COUR D'APPEL DE BORDEAUX
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 02 MARS 2023
F N° RG 22/03098 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MYXB
[Y] [R]
Compagnie d'assurance MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS
c/
[W] [E]
S.A. AXA FRANCE
S.C.P. LGA (EX PIMOUGUET LEURET DEVOS BOT)
Nature de la décision : AU FOND
SUR RENVOI DE CASSATION
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décisions déférées à la Cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 15 juin 2022 (Pourvoi N° E21-13.612) par la 3ème Chambre civile de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 07 décembre 2022 (RG 19/109) par la Chambre civile de la Cour d'Appel d'Agen en suite d'un jugement du 07 décembre 2018 (RG 16/1008) rendu par le Tribunal de grande instance de Cahors, suivant déclaration de saisine en date du 28 juin 2022
DEMANDEURS :
[Y] [R]
né le 21 Juillet 1958 à [Localité 7]
de nationalité Française
Profession : Architecte,
demeurant [Adresse 3]
Compagnie d'assurance MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS agissant poursuites et diligences de son représentant légal
domicilié en cette qualité audit siège
demeurant [Adresse 2]
Représentés par Me David CZAMANSKI de la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE, avocat au barreau de BORDEAUX
DEFENDEURS :
[W] [E]
né le 21 Avril 1950 à [Localité 10]
de nationalité Française,
demeurant [Adresse 8]
Représenté par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX
Assisté par Me BELOU Laurent, avocat au barreau de CAHORS
S.A. AXA FRANCE
demeurant [Adresse 4]
Représentée par Me Olivier CHAMBORD de la SELARL DGD AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
Assisté par Jean LOUIS OKI, avocat au barreau de BORDEAUX
S.C.P. LGA (EX PIMOUGUET LEURET DEVOS BOT) prise en son établissement sis [Adresse 1] à [Localité 6]
demeurant [Adresse 5]
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 janvier 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Paule POIREL, Président,
Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,
Madame Rémi FIGEROU, Conseiller,
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Clara DEBOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
* * *
FAITS ET PROCÉDURE :
Selon un marché de travaux du 7 juin 2012, Monsieur [W] [E] a confié à la SAS Europe Construct, avec le concours de M. [Y] [R], architecte, la réalisation de travaux d'aménagement d'une maison d'habitation située dans la commune de [Localité 9], dans le département du Lot. Plusieurs avenants ont été par la suite signés. Le maître d'ouvrage a réglé au total à la société Europe Construct une somme de 107 340 euros.
Le marché prévoyait en outre que le maitre de l'ouvrage réglerait à l'entreprise les matériaux nécessaires aux travaux, à prix coutant, si bien que M. [E] a également payé à la société Europe Construct à ce titre la somme de 337 754 euros. La société Europe Construct a abandonné le chantier en septembre 2013.
M. [E] a sollicité en référé une expertise judiciaire.M. [N] a été désigné à cet effet.
La société Europe Construct a été placée en redressement judiciaire le 27 avril 2015, puis en liquidation judiciaire, le 22 juin suivant, la SCP Pimouguet Leuret étant désigné en qualité de mandataire judiciaire.M. [E] a déclaré sa créance entre les mains du liquidateur judiciaire.
Les opérations d'expertise ont été étendues par ordonnance du 9 septembre 2015 à M. [R], architecte et à son assureur la MAF
Le rapport d'expertise a été déposé le 29 mars 2016. L'expert a conclu que les travaux étaient entachés de désordres affectant la charpente qui avait été mal dimensionnée ce qui a affecté la solidité de l'ouvrage. Il a ajouté que des désordres affectaient également les panneaux isolants et que ceux-ci étaient généralisés et rendaient l'ouvrage impropre à sa destination. L'expert judiciaire a également relevé des désordres affectant la couverture sans incidence sur le coût des travaux de reprise dans la mesure où il a considéré que l'ensemble charpente-couverture devait être refait. l'expert a enfin listé les travaux inachevés et a proposé de fixer une réception avec réserves au 12 septembre 2013.
Par actes des 25 et 26 octobre 2016, M. [E] a assigné l'architecte, M. [R], son assureur la MAF, le mandataire liquidateur de la société Europe Construct et son assureur de sa responsabilité décennale : la SA AXA France, devant le tribunal de grande instance de Cahors.
Par jugement du 7 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Cahors a constaté que la SAS Europe Construct avait abandonné le chantier sans raison le 12 septembre 2013, et a prononcé à cette date la réception judiciaire des travaux avec les réserves énumérées par l'expert judiciaire en page 7 de son rapport,
Le tribunal a encore jugé que la SAS Europe Construct et l'architecte M. [R] étaient solidairement responsables envers M. [E] des désordres affectant les travaux de restauration réalisés par ladite société sur l'ensemble immobilier lui appartenant et les a condamnés en conséquence in solidum à payer au maitre de l'ouvrage, outre les travaux de reprise des désordres, les factures non compensées et non justifiées, les préjudices de jouissance et moral de M. [E]. Le tribunal a également fixé la créance du maitre de l'ouvrage au passif de la liquidation judiciaire de la SAS Europe Construct conformément à sa décision.
Par ailleurs le tribunal a limité la garantie de la compagnie AXA aux frais de réfection de la charpente- couverture.Le 30 janvier 2019, M. [R] et son assureur, la MAF ont relevé appel total de ce jugement. Par arrêt du 7 décembre 2020, la cour d'appel d'Agen a confirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré M. [R] responsable in solidum de l'intégralité des désordres et a jugé que celui-ci n'était responsable qu'à hauteur de 50 % des désordres affectant la charpente, et a limité à la somme de 5605 euros le montant des sommes dues par lui.
Le maitre de l'ouvrage, M. [E] a formé un pourvoi à l'encontre de cet arrêt. Par arrêt du 15 juin 2022 la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Agen mais seulement en ce qu'il a limité la condamnation de M. [R] et de la MAF au profit de M. [E] au paiement de la somme de 5 605 euros et a renvoyés les parties sur ces points, devant la cour d'appel de Bordeaux.
Par déclaration en date du 28 juin 2022, M. [R] et la MAF ont saisi la cour d'appel de renvoi de Bordeaux.Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 23 septembre 2022, M. [R] et la MAF demandent à la cour de :
A titre principal,
- débouter l'intégralité des parties de leurs prétentions dirigées contre la MAF et M. [R],
A titre subsidiaire,
- condamner la compagnie AXA, es-qualité d'assureur de la société Europe Construct, à garantir et relever intégralement indemne la MAF et M. [R] des condamnations susceptibles d'être prononcées à leur encontre,
- fixer la créance de la MAF et de M. [R] correspondant au montant des condamnations prononcées à leur encontre au profit de M. [E], au passif de la liquidation judiciaire de la société Europe Construct,
En tout état de cause,
- déclarer opposable le montant de la franchise contractuelle prévue par la police d'assurance conclue entre la MAF et M. [R],
- condamner la partie qui succombera à verser à la MAF et à M. [R] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre dépens avec distraction au profit de la SCP Latournerie-Milon-Czamanski-Mazille par application de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 22 novembre 2022, M. [E] demande à la cour sur le fondement des articles 1147 ancien, 1231-1 et suivants et 1792 du code civil de :
- déclarer recevables ses appels incidents,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cahors le 7 décembre 2018 en ce qu'il a :
- jugé que M. [R], architecte DPLG, était en charge d'une mission complète de maîtrise d''uvre,
- jugé que M. [R] a engagé sa responsabilité à l'égard de M. [E] et par voie de conséquence la garantie de son assureur la MAF,
- condamné M. [R] in solidum avec son assureur la MAF à lui payer la somme de 178 155,72 euros TTC au titre des paiements non compensés et des factures non justifiées,
- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a condamné en conséquence M. [R] in solidum avec son assureur la MAF à lui payer les sommes suivantes :
- 5 605 euros au titre de la reprise de la charpente,
- 106 996 euros au titre de la réfection des panneaux en sous-toiture,
- 22 500 euros au titre de la mise en place d'un chaînage béton armé en tête des murs,
- 7 080 euros au titre des malfaçons sur encadrements béton ou pierres des huisseries,
- 16 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 25 000 euros au titre du préjudice moral,
En conséquence, statuant à nouveau,
- condamner M. [R], in solidum avec son assureur la MAF à payer à M. [E] les sommes suivantes :
- 139 403,43 euros au titre de la reprise de la charpente et de la réfection des panneaux sous-toiture,
- 96 212 euros au titre des travaux de maçonnerie,
- 20 000 euros au titre du préjudice de jouissance,
- 50 000 euros au titre du préjudice moral,
- débouter de l'ensemble de ses demandes M. [R] et son assureur la MAF,
- débouter AXA France Iard de ses demandes, fins et prétentions dirigées à son encontre,
En tout état de cause,
- condamner in solidum M. [R] et la MAF au paiement de la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum M. [R] et la MAF aux entiers dépens de l'instance comprenant le coût des opérations d'expertise ainsi que les dépens de la procédure de référé.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2022, la SA AXA France Iard demande à la cour de :
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Cahors en ce qu'il a retenu sa garantie à hauteur de 112 601 euros au titre de l'indemnisation des panneaux isolants et l'a condamnée au paiement d'un tiers de la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,
- confirmer le jugement pour le surplus,
à titre principal,
- juger que la responsabilité de M. [R] est exclusive en matière d'isolation thermique,
à titre subsidiaire,
- juger qu'elle pourra être amenée à garantir au maximum 50 % des sommes mises à la charge de M. [R] au titre des malfaçons affectant les travaux d'isolation thermique,
en tout état de cause,
- juger que M. [R] assumait une mission de maîtrise d''uvre complète,
- juger que le contrat souscrit le 14 mars 2012 par la SAS Europe Construct ne comportait pas de garantie des travaux de charpente,
- déclarer opposable le montant de la franchise contractuelle prévue par la police d'assurance conclue entre la société Europe Construct et elle,
- débouter M. [R] et la MAF de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions dirigées contre elle,
- condamner la ou les parties succombantes à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La SCP LGA (anciennement Pimouguet Leuret Devos Bot) n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 janvier 2023.
MOTIFS
Sur la portée de la cassation
Conformément aux dispositions de l'article 624 du code de procédure civile, la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce.
Elle s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
La cassation annule intégralement le chef de dispositif qu'elle atteint quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation et la cour de renvoi n'est pas liée par les motifs de l'arrêt cassé, étant tenue d'examiner tous les moyens soulevés devant elle.
Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article 625 que sur les points qu'elle atteint la décision replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant l'arrêt cassé.
La cour de renvoi est ainsi saisie par l'acte d'appel initial, dans les limites du dispositif de l'arrêt de cassation.
En l'espèce la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Agen mais seulement en ce qu'il a limité la condamnation de M. [R] et de la MAF au profit de M. [E] au paiement de la somme de 5 605 euros et a renvoyés les parties sur ces points, devant la cour d'appel de Bordeaux.
La troisième chambre civile de la cour de cassation a reproché à la cour d'appel d'Agen d'avoir limité la responsabilité de l'architecte au motif que la mission de celui-ci aurait été en l'espèce limitée, sans analyser les éléments de preuve du maitre de l'ouvrage pour justifier de l'extension de ses missions à la direction de l'exécution des travaux et au contrôle de la facturation de l'entreprise. Dès lors, la cour d'appel de renvoi est saisie par le dispositif de l'arrêt de cassation de ces seules dispositions cassées.
Sur la responsabilité éventuelle de l'architecte
Le tribunal a considéré, en contemplation du rapport d'expertise judiciaire que M. [R] avait assuré dans les faits la direction du chantier alors qu'il avait été présent et rémunéré aux 32 réunions de chantier, ce qui impliquait le contrôle et la bonne exécution des travaux, et qu'il avait également suivi la facturation de la main d''uvre et des fournitures.
M. [R] et son assureur considèrent que l'architecte n'a aucunement été investi d'une mission complète de maitrise d''uvre, alors que le contrat d'architecte signé avec le maitre de l'ouvrage avait limité sa mission à la réalisation des relevés, de l'état des lieux, de l'avant-projet et à la demande de permis de construire pour la rémunération limitée de 1500 euros. Postérieurement si le maitre de l'ouvrage avait demandé à l'architecte de bien vouloir l'assister lors des réunions de chantiers, moyennant une rémunération forfaitaire unitaire de 240 euros HT, et non lors de la passation des marchés, il ne s'agissait nullement d'une mission de direction des travaux et encore moins d'une mission complète de maitrise d''uvre, ce qui l'aurait conduit en ce cas à établir des factures d'honoraires bien supérieures et conformes aux usages en la matière.
M. [E] sollicite pour sa part la confirmation du jugement lequel a bien relevé que la mission de l'architecte, limitée dans un premier temps avait par la suite évolué vers une mission complète de maitrise d''uvre puisqu'à l'occasion des réunions de chantier, M. [R] dirigeait bien le chantier.
La SA Axa France Iard considère que l'architecte a assuré la direction des aspects techniques du chantier, par un suivi continu de celui-ci et en donnant des ordres d'exécution au constructeur, et en assurant par ailleurs l'aspect financier des opérations. Il est responsable des désordres alors qu'il a défini le dimensionnement des pannes tout en affirmant qu'il n'aurait pas disposé des compétences techniques en la matière.
Il n'est pas contesté que M. [R] a reçu de M. [E], dans un premier temps, et dans le cadre d'un contrat écrit une mission limitée au relevé sur place et la réalisation de l'état des lieux, aux esquisses, à l'avant-projet comportant le plan, la coupe de principe, les façades, et à la demande de permis de construire (cf : pièce n° 17 de M. [E] : contrat d'architecte du 12 mai 2011)
Toutefois, postérieurement à la signature de ce contrat le maitre de l'ouvrage a demandé à l'architecte de l'assister à l'occasion des réunions de chantier.
Or, pour cette nouvelle mission aucun contrat n'a été signé.
Toutefois, le périmètre d'intervention de M. [R] peut être délimité à la lecture des comptes rendus de chantier qu'il a lui-même établis tout le temps de l'exécution des travaux entre le 8 décembre 2011 et le 3 octobre 2013.
Contrairement aux affirmations de l'expert judiciaire qui a conclu que la mission de l'architecte aurait été limitée, la lecture des 32 comptes rendus de chantier, établis par M. [R] lui-même permet de constater que l'ensemble des tâches qui lui avaient été confiées lui conféré une mission complète de maitrise d''uvre, dont par exemple la fixation du calendrier des travaux, le suivi de l'avancement des travaux, la fixation de l'ensemble des réunions de chantier avec la désignation des parties devant être présentes (visite n°2 ), le récapitulatif des factures de main d''uvre, le récapitulatif des fournitures payées par avances ou sur factures, le récapitulatif des factures de fournisseurs avec ses observations, la liste des travaux à achever et à refaire ( pièces n° 3 de M. [E]), la fixation de la date de réception des travaux (visite n° 30), la demande de justificatif de l'assurance décennale du constructeur, la demande des contrats de travail et du nombre de salariés du constructeur sur le chantier, la demande des caractéristiques techniques des matériaux mis en 'uvre (visite n°31), des directives dans l'exécution des travaux (par exemple : « faire tous les faitages et arêtiers en tuiles maçonnées au mortier hydrofugé ») ( visite n°32) de la vérification des caissons isolants autoporteurs (visite n°15).
Les échanges de courriels entre l'architecte et le maitre de l'ouvrage ou la société Europe Construct, permettent également de constater que la mission de M. [R] était bien investi d'une mission complète, et notamment dans la conception de la charpente. Ainsi l'architecte a bien pris l'initiative de la conception de celle-ci dans le courriel qu'il a adressé au constructeur le 20 septembre 2012 : « Je prends l'option d'avoir des caissons isolants autoporteurs. Donner une idée du devis pour ces fermes » (pièce n° 3 de M. [E])
En conséquence, les différentes tâches qui ont été confiées à M. [R] et qui ne s'inscrivaient pas dans le cadre du seul contrat d'architecte écrit signé avec M. [E] le 12 mai 2011, permettent d'affirmer que ledit architecte a assuré une mission complète de maitrise d''uvre en établissant les plans, en faisant des choix ou en donnant son avis sur la conception des ouvrages, en assurant le contrôle des travaux dans leur consistance et dans le temps, en vérifiant la qualité du travail réalisé, ainsi que les factures des fournisseurs ou du constructeur dont le paiement était demandé au maitre de l'ouvrage.
Il importe peu que l'architecte n'ait pas établit un contrat écrit alors que le périmètre de son intervention peut être précisément délimité par ses comptes rendus de chantier, ou ses correspondances. Il est également sans incidence que les honoraires qu'il a sollicité soient sans commune mesure avec la mission réelle qu'il a acceptée, alors que l'absence d'un contrat écrit ou d'une rémunération sans proportion avec le travail effectivement réalisé, ne peut faire échapper le maitre d''uvre à la responsabilité qui découle de son travail effectif de conception, de contrôle ou de conseil.
En l'espèce, nonobstant la présence constante de M. [R] sur le chantier, malgré ses choix ses conseils, ou encore la vérification des travaux exécutés, l'architecte a laissé réaliser des travaux atteints de graves malfaçons constituées par le mauvais dimensionnement de la charpente bois, ce qui affecte la solidité de l'ouvrage, la déformation généralisée des panneaux isolants qui rend l'immeuble impropre à sa destination, la mauvaise réalisation des faîtages, des chéneaux intégrés et des pénétrations continues (cf : rapport d'expertise judiciaire page 21 et 22).
Notamment il a conçu les plans de la charpente alors qu'il est démontré que celle-ci est mal dimensionnée. Il a en outre laissé mettre en 'uvre par l'entreprise des panneaux isolants dit panneaux sandwich dont l'origine ou la fiche technique étaient inconnus et qui sont affectés d'une flèche importante avec des affleurements le long des rives longitudinales. Sa responsabilité est évidente, contrairement à ce que l'expert judiciaire a estimé en page 13 de son rapport, car après avoir demandé en vain à la société Europe Construct les caractéristiques techniques de ces panneaux, il ne s'est pas opposé à leur pose ( Comptes rendus si N° 13, 14, 15, 16, 18, 19 et 20). Le seul fait d'avoir demandé les caractéristiques techniques de ces panneaux ne suffit pas à exonérer l'architecte de sa responsabilité alors qu'il lui appartenait au contraire d'obtenir une réponse technique fiable de la part de l'entreprise de construction.
En conséquence, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cahors le 7 décembre 2018 doit être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'architecte in solidum avec celle de l'entreprise de construction, l'architecte ayant par ses manquements indivisiblement participé à la réalisation de l'entier dommage.
Sur les responsabilités respectives de M. [R] et la société Europe Construct
Le tribunal a considéré que dans les rapports entre la société Europe Construct et l'architecte il y avait lieu de procéder à un partage de responsabilité à égalité.
M. [R] et la MAF demandent à titre subsidiaire que la compagnie AXA, assureur de la société Europe Construct soit condamnée à les relever indemne des condamnations prononcées contre eux alors que pour les charpentes l'architecte n'avait fourni des plans que pour donner une idée au constructeur lequel était seul en charge des plans techniques de celles-ci, et que pour les panneaux isolants il n'a pas assisté à la fabrication des panneaux litigieux, et avait bien demandé à la société Europ Consult de lui fournir les caractéristiques techniques de ces ouvrages.
M. [E] sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné in solidum le constructeur et l'architecte.
La SA AXA France IARD demande que la responsabilité de l'architecte soit jugée exclusive en matière d'isolation thermique, et à titre subsidiaire, elle demande à garantir au maximum à hauteur de 50 % les sommes mises à la charge de M. [R] au titre des malfaçons affectant les travaux d'isolation thermique.
***
L'architecte qui a fourni les plans de la charpente et les sections des pièces de bois la constituant ne peut se réfugier sur son incompétence en la matière pour échapper à sa responsabilité. Bien au contraire en agissant ainsi il a engagé celle-ci alors que l'expert judiciaire a démontré dans son rapport que ces plans ont entrainé un mauvais dimensionnement de la charpente, source des désordres.De son côté la société Europe Construct se devait de vérifier ces plans et d'émettre toute observation si elle ne constatait pas que ces plans d'exécution étaient conformes aux normes de la construction.
Pour les désordres liés aux panneaux isolants, il appartenait à l'architecte d'obtenir du constructeur les caractéristiques techniques des panneaux isolants qu'il avait sollicitées, alors que dans un premier temps c'est lui qui avait choisi de mettre en 'uvre des caissons isolants autoporteurs.
Pour sa part la société Europe Construct a mis en 'uvre les panneaux isolants sans révéler leur origine alors que les désordres constitués par leurs déformations importantes sont apparus très rapidement dans l'année suivant leur mise en 'uvre (cf : rapport d'expertise page 12). Elle a nécessairement commis une faute en mettant en place un matériau qui n'était de fait pas apte à remplir la fonction qui lui était assignée.Sous le bénéfice de ces observations, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que dans leurs rapports entre eux, chacune des parties conserverait 50 % du coût des travaux de reprise.
Sur les demandes de M. [E]
Le tribunal est entré en voie de condamnation in solidum à l'encontre de la société Europe Construct et de l'architecte au titre des paiements non compensés et des factures non justifiées, au titre des travaux de reprise de la charpente, des panneaux sous-toiture, de la mise en place d'un chaînage béton armé en tête des murs, de la reprise des encadrements en béton ou en pierres des huisseries, du préjudice de jouissance du maitre de l'ouvrage, du préjudice moral du maitre de l'ouvrage.
En outre le tribunal a fixé la créance de M. [E] au passif de la société Europe Construct aux montants de ces sommes outre celle qu'il a fixée au titre des frais non compris dans les dépens.
M. [R] et la Maf considèrent que seule l'entreprise de construction peut être condamnée au titre des paiements non compensés et des factures non justifiées, alors que l'architecte n'a pas choisi le constructeur, n'a pas assuré le suivi des factures, et n'a commis aucune faute à l'occasion des règlements entrepris par M. [E] à la société Europe Construct. En outre l'architecte ne peut davantage être condamné au titre d'un préjudice moral ou de jouissance du maitre de l'ouvrage alors qu'il n'est pour rien dans l'abandon du chantier par la société Europe Construct. Enfin, l'architecte ne saurait être condamné au titre des travaux de reprise constitués par la mise en place d'un chaînage en béton armé en tête des murs ou la reprise des encadrements, travaux non reconnus par l'expert judiciaire.
M. [E] demande à la cour de renvoi d'actualiser le coût des travaux de reprise et d'évaluer ceux-ci sur la base du rapport amiable de M. [V]. Il sollicite également une augmentation de ses préjudices moraux et de jouissance.
La société AXA France IARD demande pour sa part que dans la mesure où la pleine responsabilité de M. [R] ne serait pas retenue que soit ordonné un partage de responsabilité entre le constructeur et l'architecte.
***
Sur les comptes entre le maitre de l'ouvrage et la société Europe Construct
Au jour de l'arrêt du chantier, il résulte du rapport d'expertise que le maitre de l'ouvrage avait versé à la société Europe Construct des sommes qui ne correspondaient pas à des travaux réalisés pour un total de 178 155, 72 euros TTC.
Il résulte des comptes rendus de chantier que M. [R] vérifiait l'avancée des travaux, leur quantité et leur qualité et contrôlait leur facturation, et invitait alors M. [E] à procéder à leurs règlements. Il entrait dans sa mission de contrôler les bons de livraison et les factures (cf : comptes rendus de visite n° 3, n° 4 , n° 5). Il émettait toutes les observation utiles sur les différentes factures ( cf : comptes rendus de visite n° 6, n° 7, n°14, n°15, n°18, n° 19, n° 20, n° 21, n° 22, n° 23, n° 24, n° 25, n° 26, n°27, n° 28, n° 29, n° 30, n° 31, n°32'.)
M. [R] a en outre dressé les récapitulatifs du marché de travaux et de ses avenants, les avoirs émis et les facturations pour Europe Construct, et a facturé une telle prestation le 26 juin 2015 (cf : note d'honoraires n°6 , pièce n° 18 de M. [E]) Conformément à une telle mission il tenait le compte des sommes dues par le maitre de l'ouvrage à la société Europe Construct et indiquait à M. [E] ce qu'il devait régler (cf : courriel de M. [R] à M. [E] le 23 juillet 2012)
Or au jour où le constructeur a abandonné le chantier, il n'est pas contesté que le maitre de l'ouvrage avait trop payé entre les mains du constructeur, ce qui n'aurait pas dû échapper à la vigilance de l'architecte qui avait accepté la mission de dresser le compte entre les parties.
En conséquence, M. [R] a failli à sa mission et doit supporter les conséquences de sa faute de négligence qui a entrainé pour le maitre de l'ouvrage un préjudice qui a été précisément démontré par l'expert judiciaire, et qui correspond au montant des travaux acquittés sans contrepartie. En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné l'architecte et son assureur à payer à M. [E] la somme de 178 155, 72 euros TTC à ce titre.
Sur le montant des travaux de reprise, sur les préjudices annexes du maitre de l'ouvrage, et sur la garantie de la SA AXA France IARD
Aux termes de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
En l'espèce, la cour de cassation a limité la cassation de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Agen le 7 décembre 2020 à la condamnation de l'architecte et son assureur au profit de M. [E] à la somme de 5605 euros soit 50 % du coût des travaux de reprise des seuls désordres affectant la charpente.
La présente cour a répondu en déterminant la responsabilité de l'architecte en analysant les éléments de preuve produits par le maitre de l'ouvrage, et par les autres parties, alors que l'arrêt rendu par la cour de cassation ne remet pas en discussion la réception judiciaire de l'ouvrage, ni les préjudices du maitre de l'ouvrage, ni davantage la garantie due par la société AXA France Iard, tels qu'appréciés par le tribunal de grande instance ni Cahors, et confirmés par la cour d'appel d'Agen.
En conséquence, il convient de confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cahors dans les seules limites de la saisine de la cour.
Sur les dépens et sur les frais non compris dans les dépens
M. [R] et son assureur qui succombent seront condamnés in solidum à verser à M. [E] d'une part et à la SA AXA IARD d'autre part, la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
Statuant sur renvoi de cassation, dans les limites de sa saisine :
Confirme le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Cahors le 7 décembre 2018, y ajoutant :
Condamne in solidum M. [Y] [R] et la Mutuelle des Architectes Français à verser à M. [W] [E] d'une part et à la SA AXA IARD d'autre part, la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne in solidum M. [Y] [R] et la Mutuelle des Architectes Français aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise et d'exécution.
La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Clara DEBOT, greffier placé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE