COUR D'APPEL DE BORDEAUX
TROISIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 21 MARS 2023
N° RG 21/00172 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L4BJ
[Z] [U]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/000599 du 18/03/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)
c/
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX
Nature de la décision : AU FOND
10A
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 décembre 2020 par le TJ de Bordeaux (RG n° 19/06778) suivant déclaration d'appel du 11 janvier 2021
APPELANTE :
[Z] [U]
née le 05 Mars 1990 à ANJOUAN (COMORES)
de nationalité Comorien
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Clémence RADE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX
demeurant [Adresse 3]
Représenté par Florence POUDENS, Avocat Général
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Président : Hélène MORNET
Conseiller: Danièle PUYDEBAT
Conseiller : Isabelle DELAQUYS
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique DUPHIL
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [Z] [U], se disant née le 5 mars 1990 à [Localité 2] (Comores), de M. [D] [U] et de Mme [E] [J], a sollicité l'obtention d'un certificat de nationalité française, lequel lui a été refusé par le greffier en chef du tribunal d'instance de Bordeaux, décision notifiée le 4 décembre 2014, au motif que sa filiation à l'égard de ses parents a été établie postérieurement à sa majorité.
Mme [U] a effectué un recours gracieux auprès du Ministère de la justice le 23 février 2015, une réponse lui a été apportée le 16 novembre 2015, lui indiquant que l'acte de naissance qu'elle produisait n'était pas probant au sens de l'article 47 du code civil.
Suivant acte d'huissier en date du 16 avril 2019, Mme [U] a assigné le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux devant cette même juridiction, aux fins de voir dire et juger qu'elle a la qualité de français par filiation, en application de l'article 18 du code civil.
Par jugement en date du 10 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- constaté que les formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile ont été respectées,
- débouté Mme [Z] [U] de l'intégralité de ses demandes,
- constaté l'extranéité de Mme [Z] [U], se disant née le 5 mars 1990 à [Localité 2] (Comores),
- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- condamné Mme [Z] [U] aux entiers dépens de l'instance.
Procédure d'appel :
Par déclaration du 11 janvier 2021, Mme [Z] [U] a relevé appel de l'ensemble des dispositions de ce jugement, sauf en ce qui concerne les formalités prescrites par l'article 1043 du code de procédure civile.
Selon dernières conclusions du 13 août 2021, Mme [U] demande à la cour de :
- infirmer le jugement du 10 décembre 2020 en toutes ses dispositions,
- constater la filiation de Mme [U] envers M. [D] [U], de nationalité française,
- prononcer la recevabilité de la déclaration de Mme [U],
- constater l'acquisition de la nationalité française de Mme [U].
Selon dernières conclusions du 25 janvier 2023, le Procureur Général demande à la cour de :
- constater que le ministère public s'en rapporte à la cour quant au respect de la formalité prévue par l'article 1040 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux,
Statuant à nouveau,
- dire que Mme [Z] [U], se disant née le 5 mars 1990 à [Localité 2] (Comores) n'est pas de nationalité française,
- la débouter de l'intégralité de ses demandes et la condamner aux dépens,
- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.
L'ordonnance de clôture est datée du 31 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Mme [U] expose en premier lieu que les dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, tel qu'applicable au litige, n'imposent aucun délai pour transmettre les conclusions au Ministère de la Justice, qu'elle a communiqué ses conclusions le 19 mai 2021 mais qu'aucun récépissé ne lui a été délivré.
Le ministère public s'en rapporte à la cour en ce qui concerne le respect des formalités de l'article 1043 du code de procédure civile, Mme [U] justifiant de l'envoi de ses conclusions au Ministère de la justice même si aucun récépissé ne lui a été délivré.
Il convient donc de dire respectées ces formalités.
Sur le fond, c'est sur le fondement de l'article 18 du code civil qui dispose qu'est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français, que l'appelante entend se voir reconnaître la nationalité française.
Elle affirme être fille de M. [D] [U], de nationalité française suite à une déclaration de reconnaissance de nationalité française souscrite le 30 novembre 1976 devant le juge d'instance du tribunal de Marseille.
Dans le cadre de sa demande de certificat de nationalité française devant le directeur de services de greffe judiciaires du tribunal d'instance de Bordeaux, elle avait produit :
* une copie intégrale de son acte de naissance délivrée le 3 octobre 2013 de l'acte de naissance n° 78 dressé le 22 janvier 2009, par le maire de la commune de [Localité 4] (Comores), selon le jugement supplétif de naissance n° l 858/08, rendu le 15 décembre 2008, par le tribunal de Paix de Sima. (pièce de l'intimé n° 1)
* une expédition conforme à l'original délivrée le 7 octobre 2013 du jugement supplétif de naissance n° 1 85 8/2008, rendu le 15 décembre 2008, par le tribunal de paix de Sima à la requête de l'intéressée, aux termes duquel il est jugé que [U] [Z] [D] est née le 5 mars 1990 à [Localité 2], fille de [U] [D] né à Simavers 1943 et de [T] [E] née à Kavani le 15 août 1960. (pièce de l'intimé n° 2)
* une copie certifiée conforme délivrée le 4 octobre 2013 à l'état civil de Sima de l'acte de naissance 1178 du 22/01/2009 transcrit à l'état civil le 22 janvier 2009 suite à un jugement supplétif de naissance n° 1858 du tribunal de Paix de Sima rendu le 15 décembre 2008 aux termes duquel elle serait née le 5 mars 1999. (pièce de l'intimé n° 3)
Elle soutient que c'est à tort que le tribunal judiciaire de Bordeaux a considéré qu'elle ne justifiait pas d'un état civil certain alors qu'elle verse aux débats :
- un acte de naissance n° 160 dressé le 12 décembre 2006 à l'Etat Civil de [Localité 4], sur l'Ile d'Anjouan dans l'archipel des Comores,
- un jugement supplétif du 10 novembre 2006 n° 1844/2006 rendu par le tribunal de Paix de Sima aux termes duquel il est indiqué que [Z] [U] est née le 5 mars 1990 à [Localité 2] (Comores) de M. [D] [U] né vers 1943 à [Localité 4] (Comores) et de [E] [J] née le 15 août 1960 à Kavani (Comores).
Elle admet que lors du dépôt de son dossier au tribunal d'instance de Bordeaux, elle a produit un acte de naissance du 22 janvier 2009 qui était erroné car elle y était présentée comme étant née en 1999. Elle a cependant saisi le Tribunal de Première Instance de Mutsamudu pour obtenir l'annulation de cet acte de naissance du 22 janvier 2009 ce qui a été fait par jugement n° 988/2018 du 2 mai 2018. Ce jugement a donné acte de la reconstitution de l'acte de naissance du 12 décembre 2006 (Pièce 5) établi sur jugement supplétif de naissance n° 1844/06 du 10 novembre 2006 rendu à la requête de son père par le tribunal de paix de Sima (Comores). Elle considère que ce dernier fait foi pour les autorités comoriennes et qu'elle doit être considérée comme la fille de M. [Y] [U], déclaré de nationalité française en 1976.
Elle soutient que certes le jugement de 2006 a lui aussi fait l'objet d'une erreur sur sa numérotation laissant penser qu'il ne s'appliquait pas à elle. Mais, sur la foi d'une attestation de l'administration malgache, elle affirme que cette erreur a été induite par les services de l'état civil de l'union des Comores.
Son acte de naissance dressé sur la base du jugement dont s'agit est donc selon elle opposable en France et lui permet de démontrer sa filiation à l'égard d'un parent français.
En réplique, l'intimé fait valoir que Mme [U] ne justifie pas d'un état civil certain au sens de l'article 47 du code civil, ni de sa filiation à l'égard de M. [D] [U], ni de la qualité de français de ce dernier en l'absence de production de son acte de naissance et de la déclaration qui lui a permis de conserver la nationalité française à l'indépendance des Comores. Il ajoute que pour être opposables en France, les actes d'état civil et jugements comoriens doivent être valablement légalisés et que seule la copie de l'acte de naissance n° 16 du 12 décembre 2006 est légalisée selon les formes prescrites, qu'ainsi, les autres pièces produites par l'appelante ne sont pas opposables en France.
En outre, il relève que Mme [U] a fait établir plusieurs jugements supplétifs or il ressort d'une levée d'acte que s'agissant particulièrement du jugement supplétif du 10 novembre 2006, celui-ci est manifestement un faux, les références de ce jugement correspondant à une autre personne. Il affirme que le certificat administratif dressé par le tribunal de Paix de Sima attestant que le jugement supplétif de 2006 a fait l'objet d'une erreur induite par les services de l'état civil ne saurait couvrir la fraude de l'appelante. Le jugement d'annulation de 2018 est dès lors également entaché de fraude.
D'autre part, le principe du contradictoire n'a pas été respecté puisque le ministère public n'a pas été à même de débattre de la cause lors de la procédure ayant donné lieu au jugement de 2006. Il n'est pas non plus justifié de l'annulation effective de l'acte de naissance du 22 janvier 2009.
Enfin, le ministère public prétend qu'en l'absence de mariage, le lien de filiation paternelle ne pourrait être établi.
C'est par de justes motifs que la décision entreprise a constaté l'extranéité de l'appelante après avoir affirmé qu'elle ne justifiait pas d'un acte d'état civil certain tel qu'exigé par l'article 47 du code civil.
Il est constant que le jugement supplétif n° 1844/2006 du 10 novembre 2006 dont se prévaut principalement l'intéressée est manifestement un faux, les références de ce jugement correspondant a une autre personne, [S] [J] (pièce de l'intimé n° 7 - lettre de l'Ambassade de Moroni en date du 30 août 2011).
C'est vainement qu'en appel, l'appelante produit un certificat administratif, en date du 30 décembre 2020 délivré par la greffière du tribunal de Paix de Sima certifiant que ce jugement rendu par le tribunal de paix de Sima au nom de [Z] [U] a fait l'objet d'une erreur qui "a été induite dans nos services respectifs de l'Etat Civil". Ainsi que le souligne l'intimé, le contenu de cette attestation est pour le moins sibyllin. En effet, il y est seulement certifié que le jugement supplétif a fait l'objet d'une erreur sans que celle-ci ne soit cependant précisée ni que soit exp1iquée la confusion avec un jugement concernant une autre personne.
En l'absence de correspondance entre le jugement supplétif revendiqué et celui existant, tel que cela ressort de la levée d'acte par l'Ambassade de France, le certificat présenté ne saurait couvrir la fraude.
Par suite le jugement du 2 mai 2008 sensé venir annuler un premier acte de naissance n° 78 du 22 janvier 2009, manifestement erroné, est dès lors également entaché de fraude car établi à partir d'un précédent jugement supplétif du 10 novembre 2006 non probant et présentant un caractère frauduleux. Il ne saurait régulariser un acte civil manifestement faux sauf à méconnaître l'ordre public international ainsi que l'a affirmé le jugement querellé, qui sera confirmé.
L'appelante sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Constate que les formalités prévues par l'article 1043 nouveau du code de procédure civile ont été respectées ;
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 10 décembre 2020 par le tribunal judiciaire de Bordeaux ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [Z] [U] aux entiers dépens de l'instance.
Signé par Hélène MORNET, Présidente de la chambre et par Véronique DUPHIL, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Greffière La Présidente