COUR D'APPEL DE BORDEAUX
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 21 MARS 2023
N° RG 21/02253 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MB5T
[B] [C] [G]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/004257 du 18/03/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
[L] [H]
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX
Nature de la décision : AU FOND
2AA
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 14 janvier 2021 par le TJ de Bordeaux (RG n° 19/10136) suivant déclaration d'appel du 15 avril 2021
APPELANT :
[B] [C] [G]
né le 23 Juillet 1956 à [Localité 5] (CONGO)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
Représenté par Me Jehanne PORNON-WEIDKNNET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[L] [H]
née le 28 Mars 1981 à [Localité 4] (NIGERIA)
de nationalité Nigériane
demeurant [Adresse 1]
Non comparant, non représenté (DA signifiée le 15/06/2021 et conclusions signifiées le 29/10/2021)
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX
demeurant [Adresse 6]
Représenté par Florence POUDENS, Avocat Général
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Président : Hélène MORNET
Conseiller: Danièle PUYDEBAT
Conseiller : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [L] [H], née le 28 mars 1981 à [Localité 4] (Nigéria), a donné naissance à [D] [G] le 6 juin 2014 à [Localité 3] (Gironde).
M. [B] [C] [G] et Mme [H] ont fait une reconnaissance préalable de l'enfant le 21 février 2014 à la mairie de [Localité 3].
Par actes d'huissier en date du 2 octobre 2019, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux a assigné M. [B] [C] [G] et Mme [H], cette dernière tant en son nom qu'en sa qualité de représentante légale de l'enfant [D] [G], aux fins d'annulation de la reconnaissance de paternité sur le fondement de l'article 336 du code civil.
Par jugement réputé contradictoire en date du 14 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- annulé la reconnaissance préalable de paternité effectuée par M. [B] [C] [G] le 21 février 2014 à la mairie de [Localité 3] au profit de l'enfant [D] [G], né le 6 juin 2014 à [Localité 3], fils de Mme [L] [H],
- dit que l'enfant sus nommé cessera de porter le patronyme [G] et portera désormais le nom [H],
- ordonné que mention de la présente décision soit portée sur les registres de l'état civil et notamment sur l'acte de naissance de l'enfant ainsi que sur l'acte de reconnaissance de l'enfant,
- condamné les défendeurs aux entiers dépens de la présente instance.
Procédure d'appel :
Par déclaration du 15 avril 2021, M. [G] a relevé appel de l'ensemble des dispositions du jugement.
Selon dernières conclusions du 6 octobre 2021, M. [G] demande à la cour de :
A titre liminaire,
- constater l'absence de respect du contradictoire de la procédure initiale,
- déclarer l'appel de M. [G] recevable et bien fondé,
Sur le fond,
- constater que l'enfant n'a aucunement intérêt à devenir orphelin de père,
- constater que la mère de l'enfant a eu une liaison avec M. [G] durant l'automne 2013, période légale de conception de l'enfant, confirmant la vraisemblance de la filiation,
- constater la cohérence des déclarations des parents, et les efforts du père pour subvenir aux besoins de l'enfant et maintenir un lien, prouvant la bonne foi du père et ainsi l'absence de caractère manifestement frauduleux de la reconnaissance,
- confirmer que l'existence d'autres reconnaissances hors mariage n'est pas une preuve de fraude, ce d'autant plus que l'une des reconnaissances a déjà été confirmée par jugement, et que les autres sont en cours de procédure,
En conséquence,
- réformer le jugement de première instance et rejuger le fond,
- reconnaître la vraisemblance de la filiation, la bonne foi et par la suite l'absence de fraude à la loi de M. [G] qui s'est toujours cru le père biologique de l'enfant [D] [G],
- déclarer que M. [G] est bien le père de l'enfant [D] [G],
- confirmer la validité de la reconnaissance de paternité de M. [G],
- débouter le Ministère public de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- statuer ce que de droit quant aux dépens.
Selon dernières conclusions du 19 septembre 2021, le Ministère Public demande à la cour de :
- déclarer l'appel irrecevable,du fait de l'obtention d'un certificat de non appel du 25 mars 2021,
- subsidiairement, confirmer la décision entreprise.
Mme [H] n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est datée du 31 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la compétence de la juridiction française et la loi applicable :
En présence d'un élément d'extranéité, le juge doit vérifier, au regard des règles de compétences internationales, la compétence de la juridiction saisie et rechercher quelle est la loi applicable au litige.
En l'espèce, la mère de l'enfant, Mme [H], à la date de la reconnaissance, est de nationalité nigériane.
Sur la compétence des juridictions françaises :
En application des dispositions de l'article 3 du code civil, les lois de police obligent tous ceux qui habitent le territoire.
L'article 336 du code civil français reconnaît expressément compétence au ministère public pour agir en contestation des reconnaissances frauduleuses.
La compétence du ministère public pour agir en matière d'état des personnes sur le fondement précité, en cas de fraude à la loi française, ressort des lois de police et produit ses effets à l'égard de tous ceux qui habitent sur le territoire français
Les parties assignées par le ministère public étant en l'espèce domiciliées en France, il convient de retenir la compétence des juridictions françaises, et notamment la compétence du tribunal judiciaire de Bordeaux eu égard au domicile de M. [G].
Sur la loi applicable :
La juridiction qui statue sur le fondement d'une loi de police fait application de la loi du for, en l'espèce de la loi française.
En tout état de cause, en application de l'article 311-17 du Code civil, "La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant".
En l'espèce, l'auteur de la reconnaissance est de nationalité française, ainsi que l'enfant qui a bénéficié d'une reconnaissance de paternité de la part d'un père de nationalité française.
Il s'en déduit que seule la loi française est applicable à la contestation de la reconnaissance de paternité de M. [G], sur l'enfant [D].
Sur la recevabilité de l'appel :
Le ministère public conclut à l'irrecevabilité de l'appel formé par M. [G], du fait de la délivrance, le 25 mars 2021, d'un certificat de non appel. Ledit certificat n'est toutefois pas produit par le ministère public.
En tout état de cause, il ressort des éléments de la procédure que l'appelant a présenté une demande d'aide juridictionnelle le 18 février 2021 et a obtenu, par décision du 18 mars 2021, l'aide juridictionnelle totale, décision qui lui a été notifiée le 31 janvier 2021.
En conséquence et en application des dispositions de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991, devenu article 43 du décret n°2020-1717 du 28 décembre 2020, applicable au présent recours, le point de départ pour former appel, soit un mois en matière contentieuse, était la fin du délai de recours de 15 jours contre cette décision d'admission, soit au plus tard le 15 avril 2021, reportant au 15 mai 2021 la fin du délai de recours.
L'appel formé par déclaration de M. [G] du 15 avril 2021 est donc parfaitement recevable.
Sur le respect du contradictoire :
Il résulte des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Par ailleurs, l'article 954 du code de procédure civile impose aux parties de formuler leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions d'appel.
Enfin, les demandes de constats, sans en tirer aucune conséquence juridique, ne constituent pas des prétentions qui saisissent valablement la cour.
En l'espèce, la demande liminaire figurant au dispositif des dernières conclusions de M. [G], sollicitant qu'il soit constaté l'absence de respect du contradictoire de la procédure initiale, suivie devant le tribunal judiciaire, ne constitue pas une prétention, dès lors qu'elle n'en titre aucune conséquence juridique quant à la nullité du jugement, et ne saisit pas la cour de ce chef.
Sur la paternité de l'appelant :
L'article 336 du code civil énonce que la filiation légalement établie peut-être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi.
Il appartient au ministère public qui agit sur ce fondement, notamment lorsqu'il allègue qu'il y a eu fraude à la loi, d'apporter la preuve de celle-ci, en démontrant que l'établissement de la filiation contestée poursuivait d'autres objectifs, contraire à la loi et à l'ordre public, que celui d'établir un lien de paternité entre son auteur et l'enfant.
En l'espèce, pour considérer qu'il existait un faisceau d'indices suffisants pour emporter la conviction de la juridiction quant au caractère fallacieux de la reconnaissance de l'enfant [D] [G] par M. [G], le tribunal a relevé les éléments suivants, mis en évidence par les investigations menées par la Préfecture de la Gironde, portant sur plusieurs reconnaissances de paternité qualifiées par ces services de " frauduleuses " comme étant réalisées à visée migratoire :
- M.[G] a déjà reconnu, avant [D], trois enfants, entre 2011 et 2012, de mères étrangères différentes, dépourvues de communauté de vie avec lui et alors qu'il était lui-même marié à une autre femme,
- Après la reconnaissance de l'enfant par M. [G], Mme [H] a sollicité un renouvellement de titre de séjour " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français,
- Lorsqu'ils ont été interrogés par les services de la préfecture, M. [G] et Mme [H] ont indiqué avoir eu une relation très brève, mais divergent sur sa durée, de quelques jours pour Monsieur à trois semaines pour Madame,
- Aucune preuve n'est rapportée que M. [G] a participé à l'éducation ou à l'entretien de l'enfant [D].
A ces incohérences s'ajoutent d'autres éléments révélés par les investigations :
- Mme [H] déclare être entrée en France en février 2014, après avoir rencontré M. [G] à [Localité 7], en Espagne où elle aurait vécu trois ans (ou un an seln ses déclarations devant la police) et alors que ce dernier s'y trouvait en vacances, n'être venue à [Localité 3] qu'une fois sa grossesse connue, dans l'espoir d'y retrouver M. [G], lequel ne s'est pas manifesté à son arrivée,
- Le couple n'a jamais eu de vie commune et ne s'explique pas sur le pourquoi d'une reconnaissance anticipée de l'enfant,
- Aucune preuve n'est apportée au soutien des prétentions de M. [G], en dehors de ses allégations et d'une attestation unique émanant de l'un de ses fils majeurs (pièce n° 9), très générale en ce qu'elle fait allusion aux enfants reconnus par son père, justifiant qu'il ait eu des relations de père avec l'enfant [D], ni qu'il ait pourvu financièrement à son entretien et à son éducation, Mme [H] étant en outre dans l'incapacité de fournir l'adresse du père à la date de son audition, en 2016.
Il s'en suit que si la circonstance que M. [G] a fait l'objet d'investigations, à la suite de plusieurs reconnaissances de paternité, entre 2011 et 2014, d'enfants nés de mères africaines se trouvant en situations administratives irrégulières, n'est pas en elle-même suffisante à démontrer le caractère frauduleux de ces reconnaissances, il demeure que la réunion de l'ensemble des éléments de la procédure et des pièces produites par l'appelant et le ministère public en appel constitue réellement un faisceau d'éléments caractérisant la fraude commise par le déclarant à la reconnaissance, en ce que celle-ci poursuivait un but illégitime, la régularisation d'une situation administrative illégale, étranger à l'établissement d'un lien de filiation.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
M. [G] qui succombe sera condamné aux entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Après avoir vérifié la compétence de la juridiction saisie et déclaré la loi française applicable au litige,
DECLARE l'appel recevable ;
DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande liminaire de l'appelant ;
CONFIRME le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE M. [B] [C] [G] aux entiers dépens de l'appel.
Signé par Hélène MORNET, Présidente de Chambre et par Véronique DUPHIL Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente