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22/03/2023 | FRANCE | N°20/00249

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 22 mars 2023, 20/00249


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 22 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 20/00249 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNCO

















SAS PHLAURENT



c/



Monsieur [B] [E]

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse dél

ivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 décembre 2019 (R.G. n°F 17/00863) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 16 janvier 2020,





APPELANTE :

SAS SAS PHLAURENT, agissant en la personne de son représentant légal dom...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 22 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 20/00249 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LNCO

SAS PHLAURENT

c/

Monsieur [B] [E]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 décembre 2019 (R.G. n°F 17/00863) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 16 janvier 2020,

APPELANTE :

SAS SAS PHLAURENT, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 343 605 036 00023

représentée par Me Alix SCHONTZ substituant Me Frédéric GODARD-AUGUSTE de la SELAS DS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [B] [E]

né le 12 Mars 1985de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentée par M. [S], défenseur syndical

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 février 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire,

et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [B] [E], né en 1985, a été engagé en qualité de couvreur par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 octobre 2005 par la SAS PHLAURENT, entreprise qui réalise des travaux de charpente, zinguerie et couvertures et emploie plus de 10 salariés.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des ouvriers du bâtiment du 8 octobre 1990.

En dernier lieu, M. [E] exerçait les fonctions de chef d'équipe et sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait à la somme de 2.176,46 euros pour un horaire de travail de 35 heures hebdomadaires. Il était également délégué du personnel de la société depuis une date non précisée par les parties.

Lors d'une réunion avec la direction du 17 juin 2016, M. [E] a questionné son employeur sur la question de l'application des dispositions conventionnelles relatives aux indemnités de trajet et sur la non-prise en compte de ses heures d'embauche et de débauche au dépôt, soit 6 heures et 16h30, en raison de sa qualité de chef d'équipe, tenu de passer par le dépôt avant d'aller sur les chantiers ainsi qu'au retour.

L'employeur a répondu que les termes des accords appliqués étaient respectés et que, s'agissant des temps de trajet, il était faux de préciser que les salariés doivent passer au dépôt, pouvant se rendre sur les chantiers par leur propre moyen, ajoutant que cette obligation concerne le chauffeur du camion passant récupérer le matériel et que ce chauffeur peut être librement choisi par l'employeur.

Par lettre du 1er août 2016, l'inspection du travail a pris attache auprès de la société, rappelant les dispositions de la convention collective relative aux temps de déplacement et la nécessité de décompter un temps de travail effectif pour les conducteurs de camions obligés de se présenter au dépôt à l'embauche et à la débauche pour le chargement et le déchargement. Il était demandé à l'employeur de faire connaître la liste du personnel concerné par cette obligation.

Par courrier du 2 septembre 2016, la société a répondu qu'elle estimait être en règle, compte tenu du paiement des indemnités de déplacement.

Par lettre du 7 novembre 2016, M. [E] a sollicité le paiement de la somme de 25.480 euros bruts à titre de rappel de salaire, correspondant à "2 heures de travail par jour suivant le lieu du chantier" pendant 3 ans.

Le 17 novembre 2016, la société lui a répondu en expliquant que les temps de trajets n'étaient pas considérés comme du temps de travail effectif au sens de la convention collective applicable et n'avaient pas à être rémunérés et en contestant les 2 heures par jour revendiquées par M. [E], ajoutant qu'il n'assurait pas de façon permanente la conduite du véhicule.

Par lettre du 25 avril 2017, M. [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en ces termes :

« (...)

Malgré mes nombreuses interventions vous persistez à ne pas vouloir me payer mes heures supplémentaires depuis le 4 juin 2015.

Mon amplitude de travail étant de 10 heures/ jours moyenne, vous me rémunérez 7 heures/jours (35h).

Cette situation ne pouvant perdurer, je vous demande donc de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail, conformément à la jurisprudence (cass.Soc 26 mai 2010, n°08-70.253), dès réception de ce courrier. Je ne ferais plus partie de l'effectif de votre entreprise.

(...) ».

Sollicitant le paiement des heures supplémentaires réalisées et la requalification de sa prise d'acte en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, M. [E] a saisi le 2 juin 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 19 décembre 2019, a :

- dit que la société PHLAURENT est redevable envers M. [E] de la somme de 10.091,65 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 8 juin 2015 au 14 avril 2017 outre celle de 1.009,16 euros au titre des congés payés afférents,

- dit que M. [E] a perçu indûment, pendant la période du 8 juin 2015 au 14 avril 2017, la somme de 2.752,26 euros au titre des indemnités de trajet zone 5,

- condamné, après compensation, la société PHLAURENT à payer à M. [E] la somme de 8.348,55 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2017,

- dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société PHLAURENT à payer à M. [E] les sommes de :

* 4.300 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 430 euros au titre des congés payés y afférents avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2017,

* 4.586 euros à titre d'indemnité de licenciement avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2017,

* 6.450 euros au titre de l'indemnisation de la perte d'emploi avec intérêts au taux légal à compter de la décision,

* 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour la remise des documents rectifiés ainsi que pour le paiement de sommes au titre des salaires, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité de licenciement dans la limite maximum de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision pour le surplus,

- condamné la société PHLAURENT aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 16 janvier 2020, la société a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 20 décembre 2022, la société demande à la cour de :

- infirmer la décision rendue par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 19 décembre 2020 en ce qu'elle a :

* condamné la société au paiement de la somme de 8.348,55 euros au titre

des heures supplémentaires effectuées par M. [T] [sic] pour la période du 8 juin 2015 au 14 avril 2017 outre celle de 1.009,16 euros au titre des congés payés y afférents,

* dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de M. [T] [sic] emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* condamné à ce titre la société à payer à M.[T] [sic] les sommes de :

- 4.300 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre

celle de 430 euros au titre des congés payés y afférents, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2017,

- 4.586 euros au titre de l'indemnité de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2017,

- 6.450 euros au titre de l'indemnisation de la perte d'emploi, avec

intérêts au taux légal à compter de la décision,

- 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure

civile,

* condamné la société aux dépens,

En conséquence,

- dire que les heures supplémentaires sollicitées par M. [E] sont en réalité des temps de trajet,

- dire que le temps de trajet n'est conventionnellement pas considéré comme du temps de travail effectif mais doit être indemnisé selon barème,

- dire qu'elle n'a jamais obligé M. [E] à passer par le siège social pour se rendre sur les chantiers,

- dire qu'elle a parfaitement respecté les dispositions en la matière et rempli M. [E] de ses droits,

En cela,

- débouter M. [E] de sa demande au titre des heures supplémentaires,

- dire que le manquement invoqué par M. [E] à l'appui de sa prise d'acte est ancien, - dire l'absence de manquement de l'employeur,

- dire que le manquement invoqué n'est pas suffisamment grave pour justifier la rupture immédiate du contrat de travail,

En cela,

- requalifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [E] en démission,

- lui faire produire les effets de la démission,

En conséquence,

- le débouter de l'ensemble de ses demandes,

Reconventionnellement,

- le condamner au versement de la somme de 4.352 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- le condamner au versement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La déclaration d'appel et les premières conclusions de la société ont été signifiées à M. [E] par acte d'huissier délivré à personne le 17 mars 2020.

Les dernières conclusions ainsi que les pièces de l'appelante ont été dénoncées par acte délivré à l'étude de l'huissier instrumentaire le 22 décembre 2022.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée le 4 novembre 2022, M. [S], défenseur syndical assistant M. [E], a adressé à la cour des pièces et conclusions.

Dans ses écritures, il demande 'au conseil' de dire ses demandes recevables et fondés et de :

- dire que la prise d'acte de rupture s'analyse comme un Iicenciement sans cause réelle

et sérieuse,

- En conséquence condamner la société Laurent :

* dommages et intérets : 6.450 euros,

* indemnité de licenciement : 4.586 euros,

* indemnité de préavis : 4.300 euros,

* congés payés sur préavis : 430 euros,

* heures supplémentaires de novembre 2015 à avril 2017 : 10.09l,65 euros,

* congés payés sur les heures supplémentaires : 1.009.16 euros,

* article 700 du code de procédure civile : 1.000 euros,

- condamner la société Laurent aux dépens,

- ordonner I'exécution provisoire.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 janvier 2023 et l'affaire a été fixée à l'audience du 7 février 2023.

A cette audience, les parties ont été invitées à présenter leurs observations sur l'iirecevabilité des conclusions adressées le 4 novembre 2022 pour le compte de M. [E], au regard du délai prévu par l'article 909 du code de procédure civile.

Le défenseur syndical assistant M. [E] n'a pas contesté le non-respect de ce délai.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des conclusions de l'intimé

Aux termes des dispositions de l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant pour remettre ses conclusions au greffe et les notifier aux avocats des parties.

En l'espèce, le délai pour conclure de l'intimé expirait le 17 juin 2020, délai qui a été prorogé compte tenu de la crise sanitaire au 24 août 2020.

Les conclusions et pièces adressées le 4 novembre 2022 sont dès lors irrecevables et il sera statué au seul vu des conClusions et pièces de l'appelante, la cour se référant à ces écritures ainsi qu'au jugement déféré pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens.

***

Aux termes des dispositions des articles 472 et 954 du code de procédure civile, lorsque l'intimé ne comparaît pas ou que ses conclusions ont été déclarées irrecevables, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit aux prétentions et moyens de l'appelant que dans la mesure où il les estime réguliers, recevables et bien fondés et doit examiner, au vu des moyens d'appel, la pertinence des motifs par lesquels les premiers juges se sont déterminés, motifs que la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier.

Sur les demandes au titre des heures supplémentaires effectuées

Le jugement déféré est ainsi motivé :

« (...)

La durée légale du travail effectif prévue à l'article L. 3121-1 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article L. 3121-22 du code.

Il résulte de l'article L. 317l- 4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties et que si l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge les éléments de nature à étayer sa demande en paiement d'heures supplémentaires et mettre l'employeur en mesure de discuter la demande.

Ainsi, la charge de la preuve de la réalité d'heures supplémentaires n'appartient pas spécialement à l'une ou l'autre des parties : le salarié doit étayer sa demande par la production de tous éléments suffisamment précis pour permettre à l'emp1oyeur de répondre en apportant le cas échéant, ses propres éléments sur les horaires effectivement réalisés.

L'employeur revendique l'application de la convention collective des travaux publics qui prévoit le versement d'indemnités forfaitaires de trajet pour compenser les sujétions liées aux petits déplacements quotidiens des ouvriers des entreprises du bâtiment pour se rendre sur les chantiers et en revenir.

Si le temps de trajet ne constitue, par principe, pas du temps de travail effectif, il est constant que lorsqu'un salarié, amené à se déplacer sur les chantiers chaque jour, doit systématiquement passer par le siège ou un établissement de l'entreprise avant de se rendre sur le chantier, il est considéré comme accomplissant du temps de travail effectif durant le temps de trajet réalisé entre le siège ou l'établissement et le chantier.

La qualification de temps de travail effectif est liée à1'obligation faite au salarié de passer par le siège ou l'établissement. (CA RENNES chambre prud'homale 25 mai 2018 - n°16/02714).

En l'espèce, il résulte des éléments du dossier et en particulier des bulletins de paie de monsieur [E] que ce dernier, initialement embauché en qualité de couvreur, occupait la fonction de chef d'équipe au sein de la SAS PH LAURENT, entreprise de charpente, couverture et zinguerie, au moins depuis mars 2014.

Monsieur [E] produit ses courriers et demandes auprès de son employeur en son nom personnel et en sa qualité de délégué du personnel, soulignant qu'il chargeait le véhicule de l'entreprise et le conduisait, ainsi que plusieurs attestations d'anciens collègues témoignant de cette conduite, outre un tableau reprenant ses horaires de travail, le lieu du chantier et la composition de l'équipe affectée au chantier concerné.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre et doivent ainsi étre considérés comme étayant la demande du salarié.

ll importe donc de rechercher si l'employeur apporte des éléments contredisant les prétentions du requérant.

La SAS PH LAURENT ne conteste pas le statut de chef d'équipe de monsieur [E] ni le fait que celui-ci conduisait le véhicule de chantier qu'il avait auparavant chargé au siège de l'entreprise.

Elle répond seulement que les salariés n'ont aucune obligation de passer au dépôt avant de se rendre sur le chantier et qu'ainsi le temps de trajet n'est pas du temps de travail et qu'ils peuvent se rendre sur les chantiers par leurs propres moyens.

Cette analyse est conforme à la règle édictée par la convention collective. Elle ne s'applique toutefois pas à tous les salariés de l'entreprise et, en particulier, aux chefs d'équipe chargés de prévoir le matériel et les matériaux nécessaires pour le chantier, ce qui était le cas de monsieur [E].

L'employeur n'apporte aucun élément sérieux pour affirmer qu'il n'était pas nécessaire pour monsieur [E] de venir au dépôt charger un camion puis de le conduire pour aller, avec un ou plusieurs collègues, travailler à plusieurs dizaines de kilomètres du siège de l'entreprise.

ll n'apporte aucun élément pour contredire les lieux des chantiers et les temps de trajet necessaires pour s'y rendre.

Le tableau que la SAS PH LAURENT produit pour attester des heures effectuées par ses salariés ne fait état d'aucune heure supplémentaire de la part de monsieur [E], sauf en juin 2016, avec une heure travaillée en plus le 10 juin 2016 mais non rémunérée, et alors même que le bulletin de salaire de l'intéressé a pu révéler la rémunération d'une heure supplémentaire non effectuée selon ce même tableau en décembre 2016.

Ce tableau pose également question car des heures supplémentaires ont été notées pour certains collègues de monsieur [E], en particulier monsieur [P] [H], au cours de certaines journées dont il n'est pas contesté que ce demier était sur un chantier avec monsieur [E] (le 13 mai 2016, le 03 juin 2016, le 24 juin 2016, le 01 juillet 2016).

Force est donc de constater que la SAS PH LAURENT, si elle produit un tableau attestant des heures de travail sur les chantiers, qui ne sont pas discutées par le salarié, n'a jamais contesté les affirmations de ce dernier, y compris au cours de la relation de travail ainsi que cela ressort des réponses mentionnées sur le registre des délégués du personnel, selon lesquelles monsieur [E] conduisait un vehicule de l'entreprise pour se rendre sur le chantier et y emmener ses collègues, après être passé au dépôt pour le charger.

Enoncer en pareille hypothèse que monsieur [E], chef d'équipe, n'était pas tenu de passer au dépôt ou au siège de l'entreprise avant d'aller sur le chantier reviendrait à dire que le salarié, à l'image de ses collègues, pourrait ainsi se rendre sur ces chantiers distants de plusieurs dizaines de kilomètres du siège de l'entreprise, sans outillage et sans les matériaux necessaires à la réalisation des travaux de couverture et charpente qui sont la spécialité de la SAS PH LAURENT.

Il doit donc être considéré que monsieur [E] était amené à se déplacer sur les chantiers chaque jour et devait passer chaque jour par l'entreprise pour charger son véhicule avant de se rendre sur le chantier où il emmenait également ses collègues et que dès lors, en cette qualité de chef d'équipe devant s'assurer d'emporter le matériel adéquat, de le charger et de conduire ses collègues sur les chantiers, il accomplissait un travail effectif en étant sous la subordination de son employeur à partir du moment où il arrivait au dépôt ou au siège de l'entreprise et jusqu'à son retour, y compris les temps de trajet pour se rendre ou revenir du chantier.

Les heures supplémentaires réalisées représentent, du 08 juin 2015 au 14 avril 2017, selon le tableau précis établi par le requérant, la somme totale de 10 091,65 euros, outre 1009,16 euros au titre des congés payés y afférents.

Durant cette même période, le salarié a perçu des indemnités de trajet zone 5 pour un total de 2752,26 euros qui n'ont pas lieu d'être puisque les temps de trajet de monsieur [E] sont, dans son cas précis, assimilés à du temps de travail effectif.

Cette somme doit venir en déduction des sommes dues, de telle sorte qu'après compensation, la SAS PH LAURENT sera condamnée à lui payer la somme totale de :

10 091,65 euros + 1009,16 euros - 2752,26 euros = 8348,55 euros avec intérêts au taux légal à compter du 02 juin 2017, date de la saisine du conseil de prud'hommmes,

en application de l'article 1231-6 du code civil.

(...) ».

Pour voir infirmer la décision déférée, la société fait valoir les éléments suivants :

- le juge départiteur est allé au-delà de l'argumentation du délégué syndical en visant une jurisprudence de la chambre sociale de la cour d'appel de Rennes ;

- le décompte produit par le salarié inclut, outre sa pause déjeuner, les temps de trajet ;

- l'on ne peut que fortement douter qu'il ait pu se souvenir de ses heures d'embauche et de débauche depuis le mois de juin 2015, d'autant que le montant initialement sollicité et le nombre d'heures étaient différents ;

- le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif et n'a donc pas à être rémunéré comme tel, ce que rappelle l'article L. 3121-4 du code du travail ainsi que l'article 3.16 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment occupant plus de 10 salariés ;

- cette convention prévoit des indemnités de déplacement et de trajet, ayant pour objet d'indemniser, sous une forme fofaitaire, la sujétion que représente pour l'ouvrier la nécessité de se rendre quoidiennement sur le chantier et d'en revenir ;

- la société n'a jamais fait obligation aux salariés de passer par le siège social de l'entreprise leur imposant seulement d'être sur le chantier à l'heure d'embauche ;

- le chef d'équipe n'a pas pour mission de charger les camions et de les conduire sur les chantiers, ce que confirmerait M. [K], salarié de l'entreprise ;

- l'inspection du travail a été convaincue de la réponse faite par la société puisqu'il n'y a pas eu de suite et que les explications de la société ont été portées à la connaissance des délégués du personnel dont M. [E] ;

- celui-ci a perçu les indemnités de trajet qui lui étaient dues ainsi que les heures supplémentaires qu'il a pu effectuer, ainsi en décembre 2016.

***

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

En l'espèce, au vu de la motivation retenue par les premiers juges, M. [E] produisait en première instance des éléments suffisamment précis au soutien de sa demande, sauf à relever, dans le jugement déféré, une erreur quant à la convention collective applicable à la relation contractuelle.

Si, ainsi que le soutient la société, le temps de déplacement de l'ouvrier pour se rendre de son domicile au lieu du chantier et en revenir n'est pas un temps de travail effectif, il en est autrement lorsque le salarié doit, avant de se rendre sur le chantier passer au préalable par le siège ou le dépôt de l'entreprise.

Or, ainsi que l'a relevé justement le jugement déféré, il n'est pas concevable, compte tenu de la nature de l'activité de la société, que tous les ouvriers aient pu se rendre directement sur le chantier sans disposer de l'outillage et des matériaux nécessaires aux travaux qu'ils exécutaient.

La société n'a jamais contesté que M. [E], en sa qualité de chef d'équipe, passait avant de se rendre sur le chantier, par le dépôt pour y prendre l'outillage et les matériaux nécessaires.

L'attestation de M. [K] n'est pas en contradiction à ce sujet : ce témoin indique en effet que les camions sont chargés la veille au soir en fonction des instructions des chefs d'équipe puis ajoute qu'aucun salarié 'n'est particulièrement désigné 'pour conduire le camion, ni n'en est responsable et qu'il y a des changements de chauffeur quotidiennement ou encore que certains salariés se rendent directement sur les chantier avec leur propre véhicule mais M. [K] ne donne aucune indication quant à la situation de M. [E].

La cour observe par ailleurs que si la société affirme qu'il n'y a pas eu de suite donnée par l'inspection du travail, après son courrier en réponse, il n'en est pas justifié pas plus que n'a été produite la liste du personnel conduisant les camions, malgré la demande expresse faite à ce sujet par l'inspection du travail.

Aucune des pièces produites devant la cour ne vient démentir ni la motivation retenue par le jugement déféré qui a relevé que M. [E] produisait plusieurs attestations d'anciens collègues témoignant qu'il chargeait le véhicule de l'entreprise et le conduisait, ni les anomalies relevées dans le planning invoqué par la société.

C'est donc par des motifs pertinents que les premiers juges ont estimé que M. [E], étant tenu de passer au dépôt avant de se rendre sur le chantier pour récupérer et conduire le véhicule transportant l'outillage et les matériaux nécessaires et devait en conséquence être considéré en situation de travail effectif pour le temps de déplacement entre le dépôt et le chantier.

Compte tenu du décompte détaillé figurant dans la motivation du jugement, celui-ci sera confirmé en ce qu'il a condamné la société à payer à M. [E] la somme de 8.348,55 euros au titre des heures supplémentaires effectuées entre le 8 juin 2015 et le 14 avril 2017, après avoir déduit à juste titre les indemnités de trajet perçues par le salarié.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Pour voir infirmer la décision déférée qui a retenu que le non-paiement des heures supplémentaires réalisées caractérisait un manquement justifiant la requalification de la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [E] aux torts de son employeur en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la société, outre qu'elle conteste être redevable d'une quelconque somme au titre des heures supplémentaires, fait valoir :

- l'absence de manquements suffisamment graves,

- l'ancienneté des faits invoqués,

- le silence gardé pendant plusieurs mois par le salarié qui a opportunément invoqué ces manquements après avoir trouvé un autre emploi, M. [E] ayant, selon la société, reconnu avoir trouvé un emploi chez un concurrent qu'il a immédiatement rejoint.

***

La prise d'acte de la rupture du contrat par un salarié produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués par le salarié sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle. A défaut, la prise d'acte de la rupture produit les effets d'une démission.

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, le paiement de la rémunération due au salarié en contrepartie de la prestation de travail effectuée est une obligation essentielle du contrat de travail et la gravité du manquement à cette obligation ne disparaît pas du seul fait que le salarié subit cette situation, même pendant plusieurs mois, d'autant comme en l'espèce, que les sommes dues par la société représentent l'équivalent de quatre mois de salaire.

Par ailleurs, l'affirmation de la société selon laquelle M. [E] aurait déclaré devant le conseil de prud'hommes qu'il avait pris acte de la rupture de son contrat en vue d'embaucher immédiatement dans une autre entreprise n'est étayée par aucune pièce, telle qu'une copie de la note d'audience qu'elle aurait pu solliciter auprès de la juridiction.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [E] devait produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Les sommes allouées au titre des indemnités de rupture seront confirmées étant ajouté que l'indemnité compensatrice de préavis ouvre droit aux congés payés afférents, même si ce préavis n'est pas effectué.

Sur les autres demandes

La société, partie perdante en son recours, sera condamnée aux dépens exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare les conclusions et pièces de M. [B] [E] irrecevables,

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la SAS PHLAURENT aux dépens exposés en cause d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 20/00249
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;20.00249 ?
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