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22/03/2023 | FRANCE | N°19/06277

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 22 mars 2023, 19/06277


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 22 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/06277 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LKX7

















SAS Vitadom anciennement dénommée SAS Assistalliance,



c/



Madame [R] [V]

















Nature de la décision : AU FOND











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Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 novembre 2019 (R.G. n°F 18/00100) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 29 novembre 2019,





APPELANTE :

SAS Vitadom anciennement déno...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 22 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/06277 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LKX7

SAS Vitadom anciennement dénommée SAS Assistalliance,

c/

Madame [R] [V]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 04 novembre 2019 (R.G. n°F 18/00100) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Activités Diverses, suivant déclaration d'appel du 29 novembre 2019,

APPELANTE :

SAS Vitadom anciennement dénommée SAS Assistalliance, agissant en la personne de son représentant légal Monsieur [B] [P], Président, domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 517 643 490

représentée par Me Benjamin ROSET, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Madame [R] [V]

née le 03 Février 1968 à [Localité 4] (SÉNÉGAL) de nationalité Française

Profession : Demanderesse d'emploi, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Emilie GRELLETY, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSE DU LITIGE

Madame [R] [V], née [E] en 1968, a été engagée en qualité d'auxiliaire de vie par la SARL Dordogne Domiciles Services devenue en décembre 2014 la SAS Assistalliance puis la SAS Vitadom, par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à compter du 9 décembre 2011.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de services à la personne du 20 décembre 2012.

La rémunération mensuelle brute moyenne est discutée.

Plusieurs avenants de compléments d'heures ont été signés entre 2011 et 2016, venant modifier le temps de travail de la salariée.

Au titre des années 2014 et 2016 quatre avenants de complément d'heures ont été signés

- un avenant du 1 er août 2014 pour une durée de travail de 85 heures par mois,

- un avenant du 1er octobre 2014 pour une durée de travail de 115 heures par mois,

- un avenant le 1 er août 2016 pour une durée de travail de 135 heures jusqu'au 30 septembre 2016,

- un avenant le 1er octobre 2016 pour une durée du travail de 135h00 par mois,

- un avenant le 27 octobre 2016 pour une durée du travail de 125h00 par mois, pour deux mois soit jusqu'au 31 décembre 2016.

Par courrier en date du 19 octobre 2017, Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire.

Par courrier du 17 novembre 2017, Mme [V] s'est vue notifier un avertissement qu'elle a contesté.

Mme [V] a fait l'objet d'un arrêt maladie du 31 octobre 2017 jusqu'au 27 novembre 2017.

A l'issue de son arrêt de travail, Mme [V] a repris son travail durant quelques jours.

Mme [V] a de nouveau été en arrêt maladie à compter du 5 décembre 2017 pour une durée prolongée à plusieurs reprises jusqu'au 31 mars 2018.

Le 6 décembre 2017, Mme [V] a adressé au siège social de la société Vitadom une lettre ayant pour objet de signaler une situation de harcèlement moral.

Par courrier en date du 9 février 2018, Mme [V] a indiqué à la société Vitadom et à l'Inspection du travail avoir fait l'objet de pressions lors de l'entretien du 29 janvier 2018, comportement constitutif d'un harcèlement moral, et avoir été incitée à faire une demande de rupture conventionnelle. Elle mentionne une intervention en ce sens de la déléguée du personnel.

L'inspection du travail a interrogé la société le 23 février 2018.

Mme [V] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 12 mars 2018 reporté au 19 mars 2018.

Mme [V] a ensuite été licenciée pour faute sérieuse par lettre datée du 23 mars 2018.

Mme [V] a été dispensée d'exécuter son préavis à compter du 5 avril 2018.

Par courrier du 27 mars 2018, Mme [V] a demandé des précisions sur les motifs de son licenciement.

La société Vitadom a précisé les motifs du licenciement par lettre du 12 avril 2018.

A la date du licenciement, Mme [V] avait une ancienneté de 6 années.

Mme [V] a saisi le 22 octobre 2018 le conseil de prud'hommes de Bergerac qui, par jugement rendu le 4 novembre 2019, a :

- dit que l'action de Mme [V] en requalification de la relation contractuelle à temps partiel en temps complet, portant sur la période antérieure au 24 mars 2015 est irrecevable car prescrite,

- dit que l'action de Mme [V] en exécution déloyale du contrat de travail est soumise au délai de prescription de deux ans, et ne peut porter que sur des faits postérieurs au 22 octobre 2016,

- requalifié le contrat de travail à temps partiel de Mme [V] en contrat de travail à temps plein,

- dit que la société Assistalliance n'a pas exécuté le contrat de travail de façon loyale,

- dit que la preuve d'un harcèlement moral subi par Mme [V] n'est pas rapportée,

- dit que le licenciement de Mme [V] en date du 24 mars 2018 n'encourt pas la nullité, mais qu 'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Assistalliance à verser à Mme [V] les sommes suivantes :

* 11.945,46 euros brut à titre de rappel de salaire suite à la requalification du contrat en durée indéterminée à temps plein,

* 1.194,55 euros brut au titre de congés payés y afférents,

* 7.561,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 10.000 euros net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que ces sommes portent intérêt au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance pour les salaires et accessoires, et à compter de la notification de la décision pour les sommes ayant un caractère indemnitaire,

- ordonné le remboursement par la société Assistalliance, aux organismes intéressés de deux mois d'indemnités de chômage versées à Mme [V], conformément aux dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail,

- dit que pour ce faire, une copie du jugement sera envoyée par les soins du secrétariat-greffe au Pôle Emploi Nouvelle Aquitaine, service contentieux, [Adresse 5],

- dit que la demande de Mme [V] de dommages et intérêts pour non paiement du temps de déplacement entre deux lieux d'intervention et des frais kilométriques n'est pas fondée et l'en déboute,

- débouté Mme [V] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, hormis en ce qui concerne l'exécution provisoire de droit telle que définie à l'article R.1454-28 du code du travail,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [V] à la somme de 506,58 euros,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Assistalliance aux entiers dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 29 novembre 2019, la société Vitadom a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 27 décembre 2022, la société Vitadom demande à la cour de :

Sur l'appel principal de la SAS Vitadom,

- déclarer la SAS Vitadom, anciennement dénommée SAS Assistaliance ,

recevable et bien fondée en son appel principal,

- réformer le jugement entrepris dans les limites de l'appel principal interjeté par elle et conformément aux présentes conclusions,

En conséquence,

Statuant à nouveau,

Sur l'action de Mme [V] en requalification de son contrat à temps partiel en contrat à temps complet et sur ses demandes tendant à la condamnation

de la société Vitadom à lui payer un rappel de salaire et de congés payés:

A titre principal,

- dire que l'action en requalification du contrat et les demandes de rappel de salaire et de congés payés de Mme [V] sont irrecevables car prescrites depuis le 18 juin 2016,

A titre subsidiaire, à défaut d'irrecevabilité,

- dire que l'action en requalification du contrat et les demandes de rappel de salaire et de congés payés de Mme [V] ne sont pas fondées,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

A titre infiniment subsidiaire,

- dire que la requalification du contrat de Mme [V] ne peut intervenir qu'à la date de celui des trois avenants signés par les parties en 2016 que la cour jugera comme étant le premier avenant irrégulier susceptible d'entraîner la requalification du contrat, - dire que la période de rappel de salaire et de congés payés a pour point de départ la date de requalification du contrat de Mme [V] telle que fixée par la cour,

- dire en conséquence qu'il y a lieu de réduire les montant des rappels de salaire et de congés payés alloués par le jugement entrepris,

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [V] :

A titre principal,

- dire que le licenciement de Mme [V] est justifié par une faute sérieuse et qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Assistalliance, aujourd'hui dénommée SAS Vitadom, à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées à Mme [V] et en ce qu'il a jugé qu'une copie du jugement sera envoyée par le secrétariat-greffe du conseil de prud'hommes au Pôle Emploi Nouvelle Aquitaine,

A titre infiniment subsidiaire :

- débouter Mme [V] de sa demande formée devant la cour tendant à voir majorer le montant des dommages et intérêts alloués par le conseil de prud'hommes pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- réduire dans de juste proportions le montant des dommages et intérêts alloués par le conseil de prud'hommes au regard de l'ancienneté de Mme [V] et du préjudice réellement subi,

Sur l'action et les demandes de Mme [V] tendant à la condamnation de la société Vitadom pour manquement à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail

A titre principal,

- dire et juger que l'action et les demandes de Mme [V] fondées sur les irrégularités des avenants au contrat signés entre les parties sont irrecevables car prescrites,

- dire, s'agissant des autres fondements invoqués par Mme [V], qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail,

- dire que les demandes de Mme [V] ne sont pas fondées,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire, à défaut d'irrecevabilité :

- dire qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'exécuter de bonne foi le contrat de travail,

- dire que les demandes de Mme [V] ne sont pas fondées,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [V] à lui payer une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [V] aux dépens de première instance et d'appel,

2) Sur l'appel incident de Mme [V]

Sur la rémunération du temps de déplacement entre deux lieux d'intervention,

sur l'indemnisation des frais kilométriques, et sur le travail dissimulé :

- dire que l'appel incident de Mme [V] n'est pas fondé,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris,

Sur la nullité du licenciement :

A titre principal,

- dire que le jugement entrepris est définitif en ce qu'il a jugé que la preuve d'un harcèlement moral subi par Mme [V] n'est pas rapportée,

- dire en conséquence que Mme [V] n'est pas recevable à demander l'annulation de son licenciement au motif qu'elle aurait subi un harcèlement moral et qu'elle aurait dénoncé des agissements de harcèlement moral.

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris,

A titre subsidiaire :

- dire et juger que l'appel incident de Mme [V] n'est pas fondé,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris.

Sur les frais irrépétibles et les dépens,

- débouter Mme [V] de l'intégralité de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 22 décembre 2022, Mme [V] demande à la cour de':

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bergerac en qu'il l'a déboutée

de sa demande de dommages et intérêts pour non-paiement du temps de déplacement entre deux lieux d'intervention et des frais kilométriques ainsi que celle au titre du délit de travail dissimulé,

Et statuant à nouveau,

- constater que les temps de déplacement entre deux lieux d'intervention et les frais kilométriques n'ont pas été rémunérés,

En conséquence,

- condamner la société Vitadom à lui régler la somme 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-paiement du temps de déplacement entre deux lieux d'intervention et des frais kilométriques outre 9.118,38 euros au titre du délit de travail dissimulé,

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bergerac en qu'il l'a déboutée

de sa demande au titre d'un licenciement nul, à titre subsidiaire, le confirmer,

En conséquence,

- condamner la société Vitadom à lui régler la somme de 18.236,76 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, à titre subsidiaire, la somme de 10.638,11 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- le confirmer pour le surplus,

En conséquence,

- constater que la société Vitadom a illégalement eu recours à l'avenant temporaire de complément d'heures,

- et, requalifier son contrat de travail en temps complet et condamner la société Vitadom à régler les sommes suivantes 11.980,26 euros à titre de rappel de salaires outre 1.198,03 euros à titre de congés payés y afférents,

- condamner la société Vitadom à lui verser la somme de 10.000 euros net à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- la condamner à régler la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Grellety,

- dire que la totalité de ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la requête introductive d'instance.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 décembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 23 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La requalification des contrats de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein

La société fait valoir que cette demande est prescrite, le délai de trois ans courant à compter de la première irrégularité, qu'en tout état de cause, la demande ne pourrait porter que sur les trois dernièrs années de la relation de travail ; que Mme [V] évoque l'irrégularité d'un avenant sans en préciser la date ; que les entreprises de d'aide à domicile sont exemptées de l'obligation d'indiquer la répartition de la durée de travail entre les jours de la semaine, les semaines du mois et le rythme de travail ; que les plannings étaient transmis au début de chaque mois ; qu'en vertu du principe de l'estoppel, Mme [V] ne peut se contredire devant la cour dès lors qu'elle ne contestait pas devant le premier juge - et aux termes de ses premières conclusions devant la cour- l'établissement et la transmission des plannings ; qu'il lui revient d'établir qu'elle était dans l'impossibilité de prévoir son rythme de travail et dans l'obligation de se tenir constamment à la disposition de l'employeur; que la rémunération de Mme [V] lui était connue car lissée sur l'année conformément à l'accord d' entreprise du 23 novembre 2012.

Mme [V] répond en premier lieu que les treize avenants souscrits en 2011 et 2012 étaient irréguliers parce qu'antérieurs à la loi du 14 juin 2013 ayant autorisé les avenants de complément d'heures, que la relation de travail doit être requalifiée en contrat de travail à temps complet à ce titre.

Mme [V] soutient ensuite que son action n'est pas prescrite dès lors qu'elle ne connaissait pas ses droits, qu'en tout état de cause, la demande de requalification des avenants des 1er août, 1er octobre et 27 octobre 2016 n'est pas prescrite dès lors qu'ils intéressent les trois années antérieures au licenciement ; que les avenants ne respectent pas les exigences posées par l' article L.3123-14 du code du travail et sont irréguliers; qu'il revient à la société de prouver cumulativement la durée exacte mensuelle ou hebdomadaire prévue et que le salarié n'était pas dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir à la disposition constante de l' employeur; qu'elle ne s'est jamais contredite et qu'il ne peut lui être opposé le principe de l'estoppel; que l' employeur ne communique que onze envois de plannings dans les délais; qu'elle était dans l'impossibilité de prévoir son rythme de travail et était à la disposition de l' employeur; que la rémunération n'était pas indiquée, peu important le lissage prévu par l'accord collectif ; que les salaires sont dus depuis le 23 mars 2015 dès lors qu'elle a été licenciée le 23 mars 2018.

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d' un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet est soumise à la prescription triennale de l' article L.3245-1 du code du travail. Aux termes de ce texte, l'action en paiement des salaires se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou le salarié a eu connaissance des faits ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Il résulte de la combinaison des articles L.3245-1 et L.3242-1 du code du travail, que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible. Pour les salariés payés au mois, la date d'exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l' entreprise et concerne l'intégralité du salaire afférent au mois considéré.

Le moyen de la société de ce que le point de départ du délai de prescription de trois ans est la date de la première irrégularité est inopérant.

Mme [V] a perçu son dernier salaire moins de trois ans avant la saisine du conseil des prud'hommes le 22 octobre 2018. Aucun élément n'établit qu'elle aurait connu ses droits avant cette date. Sa demande de requalification est recevable.

La société oppose à tort que Mme [V] ne précise pas l'avenant qui serait irrégulier dès lors que cette dernière conteste la régularité de la signature de tout avenant - entendu au sens générique- de complément d'heures.

Ensuite, la créance de Mme [V] porterait - en cas de requalification- sur les salaires des trois dernières années précédant la rupture de son contrat de travail soit à compter du mois de mars 2015. La cour constate à ce titre que Mme [V] demande la confirmation du jugement ayant dit que son action en requalification portant sur la période antérieure au 24 mars 2015 est prescrite.

S'agissant du principe de l'estoppel, le jugement n'indique pas que la salariée reconnaissait que les plannings étaient communiqués chaque mois aux salariés.

Aux termes de ses conclusions du 20 avril 2020, Mme [V] ne dit pas qu'elle avait connaissance des plannings en temps utile mais estime qu'elle était dans l'impossibilité de connaître son rythme de travail et se trouvait à la disposition de l'employeur.

Dans ses dernières conclusions, Mme [V] fait valoir qu'il revient à l' employeur de prouver la durée exacte de travail mensuelle ou hebdomadaire et qu'elle n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir son rythme de travail. La société ne peut valablement arguer d'un sous-entendu qui serait contenu dans les premières écritures pour établir que Mme [V] aurait adopté un changement de position en droit de nature à induire l'autre partie en erreur ou manqué à l' obligation de loyauté processuelle.

Ce moyen est inopérant.

Aux termes des articles L.3123-14 et L.3123-6 du code du travail dans leur rédaction applicable, le contrat de travail à temps partiel est un contrat écrit. Il doit mentionner la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue, et, sauf pour les salariés des associations ou entreprises d'aide à domicile, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations ou entreprises d'aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié.

Sur la période considérée de mars 2015 à mars 2018, l'association ne verse que les messages de transmission du planning des mois d' avril 2015, février à novembre 2016, janvier et février 2017, septembre et octobre 2017. Les dates de transmission des plannings des autres mois ne sont pas établies. l'employeur n'a donc pas respecté l'obligation de transmission de plannings écrits chaque mois au salarié.

Par ailleurs, la société indique que, lorsque le planning du mois devait être modifié, "ce qui arrivait régulièrement compte - tenu des aléas liés aux emplois de service et d'aide à la personne", le planning rectifié était systématiquement envoyé à l'avance à Mme [V] selon le même procédé , c'est à dire par un mail doublé d'un SMS.

Les transmissions de plannings rectifiés ne sont pas avérés dès lors que l'employeur ne produit que des relevés de messages dont l'objet n'est pas précisé. En tout état de cause, ces messages ne porteraient que sur quelques modifications ( une seule pour l'année 2015).

Aucun élément n'établit que Mme [V] aurait pu connaître son rythme de travail de manière à ne pas être à la disposition constante de son employeur.

Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de répondre aux autres moyens, le contrat de travail à temps partiel doit être requalifié à temps plein à compter du 23 mars 2015 et Mme [V] est bien - fondée à demander paiement d'un rappel de salaire depuis cette date jusqu'à la rupture du contrat.

Compte-tenu des arrêts de travail de Mme [V], le montant du rappel de salaire sera fixé à la somme de 10 877,97 euros majorée des congés payés afférents (1087,80 euros).

Le paiement du temps de déplacement et des frais kilométriques

Au visa de l' article L.3121-4 du code du travail et des dispositions conventionnelles, Mme [V] fait valoir qu'elle n'a pas été payée du temps de travail effectif entre deux lieux de travail et des frais kilométriques liés à l'usage de son véhicule personnel. Elle fait état d'un rapport de l'inspecteur du travail du 20 mai 2016 et de ce que la mention d'heures de déplacement sur les bulletins de paye est indifférente, aucun taux ni montant n'étant précisés. Mme [V] renvoie à un décompte versé en cote 57.

La société répond qu'un rappel de salaire doit être précisément chiffré et ne peut donner lieu au paiement de dommages et intérêts forfaitisés, qu'une même demande de dommages et intérêts ne peut être fondée sur deux préjudices différents ; qu'au regard des régles de prescription, Mme [V] ne peut pas solliciter de sommes portant sur une période antérieure au 15 mars 2015, que la rémunération de Mme [V] était lissée sur une année et que les bulletins de paye mentionnent les heures travaillées et l'écart entre les heures travaillées et payées ; qu'une régularisation était opérée en fin d'année civile au regard d'un compte de compensation; qu'elle a bien rémunéré les temps de travail inter - vacations et payé les indemnités kilométriques, notées " intervacation kilométrique" et " indemnité kilométrique intervenant"; que le décompte produit par Mme [V] n'est pas probant en l'absence de précision du référentiel de calcul des distances et les frais de trajet entre le domicile et le lieu de travail étant pris en compte même entre deux vacations.

La demande de paiement de dommages et intérêts en réparation du non paiement de temps de travail ou d'indemnités kilométriques est recevable dès lors qu'elle n'a pas pour finalité de contourner les régles relatives à la prescription. L'appréciation du préjudice indemnisable prendrait en compte la seule période du 23 mars 2015 au 23 mars 2018, la cour ayant la possibilité d'évaluer le préjudice résultant du défaut de paiement des temps d'inter vacations et de prise en charge des indemnités kimométriaques.

La lettre de l'inspecteur du travail intéresse Mme [G] et non Mme [V] et la cour ne peut se satisfaire des seuls exemples intéressant la première pour fonder la demande de la seconde.

En vertu des dispositions conventionnelles, le temps de déplacement entre deux lieux d'intervention constitue du temps de travail effectif lorsque le salarié ne peut retrouver son autonomie et l'indemnisation des frais kilométriques est calculée sur la base de 0,31 euros / kilomètre.

La rémunération étant lissée sur l'année, les bulletins de paye mentionnent les heures de travail payées, les heures de travail effectuées et l'écart entre les deux nombres. Le taux horaire étant celui figurant sur la ligne de la rémunération de base, l'indication du même taux pour les heures effectuées n'était pas utile . La régularisation des heures effectuées en 2015 et 2016 a été opérée sur les salaires des mois de février 2016 et avril 2017. Les comptes de modulation sont produits par l' employeur sous cotes 47-1 à 48-3. Le compte de modulation de l'année 2017 indique un écart négatif de 0,86 heures qui n'a pas fait l'objet d'une régularisation au préjudice de la salariée.

Mme [V] verse un décompte intéressant les mois d' août 2015, novembre 2016, septembre 2017 et octobre 2017 qui , au delà d'etre incomplet, ne précise pas le référentiel de calcul des distances parcourues. Mme [V] ne produit pas d'élément permettant de remettre en cause les temps de trajet entre deux vacations et le calcul des indemnités kilométriques et sa demande.

Mme [V] sera déboutée de cette demande.

Le travail dissimulé

Mme [V] demande paiement d' une indemnité égale à six mois de salaire au motif du non paiement des sommes dues au titre des temps de travail et des indemnités sus examinés.

Le défaut de paiement de ces sommes n'ayant pas été retenu, Mme [V] doit être déboutée de ce chef.

Le licenciement

La lettre de licenciement en date du 23 mars 2018 est ainsi rédigée :

« Vous êtes employée en qualité d'auxiliaire de vie niveau 3 au sein de notre agence de [Localité 3] depuis le 09/12/2011.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 07 mars 2018, nous vous avons convoquée à un entretien préalable au licenciement le Lundi 19 mars 2018 à 11h30, entretien auquel vous vous êtes présentée.

Cet entretien avait pour objectif d'entendre vos explications sur vos manquements et votre comportement chez un de nos bénéficiaires.

Par courrier en date du 08 janvier 2018, nous avons à nouveau été informé que vous n'effectuez pas correctement votre travail et que votre comportement est non professionnel. Vos multiples carences ont amené notre bénéficiaire à demander votre remplacement.

Nous vous rappelons que vous intervenez chez une personne âgée avec de très sérieux troubles de santé, il est attendu de vous du professionnalisme.

A cet égard, il convient de préciser que vous avez déjà été sanctionnée en date du 17 novembre 2017 par un avertissement pour des faits similaires. De plus nous avons été destinataires de courriers sollicitant votre remplacement ainsi que d'appels téléphoniques de bénéficiaires ne souhaitant plus vous voir intervenir à leurs domiciles.

Les faits mentionnés ci-dessus constituent un grave manquement à la discipline de notre société et à vos obligations contractuelles. Votre comportement est inacceptable et nous mets gravement en difficulté pour établir votre planification.

Pour toutes ces raisons, la poursuite de votre contrat de travail est impossible et nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute sérieuse.

Conformément aux dispositions légales et conventionnelles, votre préavis, d'une durée de 2 mois, commencera à courir à la date de première présentation de cette lettre. »

Sur demande de Mme [V], la société a précisé les motifs du licenciement par correspondance du 12 avril 2018 ainsi rédigée :

" dès lors et s'agissant de vos manquements et votre comportement non professionnel, vous trouvere ci-dessous des extraits du courrier qui nous a été adressé par notre bénéficiaire :" cette personne ne correspond plus du tout ) ce que l'on attend de ce travail et de son comportement ...il est vrai qu'elle a beaucoup changé, ce qui nous a surpris mais nous ne pouvons plus rien pour elle ... nous n'avons pas le temps de nous quereller avec le personnel dès que l'on demande le moindre service".Par ailleurs, en date du 15 janvier, nous avons reçu l'appel d'une bénéficiaire nous indiquant qu'elle refusait votre intervention à son domicile. De plus, le fils d' un autre bénéficiaire a également contacté l'agence pour nous informé qu'il avait été particulièrement choqué par les propos dénigrants envers notre société que vous teniez chez son parent et que ceux - ci la perturbaient fortement ".

Mme [V] demande à la cour, à titre principal, de dire que son licenciement est nul et à titre subsidiaire, qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Mme [V] fait valoir que la notification d'un avertissment injustifié a altéré son état de santé qui a nécessité un arrêt de travail, qu' au cours de l'entretien tenu le 29 janvier 2018, il a été fait pression sur elle pour la signature d'une rupture conventionnelle et qu'elle a dénoncé ce harcèlement moral tant à son employeur qu'à l'inspection du travail; que la déléguée syndicale s'est imposée - en dépit de son refus d'être assistée par elle- lors de l' entretien du 29 janvier 2018 ; qu'ayant qualifié cet entretien de harcèlement moral, elle bénéficie de la protection édictée par l' article L.1152-2 du code du travail, peu important que la lettre de licenciement n'en fasse pas état.

La société répond que Mme [V] n'a pas relevé appel du jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à la reconnaissance d'un harcèlement moral et que sa demande tendant à la nullité de son licenciement est irrecevable ; qu'en tout état de cause, l' avertissement était justifié ; que Mme [V] n'a subi aucune pression lors de l'entretien du 29 janvier 2018 ou de la part de la déléguée du personnel ; que l'inspection du travail n'a pas donné suite au signalement de la salariée dont la dégradation de l'état de santé n'est pas avérée et ne serait pas en lien avec ses conditions de travail ; que le licenciement n'est pas fondé sur la dénonciation de faits de harcèlement moral, l'entretien du 29 janvier n'étant pas même mentionné.

Mme [V] a saisi le conseil des prud'hommes aux fins d'annulation de son licenciement motif pris d'un harcèlement moral. Le conseil des prud'hommes a jugé que la preuve d'un harcèlement moral n'était pas rapportée et que le licenciement n'est pas nul.

La demande réitérée devant la cour de voir prononcer la nullité du licenciement est recevable dès lors que le harcèlement moral était un moyen - et non une prétention - soutenu devant le conseil des prud'hommes.

Mme [V] revendique l'application des dispositions de l' article L.1152-3 du code du travail aux termes duquel toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L.1152-1 et L. 1152-2 , toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aux termes de l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l' article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles précédents, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie adverse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutif d'un tel harcèlement et que sa décision est justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge doit examiner les faits présentés par le salarié dans leur ensemble en ce compris les éléments médicaux.

L'avertissement en date du 21 février 2018 est ainsi rédigé :

" le mercredi 18 octobre 2017, nous avons eu à regretter les faits suivants :

Mme [S], cliente de la société, a contacté l'agende [Localité 3] afin de signaler son fort mécontentement suite à l'intervention que vous veniez d'effectuer pour les raisons suivantes :

- vous ne faites pas correctement les gestes lors de la toilette,

- vous ne passez pas l'aspirateur de manière consciencieuse en ne nettoyant pas sous la table et en ne déplaçant pas les chaises,

- vous avez refusé de passer le balai serpillière et le repassage que vous avez fait était fort insatisfaisant.

À la fin de cet appel téléphonique, Mme [N], chargée de coordination,vous a contactée aux fins de recueillir vos observations sur les problématiques énoncées par Mme [S].

Vous avez répondu que les seuls problèmes à votre connaissance étaient les changements d'horaires mais rien par rapport à votre travail. Puis, vous avez indiqué à Mme [N] que vous alliez raccroché car vous n'étiez" pas d'humeur".

Vous avez ensuite crié sur votre responsable en lui disant " j'en ai rien à foutre " avant de lui raccrocher au nez".

Vous avez été reçue en entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire ...... lors de cet entretien .... vous ne reconnaissez pas les manquements constatés par Mme [S]. Vous avez reconnu avoir tenu les dits propos à votre responsable sans toutefois en prendre la mesure puisque vous avec indiqué ne pas avoir été irrespectueuse.

Vos explications ne nous ont pas convaincus d'autant que Mme [S] n'est pas la première cliente à nous avoir fait part de son mécontentement suite à vos interventions.

Votre manque de professionnalisme a un impact sur l'image de notre société. En effet, Mme [S] nous a adressé un courrier dans lequel elle nous indique ne plus souhaiter vous voir intervenir à son domicile.

D'autre part, votre attitude extrêmement irrespectueuse envers votre responsable constitue un grave manquement à la discipline de notre établissement. Un tel comportement est inacceptable.

Par conséquent, nous vous adressons ce premier avertissement (..)" .

Mme [V] a contesté cette sanction le 25 novembre suivant en faisant valoir que la toilette ne relève pas de ces fonctions mais de celles des infirmières, que des simples doléances non vérifiées ne peuvent fonder cette sanction, que l'empressement de sa chargée de coordination à la suspecter de ces faits non vérifiés l'a mise en colère et qu'elle regrette la tonalité de leurs échanges. Elle estime que la sanction est disproportionnée.

La société estime l'avertissement justifié au regard des doléances des bénéficiaire et ajoute que la toilette relève des missions d'une auxiliaire de vie de niveau 3.

Aux termes de la convention collective des entreprises de services à la personne, l'emploi d'une auxiliaire de vie "pourra consister, selon les consignes, à accompagner une tierce personne (infirmier ou autre) dans la réalisation des actes d'hygiène pour le compte d'une personne dont l'autonomie est altérée".

Le contrat de travail et ses avenants ne mentionnent pas que Mme [V] doit accompagner une tierce personne dans la réalisation des actes d'hygiène de sorte qu'il ne peut êre reproché à la salariée de "n'avoir pas la force de nous essuyer " ainsi qu'écrit pas les époux [S].

Par ailleurs, il revenait à l'employeur de vérifier le bien - fondé des doléances des bénéficiaires qu'il ne dit pas avoir rencontrés.

Enfin, la société ne produit pas la lettre de ces bénéficiaires qui auraient refusé que la salariée intervienne à nouveau à leur domicile.

Ces seuls reproches ne peuvent dès lors fonder l'avertissement.

Mme [V] ne conteste pas s'être emportée dans les termes visés dans la lettre d'avertissement. Cependant, au regard de l'absence de sanction ou même de lettre de rappel antérieure, Mme [V] ayant été désignée salariée du mois en juin 2016, la sanction infligée était disproportionnée.

Mme [V] dit ensuite que le harcèlement moral résulte aussi de ce que, au cours de l'entretien en date du 29 janvier 2018 - dont elle attendait une discussion sur ses conditions de travail- elle a été "forcée à demander une rupture conventionnelle", ce qu'elle a dénoncé à l'inspection du travail comme relevant d' un harcèlement moral. Mme [V] ajoute que la déléguée syndicale a fait le " forcing" pour être présente à cet entretien en dépit de son refus exprès, et que la procédure de licenciement a été engagée 19 jours après sa lettre à l'inspection du travail, faute d'avoir obtenu qu'elle signe une rupture conventionnelle.

La société conteste toute pression sur la salariée qui avait exprimé sa volonté de recourir à une rupture conventionnelle. Elle ajoute qu'au cours de l'entretien, celle-ci a dit vouloir quitter l'entreprise et que Mme [H] l'a informée de la possibilité de demander une rupture conventionnelle. Par sa lettre datée du 9 février, Mme [V] se serait constitué une preuve à elle -même. Selon la partie intimée, la déléguée du personnel était présente à la demande de la salariée.

Il résulte des pièces que :

- par lettre du 6 décembre 2017, Mme [V] a entendu rappeler à son employeur qu'il doit la protéger face aux problèmes de harcèlement au travail de la part des usagers ou des collègues ;

- par SMS du 26 janvier 2018, Mme [V] a indiqué à la déléguée du personnel qu'elle ne souhaitait pas son intervention lors de l'entretien prévu le 29 janvier ( " je vais au rendez- vous toute seule pas besoin que vous soyez là"..je vous demande de ne pas venir ....merci de tenir compte de ma demande et de me laisser tranquille car je ne suis pas bien") . À ce refus réitéré d'être assistée lors de l'entretien, la déléguée du personnel a répondu " si vous voulez la rupture conventionnelle, je vous conseille de faire la lettre et de la porter lundi matin" puis " je serai là lundi dans VOTRE intérêt. Donc vu avec Mme [H] le RDV est à 10 heures" ... " c'est prévu comme cela et nous serons là à 10 heures... je veux juste que vous compreniez que je suis là pour vous trouver la meilleure solution. Et en proposant la rupture conventionnelle c'est pour vous évitez des ennuis supplémentaires et que vous puissiez enfin passer à autre chose".

Il n'est pas contesté que la déléguée du personnel était présente lors de cet entretien sans que la société qui affirme que Mme [V] a changé d'avis et demandé par lettre recommandée à cette personne de l' assister ne la produise ; - par lettre datée du 9 février 2018, Mme [V] s'est plainte de ce que l' entretien avait pour objet la mise en place de mesures lui permettant de reprendre son poste sereinement, qu'au lieu de cela, la responsable des ressource humaines et la déléguée du personnel lui avait téléphoné plusieurs fois pour lui demander d'écrire une lettre de demande de rupture conventionnelle.

- par lettre du 23 février 2018, l'inspection du travail a interrogé la société sur la contrainte que subirait la salariée pour signer une rupture conventionnelle et qui pourrait constituer un harcèlement moral ;

- Mme [V] a été convoquée le 28 février 2018 à un entretien préalable à éventuel licenciement et a été licenciée le 23 mars suivant alors qu'elle était en arrêt de travail. Aux termes de la lettre de licenciement, l'employeur fait état de l'avertissement et de ce qu'il a été destinataire de courriers sollicitant son remplacement ;

- Mme [V] a été placée en arrêt de travail en novembre 2017 et à compter du mois de janvier 2018 pour " un état dépressif réactionnel".

Ces faits présentés par Mme [V], pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d' un harcèlement moral : l'avertissement en date du 17 novembre 2017 n'était pas justifié ; la déléguée du personnel s'est imposée à l'entretien du 20 janvier 2018 en dépit du refus réitéré de Mme [V] d'être assistée par elle ; cette déléguée a incité Mme [V] a signé une rupture conventionnelle alors que sa mission n'était pas de la convaincre de rompre le contrat de travail ; le 9 février 2018, Mme [V] a alerté l'inspection du travail qui a interrogé la société le 23 février suivant ; cinq jours plus tard, et alors que la salariée était placée en arrêt de travail depuis le 5 décembre 2017, l'employeur l'a convoquée à un entretien préalable puis l'a licenciée en faisant état de ce qu'il avait été destinataire de courriers sollicitant son remplacement ainsi que d'appels téléphoniques de bénéficiaires ne souhaitant plus son intervention ; la lettre de doléances de Mme [C] était datée du 8 janvier 2018 sans que l' employeur ne s'en émeuve avant la dégradation de ses relations avec sa salariée ; le 1er décembre 2017, Mme [W] a écrit à Mme [H] que Mme [Y] souhaitait résilier son contrat de prestation au motif que Mme [V] faisait mal son travail mais par attestation cotée 39, Mme [Y] écrit que ce message est mensonger et qu'elle a résilié le contrat pour des raisons étrangères à Mme [V] à laquelle elle n'avait rien à reprocher "; Mme [V] a été placée en arrêt de travail pour dépression réactionnelle.

Il revient dès lors à l' employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement moral et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

La société ne justifie pas l'intrusion de la déléguée du personnel ; elle n'explique pas la célérité avec laquelle elle a convoqué Mme [V] à un entretien préalable quelques jours après la réception de la lettre de l'inspection du travail et alors que sa salariée était placée en arrêt de travail ; elle ne peut expliquer la raison pour laquelle Mme [W] a indiqué que Mme [Y] résiliait son contrat de prestation à cause du travail de Mme [V] alors que cette résiliation y était étrangère. Elle n'établit donc pas que les faits présentés par Mme [V] seraient étrangers à tout harcèlement moral.

La cour retient donc que le licenciement de Mme [V] est intervenu dans un contexte de harcèlement moral, peu important que la lettre de licenciement ne mentionne pas la dénonciation d'un harcèlement moral.

Dans ces conditions et en vertu des articles précités, le licenciement de Mme [V] est nul et celle- ci doit être indemnisée à hauteur minimale des six derniers mois de salaire en application des dispositions de l' article L.1235-3-1 du code du travail.

Mme [V] produit son livret de famille indiquant qu'elle avait deux enfants alors âgés de 16 et 19 ans et un premier contrat de travail à durée déterminée du 3 mars 2020.

Considération prise de ces éléments et de l' ancienneté de Mme [V], la société devra lui verser la somme de 12 000 euros.

L'exécution déloyale du contrat de travail

Mme [V] demande paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts au motif que la société a recouru à des avenants de complément d'heures irréguliers, ne lui a pas versé les frais kilométriques et temps de trajet entre deux lieux d'intervention et l'a sanctionnée de manière abusive tant lors de l' avertissement que dans le cadre du licenciement.

La société répond que le point de départ de la prescription de deux ans applicable est ici le jour de la signature des avenants tous antérieurs de plus de deux ans à la saisine du conseil des prud'hommes. Elle ajoute, qu'en tout état de cause, cette demande n'est pas fondée.

Aux termes de l' article L.1471-1 du code du travail, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits qui lui lui permettent d'exerce son droit.

Mme [V] a saisi le conseil des prud'hommes le 22 octobre 2018. L'avenant de complément d'heures du 27 octobre 2016 a produit ses effets jusqu'en décembre 2016, l'avertissement est daté du 17 novembre 2017 et le licenciement du 23 mars 2018.La demande de Mme [V] est recevable.

La cour a retenu la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein et que l'avertissement était une sanction disproportionnée. Ces faits sont contraires à l'obligation d'exécuter le contrat de travail de bonne foi et Mme [V] a subi un préjudice résultant du défaut de paiement d'une rémunération compléte pendant plusieurs années et de la notification d'une sanction injustifiée ; à ce titre, la société sera condamnée au paiement de dommages et intérêts à hauteur de 2 000 euros.

La société sera condamnée à indemniser le Pôle Emploi des indemnités versées à compter du travail dans la limite de deux mois.

Vu l'équité, la société devra verser à Mme [V] la somme totale de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre des procédures de première instance et d'appel,

Partie perdante, la société supportera les entiers dépens dont distraction au profit de Me Grelletty.

Compte - tenu de la pluralité des demandes et dans un souci de clarté du dispositif, la cour infirmera le jugement entrepris et statuera sur chaque demande.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Infirme le jugement entrepris,

statuant à nouveau,

1) sur la demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein,

Dit que la demande est recevable en ce qu'elle n'est pas prescrite,

Requalifie le contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet à compter du 23 mars 2015,

Condamne la société Vitadom venant aux droits de la société Assistaliance à payer à Mme [V] les sommes de 10 877,97 euros majorée des congés payés afférents

(1 087,80 euros) au titre de rappel de salaire à compter du mois de mars 2015,

Dit que le salaire mensuel moyen de Mme [V] est de 1 519,73 euros,

2) sur le licenciement

Dit le licenciement nul,

Condamne la société Vitadom venant aux droits de la société Assistaliance à payer à Mme [V] la somme de 12 000 euros de ce chef,

Ordonne à la société Vitadom de rembourser au Pôle Emploi de Nouvelle Aquitaine les indemnités versées à Mme [V] après son licenciement dans la limite de deux mois.

3 ) sur l'exécution déloyale du contrat de travail

Dit la demande non prescrite,

Condamne la société Vitadom venant aux droits de la société Assistaliance à payer à Mme [V] la somme de 2 000 euros de ce chef,

4) sur le travail dissimulé

Dit la demande non prescrite,

Déboute Mme [V] de sa demande de ce chef,

5) sur les temps de trajet et les indemnités kilométriques

Déboute Mme [V] de sa demande,

Dit n'y avoir lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

6) sur les autres demandes

Condamne la société Vitadom venant aux droits de la société Assistaliance à payer à Mme [V] la somme totale de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Vitadom venant aux droits de la société Assistaliance aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Grellety.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/06277
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;19.06277 ?
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