux intéressés que si cette notification porte mention de ce délai.
S'il est exact que ce texte réglementaire a unifié les délais de contestation de la mise en demeure devant la commission de recours amiable en le portant à deux mois, que la mise en demeure émane de l'Urssaf ou d'un autre organisme de sécurité sociale, ce délai demeure, cependant, distinct de celui d'un mois imparti au cotisant à l'article L 244-2 du code de la sécurité sociale pour régulariser sa situation et régler les cotisations faisant l'objet de la mise en demeure.
Ainsi que le relève l'Urssaf, le délai de régularisation d'un mois prévu à l'article L 244-2 permet seulement à l'organisme, en cas d'absence de régularisation, de délivrer une contrainte par application de l'article R 133-3.
Le délai de deux mois prévu à l'article R 142-1 pour saisir la commission de recours amiable est sans effet sur le droit pour l'Urssaf de notifier une contrainte lorsque le délai d'un mois pour régulariser le paiement des cotisations n'a pas été respecté puisque la saisine de la commission de recours amiable ne suspend pas le délai de prescription de l'action en recouvrement de l'Urssaf. De plus, le cotisant conserve la possibilité de former opposition à la contrainte auprès du tribunal judiciaire en application de l'article R 133-3.
En l'espèce, les mises en demeure contestées comportent la mention suivante : ' Nous vous mettons en demeure de régler dans un délai d'un mois à compter de la réception de la présente, la somme dont vous êtes personnellement redevable au titre de vos cotisations et contributions... A défaut de paiement dans ce délai, des poursuites seront engagées en vue du recouvrement des sommes dues....Si vous disposez de motifs légitimes, vous pouvez contester cette mise en demeure auprès de la commission de recours amiable de la caisse RSI dans le délai de deux mois à compter de sa réception...'
Il en résulte que les délais énoncés dans les mises en demeure litigieuses distinguent, conformément aux textes sus-visés, le délai de deux mois de l'article R 142-1 et le délai d'un mois de l'article L 244-2. Cette différence de délai est compréhensible pour le cotisant et ne le prive pas d'un accès au juge dés lors que la cour de cassation admet désormais que celui-ci peut faire opposition à la contrainte sans avoir préalablement contesté la mise en demeure devant la commission de recours amiable. Le cotisant a donc la possibilité de contester à la fois la mise en demeure devant la commission de recours amiable et la contrainte devant le tribunal judiciaire.
Il découle de ce qui précède que les mises en demeure ne sont affectées d'aucune irrégularité en raison des délais qu'elles mentionnent et dont la différence est justifiée par des dispositions légales distinctes.
Sur la demande de nullité des contraintes
L'appelante sollicite la nullité des contraintes car d'une part, elles ne respectent pas les dispositions des articles L 244-2 et L 244-9 du code de la sécurité sociale , d'autre part, elles comportent des mentions différentes de celles énoncées dans les mises en demeure et, enfin, elles ne distinguent pas les contributions des cotisations.
Sur le premier point, il résulte de ces textes que la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti et la contrainte délivrée à la suite de la mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause, de l'étendue de son obligation.
Il est constant, par ailleurs, que la contrainte permet au cotisant d'avoir connaissance de la nature, de la cause, de l'étendue de son obligation dés lors qu'elle renvoie à la mise en demeure antérieure et que celle-ci détaille pour chacune des périodes la nature et le montant des cotisations réclamées, des majorations de retard et des versements effectués.
En l'espèce, les contraintes précisent le montant des cotisations et les périodes auxquelles elles se rapportent et renvoient aux mises de demeure lesquelles mentionnent la nature des cotisations et leur montant pour chaque risque couvert en distinguant si les cotisations sont appelées à titre provisionnel ou de régulation.
Il s'en déduit que Mme [V] a été en mesure d'avoir connaissance de la nature, de la cause, de l'étendue de son obligation.
Sur le deuxième point, l'appelant fait valoir que les dates de mises en demeure figurant sur les contraintes sont erronées d'un jour. A les supposer établies, ces erreurs de date purement matérielles sont sans incidence sur la régularité des contraintes dans la mesure où celles-ci mentionnent les numéros des mises en demeure dont la validité n'est pas contestée.
Sur le troisième point, les mises en demeure distinguent les cotisations des contributions de sorte que l'allégation de l'appelante affirmant le contraire est dénuée de fondement.
Le jugement sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a validé les contraintes.
Sur la demande d'amende civile
L'appelante ayant renoncé devant la cour à soutenir le moyen manifestement dilatoire tiré de l'illégalité, au regard des directives européennes, des dispositions du droit de la sécurité sociale instaurant une affiliation obligatoire à un régime de sécurité sociale, il n'y a pas lieu de la condamner à une amende civile pour procédure abusive.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
L'équité commande d'allouer à l'Urssaf la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [V], partie perdante, supportera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement entrepris
y ajoutant
Condamne Mme [V] à payer à l'Urssaf Aquitaine la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne Mme [V] aux dépens.
Signé par monsieur Eric Veyssière, président, et par madame Evelyne Gombaud, greffière, à
laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
E. Gombaud E. Veyssière