COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 16 MARS 2023
N° RG 22/03455 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MZQ2
[B] [K]
c/
[D] [C]
[N] [E]
[G] [J] épouse [E]
Nature de la décision : AU FOND
APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 20 mai 2022 par le Juge des contentieux de la protection du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 21/01790) suivant déclaration d'appel du 18 juillet 2022
APPELANT :
[B] [K]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 13] (ALGERIE)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 8]
représenté par Maître Anais FOIX substituant Maître Charlotte DE LAGAUSIE de l'AARPI GRAVELLIER - LIEF - DE LAGAUSIE - RODRIGUES, avocats au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[D] [C]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 10]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 6]
représenté par Maître Bénédicte DELEU, avocat au barreau de BORDEAUX
[N] [E]
né le [Date naissance 7] 1960 à [Localité 11] (33)
de nationalité Française
emeurant [Adresse 5]
[G] [J] épouse [E]
née le [Date naissance 4] 1961 à [Localité 9] (33)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 5]
représentés par Maître GAY substituant Maître Alice SIMOUNET, avocats au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Emmanuel BREARD, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par contrat du 30 septembre 2014, M. [D] [C] a loué à M. [B] [K] un immeuble à usage d'habitation situé à [Localité 12] au [Adresse 3].
M. [K] dit avoir été confronté dès son entrée dans les lieux à de nombreux problèmes affectant le logement dont des inondations fréquentes au point d'adresser au bailleur un courrier recommandé le 17 janvier 2021.
Il a effectué une déclaration de sinistre auprès de son assureur relativement aux dégâts des eaux subis, lequel a diligenté une expertise à la suite de laquelle l'expert a déposé son rapport le 21 janvier 2021, qui a retenu un vice de construction.
Par courrier du 25 mars 2021, l'assureur protection juridique du requérant a mis en demeure le bailleur de procéder à la réalisation des travaux nécessaires, mais sans qu'une solution amiable ait été trouvée.
Suivant acte authentique du 14 septembre 2021, M. [C] a cédé l'immeuble occupé par M. [K] aux époux [E].
Par acte d'huissier du 27 octobre 2021, M. [K] a assigné en référé devant le juge des contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux M. [C] aux fins de voir désigner un expert.
Par acte d'huissier du 6 décembre 2021, M. [K] a assigné en référé devant le juge des contentieux et de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux M. [N] [E] et Mme [G] [J] épouse [E] aux fins de voir ordonner la jonction avec l'instance introduite par assignation en référé du 27 octobre 2021 et de désigner un expert.
Par ordonnance de référé du 20 mai 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
Au principal, renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront, et dès à présente, vu l'urgence,
- constaté l'existence de contestations sérieuses quant aux demandes formées par M. [K],
- dit en conséquence n'y avoir lieu à référé,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres frais,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens,
- rejeté le surplus des demandes,
- rappelé que l'ordonnance est exécutoire de plein droit par provision.
M. [K] a relevé appel de l'ordonnance par déclaration du 18 juillet 2022.
Par conclusions déposées le 14 octobre 2022, M. [K] demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance rendue le 20 mai 2022 par le juge des contentieux et de la proximité du tribunal judiciaire de Bordeaux,
Statuant à nouveau,
- déclarer M [K] recevable et bien fondé en ses demandes,
- ordonner une expertise judiciaire au contradictoire de M. [C] et des époux [E],
- désigner tel expert qu'il plaira avec la mission suivante :
* se rendre sur les lieux,
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission,
* visiter les lieux et les décrire,
* vérifier si les désordres allégués existent, dans ce cas les décrire, indiquer leur nature et la date de leur apparition, en rechercher les causes,
* dire si le logement répond aux caractéristiques de décence fixées par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002,
* indiquer les travaux propres à remédier aux désordres constatés, en évaluer le coût et la durée désordres par désordres, après information des parties et communication à ces dernières dans les 15 jours au minimum avant la réunion de synthèse ou la rédaction d'une note de synthèse, des devis et propositions chiffrées concernant les travaux à envisager,
* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre, les cas échéant à la juridiction compétente de déterminer les responsabilités encourues et d'évaluer s'il y a lieu, tous les dommages ou les éléments des préjudices qu'elle a subis en lien avec les désordres constatés,
* donner son avis sur les préjudices subis et les chiffres, notamment le préjudice de jouissance du locataire,
- condamner in solidum M. [C] et les époux [E] à verser à titre provisionnel la somme de 1 000 euros à M. [K] à titre de dommages et intérêts,
- condamner in solidum M. [C] et les époux [E] à verser la somme de 2 000 euros à M. [K] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- réserver les dépens,
- débouter les époux [E] et M. [C] de l'ensemble de leurs demandes.
Par conclusions déposées le 30 septembre 2022, M. [C] demande à la cour de :
- constater que M. [K] a quitté le logement pour lequel il demande une expertise et ce depuis le 30 avril 2022,
- juger que la demande d'expertise formulée par M. [K] est irrecevable car prescrite,
- juger que la demande d'expertise formulée par M. [K] est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,
En conséquence,
- juger que la demande d'expertise formulée par M. [K] est irrecevable car dépourvue d'intérêt légitime,
- juger que la demande de provision formulée par M. [K] est irrecevable car formulée pour la première fois en cause d'appel,
A titre surabondant,
- juger que la demande de provision formulée par M. [K] se heurte à de nombreuses contestations sérieuses tant dans son principe que dans son quantum et le débouter de cette demande pour ce motif,
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions,
- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [K] à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions déposées le 4 janvier 2023, les époux [E] demandent à la cour de :
A titre principal,
- confirmer l'ordonnance de référé rendue le 20 mai 2022 par le juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire de Bordeaux, en ce qu'il a débouté M. [K] de ses demandes dirigées contre les époux [E],
En conséquence,
Sur la demande d'expertise judiciaire :
- juger que la demande d'expertise judiciaire formée par M. [K] est irrecevable pour cause de prescription et donc dépourvue d'intérêt légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile,
Subsidiairement,
- juger que la demande d'expertise judiciaire formée par M. [K] est irrecevable en l'absence d'intérêt et de qualité pour agir à l'encontre des époux [E],
Y ajoutant,
Sur la demande de provision :
- juger irrecevable la demande de provision formée par M. [K] à l'encontre des époux [E] pour la première fois en cause d'appel,
Subsidiairement,
- juger que la demande de provision formée par M. [K] se heurte à des contestations sérieuses tant sur son principe que sur son quantum,
En tout état de cause,
- condamner M. [K] à payer aux époux [E] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance.
L'affaire a été fixée à l'audience rapporteur du 30 janvier 2023 par ordonnance et avis de fixation à bref délai en date du 2 septembre 2022, avec clôture de la procédure à la date du 16 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I Sur la demande d'expertise faite par M. [K].
En vertu de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
L'appelant reproche au premier juge d'avoir ajouté des conditions à l'article 145 du code de procédure civile précité en qu'il a exigé une urgence et une absence de contestation sérieuse pour rejeter sa demande d'expertise.
Il dit justifier d'un motif légitime à réclamer une telle mesure d'instruction, afin de déterminer l'ampleur et des désordres allégués et les préjudices dont il entend être indemnisé.
Il affirme avoir subi des infiltrations pendant plusieurs années, qui se sont aggravées durant l'hiver 2020-2021, dont il a résulté la dégradation de biens meubles qu'il avait entreposés dans le sous-sol.
Il soutient qu'il s'agit d'un désordre apparu lors dudit hiver, n'ayant connu aucune inondation auparavant. Il observe que l'expertise amiable conclut à l'existence d'infiltrations d'eau récurrentes au travers des murs enterrés du logement. Il conteste toute prescription de son action et retient la responsabilité de ses bailleurs successifs au titre de son obligation de le protéger contre les risques d'infiltration. Il remarque qu'il n'est pas noté à partir de quelle date il aurait constaté les premières infiltrations, que le point de départ n'est donc pas établi et qu'il n'avait pas connu le désordre dans toute son ampleur avant l'inondation survenue le 2 octobre 2020, faute de dégât au préalable.
Il s'oppose à ce que son départ des lieux en cours de procédure constitue un défaut d'intérêt à agir, la mesure devant lui permettre de de chiffrer l'indemnisation de son préjudice matériel et de jouissance contre ses anciens bailleurs.
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La cour constate que M. [K] ne conteste pas l'existence d'infiltrations d'eau depuis son entrée dans les lieux loués, soit le 30 septembre 2014, alors qu'il ressort de l'état des lieux d'entrée que les lieux étaient en bon état. Pour justifier de son action, il expose qu'une inondation s'est produite le 2 octobre 2020.
Néanmoins, en dehors des déclarations de l'appelant, aucun élément ne vient confirmer cet événement. A l'inverse, le rapport d'expertise amiable de l'assureur du bailleur en date du 10 février 2021 mentionne que le locataire observe régulièrement depuis quatre années des infiltrations d'eau au travers des murs enterrés du sous-sol de l'habitation.
L'intervenant note que infiltrations se produisent lors d'événements pluvieux intenses et ont engendré des dommages au mobilier présent dans la cave.
Aussi, s'il est exact que ni l'urgence ni l'existence d'un contestation sérieuse ne sauraient empêcher une expertise, faute qu'il s'agisse de conditions exigées par l'article 145 du code de procédure civile, encore faut-il que le requérant justifie d'un motif légitime pour fonder une telle mesure d'instruction.
Or, en ce qu'il ressort tant de ses propres écritures que des constatations de l'expert amiable de ce que M. [K] avait connaissance des infiltrations au titre desquelles il sollicite l'expertise objet du présent litige depuis au moins quatre ans au 10 février 2021, la prescription de l'article 7-1 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 s'applique.
Si M. [K] allègue d'une aggravation de la situation, celle-ci n'est en revanche pas établie et aucun justificatif ne permet de retenir une date plus proche.
Il s'ensuit que toute action en réparation des infiltrations subies au titre de la loi du 6 juillet 1989 étant prescrite à l'égard de l'appelant, ce dernier ne justifie pas d'un intérêt légitime à agir au titre de l'expertise sollicitée.
Il s'ensuit que cette demande ne pourra qu'être rejetée.
II Sur la demande de provision faite par M. [K].
L'article 564 du code de procédure civile prévoit que 'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.
Les intimés avancent que la demande de provision faite par M. [K] pour la première fois en appel est une demande nouvelle et qu'elle ne saurait prospérer de ce fait.
L'appelant affirme que cette prétention est l'accessoire et le complément de la demande d'expertise judiciaire et qu'elle est donc recevable.
Néanmoins, une demande d'expertise, en ce qu'elle tend à la réalisation d'une mesure d'instruction destinées à éclairer une juridiction sur une situation par un sachant ne saurait avoir pour objet d'indemniser un préjudice.
Il s'ensuit que la présente demande ne peut être qualifiée que de nouvelle, déclarée irrecevable et rejetée.
A titre superfétatoire, il sera relevé que si cette réclamation n'était qu'accessoire à celle principale en expertise, elle devrait être considérée comme forclose et également rejetée.
III Sur les demandes annexes.
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Sur ce fondement, M. [K] supportera la charge des dépens de la présente instance.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
En l'espèce, M. [K] sera condamné à verser à M. [C], de même qu'à M. et Mme [E] ensemble, soit chacune des deux parties intimées, la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
DÉCLARE irrecevable la demande de provision formée par M. [K] ;
CONFIRME l'ordonnance rendue par le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux, statuant en référé, le 20 mai 2022 ;
y ajoutant,
CONDAMNE M. [K] à verser à M. [C], de même qu'à M. et Mme [E] ensemble , soit chacune des deux parties intimées, la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [K] aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland BREARD, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,