COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 21 MARS 2023
RP
N° RG 20/03965 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LXYG
[H] [F] [B] [T]
c/
OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX - ONIAM
MUTUELLE SOCIALE AGRICOLE (MSA) DE LA GIRONDE
S.A. ALLIANZ IARD
Mutuelle OCIANE GROUPE MATMUT
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 02 juin 2020 par le Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (chambre : 6, RG : 18/10987) suivant déclaration d'appel du 21 octobre 2020
APPELANTE :
[H] [F] [B] [T]
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 5] (PORTUGAL)
de nationalité Portugaise
demeurant [Adresse 7]
représentée par Maître Pierre DE OLIVEIRA de la SAS MDO AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MEDICAUX - ONIAM, pris en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 8]
représenté par Maître Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Pierre RAVAUT de la SELARL BIROT-RAVAUT ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX
MUTUELLE SOCIALE AGRICOLE (MSA) DE LA GIRONDE prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité audit siège sis [Adresse 2]
non représentée, assignée à personne habilitée
S.A. ALLIANZ IARD, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au siège sis [Adresse 3]
non représentée, assignée à personne habilitée
Mutuelle OCIANE GROUPE MATMUT, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualité au siège sis [Adresse 4]
non représentée, assignée à personne habilitée
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 février 2023 en audience publique, devant la cour composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Mme [H] [F] [B] [T], qui souffrait d'une ténosynovite nodulaire (inflammation de tendon) du fléchisseur du quatrième doigt de la main droite (doigt à ressault), a été opérée le 22 octobre 2010 par le Docteur [P] à la clinique chirurgicale [6].
Exposant que suite à cette opération, elle a subi une rétraction sévère des quatrième et cinquième doigt de la main droite, résistante à la rééducation et à la pose d'attelle d'extension, Mme [B] [T] a saisi le 26 mai 2016 la Commission de Conciliation et d'Indemnisation, qui a désigné le professeur [O] pour procéder à une expertise.
Ce dernier a procédé aux opérations d'expertise le 26 septembre 2016, hors la présence de la patiente qui était hospitalisée, et a rendu son rapport le 17 octobre 2016. Il concluait à l'absence d'aléa thérapeutique et d'imputabilité des troubles à l'opération du 22 octobre 2010, la rétraction des quatrième et cinquième doigts droits avec impossible mobilisation de ceux-ci pouvant être la conséquence de la pathologie initiale dans la mesure où Mme [B] [T] avait une rétraction douloureuse et permanente du quatrième doigt droit.
Saisie par Mme [B] [T], le juge des référés du tribunal de grande instance de Libourne a ordonné le 17 octobre 2017, une expertise judiciaire confiée au Docteur [X], lequel a rendu son rapport d'expertise le 15 juin 2018 et a conclu à une rétraction psychogène de la main constitutive d'un aléa thérapeutique.
Par actes d'huissier délivrés le 4 décembre 2018, Mme [B] [T] a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, l'ONIAM pour voir indemniser son préjudice, ainsi qu'en qualité de tiers payeurs, la MSA de la Gironde, la mutuelle OCIANE et la SA Allianz IARD. Elle précisait avoir été amputée de ses deux doigts le 31 août 2018, soit après dépôt du rapport d'expertise judiciaire, en raison d'une macération au niveau des zones de repli.
Par jugement du 2 juin 2020, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- dit que les troubles subis par Mme [B] [T] ne sont pas directement imputables à l'opération du 22 octobre 2010 et ne remplissent dès lors pas les conditions d'une prise en charge par la collectivité posées par l'article L.1142-1 II du code de la santé publique,
- rejeté en conséquence l'ensemble des demandes de Mme [B] [T],
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [B] [T] aux dépens, comprenant ceux de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 12/10/2017 et ses frais d'exécution et les frais d'expertise judiciaire,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision,
- rejeté les autres demandes des parties.
Mme [B] [T] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 21 octobre 2020.
Le 9 mars 2021, l'appelante a déposé devant le conseiller de la mise en état des conclusions aux fins de complément d'expertise médicale.
Par ordonnance du 7 avril 2021, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande d'expertise et réservé les dépens.
Par conclusions déposées le 6 juillet 2021, Mme [B] [T] demande la cour de :
A TITRE PRINCIPAL,
- infirmer le jugement du 2 juin 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a :
* Dit que les troubles subis par Mme [B] [T] ne sont pas directement imputables à l'opération du 22 octobre 2010 et ne remplissent dès lors pas les conditions d'une prise en charge par la collectivité posée par l'article L.1142-1 II du code de la santé publique,
* Rejeté en conséquence l'ensemble des demandes de Mme [B] [T],
* Condamné Mme [B] [T] aux dépens, qui comprendront ceux de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 12/10/2017 et ses frais d'exécution ainsi que les frais d'expertise judiciaire.
Et statuant à nouveau,
- débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions;
- juger que Mme [B] [T] a subi un accident médical non fautif ouvrant droit à la réparation au titre de la solidarité nationale ;
- condamner l'ONIAM à verser à Mme [B] [T] la somme de 772.425,69 euros en réparation de ses préjudices ;
- rendre le jugement à intervenir commun et opposable à la Mutualité Sociale Agricole de la Gironde, Ociane Bordeaux et Allianz IARD ;
A TITRE SUBSIDIAIRE ET AVANT DIRE DROIT,
- ordonner un complément d'expertise judiciaire auprès du docteur [V] [X] aux fins de :
* expliquer le mécanisme de l'atteinte psychogène pouvant expliquer la rétraction des doigts,
* décrire l'évolution de ce syndrome sur l'état de santé de Mme [B] [T],
* dire les manifestations du syndrome de main psychogène dans le dossier médical de Mme [B] [T] ;
* dire si l'atteinte psychogène de la main subie par Mme [B] [T] est la conséquence de l'opération du 22 octobre 2010 ;
* dire si la rétraction du cinquième doigt, qui accompagne celle du quatrième doigt, est liée à l'atteinte psychogène de la main et est ainsi une conséquence directe de l'opération du 22 octobre 2010 ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
- condamner l'ONIAM à verser à Maître Pierre Emmanuel de Oliveira la somme de 3.000 euros sur les fondements combinés de l'article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'ONIAM aux entiers dépens, qui comprendront ceux de l'instance ayant donné lieu à l'ordonnance de référé du 12/10/2017 et ses frais d'exécution ainsi que les frais d'expertise judiciaire, de la première instance et de la présente instance d'appel.
Par conclusions déposées le 7 avril 2021, l'ONIAM demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL :
- confirmer le jugement rendu le 02 juin 2020 en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [B] [T] dirigées à l'encontre de l'ONIAM,
- constater que le dommage dont il est demandé réparation ne trouve pas son origine dans un acte de prévention, de diagnostic ou de soins,
En conséquence,
- juger que les conditions pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies,
- prononcer la mise hors de cause de l'ONIAM,
- rejeter la demande d'expertise complémentaire de Mme [B] [T],
- statuer ce que de droit sur les dépens,
A TITRE SUBSIDIAIRE :
- juger que le montant de l'indemnisation accordée à Mme [B] [T] se fera, déduction faite des indemnités de toutes natures versées par les organismes sociaux et tous tiers débiteurs,
- juger que l'ONIAM ne remboursera pas aux tiers payeurs les indemnités de toutes natures versées à Mme [B] [T],
- donner acte à Mme [B] [T] de ce qu'elle ne formule aucune demande au titre des dépenses de santé actuelles et des pertes de gains professionnels actuels,
- débouter Mme [B] [T] de ses demandes au titre des pertes de gains professionnels futurs, du préjudice esthétique temporaire et du préjudice d'agrément,
- constater que l'ONIAM ne conteste pas l'évaluation des frais de tierce personne à la somme de 184.463,00 €,
- ramener à de plus justes proportions l'indemnisation sollicitée au titre de l'incidence professionnelle,
- réduire à de plus justes proportions l'indemnisation sollicitée par Mme [B] [T] au titre des autres postes de préjudices dans les limites suivantes :
* 2.540,25 € au titre du déficit fonctionnel temporaire
* 7.201,00 € au titre des souffrances endurées
* 21.400,00 € au titre du déficit fonctionnel permanent
* 3.619,00 € au titre du préjudice esthétique permanent,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Par courrier transmis au greffe le 20 octobre 2020, la MSA de la Gironde a indiqué ne pas intervenir à l'instance. Elle a transmis le relevé provisoire de ses débours, dont le montant s'élève à la somme de 12.960,22 euros.
La société Allianz IARD et la mutuelle Ociane n'ont pas constitué avocat. Elles ont été régulièrement assignées.
L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 7 février 2023.
L'instruction a été clôturée par ordonnance du 24 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale
L'article L.1142-1 du code de la santé publique dispose :
'I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.
II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret.'
La réparation des préjudices du patient au titre de la solidarité nationale, nécessite ainsi la réunion des conditions cumulatives suivantes :
- l'absence de responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé dans la survenance de l'accident médical ;
- l'imputabilité directe des préjudices à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins ;
- que les préjudices aient eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci ;
- qu'ils revêtent un certain caractère de gravité, fixé par décret.
L'article D.1142-1 du même code, dans sa version applicable au litige, précise que : 'Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %.
Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %.
A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu :
1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ;
2° Ou lorsque l'accident médical, l'affection iatrogène ou l'infection nosocomiale occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence.'
Mme [B] [T] fait valoir que les douleurs et infirmités se sont manifestées immédiatement après l'intervention chirurgicale du 22 octobre 2010, que l'expert judiciaire a retenu que la rétraction des deux doigts est un aléa thérapeutique correspondant à une complication non fautive d'un acte chirurgical simple et qu'il ne s'agit dès lors pas d'un échec thérapeutique mais d'un aléa thérapeutique, pour lequel elle est fondée à demander l'indemnisation au titre de la solidarité nationale.
L'ONIAM soutient qu'il n'existe pas de lien de causalité direct et certain entre le dommage subi par Mme [B] [T] et l'intervention litigieuse, et que l'état de santé présenté par la patiente n'est pas la conséquence d'un aléa thérapeutique, mais d'un échec thérapeutique, qui ne constitue pas un accident médical non fautif indemnisable au titre de la solidarité nationale.
Il ressort de l'expertise judiciaire effectuée par le Dr [X], qui reprend les éléments du dossier médical de Mme [B] [T], que la patiente a été adressée au Dr [Y] [P] à la Clinique Chirurgicale [6] par son médecin traitant, pour une gêne à la racine de l'annulaire droit entraînant une difficulté à l'enroulement du doigt. À l'issue de cette consultation, le Dr [P] a programmé pour le 22 octobre 2010 une intervention chirurgicale de 'ténolyse des fléchisseurs du 4ème doigt'. Le compte-rendu opératoire mentionnait l'indication suivante : 'patiente présentant une ténosynovite nodulaire du fléchisseur du 4ème rayon sur poulie A1 de la main droite avec blocage en flexion'. Cette intervention a été effectuée en ambulatoire et s'est déroulée sans difficulté opératoire particulière.
Mme [B] [T] est revenue en consultation le 29 octobre 2010, à 7 jours de l'opération et a été prise en charge par le Dr [E], remplaçant du Dr [P], qui a indiqué dans son compte-rendu : 'j'ai donc revu Mme [B] [T] qui est revenue car elle trouvait qu'elle avait les doigts froids. En fait, la température cutanée est tout à fait normale [...]'. Lors de la visite de contrôle du 26 novembre 2010 auprès du Dr [P], ce dernier a constaté une induration cutanée péri-cicatricielle et lui a prescrit l'application d'une crème LOCAPRED.
La radiographie réalisée le 7 décembre 2010 du fait d'une gêne à la flexion du 4ème doigt n'a montré aucune anomalie, concluant que : 'La structure et la morphologie osseuse sont normales. Les interlignes articulaires sont respectés. Il n'y a pas d'anomalie au niveau des parties molles'. L'échographie pratiquée le 20 décembre 2010 à la demande du médecin traitant de Mme [B] [T] a mis en évidence une ténosynovite des fléchisseurs du quatrième doigt droit, ceci étant, selon les experts successifs, habituel à l'issue d'une telle intervention et dans ce délai.
Fin novembre 2010, la patiente a débuté sa rééducation, qu'elle a poursuivie jusqu'en août 2012, soit environ 120 séances.
À 5 mois de l'intervention, Mme [B] [T] a consulté un rhumatologue le 22 mars 2011, qui a pratiqué une infiltration du canal carpien droit et l'a adressée au Dr [C], chirurgien à l'institut aquitain de la main et du membre supérieur. Ce médecin, consulté le 11 avril 2011 par l'appelante qui indiquait avoir vu apparaître un crochet digital concernant le 4ème et 5ème rayon, a noté l'apparition d'une 'courte bride de fibromatose de Dupuytren palmaire' et constaté que 'ce crochet digital n'est pas réductible et toute tentative de réduction est extrêmement douloureuse'. Il indique cependant : ' Je ne pense pas que ce Dupuytren puisse être à l'origine d'une telle rapidité dans la rétraction et je pense plutôt qu'il y a un phénomène douloureux en rapport avec une probable algodystrophie'.
Mme [B] [T] a revu par la suite le Dr [C] à plusieurs reprises et a bénéficié de plusieurs imageries ne mettant pas en évidence d'anomalie permettant d'expliquer la rétraction des 4ème et 5ème doigt de sa main droite.
Ainsi, dans son rapport d'expertise judiciaire, le Dr [X] retient qu'après son intervention du doigt à ressaut pratiquée le 22 octobre 2010, Mme [B] [T] a eu un parcours médicochirurgical multiple, qu'elle a consulté trois chirurgiens de la main en un an et bénéficié de nombreux examens complémentaires (échographies, électromyogrammes, radiographie et scintigraphie), qui n'ont pas révélé d'anomalie pouvant expliquer les rétractions sévères des deux doigts, étant précisé que l'auriculaire également concerné n'a pas été opéré lors de l'intervention du 22 octobre 2010. Il indique que le phénomène dont se plaint la patiente correspond à une 'attitude par rétraction psychogène de la main, comme cela a également été conclu par trois des quatre chirurgiens consultés par Mme [B] [T]'.
Les deux experts, tant le professeur [O] désigné par la CCI, que le docteur [X], expert judiciaire, ont retenu que les soins pratiqués par le docteur [P] ont été conduits conformément aux règles de l'art et aux données acquises de la science, excluant toute faute de la part du chirurgien, ce qui n'est pas contesté par Mme [B] [T].
Cependant, si l'expert judiciaire conclut que la rétraction en cause n'était pas prévisible au regard de la pathologie et qu'il s'agit d'un aléa thérapeutique correspondant à la complication non fautive d'un acte chirurgical simple, il n'est pas en mesure d'expliquer le mécanisme de survenue de cet événement, ni d'exposer objectivement en quoi cette rétraction 'psychogène' des 4ème et 5ème doigts de la main serait une conséquence de l'opération du 22 octobre 2010.
Le Pr [O] conclut quant à lui dans son rapport du 17 octobre 2016, que l'état de santé actuel de la patiente peut être la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie initiale et que 'si l'on considérait un accident médical non fautif, l'imputabilité ne peut pas être directe, certaine et exclusive' à l'intervention litigieuse du 22 octobre 2010. En outre, cet expert a souligné dans son rapport que l'étude de la littérature médicale ne permettait de retrouver aucun cas de rétraction de un ou deux doigts avec flexion complète de ceux-ci, persistante même à distance d'une telle intervention.
Le Pr [O] précise enfin que l'absence de traitement initial de la rétraction douloureuse et permanente du 4ème doigt dont souffrait Mme [B] [T], aurait laissé les choses en l'état.
Ainsi, même si elle n'a pas atteint le résultat escompté, l'intervention chirurgicale du 22 octobre 2010 ne peut être la cause directe, certaine et exclusive de l'état de santé actuel de l'appelante, dès lors que l'absence d'intervention sur ce doigt aurait eu la même conséquence dommageable, à savoir une rétraction permanente et douloureuse.
Par ailleurs, aucun des deux experts n'expose en quoi la rétraction du 5ème doigt, non concerné par l'opération du 22 octobre 2010 et ne présentant aucune anomalie lors de la radiographie réalisée le 7 décembre 2010, serait pourtant une conséquence de l'intervention litigieuse.
Il en résulte que la rétraction des 4ème et 5ème doigts droits, présentée par Mme [B] [T] ne constitue pas un aléa thérapeutique mais un échec thérapeutique, l'opération pratiquée le 22 octobre 2010 n'ayant pas permis de faire disparaître la rétraction du 4ème doigtqui préexistait et qui a persisté après cette intervention, tandis que la pathologie s'est étendue au 5ème doigt.
Il est constant que l'échec thérapeutique, en ce qu'il n'est pas directement, certainement et exclusivement imputable à l'acte de soins en cause, ne constitue pas un accident médical au sens des dispositions de l'article L.1142-1 II du code de la santé publique et n'est donc pas indemnisable au titre de la solidarité nationale.
Au regard de l'ensemble des éléments ci-dessus développés, l'imputabilité de la rétraction des quatrième et cinquième doigts de Mme [B] [T] à l'intervention du 22 octobre 2010 n'est pas établie, de sorte que les conditions d'indemnisation du préjudice de l'appelante par l'ONIAM ne sont pas réunies, quand bien même les troubles invoqués présentent un caractère de gravité certain et non discuté, notamment au regard de l'amputation des deux doigts survenue en 2018.
En conséquence, le jugement qui a débouté Mme [B] [T] de sa demande de prise en charge de ses préjudices par la solidarité nationale devra être confirmé.
Sur la demande de complément d'expertise judiciaire
À titre subsidiaire et avant-dire droit, Mme [B] [T] demande que soit ordonné un complément d'expertise judiciaire auprès du Dr [X] afin d'expliquer le mécanisme de la main psychogène, estimant que les deux rapports d'expertise et la note du Dr [I] ne permettent pas de comprendre ce phénomène.
Sur la demande de complément d'expertise, l'ONIAM fait valoir que la cour dispose du rapport d'expertise CCI, du rapport d'expertise judiciaire et de la note médicale du Dr [I] et qu'au surplus, un complément d'expertise n'apporterait pas davantage d'explication s'agissant du mécanisme de 'main psychogène', dès lors que ce mécanisme est un diagnostic d'exclusion, qui n'est retenu que lorsqu'aucun mécanisme ne peut expliquer la symptomatologie.
En l'espèce, dans leurs rapports respectifs, l'expert de la CCI, puis l'expert judiciaire, ont retenu que les nombreux examens complémentaires effectués par la patiente auprès de nombreux spécialistes, n'ont pas donné de renseignements significatifs pouvant expliquer l'origine de la rétraction des deux doigts de la main droite.
Dans les conclusions de son rapport, le Dr [X] retient que la fréquence de survenue de la réaction psychogène en post-opératoire est impossible à préciser du fait de son extrême rareté. Le Pr [O] décrit quant à lui les caractéristiques et la fréquence des rares cas de complications retrouvés en littérature médicale et insiste sur l'absence de cas de rétraction similaire d'un ou deux doigts, persistante même à distance de l'opération.
Ce médecin a en outre retenu dans ses conclusions que l'état de santé de la patiente peut être la conséquence de l'évolution prévisible de la maladie et estime qu'il n'y a pas d'imputabilité des troubles à l'intervention du 22 octobre 2010.
Dans son avis du 17 décembre 2018, soit après l'amputation des doigts de Mme [B] [T], le Dr [I], spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologique, indique que le diagnostic de 'main psychogène' retenu par l'expert judiciaire est un diagnostic d'exclusion, évoqué lorsque le mécanisme en présence n'est pas explicable et qu'au vu de l'atteinte du 5ème doigt, lequel n'était pas concerné par l'intervention de ténolyse des fléchisseurs du 4ème doigt, il ne s'agit pas d'un accident médical imputable à l'intervention, mais qu'il peut selon lui s'agir d'une évolution de la maladie initiale avec extension au 5ème doigt, dont l'état est ensuite devenu identique à celui du 4ème doigt avant l'intervention.
En conséquence, au vu des expertises existantes et suffisamment documentées, de l'absence de cas similaire en littérature médicale et de l'impossibilité d'expliquer le mécanisme de survenance de la réaction psychogène de la main dès lors que ce diagnostic est évoqué par exclusion de tout autre diagnostic explicable, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de complément d'expertise judiciaire auprès du Dr [X].
Mme [B] [T] devra être déboutée de sa demande à ce titre, ajoutant au jugement sur ce point.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il y a lieu de confirmer le jugement du 2 juin 2020 en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, Mme [B] [T], qui succombe, supportera la charge des dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
En l'espèce, l'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Confirme le jugement du 2 juin 2020 en toutes ses dispositions;
Y ajoutant,
- Déboute Mme [B] [T] de sa demande de complément d'expertise judiciaire;
- Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamne Mme [B] [T] aux dépens de la procédure d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,