La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/03/2023 | FRANCE | N°19/05851

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 15 mars 2023, 19/05851


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 15 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/05851 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJTO

















Madame [S] [P]



c/



Société NOUVELLE SOGEBE

















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse dÃ

©livrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 octobre 2019 (R.G. n°F 19/00069) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 novembre 2019,





APPELANTE :

Madame [S] [P]

née le 06 Juin 1964 à [Localité 3] de nationalité Fr...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 15 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/05851 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJTO

Madame [S] [P]

c/

Société NOUVELLE SOGEBE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 octobre 2019 (R.G. n°F 19/00069) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PÉRIGUEUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 06 novembre 2019,

APPELANTE :

Madame [S] [P]

née le 06 Juin 1964 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Claudia TIERNEY-HANCOCK de la SELARL VESUNNA AVOCATS, avocat au barreau de PERIGUEUX

INTIMÉE :

SARL Nouvelle Sogebe, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social domiciliée en cette qualité [Adresse 2]

représentée par Me Julie MENJOULOU, avocat au barreau de BORDEAUX, substituant Me Frédéric COIFFE, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 janvier 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [S] [F] veuve [P], née en 1964, a été engagée, par contrat de professionnalisation à compter du 1er novembre 1986 par la SARL Sogebe dont M. [A] [O] était le gérant. La relation s'est poursuivie après la fin de ce contrat de professionnalisation sans signature d'un contrat de travail écrit. Mme [P] est ensuite devenue responsable d'atelier et chargée de relation clientèle.

Le 1er avril 2001, Mme [P] a été nommée gérante de la société, M. [O] souhaitant prendre sa retraite mais restant associé majoritaire.

Le 17 juin 2008, la SARL Sogebe a été placée en redressement judiciaire transformé en liquidation judiciaire le 19 octobre 2010. Le 8 novembre 2010, la société a été cédée à M. [D] [K] et a pris la dénomination de SARL Nouvelle Sogebe, l'objet social à savoir la fabrication de cartons ondulés restant identique.

A cette occasion, M.[K] a pris l'engagement de reprendre à son service le personnel constitué de 3 personnes.

Selon contrat de travail à durée indéterminée conclu le 8 novembre 2010, Mme [P] a été engagée en qualité de chef d'atelier statut agent de maîtrise avec reprise de son ancienneté.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du personnel des industries du cartonnage.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [P] s'élevait à la somme de 2.766,95 euros.

Au cours du mois de juin 2017, plusieurs salariés se sont plaints auprès de l'employeur du comportement de Mme [P] à leur égard, invoquant des agissements de harcèlement moral subis.

Par lettre datée du 27 juin 2017, Mme [P] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 7 juillet 2017 avec mise à pied à titre conservatoire.

Mme [P] a ensuite été licenciée pour faute grave par lettre datée du 13 juillet 2017.

A la date du licenciement, la société occupait à titre habituel moins de onze salariés.

Par requête reçue le 13 septembre 2017, Mme [P], contestant son licenciement, a saisi le conseil de prud'hommes de de Périgueux qui, par jugement rendu le 15 octobre 2019 après réinscription le 11 avril 2019 de l'affaire radiée le 11 mars 2019, a :

- débouté Mme [P] de sa demande en paiement d'une « prime de chaleur »,

- dit que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [P] de sa demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- confirmé la faute grave,

- débouté Mme [P] de ses demandes au titre de :

* l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* l'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents,

* rappel de salaire pour mise à pied conservatoire et congés payés afférents,

* dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires et brutales,

* dommages et intérêts pour irrégularité de forme,

* la remise sous astreinte des bulletins de paie, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail rectifiés,

* l'exécution provisoire,

* intérêts au taux légal et capitalisation,

- débouté les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge de Mme [P],

- mis à la charge de chaque partie les frais éventuels d'exécution qu'elles pourraient engager.

Par déclaration du 6 novembre 2019, Mme [P] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 13 décembre 2022, Mme [P] demande à la cour de réformer le jugement du conseil des prud'hommes du 15 octobre 2019 et, statuant à nouveau, de :

- dire que son licenciement pour faute est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- dire qu'elle n'a commis aucun fait fautif,

- fixer le salaire de référence à la somme de 2.793,17 euros,

- condamner la société Nouvelle Sogebe à lui verser les sommes suivantes :

* dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 31.000

euros

* indemnité compensatrice de préavis (3 mois) : 8.379,51 euros bruts,

* congés payés afférents : 837,95 euros bruts,

* indemnité conventionnelle de licenciement :33.518,04 euros bruts,

* rappel de mise à pied à titre conservatoire :1.973,65 euros bruts,

* congés payés sur rappel de mise à pied à titre conservatoire : 197,36 euros,

* dommages et intérêts pour licenciement dans des conditions vexatoires et brutales (2 mois de salaire) : 6.085 euros,

* dommages et intérêts pour irrégularité de forme (1 mois de salaire): 2.793,17 euros,

* une « prime de chaleur » pour la période travaillée du 19 au 23 juin 2017 d'un montant identique à celui versé aux autres salariés,

- ordonner la remise sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à compter de la notification du jugement à intervenir, d'une attestation Pôle emploi, d'un certificat de

travail et d'un bulletin de paie rectifiés,

- ordonner que les sommes mises à la charge de la société Nouvelle Sogebe portent intérêts au taux légal sur l'intégralité des sommes allouées à compter de la demande en justice en application des dispositions de l'article 1236-1 et suivants du code civil,

- dire que les intérêts seront capitalisés à son profit conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner la société Nouvelle Sogebe à lui verser la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Nouvelle Sogebe aux dépens, en ce compris les frais éventuels d'exécution de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 décembre 2022, la société Nouvelle Sogebe demande à la cour de'confirmer dans l'ensemble de ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Périgueux et de :

A titre principal,

- débouter Mme [P] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [P] au paiement de la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et frais d'exécution éventuels,

A titre infiniment subsidiaire, et si la cour devait réformer le jugement, considérant le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- fixer l'ancienneté de Mme [P] à 21 ans et 127 jours,

- fixer le montant des indemnités de rupture comme suit :

* indemnité compensatrice de préavis : 7.564.47 euros bruts,

* indemnité de licenciement : 28.323,52 euros,

* rappel de salaire au titre de la mise à pied : 1.428,84 euros bruts.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 décembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 16 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement en date du 13 juillet 2017 qui fixe l'objet du litige est ainsi rédigée :

'Madame,

A la suite de l'entretien préalable qui s'est tenu le 7 juillet dernier en présence d'un représentant syndical qu vous assistait, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs suivants: harcèlement moral à l'égard de 3 collègues de travail au temps et au lieu du travail, déloyauté à l'égard de votre employeur et votre insubordination caractérisée.

En effet, respectivement les 18, 22 et 23 juin 2017, nous avons reçu 4 courriers émanant de 3 de vos collègues et le 4ème établi par un proche de l'un des 3 salariés et occupant des fonctions d'officier de police judiciaire.

Dans leurs courriers, vos collègues nous ont indiqué qu'ils subissaient de votre part depuis de longs mois des dénigrements, agressivités, menaces et autres messes basses de votre part, ces faits ayant généré pour eux un mal être très important ayant des répercussions sur leurs vies privées et les incitant à envisager très sérieusement de quitter la société pour les faire cesser.

Nous avons aussi appris à cette occasion que plusieurs employés ayant quitté la société au cours des derniers mois l'avaient fait parce qu'ils ne supportaient plus vos remarques et agressivité à leur égard.

Les faits précis et détaillés qui nous ont été décrits ne laissent planer aucun doute sur leur qualification de harcèlement moral, tel que défini à l'article L.1152-1 du code du travail.

Au travers des témoignages recueillis, nous avons aussi eu confirmation de la déloyauté dont vous faites preuve à l'égard de la société et de son dirigeant lorsque celui-ci est en déplacement. Vous critiquez ouvertement les choix de votre employeur devant le personnel en son absence, vous incitez les salariés à ne pas faire d'effort pour la société mais au contraire à se rebeller contre les instructions de travail données. Vous êtes même allée jusqu'à sous entendre que le gérant avait des relations extra conjugales avec des salariées de l'entreprise devant ces dernières.

Votre comportement est d'autant plus déloyal que nous vous avons conservé dans l'effectif en 2010 au moment de la reprise de la société à la barre du tribunal de commerce. A l'époque, la société dont vous étiez la gérante venait d'être placée en liquidation judiciaire du fait de votre mauvaise gestion. Toutefois, nous vous avons proposé de vous relever de cet échec en vous conservant comme chef d'atelier, alors que rien ne vous y obligeait.

Au cours des derniers mois, nous vous avons fait part à plusieurs reprises des difficultés relationnelles existantes dans l'équipe notamment du fait de votre comportement. Nous avons ensuite organisé des réunions de cohésion avec l'ensemble de l'équipe pour dissiper les difficultés, mais malgré votre bonne volonté de façade, vous avez en réalité poursuivi et amplifié vos agissements pour inciter les salariés à quitter l'entreprise.

Vous profitez de l'absence du gérant pour colporter de fausses rumeurs, pour faire régner la terreur dans l'atelier sur les salariés que vous n'avez pas su convaincre de vous suivre dans votre rébellion et pour remettre en cause les instructions de celui-ci. Ce n'est plus tolérable.

Vous avez aussi fait preuve d'insubordination en décidant de quitter le travail à 13 heures le 23 juin dernier alors que tout le reste de l'équipe était au travail. Votre poste de chef d'atelier nécessité que vous fassiez respecter la discipline auprès de votre équipe mais pas à l'inverse que vous preniez des initiatives incitant le personnel à quitter son poste en milieu de journée sans motif valable.

Votre comportement déloyal et votre insubordination assumée causent un préjudice très important à la société et risquent de mener à sa disparition.

Aussi, par votre comportement à l'égard de vos collègues et de votre direction vous mettez gravement en danger la société. Nous ne pouvons pas le tolérer d'autant que nous avons tout pour réussir: du personnel motivé et compétent et des clients fidèles.

Compte tenu de ce contexte, nous vous avons convoqué à un entretien préalable en vue de vote licenciement, entretien qui déroulé le vendredi 7 juillet 2017. Toutefois, les explications recueillies lors de ce rendez-vous ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Dès lors, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave compte tenu des motifs évoqués ci-avant à savoir: harcèlement moral à l'égard de 3 collègues de travail, déloyauté à l'égard de votre employeur, et insubordination caractérisée.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible notamment eu égard à votre comportement totalement incompatible avec notre obligation impérative d'assurer la sécurité de notre personnel.

Vous ne faites plus partie des effectifs de l'entreprise à compter de ce jour. Compte tenu de la gravité des faits dont vous vous êtes rendu coupable, la période de mise à pied à titre conservatoire courant depuis le 23 juin dernier ne vous sera pas rémunérée'.

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

La lettre de licenciement repose sur trois griefs :

1 - Le harcèlement moral dont est rendue responsable Mme [P]

La société s'appuie sur un premier courrier de 5 pages adressé le 18 juin 2017 à M. [K], directeur de la société par Mme [L] [W] qui dénonce des faits de harcèlement dont Mme [P] aurait été l'auteur, suivi par quatre autres courriers très longs et circonstanciés émanant :

- du frère de Mme [G], gendarme de métier, qui le 22 juin 2017, alerte le directeur sur des faits décrits par sa soeur, salariée de la société, s'apparentant à du harcèlement moral, comme étant des agissements répétés de remarques désobligeantes, intimidations et insultes émises par Mme [P],

- de Mme [G], elle-même, salariée ayant travaillé sous l'autorité de Mme [P] depuis 2015 qui indique dans son courrier du 23 juin 2017, avoir noté un changement d'attitude, Mme [P] devenant de plus en plus autoritaire, lui tenant des propos dénigrants qui lui occasionnent un stress important au quotidien,

- de M. [M], en date du 23 juin 2017, salarié de l'entreprise depuis 2012, ouvrier, confirmant ne plus arriver à supporter le comportement de '[S]',

- de M. [I] [N], salarié de l'entreprise depuis juin 2015, dénonçant également un comportement harcelant de Mme [P] et attestant avoir quitté l'entreprise 'à cause de [S]', 'avant d'être trop mal moralement et faire une dépression',

Ces courriers concordants établissent le dénigrement des salariés par Mme [P], se traduisant par une remise en cause constante du travail effectué, des critiques devant le reste du personnel et même en dehors de la présence de l'intéressé, Mme [P] qualifiant Mme [W] de 'menteuse et manipulatrice'. Mme [G] atteste également de la dévalorisation de M. [N] déclarant que Mme [P] mettait toutes les erreurs de production 'sur son dos' : 'trop de colle sur les caisses, trop de pression sous la presse de la contre-colleuse, les accessoires des rouleaux de la contre-colleuse mal rangés, il roulait trop vite le chariot élévateur, il cassait tout...'

Mme [W] précise que son travail 'consiste à réaliser et commander des clichés et du papier et même la manière dont ils étaient commandés (dimensions etc..) était critiqué en remettant une fois de plus mes compétences en jeu'.

Elle déclare aussi que Mme [P] mettait certaines de ses propres erreurs sur le dos de M. [N].

M. [M] rapporte que Mme [P] se mêlait de tout, 'quand on est sur une machine, nous ne sommes pas libres, il faut toujours qu'elle se mêle de tout ce qu'on fait alors qu'elle est sur un autre poste... il faut faire ce qu'elle demande sinon elle n'est pas contente. Du coup on n'ose pas lui dire quand on a raison par peur qu'elle crie encore (...) Elle fait toujours des remarques, des reproches, des critiques, des rabaissements, elle ne se remet jamais en question'.

M. [M] confirme que Mme [P] ne s'entendait pas avec M. [N] et 'lui a mené une vie horrible au travail, il est même parti à cause d'elle'.

M. [N] atteste que Mme [P] avait toujours un mot ou une parole pour blesser : 'A mon retour de maladie début 2015, elle m'a pris en 'grippe', passant son temps sur mon dos, critiquant toutes mes actions, tout mon travail : je mettais la palette à gauche, elle me disait de la mettre à droite. Si je la mettais à droite, elle me disait de la mettre à gauche. Il y avait toujours une raison pour me hurler dessus'.

Toutes les attestations décrivent Mme [P] comme très autoritaire, adoptant un ton violent, faisant des remarques blessantes et dévalorisantes sur le travail effectué invectivant ainsi Mme [G] : 'ça n'est pas du travail' ou 'non mais c'est pas compliqué quand même, c'est quand que tu vas comprendre ce qu'on te dit '' créant une ambiance de 'terreur' parmi les salariés, allant jusqu'à sous-entendre qu'ils étaient incompétents, ces derniers n'osant pas faire de remarque et ne se sentant pas libres dans leur travail.

Les deux attestations versées aux débats par Mme [P], émanant de Mme [T] et de M. [X], tout en faisant valoir sa disponibilité et son soutien pour les former dans leurs nouvelles fonctions, font part de 'la façon de parler pour dire les choses', étant 'une personne directe' 'elle hausse souvent le ton pour faire comprendre que le travail n'est pas fait correctement, c'est sa façon de parler', 'son franc parler ne m'a jamais déranger'.

Toutes les attestations relatent l'emprise de Mme [P] sur deux collègues, Mme [T] tout d'abord, qui atteste en sa faveur dans la procédure, mais de laquelle les salariés à l'origine de la plainte peuvent dire qu'elle avait changé son comportement au départ de Mme [P] pour ensuite quitter la société brusquement du jour au lendemain en se disant victime de harcèlement de la part de son employeur et de ses collègues. Mme [W] confirme ainsi que suite à la réception d'un message en 2018, Mme [T] n'a plus donné de nouvelle, est rentrée chez elle. Mme [T] est en arrêt maladie depuis le 22 février 2018.

Les attestations font également part de l'emprise de Mme [P] sur M. [X], recruté en 2015. Les salariés font état des 'messes basses' que faisait Mme [P] avec ces deux collègues, Mme [T] et M. [X], parlant à voix basse et s'arrêtant de parler en présence des autres salariés victimes des propos dénigrants, en riant, sous-entendant des non-dits et créant un malaise.

Mme [W] atteste 'chacun de nos faits et gestes sont épiés, interprétés et critiqués, c'est épuisant'.

Les faits décrits sont très précis et détaillés pour certains d'entre eux, répétés durant plusieurs années, attestant d'une dégradation des relations de travail du fait du comportement de Mme [P] que les salariés attribuent à la jalousie de celle-ci vis -à-vis du directeur, alors qu'elle avait préalablement exercé les fonctions de gérante.

Sur les trois attestations versées par Mme [P], l'une émane d'un stagiaire (M. [H]) qui n'est resté dans la société que moins de 6 mois et l'autre (M. [X]) qui était embauché en contrat à durée déterminée.

Il ne peut être reproché à l'employeur de n'avoir pas mené d'enquête suite à la dénonciation des faits de harcèlement, ayant reçu trois attestations de salariés très précises et circonstanciées, quand l'entreprise comptait 7 personnes et ayant immédiatement provoqué un débat contradictoire avec Mme [P] dans le cadre de l'entretien préalable de licenciement.

De même, le 1er courrier de Mme [W], les premiers jours de sa reprise de travail après un arrêt de travail pour maladie, a permis de libérer une parole contenue depuis plusieurs années durant lesquelles les faits dénoncés s'étaient répétés et a entraîné les courriers dénonçant des fais identiques par deux autres salariés toujours en poste dans l'entreprise, situtaion qui explique la concomitance des courriers reçus les 22 et 23 juin 2017.

Mme [P] ne justifie pas de la volonté de la société de l'écarter, les courriers à l'origine des griefs retenus datant de 2017 alors que ses absences pour maladie couvrent une période antérieure en 2012 et 2015 et que M. [B] a été embauché en qualité d'assistant de production et non sur le poste de Mme [P], le 28 août 2017 sans qu'il ait été donné suite à sa période d'essai.

La société s'appuie sur les arrêts de travail des salariés ayant témoigné, qui traduisent la répercussion du comportement harcelant de Mme [P] sur leur travail et sur leur santé psychologique.

Ainsi, Mme [W] adresse le 1er courrier dénonçant le harcèlement à son retour d'une semaine d'arrêt maladie du 8 au 15 juin 2017 et évoque un état de stress et d'humiliation devenant un danger pour elle alors qu'elle était enceinte. Elle indique également que 'ce climat a eu des répercussions sur mon travail car avant le départ de Mme [P] je n'osais pas vraiment m'affirmer et prendre des initiatives de peur de ses commentaires et critiques'.

M. [M] atteste venir travailler 'la boule au ventre', ' dès mon lever je suis stressé, je ne suis pas bien dans ma tête, j'ai des crampes au ventre, de l'eczéma...'.

Mme [G] indique 'je suis toujours sous tension, j'ai toujours mal au ventre en sa présence, c'est insupportable. Je n'ai plus envie de venir travailler. Je n'ai plus envie de me battre et je pense de plus en plus à ma démission. Je n'en peux plus'. Le frère de Mme [G] confirme l'état de fatigue de celle-ci, s'inquiétant pour sa santé. Son mari,témoigne du changement d'état de sa femme 'en permanence à fleur de peau, je ne reconnaissais plus ma femme...'.

M. [N] confirme avoir quitté la société avant de faire une dépression et il atteste avoir vu Mme [W] partir se cacher pour pleurer suite à des propos de Mme [P].

Les salariés font part d'un changement d'ambiance depuis le départ de Mme [P], contestent tous les accusations portées par Mme [P] et Mme [T] sur des faits de harcèlement que subirait Mme [T], étant précisé que M. [M], Mme [G] et M. [K] ont déposé plainte pour faux témoignage.

Ils notent tous le changement de comportement de Mme [T] qui n'était alors plus sous l'influence de Mme [P], partageant des moments de convivialité avec eux et pouvant surnommer M. [M] 'chouchou' ou 'mon Sassan', terme repris de manière manuscrite sur un document appartenant à M. [M] et produit aux débats.

Si Mme [P] met en avant son ancienneté et l'absence de plaintes précédentes, la société verse l'attestation de M. [O], ancien gérant et actionnaire de la société, qui l'a employée dès 1986 lequel témoigne de ce qu'une fois devenue gérante en 2001, 'bien que je sois resté titulaire de toutes les parts sociales de la société, je n'avais plus aucune autorité sur cette personne, qui est même devenue autoritaire à mon égard'.

Le grief de harcèlement est établi.

2 - la déloyauté de Mme [P] à l'égard de son employeur

La société reproche à Mme [P] son manque de loyauté envers la société, se rapportant aux attestations des quatre salariés, témoins des propos qu'elle a tenus : selon Mme [W], 'cette organisation est systématiquement critiquée et bouleversée par [S] (Mme [P]), pour les commandes la concernant mais également celles d'autres employés, sans réelle justification, mais juste car comme elle le dit 'moi je préfère travailler comme ça'. La moindre chose qui peut être discutable sur une fiche de travail fait l'objet d'un discours destiné à me perdre et me mettre mal à l'aise (...) Depuis que je travaille dans l'entreprise, [S] a toujours critiqué les choix qui sont faits dans l'organisation'.

Selon Mme [G], Mme [P] estime que 'rien ne va et tout se dégrade et critique le manque d'hygiène, de ce que le directeur gère mal les commandes, qu'il est désorganisé et 'tête en l'air', et que l'atelier est en désordre permanent'.

Plusieurs salariés rapportent avoir été témoins des propos de Mme [P] selon lesquels M. [K], le directeur, n'appartenait pas au même monde, sa famille disposant d'une maison au Cap-Ferret, faisant également référence à ses maîtresses qu'elle connaîtrait, mais aussi de ce que M. [K] aurait peur d'elle.

M. [M] atteste des critiques récurrentes de Mme [P] à l'encontre du directeur 'rien ne va dans l'usine, rien n'est assez bien, de son temps, ce 'n'était pas comme ça'.

Mme [P] reconnaît avoir émis des critiques à l'encontre des choix de la direction, mais l'avoir toujours fait devant M. [K], qu'il s'agisse des plannings, du défaut d'entretien des machines, des toilettes insalubres, du manque de certains matériels etc.. Toutefois, M. [M] confirme ce qui ressort des autres attestations concordantes, à savoir : 'elle critique M. [K] dans son dos tout le temps'.

Au-delà du ton employé, les salariés attestent des propos mensongers tenus sur les reproches adressés à son employeur : M. [M] et M. [N] confirment que M. [K] a, depuis la reprise de la société, refait les WC, les vestiaires avec des casiers, qu'il n'y avait pas avant, a mis en place une salle de convivialité avec un frigo et micro-ondes, et qu'il est monté sur le toit l'été 2017 pour mettre des arroseurs afin qu'il fasse moins chaud.

M. [J], responsable méthode et achat, atteste en janvier 2018 avoir eu l'occasion de visiter l'entreprise au moment du rachat par M. [K] et avoir constaté l'état de 'délabrement' des locaux : difficulté à voir les machines encombrées par les palettes de cartons, bureaux de deux pièces très sales 'et dans leur jus depuis quelques décennies'. Il atteste que le nouveau directeur a amélioré les conditions de travail des salariés : vestiaire, salle de pause, remise aux normes de bureaux et nouvelle organisation de l'atelier.

Il est ainsi établi que Mme [P] a manqué de loyauté, portant un jugement critique sur les choix et décisions de M. [K], en dehors de sa présence et devant les salariés, tout en colportant des rumeurs sur sa vie privée.

3 - l'insubordination de Mme [P] le 23 juin 2017.

La société reproche à Mme [P] d'avoir quitté le travail à 13h le 23 juin 2017 alors que le reste de l'équipe était au travail. Si Mme [P] soutient avoir eu un accord oral du directeur, elle ne rapporte pas la preuve d'un aménagement de son temps de travail ce jour-là en raison d'une forte chaleur, M. [M] attestant de ce qu' 'elle est partie à 13h, sans votre accord alors qu'il ne faisait pas forcément chaud. Est-ce normal ' A t'elle tous les droits ' Et nous alors ''.

Mme [P] ne justifie pas que son temps de travail aurait été aménagé, la société rappelant que les horaires étaient bien de 7h30 à 15h et que la température enregistrée le 23 juin 2017, qui était au plus haut de la journée de 24 degrés, ne justifiait pas sur ce jour-là en particulier que les salariés soient autorisés à partir plus tôt, ni que Mme [P], en sa qualité de chef d'atelier y aurait été seule autorisée.

M. [M] et Mme [G] ont porté à la connaissance de l'employeur d'autres actes d'insubordination, ayant déclaré qu'elle décidait seule de venir plus tôt à 7h en raison de la chaleur et se justifiant ainsi 'je m'en fous s'il (le directeur) n'est pas content je préfère travailler le matin que le soir'.

Au-delà du non respect des horaires de travail, M. [M] mentionne que Mme [P] 'faisait aussi des choses que M. [K] lui dit de ne pas faire, par exemple : enlever un chauffage à contre-colleuse, dégraisser des axes alors que c'est dangereux'.

M. [N] confirme qu'elle 'n'avait pas de connaissance en entretien de machine mais s'amusait à aller à l'encontre de la volonté de M. [K] comme mettre du dégraissant sur un axe rotatif à plusieurs centaines de tour/minute'.

Ces faits d'insubordination sont établis.

Il ressort ainsi de l'ensemble des pièces versées que Mme [P] a adopté un ton inutilement agressif et inadapté à l'égard d'au moins quatre salariés dans l'entreprise qui en comptait sept au moment des faits, par des propos blessants, des remarques dénigrantes et répétées, adressées tant directement aux salariés que de manière générale au sujet de l'organisation de la société, pour asseoir son autorité, qu'elle avait une facilité à rabaisser les salariés après un contrôle poussé de leurs tâches, conduisant à une ambiance de travail délétère. Ces éléments attestent également de son refus d'appliquer de manière ouverte et sur un ton provoquant les consignes de la direction.

Ces faits en ce qu'ils ont contribué à dégrader les conditions de travail, plus de la moitié du personnel étant en souffrance et alors que Mme [P] occupait le poste de chef d'atelier après avoir été gérante de la société, constituent un manquement fautif, l'employeur étant tenu d'une obligation de sécurité et devant assurer la protection de la santé des travailleurs dans l'entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral. Ils sont d'une importance telle qu'ils rendaient impossible le maintien de Mme [P] dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur l'irrégularité de forme du licenciement

Mme [P] sollicite l'allocation d'une indemnité égale à un mois de salaire soutenant que les actes relatifs à sa déloyauté n'auraient pas été abordés au cours de l'entretien, préalable, ni l'insubordination qui lui est reprochée n'ayant pas eu connaissance des courriers dénonçant les faits à l'origine de son licenciement.

La société s'y oppose rappelant que Mme [P] a pu consulter les courriers des salariés qui font référence aux trois griefs retenus dans la lettre de licenciement.

L'article L. 1332-2 du code du travail oblige l'employeur à indiquer au cours de l'entretien le motif de la sanction envisagée au salarié dont il doit recueillir les explications. Il n'est toutefois pas imposé à l'employeur de communiquer au salarié les pièces justifiant de la sanction.

Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [P].

Sur les demandes financières

Le licenciement pour faute grave étant fondé, les demandes financières de Mme [P] visant à lui attribuer, sur la base d'une ancienneté recalculée à 31 années, une indemnité compensatrice de préavis, une indemnité conventionnelle de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement abusif ainsi que le rappel de la mise à pied à titre conservatoire seront rejetées et le jugement déféré confirmé de ces chefs.

Sur la demande d'une « prime de chaleur »

Mme [P] sollicite le paiement de la « prime de chaleur » versée au reste des salariés, ayant été exposée à la canicule du 19 au 23 juin 2017.

La société s'y oppose.

***

Mme [P] ne justifie pas de ce qu'une « prime de chaleur » aurait été versée par la société pour compenser la pénibilité du travail effectué la semaine du 19 juin, ni ne précise son montant. Sa demande sera rejetée et le jugement déféré confirmé de ce chef.

Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Mme [P] soutient avoir été licenciée de manière brutale et soudaine et sollicite à ce titre la somme de 6.085 euros à titre de dommages et intérêts.

***

Il n'est pas établi que la procédure a été engagée de manière brutale ou vexatoire : la seule référence de Mme [P] à son ancienneté ne saurait suffire à caractériser la volonté de l'employeur de se 'débarrasser' d'elle, alors que la gravité des fautes a permis de retenir comme bien fondé le licenciement pour faute grave.

La demande de Mme [P] sera rejetée et le jugement déféré confirmé de ce chef.

Sur la remise des documents de rupture et d'un bulletin de paie

Cette demande est sans objet, les demandes financières de Mme [P] ayant été rejetées.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles.

Mme [P], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à la SARL Nouvelle Sogebe de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.

*

PAR CES MOTIFS

La cour

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [P] aux dépens,

Condamne Mme [P] au paiement à la SARL Nouvelle Sogebe de la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/05851
Date de la décision : 15/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-15;19.05851 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award