COUR D'APPEL DE BORDEAUX
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 21 MARS 2023
N° RG 21/00574 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L5FT
[S] [R] [P]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/007016 du 18/03/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
[V] [H]
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX
Nature de la décision : AU FOND
25C
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 septembre 2020 par le TJ de Bordeaux (RG n° 19/10131) suivant déclaration d'appel du 29 janvier 2021
APPELANT :
[S] [R] [P]
né le [Date naissance 2] 1956 à [Localité 9] (CONGO)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
Représenté par Me Jehanne PORNON-WEIDKNNET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[V] [H]
née le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 8] (NIGERIA)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Marie BOISSEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX (qui n'intervient plus)
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX
demeurant [Adresse 10]
Représenté par Florence POUDENS, Avocat Général
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Président : Hélène MORNET
Conseiller: Danièle PUYDEBAT
Conseiller : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [V] [F], née le [Date naissance 3] 1975 à [Localité 8] (Nigéria), devenue [H] a donné naissance à [M], [X], [H], [I] [P] le [Date naissance 4] 2011 à [Localité 7] (Gironde).
M. [S] [W] a fait une reconnaissance préalable de paternité de l'enfant le 15 avril 2011.
Par actes d'huissier en date des 2 et 14 octobre 2019, le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux a assigné Mme [H] et M. [P] aux fins d'annulation de la reconnaissance de paternité de l'enfant [M] par M. [P] sur le fondement de l'article 336 du code civil.
Par jugement réputé contradictoire en date du 1er septembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- reçu le Ministère Public près le tribunal judiciaire de Bordeaux en son action,
- annulé la reconnaissance de paternité effectuée par M. [S] [P] le 15 avril 2011 à la mairie de [Localité 7] au profit de l'enfant [M], [X], [H], [I] [P], né le [Date naissance 4] 2011 à [Localité 7], fils de Mme [V] [F] devenue [H],
- ordonné que mention de la présente décision soit portée sur les registres de l'état civil et notamment sur l'acte de naissance de l'enfant ainsi que sur l'acte de reconnaissance de l'enfant,
- condamné les défendeurs aux entiers dépens de la présente instance.
Procédure d'appel :
Par déclaration du 29 janvier 2021, M. [S] [W] a relevé appel de l'ensemble des dispositions du jugement contre le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux. Une seconde déclaration d'appel a été déposée le 15 avril 2021 contre Mme [V] [H] (RG n°21/02251). Les deux procédures ont été jointes.
Selon dernières conclusions du 21 avril 2021, M. [P] demande à la cour de :
A titre liminaire,
- déclarer M. [P] recevable et bien fondé en son appel,
- constater l'absence de respect du contradictoire de la procédure initiale,
Sur le fond,
- constater que l'enfant n'a aucunement intérêt à devenir orphelin de père,
- constater que la mère de l'enfant a eu une liaison avec M. [P] durant l'été 2011, période légale de conception de l'enfant, confirmant la vraisemblance de la filiation,
- constater la cohérence des déclarations des parents, et les efforts du père pour subvenir aux besoins de l'enfant et maintenir un lien, prouvant la bonne foi du père et l'absence de caractère frauduleux de la reconnaissance,
- confirmer que l'existence d'autres reconnaissances hors mariage ne sont pas une preuve d'une fraude, ce d'autant plus que l'une des reconnaissances a déjà été confirmée par jugement, et qu'une autre fait l'objet d'un test génétique sollicité par les parents,
En conséquence,
- réformer le jugement de première instance et rejuger le fond,
Y faisant droit,
- reconnaître la vraisemblance de la filiation, la bonne foi et par suite l'absence de fraude à la loi de M. [P] qui s'est toujours cru le père biologique de l'enfant [M] [P], ainsi que l'intérêt de l'enfant à maintenir une filiation paternelle,
- déclarer que M. [P] est bien le père de l'enfant [M] [P],
- confirmer la validité de la reconnaissance de paternité de M. [P],
- débouter le Ministère public de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
- statuer ce que de droit quant aux dépens.
Selon dernières conclusions du 19 janvier 2023, le Ministère Public demande à la cour de confirmer la décision entreprise.
Le Ministère Public prétend que la reconnaissance de l'enfant par M. [P] est manifestement fallacieuse.
Mme [V] [H] a constitué avocat mais n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture est datée du 31 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la compétence de la juridiction française et la loi applicable :
En présence d'un élément d'extranéité, le juge doit vérifier, au regard des règles de compétences internationales, la compétence de la juridiction saisie et rechercher quelle est la loi applicable au litige.
En l'espèce, la mère de l'enfant, Mme [V] [F], est, à la date de la reconnaissance, de nationalité nigériane.
Sur la compétence des juridictions françaises :
En application des dispositions de l'article 3 du code civil, les lois de police obligent tous ceux qui habitent le territoire.
L'article 336 du code civil français reconnaît expressément compétence au ministère public pour agir en contestation des reconnaissances frauduleuses.
La compétence du ministère public pour agir en matière d'état des personnes sur le fondement précité, en cas de fraude à la loi française, ressort des lois de police et produit ses effets à l'égard de tous ceux qui habitent sur le territoire français
Les parties assignées par le ministère public étant en l'espèce domiciliées en France, il convient de retenir la compétence des juridictions françaises, et notamment la compétence du tribunal judiciaire de Bordeaux eu égard au domicile de M. [P].
Sur la loi applicable :
La juridiction qui statue sur le fondement d'une loi de police fait application de la loi du for, en l'espèce de la loi française.
En tout état de cause, en application de l'article 311-17 du Code civil, «La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant».
En l'espèce, l'auteur de la reconnaissance est de nationalité française, ainsi que l'enfant qui a bénéficié d'un certificat de nationalité française délivré le 9 août 2012 par le greffier en chef du tribunal d'instance de Bordeaux, non contesté.
Il s'en déduit que seule la loi française est applicable à la contestation de la reconnaissance de paternité de M. [P], sur l'enfant [M].
Sur le respect du contradictoire :
Il résulte des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile que l'appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs du jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent. La dévolution ne s'opère pour le tout que lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.
Par ailleurs, l'article 954 du code de procédure civile impose aux parties de formuler leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions d'appel.
Enfin, les demandes de constats, sans en tirer aucune conséquence juridique, ne constituent pas des prétentions qui saisissent valablement la cour.
En l'espèce, la demande liminaire figurant au dispositif des dernières conclusions de M. [P], sollicitant qu'il soit constaté l'absence de respect du contradictoire de la procédure initiale, suivie devant le tribunal judiciaire, ne constitue pas une prétention, dès lors qu'elle n'en titre aucune conséquence juridique quant à la nullité du jugement, ne saisit pas la cour de ce chef.
Sur la paternité de l'appelant :
L'article 336 du code civil énonce que la filiation légalement établie peut-être contestée par le ministère public si des indices tirés des actes eux-mêmes la rendent invraisemblable ou en cas de fraude à la loi.
Il appartient au ministère public qui agit sur ce fondement, notamment lorsqu'il allègue qu'il y a eu fraude à la loi, d'apporter la preuve de celle-ci, en démontrant que l'établissement de la filiation contestée poursuivait d'autres objectifs, contraire à la loi et à l'ordre public, que celui d'établir un lien de paternité entre son auteur et l'enfant.
En l'espèce, pour estimer qu'il existait en l'espèce un faisceau d'indices suffisants pour convaincre la juridiction du caractère fallacieux de la reconnaissance, le tribunal a justement retenu les contradictions demeurant à l'issue des investigations menées par la préfecture de la Gironde contre M. [P] à la suite de plusieurs reconnaissances qualifiées de frauduleuses en ce qu'elles étaient à visée migratoire, et s'agissant de l'enfant [M], notamment des éléments suivants :
Mme [H] ne justifie pas de ses allers et venues entre la France et le Nigéria au cours des années 2009, année de son arrivée en France où elle sera prostituée, octobre 2010, période à laquelle elle aurait été « renvoyée » au Nigéria car, déjà enceinte de son fils, elle était moins «lucrative», puis en janvier ou février 2011, où elle revient pour mettre au monde son enfant et vivre avec le père, M.[P], qui est marié mais lui a promis de divorcer de sa femme ; si ces déplacements, effectués irrégulièrement, demeurent sans trace, ils sont également en contradiction avec les déclarations de M. [P] qui indique avoir fréquenté Mme [H] toute l'année 2010, sans jamais faire allusion à son retour au Nigéria fin 2010 (pièce n°7) ;
Les intéressés se contredisent également sur l'endroit et les circonstances de leur rencontre, ainsi que sur la durée de leur relation sentimentale (pièce n°6 et 7) dont le contenu n'est décrit par aucun des protagonistes, Mme [H] restant taisante sur ses activités de prostitution ;
S'agissant de l'enfant [M], reconnu 15 jours avant sa naissance par M. [P], il est constant que le père déclaré n'a pas assisté à l'accouchement et que Mme [H] a quitté [Localité 7] dès le mois de juin 2011 pour aller s'installer à [Localité 6], où M. [P] se serait rendu deux ou trois fois, avant que la mère ne déménage sur [Localité 11], où le père serait également venu voir son fils, pour enfin s'installer dans le Nord en 2017 ; M. [P] admet quant à lui que les liens se sont distendus à partir de 2014, qu'il ne connaît pas l'adresse de Mme [H] et de l'enfant depuis leur départ à [Localité 12], et ne dispose d'aucune photographie de l'enfant, mais aurait, en dépit de l'éloignement et de l'absence de rencontres, continué à contribuer financièrement à l'entretien de l'enfant, ce qui est partiellement admis par Mme [H], et nullement démontré par des éléments de preuve.
Il en résulte que les parties n'apportent aucun élément prouvant la réalité du lien de filiation correspondant à la reconnaissance discutée, le comportement de M. [P] à l'égard de l'enfant [M] n'attestant nullement de sa volonté d'assumer et d'exercer ses droits parentaux.
S'il est constant que la circonstance que M. [P] ait fait l'objet d'investigations, à la suite de plusieurs reconnaissances de paternité, entre 2011 et 2014, d'enfants nés de mères africaines se trouvant en situations administratives irrégulières, n'est pas en elle-même suffisante à démontrer le caractère frauduleux de ces reconnaissances, il demeure que la réunion de l'ensemble des éléments de la procédure et des pièces produites par l'appelant en appel constitue réellement un faisceau d'éléments caractérisant la fraude commise par le déclarant à la reconnaissance, en ce que celle-ci poursuivait un but illégitime, la régularisation d'une situation administrative illégale, étranger à l'établissement d'un lien de filiation.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré, en toutes ses dispositions.
L'appelant qui succombe sera condamné aux entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Après avoir vérifié la compétence de la juridiction saisie et déclaré la loi française applicable au litige,
DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande liminaire de l'appelant ;
CONFIRME le jugement déféré, en toutes ses dispositions ;
CONDAMNE M. [S] [W] aux entiers dépens de l'appel.
Signé par Hélène MORNET, Présidente de Chambre et par Véronique DUPHIL Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente