COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 2 MARS 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 21/01923 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MBDX
URSSAF AQUITAINE
c/
S.A.R.L. [6]
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Greffier en Chef,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 mars 2021 (R.G. n°20/00559) par le Pôle social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 01 avril 2021.
APPELANTE :
URSSAF AQUITAINE agissant en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 7]
représentée par Me Françoise PILLET de la SELARL COULAUD-PILLET, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A.R.L. [6] La SARL [6], immatriculée au RCS de BORDEAUX, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur [Y] [V] co-gérant, domicilié en cette qualité au siège venant aux droits de l'association [5] association régie par la loi du 1er juillet 1901 anciennement domiciliée au [Adresse 1] au [Localité 4] et immatriculée sous le n° SIREN : [N° SIREN/SIRET 3] suite à la cession de fonds de commerce à la société [6].
[Adresse 2]
représentée par Me Nadia HANTALI substituant Me François PETIT de la SELAS FPF AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 décembre 2022 en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente,
Madame Sophie Masson, conseillère,
Madame Sophie Lésineau, conseillère,
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Mme Sylvaine Déchamps,
Greffière du prononcé: Mme Evelyne Gombaud
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
L'association [5] a fait l'objet d'un contrôle par un inspecteur du recouvrement de l'Urssaf Aquitaine portant sur l'application de la législation sociale sur la période courant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017.
Le 4 février 2019, l'Urssaf a notifié une lettre d'observations à l'association [5] portant sur une observation pour l'avenir relative à l'assujettissement et à l'affiliation au régime général.
Le 28 février 2019, l'association [5] a formulé des remarques sur cette observation pour l'avenir ; observation maintenue par l'Urssaf le 22 mars 2019.
L'association [5] a saisi la commission de recours amiable de l'Urssaf aux fins de contestation de cette observation pour l'avenir.
Par décision du 18 décembre 2019 notifiée le 27 janvier 2020, la commission de recours amiable de l'Urssaf a confirmé cette observation pour l'avenir.
Le 3 avril 2020, la société [6], venant aux droits de l'association [5], a saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins d'annulation de la confirmation des observations et de contestation de la décision explicite de rejet de la commission de recours amiable de l'Urssaf.
Par jugement du 3 mars 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- déclaré le recours de la société [6], venant aux droits de l'association [5], recevable et fondé,
- dit que les personnes intervenant dans le cadre de la formation à la conduite sous le statut d'auto entrepreneur ne doivent pas relever du régime général de la sécurité sociale mais du régime des travailleurs non salariés,
- prononcé l'annulation de la décision de confirmation des observations prises par l'Urssaf Aquitaine,
- réformé la décision de la commission de recours amiable de l'Urssaf Aquitaine du 18 décembre 2019,
- débouté l'Urssaf Aquitaine de ses demandes,
- condamné l'Urssaf Aquitaine à payer à la société [6] une indemnité de procédure de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance.
Par déclaration du 1er avril 2021, l'Urssaf Aquitaine a relevé appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions, en date du 1er septembre 2022, l'Urssaf Aquitaine sollicite de la Cour qu'elle :
- infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
- déboute la société [6] de toutes ses demandes,
- valide l'observation pour l'avenir relative à l'assujettissement et à l'affiliation au régime général,
- condamne la société [6] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'Urssaf fait valoir que les trois conditions nécessaires pour qu'une personne soit assujettie au régime général des travailleurs salariés sont réunies au sein de la société. En effet, selon les constatations de l'inspecteur du recouvrement, la société fixe les jours d'interventions des auto-entrepreneurs ainsi que le volume d'heures dans l'exercice de leur activité; il existe un contrat verbal entre la société et les auto-entrepreneurs sur leurs conditions de travail et leur rémunérations ; les moyens matériels nécessaires à l'activité sont fournis par la société ; les auto-entrepreneurs n'ont pas de clientèle propre et perçoivent une rémunération formalisée par des factures de la part de la société qui encaisse le prix de la formation. Enfin la Direccte à travers un avis confirme l'assujettissement des moniteurs d'auto-école au régime général de la sécurité sociale du fait des conditions posées pour que ces derniers exercent en toute légalité leur activité.
Par ses dernières conclusions, enregistrées le 9 novembre 2022, la société [6] demande à la Cour de :
- confirmer le jugement déféré,
En tout état de cause,
- débouter l'Urssaf Aquitaine de l'intégralité de ses demandes,
- la condamner à lui verser une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens et frais éventuels d'exécution, en cause d'appel.
La société rappelle que les auto-entrepreneurs étant régulièrement immatriculés, ils bénéficient d'une présomption de non salariat que doit renverser la caisse ; que la caisse ne démontre nullement le lien de subordination entre les auto-entrepreneurs et la société; que les auto-entrepreneurs ont une réelle indépendance et liberté dans l'organisation de leur activité et ne sont soumis à aucun pouvoir de direction, de contrôle ou de sanction malgré la mise à disposition de moyens. La société fait enfin valoir que l'avis de la Direccte et l'instruction ministérielle citée par la caisse n'ont aucune valeur contraignante et lui sont inopposables; qu'ils sont au surplus contraires à certaines jurisprudences.
L'affaire a été fixée à l'audience du 7 décembre 2022 pour être plaidée.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
Selon les dispositions de l'article 8221-6 du code du travail, sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d' allocations familiales.
Sur le fondement de l'article L 311-2 du code de la sécurité sociale, sont obligatoirement affiliées au régime général de la sécurité sociale les personnes qui ont un statut d'auto-entrepreneur lorsqu'il est établi l'existence des trois conditions suivantes : un contrat de travail, une rémunération et un lien de subordination.
Pour renverser la présomption de non salariat, il appartient à l'Urssaf d'établir l'existence des trois conditions sus-visées.
Il est reconnu que le contrat peut être verbal, écrit exprès ou tacite et peu important la dénomination données par les parties.
Il doit être relevé que le montant et la qualification de la rémunération importe peu à partir du moment où il est établi qu'elle existe.
Le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Le travail au sein d'un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail.
En l'espèce, il est établi par les pièces communiquées au dossier :
- qu'il existe une entente entre la société et les formateurs auto-entrepreneurs sur les conditions de travail de ces derniers (contrat verbal) et une rémunération fixée d'un commun accord
- que les formateurs auto-entrepreneurs perçoivent une rémunération formalisée par des factures détaillées de la part de la société, cette dernière encaissant le prix de la formation.
Concernant le lien de subordination, l'Urssaf relève dans la lettre d'observation que le lien de subordination est établi en ce que les formateurs auto-entrepreneurs forment les clients de la société et ne supportent aucune charge liée à l'exercice de leur activité professionnelle puisque tous les moyens matériels nécessaires à cette activité sont fournis par la société, ce qui de fait prémunit les formateurs auto-entrepreneurs contre tout risque économique.
Cependant la société expose que cette organisation relève des dispositions légales inhérentes à leur secteur d'activité et non d'un lien de subordination entre l'auto-école et le formateur auto-entrepreneur.
En effet, du point de vue de la réglementation routière, le travailleur indépendant enseignant la conduite dans une auto-école :
- ne peut pas disposer de clientèle personnelle et doit limiter ses interventions aux élèves ayant passé un contrat de formation avec l'école de conduite
- doit dispenser son enseignement sur un véhicule appartenant ou loué par cette même école
- les cours théoriques doivent être dispensés dans les locaux de l'auto-école agréée.
L'auto-école doit s'assurer enfin de la conformité de l'enseignement dispensé par le travailleur indépendant au programme de formation sous risque de retrait ou de suspension de l'agrément préfectoral.
La Cour constate que l'Urssaf, en relevant les éléments sus-visés dans sa lettre d'observation, met en exergue la conformité de l'organisation entre la société et les formateurs à la réglementation routière mais ne démontre nullement que la première concrètement et dans le quotidien impose des directives aux seconds, détermine unilatéralement les conditions d'exécution du travail (période de travail, horaire, domaine d'intervention), dispose d'un pouvoir de sanction à leur encontre, permettant d'établir ainsi un lien de subordination entre la société et les formateurs auto-entrepreneurs.
L'instruction ministérielle du 6 mai 2017 et l'avis de la Direccte du 17 septembre 2012, au delà de leur absence de valeur contraignante envers la société, ne dispense pas l'Urssaf de démontrer in concreto l'existence d'un lien de subordination entre la société et les formateurs auto-entrepreneurs, démonstration non établie devant la Cour.
Au surplus, il ressort de la lecture des mails communiqués par la société que la détermination des périodes de travail, la rémunération et les domaines d'intervention des formateurs auto-entrepreneurs sont décidés d'un commun accord entre la société et les formateurs et qu'aucune situation d'exclusivité de clientèle ne peut lui être reprochée en ce que les formateurs disposent de la possibilité de contracter avec d'autres auto-écoles.
Il se déduit de l'ensemble que la présomption de non salariat qui s'attache au statut des auto entrepeneurs, au cas de l'espèce aux formateurs à la réglementation routière, n'est pas utilement combattue par l'Urssaf ; qu'elle ne peut dès lors pas être écartée.
Le jugement déféré sera confirmé dans ses dispositions qui annulent la décision de la commission de recours amiable de l'Urssaf en date du 18 décembre 2019 confirmant l'observation pour l'avenir formulée dans la lettre d'observations du 4 février 2019.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
En application de l'article 696 du code de procédure civile, l'Urssaf, partie succombante, sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel et en conséquence déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il est contraire à l'équité de laisser à la société la charge des frais non répétibles qu'elle a engagés. L'Urssaf devra lui payer la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
CONFIRME le jugement déféré dans ses dispositions soumises à la Cour
Y ajoutant
CONDAMNE l'Urssaf Aquitaine aux dépens d'appel ; en conséquence la DEBOUTE de la demande qu'elle a formée au titre des frais non répétibles
CONDAMNE l'Urssaf Aquitaine à payer à la SARL [6] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Signé par madame Marie-Paule Menu, présidente, et par madame Evelyne Gombaud, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
E. Gombaud MP. Menu