COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 09 MARS 2023
PRUD'HOMMES
N° RG 21/00820 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L52Y
Madame [P] [T]
c/
S.A.R.L. ACPC
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée aux avocats le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 janvier 2021 (R.G. n°F 19/01533) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section activités diverses, suivant déclaration d'appel du 09 février 2021.
APPELANTE :
Anne [T]
née le 02 Août 1958 à [Localité 3]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
Représentée par Me Albin TASTE de la SCP CABINET LEXIA, avocat au barreau de BORDEAUX
Assistée de Me TRUONG substituant Me Albin TASTE
INTIMÉE :
S.A.R.L. ACPC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cetet qualité au siège social [Adresse 1]
Représentée par Me JECHOUX substituant Me Charlotte VUEZ de la SELARL ELLIPSE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 04 janvier 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Eric Veyssière, président,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
Madame Cybèle Ordoqui, conseillère,
qui en ont délibéré.
greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
Exposé du litige
Selon un contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2009, la société Pabex holding de la société ACPC, exploitant un cabinet d'expertise comptable, a engagé Mme [T], qui exerçait la profession d'avocate, en qualité d'assistante principale, responsable juridique et sociale.
Le gérant de la société était l'époux de Mme [T].
La relation de travail était soumise à la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et des commissaires aux comptes.
Le 1er juillet 2012, le contrat de travail de Mme [T] a été transféré à la société ACPC.
M. [T] est parti à la retraite le 29 juin 2018.
Dans un contexte de tensions entre Mme [T] et les experts-comptables associés de la société ACPC, Mme [T] a sollicité une rupture conventionnelle.
Le 26 juillet 2019, la société ACPC a proposé à Mme [T] une indemnité supralégale à hauteur de 13.500 euros, outre l'indemnité de rupture conventionnelle.
Le 29 juillet 2019, Mme [T] a refusé cette proposition.
Par courrier du 3 août 2019, la société ACPC a convoqué Mme [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 7 août 2019.
Le 12 août 2019, Mme [T] a été licenciée pour cause réelle et sérieuse.
Le 29 octobre 2019, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins de :
- voir juger nul son licenciement et, à titre subsidiaire, dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- voir condamner la société ACPC au paiement de diverses sommes :
- à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de droit au chômage sur août et septembre 2020,
- à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de revenus liée à la différence entre salaire et indemnité de chômage jusqu'à la date de prise d'effet de la retraite,
- à titre de dommages et intérêts au titre de la perte des points retraite,
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- à titre de rappel de salaire de septembre 2019,
- à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,
- sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par demande reconventionnelle, la société ACPC a sollicité du conseil de prud'hommes qu'il condamne Mme [T] au paiement d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 8 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et a condamné la société ACPC à payer à Mme [T] des sommes suivantes :
*2 030,73 euros en brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis sur la période du 13 et 26 octobre 2019,
*295,33 euros en brut à titre de rappel de salaire sur le mois de septembre 2019,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit, conformément à l'article R. 1454-28 du code du travail, dans la limite de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois, la moyenne étant de 3 377 euros,
- débouté Mme [T] du surplus de ses demandes,
- débouté la société Acpc de sa demande indemnitaire reconventionnelle fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Acpc aux dépens.
Par déclaration du 9 février 2021, Mme [T] a relevé appel du jugement.
Par ordonnance du 28 juin 2021, le conseiller de la mise en état a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur, proposition qui n'a pas abouti.
Par ses dernières conclusions du 25 octobre 2021, Mme [T] sollicite de la Cour qu'elle :
- juge mal-fondé l'appel incident interjeté par la société ACPC,
- infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :
- condamné la société ACPC à verser à Mme [T] les sommes suivantes :
*2 030,73 euros en brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis sur la période du 13 et 26 octobre 2019,
*295,33 euros en brut à titre de rappel de salaire sur le mois de septembre 2019,
- débouté la société ACPC de sa demande indemnitaire reconventionnelle fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société ACPC aux dépens,
Statuant à nouveau,
Sur le licenciement :
A titre principal,
- prononce la nullité du licenciement de Mme [T],
- condamne la société ACPC à lui verser la somme de 89.730,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
A titre subsidiaire,
- requalifie le licenciement de Mme [T] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamne la société ACPC à lui verser la somme de 89 730,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
L'irrégularité de la procédure :
- juge irrégulière la procédure de licenciement de Mme [T],
- condamne la société ACPC à lui verser la somme de 4 486,54 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure irrégulière,
En toute hypothèse,
- déboute la société ACPC de l'intégralité de ses demandes,
- la condamne à lui payer la somme de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses dernières conclusions du 3 août 2021, la société ACPC sollicite de la Cour qu'elle :
- juge que la procédure de licenciement n'est pas nulle,
- juge que le licenciement a pour cause réelle et sérieuse les faits et motifs exprimés avec précision dans la lettre de licenciement du 12 août 2019,
- juge que les demandes indemnitaires de Mme [T] sont infondées,
- déboute Mme [T] de l'ensemble de ses demandes,
- déclare satisfactoire l'offre de la société ACPC de régler au titre du complément de préavis et du complément de salaire de septembre une somme de 172,95 euros nets de charges et Pas,
- condamne Mme [T] aux dépens et au paiement d'une indemnité de 7 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 décembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
Motifs de la décision
Sur l'absence de mention dans le dispositif des conclusions de la société APC des termes ' infirmer' ou 'confirmer'
La Cour a relevé d'office le moyen tiré de l'absence, dans le dispositif des conclusions de la société ACPC, de la mention tendant à la confirmation ou à l'infirmation du jugement et a demandé aux parties de lui transmettre une note en délibéré sur ce point.
Dans sa note en délibéré en date du 11 janvier 2022, la société ACPC rappelle que cette omission a pour effet de voir confirmer le jugement ce qui correspond, à titre principal, à sa demande devant la Cour.
Il résulte, en effet, des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (cass. 2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626).
Il sera, en conséquence, fait application de cette règle lors de l'examen des demandes des parties.
Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes nouvelles devant la cour
La cour a relevé d'office le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande nouvelle formée par Mme [T] devant la cour tendant à voir prononcer la nullité du licenciement et a invité les parties à lui transmettre une note en délibéré sur ce point.
La société ACPC avait soulevé cette fin de non recevoir sans, toutefois, l'énoncer dans son dispositif ce que lui oppose Mme [T] dans sa note en délibéré.
Cette objection n'est pas, toutefois, recevable dés lors que la cour a relevé d'office ce moyen comme l'y oblige l'article 564 du code de procédure civile.
Il appartient, en conséquence, à la cour de dire si la demande de nullité du licenciement présentée par Mme [T] pour la première fois devant la cour est une demande nouvelle.
Aux termes de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En l'espèce, Mme [T] a demandé au conseil de prud'hommes de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et de lui allouer diverses indemnités en réparation du préjudice subi ; elle réitère devant la cour des demandes d'indemnités de rupture mais en invoquant la nullité de son licenciement.
Cette dernière demande tend aux mêmes fins que celle soumise au premier juge puisqu'il s'agit dans les deux cas d'indemniser les conséquences indemnitaires du licenciement de la salariée qu'elle estime injustifié.
La demande en nullité du licenciement sera, en conséquence, déclarée recevable conformément aux dispositions de l'article 565 du code de procédure civile.
Sur la classification de l'emploi de la salariée
Mme [T] revendique la classification de cadre principal de la convention collective coefficient 450 non pas pour obtenir un rappel de salaires mais pour démontrer qu'elle exerçait ses fonctions en toute autonomie et qu'elle ne pouvait pas être placée sous la subordination d'un expert comptable salarié (Mme [N] en l'espèce) et qu'elle dépendait uniquement sur un plan hiérarchique des associés du cabinet d'expertise comptable.
Il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande qui n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions de Mme [T] en violation des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile.
Sur la nullité du licenciement pour harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Dès lors que sont caractérisés ces agissements répétés, fussent sur une brève période, le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur.
Il résulte des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail que le licenciement d'un salarié victime de harcèlement moral est nul si ce licenciement trouve directement son origine dans ces faits de harcèlement ou leur dénonciation.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Mme [T] soutient qu'elle a subi sur la période de mars 2018 à juillet 2019 des agissements répétés de harcèlement moral à partir du moment où son époux est parti à la retraite.
Elle évoque les faits suivants :
1) en mars 2018, M. [J], futur associé du cabinet, est intervenu sur un dossier de paie d'un client, la Selarl Clement Ravilly. Le bulletin de paie produit au soutien de cette allégation comporte, certes, des mentions manuscrites établissant une possible intervention d'un tiers sans que toutefois l'auteur de ces mentions soit identifiable. La matérialité du grief n'est donc pas établie.
2) sa messagerie a été bloquée. La preuve fournie par Mme [T] à cet égard est l'envoi d'un message à elle-même dont la réponse mentionnait qu'elle était absente. Cet élément isolé n'est pas suffisamment probant pour caractériser un blocage de sa messagerie. La matérialité du grief n'est donc pas établie.
3) début juillet 2018, M. [J], devenu associé du cabinet, a indiqué à un client, par l'entremise de sa collaboratrice, qu'il convenait de rédiger des conventions écrites à l'occasion de mise à disposition du personnel. Or, ce client a répondu que Mme [T] avait déjà établi ces convention. La matérialité du grief n'est pas contestée.
4) Mme [N] a organisé sans elle des rendez-vous avec des clients sur des sujets de droit social. Il ressort du planning de Mme [N] que celle-ci avait rendez-vous le 11 juillet 2018 avec la société Clément Ravilly en vue de l'embauche du salarié. La matérialité du grief est établie dans la mesure où il est constant que Mme [T] n'y a pas assisté.
5) ses mails ont été redirigés vers la boîte de Mme [N]. Au soutien de cette allégation, elle produit un courriel du 12 juillet 2018 parvenu sur sa messagerie qui a été expédié par la société Clément Ravilly et redirigé par [B] [N]. Ainsi que le soutient justement l'employeur, le courriel a été adressé à [B] [N] qui l'a transféré à Mme [T]. Le grief n'est donc pas caractérisé.
6) ses droits ont été supprimés dans les dossiers de paie. Elle produit comme élément de preuve une copie d'écran informatique du 2 novembre 2018 portant la mention suivante: ' ce programme est bloqué par une stratégie de groupe. Pour plus d'informations, contactez votre administrateur système'. Ce seul élément est insuffisant pour établir une suppression intentionnelle d'accès de la salariée aux dossiers de paie.
7) la fiche de paie d'un client ( Le Shogun) a été modifiée sans qu'elle en soit avisée. Mme [T] a adressé le 27 novembre 2018 à M. [J] un courriel pour lui faire part qu'elle n'avait pas été tenue informée de la modification qu'il avait faite sur une fiche d'un client et que cela créait des difficultés. En l'absence d'explications pertinentes de l'employeur sur cet événement, ce grief sera retenu par la cour.
8) M. [J] a mentionné le mot ' oups' sur un projet de compte rendu d'entretien annuel de Mme [T]. Outre le fait que cette note manuscrite était confidentielle, il
ne peut-être tiré de cette expression susceptible d'être interprétée de différentes manières la preuve de l'existence d'un agissement de harcèlement moral.
9) en mai et juillet 2019, Mme [N] est intervenue dans des dossiers sans l'en informer. Il résulte des courriels envoyés le 24 mai, le 2 juillet et le 23 juillet par Mme [N] à des clients que celle-ci a donné des réponses sur des sujets entrant dans le champ de compétence de Mme [T]. La matérialité du grief est donc établie.
10) Le 8 juillet 2019, M. [J] est intervenu dans le cadre d'un dossier traité par Mme [T]. Un courriel de M. [J] donne des détails à un client sur le recrutement de l'un de ses salariés en précisant que Mme [T] qui sera présente demain formalisera le contrat. Outre le fait que, comme le soutient et le justifie l'employeur, Mme [T] était absente lors de l'envoi de ce message, M. [J] renvoie le client vers elle de sorte que la mise à l'écart qu'elle allègue n'est pas établie.
11) Le 23 juillet 2019, Mme [N] a traité seule un dossier de rupture d'un contrat à durée déterminée d'un commun accord. Ce fait n'est pas contesté.
12) Le 29 juillet 2019, Mme [T] a écrit à l'employeur le courrier suivant : ' ...voici plusieurs mois que je vous fais part des tracasseries dont je suis l'objet de la part de M. [J] et de Mme [N]. Cette situation a empiré depuis le mois de juin et je vous ai fait part de nouveaux faits que l'on peut qualifier de harcèlement ou de mise au placard. Mais, vous ne voulez pas intervenir, ni demander notamment à Mme [N] des explications sur son comportement à mon égard. Nos relations auraient pu se dérouler correctement comme par le passé (avant l'arrivée de ces deux personnes) jusqu'à ma retraite, mais vous en avez décidé autrement ; c'est dans ce seul cadre que je vous ai proposé dans l'intérêt de tous, d'envisager une rupture conventionnelle ; vous avez sauté sur cette occasion très rapidement mais vous ne voulez pas tenir compte du préjudice qui en résulte pour moi. Je vous ai indiqué dans ces conditions que je conservais tout naturellement mon poste jusqu'à mon départ en retraite et que je souhaitais que ces tracasseries cessent et que l'on me laisse faire mon travail comme je l'ai toujours fait, c'est à dire correctement...'
Il découle de ce qui précède qu'à la suite du départ en retraite du gérant du cabinet, M. [T], en juin 2018, la configuration des équilibres internes a été modifiée avec l'arrivée d'un nouvel associé, M. [J] et d'une experte-comptable salariée, Mme [N]. S'il est constant que Mme [T] occupait toujours le poste de responsable du service juridique et social, peu important sa position statutaire, sa situation ne pouvait plus être exactement la même qu'avec son époux alors seul gérant du cabinet. Les faits énoncés ci-dessus, démontrent que M. [J] et Mme [N] ont tenu à exercer la plénitude de leurs attributions d'expert comptable vis à vis des clients du cabinet et leur ont donné, à plusieurs reprises, des conseils sur la conclusion ou l'exécution de contrat de travail. Ces interventions bien que ponctuelles se sont, cependant, intensifiées à partir du mois de mai 2019 sans que Mme [T] en soit toujours informée.
S'agissant du courrier daté du 29 juillet 2019 dans lequel Mme [T] se plaint de nouveaux faits pouvant être qualifiés de harcèlement, s'il est exact que ce courrier a été expédié le 30 juillet alors d'une part, que la salariée avait reçu le courrier de convocation à l'entretien préalable le jour même, ainsi qu'en attestent les accusés de réception des deux lettres expédiées en recommandé AR, et d'autre part, que les parties étaient encore en cours de discussion sur une proposition de rupture conventionnelle comme l'indique le courrier et un autre du 31 juillet, force est de constater que non seulement l'employeur n'y a pas répondu, mais, de surcroît, il a rédigé une lettre de licenciement reprochant à titre principal à Mme [T] d'être à l'origine d'une altercation avec Mme [N] survenu le 26 juin 2019 au sujet du périmètre des attributions de la première qui accusait la seconde de s'occuper du social.
Cet incident démontre que les conflits d'attribution entre les experts comptables et Mme [T], sur lesquels l'employeur avait été alerté, étaient ressentis comme une mise au placard par Mme [T] ; en n'agissant pas pour répondre au mal être de la salariée qui était, en partie, justifié compte tenu des intrusions fréquentes de Mme [N] dans le champ de compétence de Mme [T], et en poursuivant la procédure de licenciement en pleine discussion sur une proposition de rupture conventionnelle, alors que la salariée dénonçait précisément les agissements de Mme [N] qu'elle qualifiait de harcèlement moral, l'employeur, qui n'a pas mis en oeuvre des mesures de nature à faire cesser les agissements dénoncés, a méconnu les dispositions des article L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail rendant ainsi le licenciement nul.
Mme [T] ne sollicitant pas sa réintégration dans l'entreprise a droit à une indemnité réparant le préjudice résultant de la perte d'emploi injustifiée qui, en application de l'article L 1235-3-1 du code du travail, ne peut être inférieure à six mois de salaires.
Les éléments médicaux versés aux débats établissent que Mme [T] a subi une dépression réactionnelle consécutive au licenciement ; elle n'a pas retrouvé de travail.
Compte tenu de son âge (elle est née le 2 août 1958) et de son ancienneté dans l'entreprise, il lui sera alloué la somme de 45.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.
Le jugement sera réformé en ce sens.
Sur la régularité de la procédure de licenciement
Contrairement à ce que soutient Mme [T], le délai de 5 jours qui doit, conformément aux dispositions de l'article L 1235-2 du code du travail, séparer la réception de la lettre de convocation à l'entretien préalable et le jour de l'entretien a été respecté, en l'espèce, puisque Mme [T] a accusé réception du courrier de convocation le 30 juillet 2019 pour un entretien fixé au 7 août.
Sa demande d'indemnité au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement sera, en conséquence, rejetée.
Sur les autres demandes
Mme [T] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il lui a alloué la somme de 2030,73 euros à titre de solde d'indemnité de préavis. Les conclusions de la société ACPC ne comportant pas la mention dans le dispositif d'une confirmation ou d'une infirmation du jugement sur ce point, la cour ne peut que confirmer le jugement ainsi que rappelé plus haut.
Il en est de même de la demande de rappel de salaire pour le mois de septembre 2019. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [T] la somme de 295,33 euros.
L'équité commande d'allouer à Mme [T] la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société ACPC, partie perdante, supportera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Rejette la fin de non recevoir tirée des demandes nouvelles devant la cour
Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société ACPC à payer à Mme [T] la somme de 2030,73 euros à titre de solde d'indemnité de préavis et la somme de 295,33 euros à titre de rappel de salaires pour le mois de septembre 2019
L'infirme pour le surplus
statuant à nouveau
Prononce la nullité du licenciement de Mme [T]
Condamne la société ACPC à payer à Mme [T] la somme de 45.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul
y ajoutant
Déboute Mme [T] de sa demande d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement
Condamne la société ACPC à payer à Mme [T] la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
Condamne la société ACPC aux dépens.
Signé par Eric Veyssière, président et par Sylvaine Déchamps, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
S. Déchamps E. Veyssière