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01/03/2023 | FRANCE | N°19/05967

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 01 mars 2023, 19/05967


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 01 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/05967 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJ5B

















Société MBS FRANCE



c/



Madame [B] [M]

















Nature de la décision : AU FOND




















r>Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 octobre 2019 (R.G. n°F 17/00421) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 13 novembre 2019,





APPELANTE :

SARL MBS France,agissant en la personne de son représentant légal d...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 01 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/05967 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJ5B

Société MBS FRANCE

c/

Madame [B] [M]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 octobre 2019 (R.G. n°F 17/00421) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 13 novembre 2019,

APPELANTE :

SARL MBS France,agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 3]

N° SIRET : 511 370 066

représentée par Me Yann HERRERA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

Madame [B] [M]

née le 26 Janvier 1987 à [Localité 2] de nationalité Française Profession : Assistante administrative, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Marion LAVAUD, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [B] [M], née en 1987, a été engagée en qualité d'assistante de direction par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 12 février 2014 par la SARL MBS France.

Cette société, constituée le 31 mars 2009 par Messieurs [E] et [R], anciens VRP, le premier en étant le gérant, a pour activité la vente de produits chimiques du bâtiment.

Le contrat de travail prévoyait que Mme [M] a le statut de cadre niveau VII, échelon I de la convention collective du commerce de gros applicable à l'entreprise.

La rémunération convenue était composée d'un salaire fixe de 1.995 euros et d'une rémunération variable, fonction des résultats.

En 2015, à la suite du développement confié à M. [R] d'une machine de ventilation mécanique par insufflation, la société a changé de convention collective, pour adopter celle de la métallurgie.

Mme [M] a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 12 septembre 2016 puis déclarée inapte à son poste et à tous postes dans l'entreprise par le médecin du travail à la suite de deux visites des 18 novembre et 5 décembre 2016, après étude de poste réalisée le 15 novembre.

Par lettre recommandée adressée le12 décembre 2016, Mme [M] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 21 décembre 2016.

Elle a ensuite été licenciée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 22 décembre 2016 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

Le 3 janvier 2017, la société MBS France a adressé à Mme [M] un courrier lui demandant de ne pas tenir compte de la lettre recommandée du 22 décembre 2016.

Le 6 janvier 2017, les documents de fin de contrat ont été adressés à Mme [M].

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités ainsi que le paiement de la rémunération variable contractuelle et la remise des documents de fin de contrat rectifiés outre des dommages et intérêts en réparation du préjudice lié au défaut d'information relative à la convention collective applicable et pour manquement à l'obligation de sécurité, Mme [M] a saisi le 17 mars 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 15 octobre 2019, a :

- condamné la société MBS France à régler à Mme [M] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- dit le licenciement de Mme [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse et irrégulier,

- condamné la société MBS France à verser à Mme [M] les sommes de :

* 5.985 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 589,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 150 euros en réparation de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- ordonné la remise par la société MBS France à Mme [M] des documents de rupture rectifiés pour mise en conformité avec les termes du jugement,

- rejeté la demande d'astreinte formée par Mme [M] pour garantir l'effectivité de cette remise,

- débouté Mme [M] de ses demandes formées à titre de dommages et intérêts pour défaut d'information concernant la convention collective applicable et au titre d'un rappel de rémunération variable contractuelle,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour le paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité compensatrice de congés payés et de l'indemnité de licenciement dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire, soit 17.955 euros,

- condamné la société MBS France à payer à Mme [M] la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société MBS France aux dépens,

- rejeté toute autre demande, plus ample ou contraire aux dispositions du jugement,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire pour les dispositions du jugement qui n'en bénéficieraient pas de plein droit.

Par déclaration du 13 novembre 2019, la société MBS France a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 décembre 2020, la société MBS France demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de :

- débouter Mme [M] de sa demande indemnitaire au titre de l'obligation de sécurité,

- débouter Mme [M] de sa demande de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouter Mme [M] de sa demande d'établissement de bulletins de salaires,

- la condamner à lui verser la somme de 2.400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 28 avril 2021, Mme [M] demande à la cour de':

- confirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de Bordeaux du 15 octobre 2019 en ce qu'il a jugé que :

* la société MBS France avait manqué à son obligation de sécurité,

* son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* elle pouvait prétendre à une indemnité de préavis de trois mois,

* la société MBS devait lui remettre des documents de rupture rectifiés,

* la société MBS devait lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

En conséquence,

- débouter la société MBS France de l'ensemble de ses demandes mal fondées,

- réformer le jugement du 15 octobre 2019 pour le surplus,

A titre d'appel incident,

- condamner la société MBS France à lui payer les sommes suivantes :

* 6.300 euros au titre du paiement de la rémunération variable prévue au contrat de travail,

* 3.000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'irrégularité de la procédure de licenciement,

* 15.600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

- condamner la société MBS France à lui remettre les documents de fin de contrat tenant compte des condamnations prononcées, et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir,

Y ajoutant,

- condamner la société MBS France au paiement de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022.

Le 16 décembre 2022, Mme [M] a adressé de nouvelles écritures apportant uniquement une précision quant à l'actualisation de sa situation professionnelle.

A l'audience du 9 janvier 2023, en accord avec les parties, la clôture a été révoquée et reportée à ladite audience avant l'ouverture des débats, le conseil de la société étant autorisé à adresser une note en délibéré qu'il a envoyée le 12 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande en paiement d'un rappel de rémunération variable

Au visa des dispositions contractuelles relatives à sa rémunération variable, Mme [M] sollicite l'infirmation du jugement déféré qui l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 6.300 euros correspondant à la commission de 7% brut qu'elle aurait dû percevoir suite à l'obtention le 31 mars 2015 d'une aide à l'innovation de la part de la Banque Publique d'Investissement France (ci-après BPI France) d'un montant de 90.000 euros.

La société fait valoir qu'il s'agissait d'une avance récupérable et remboursable n'ouvrant donc pas droit à commission, ce que conteste la salariée.

***

Le contrat de travail prévoyait dans son article 6 une rémunération variable composée notamment de 7% brut sur les montants HT encaissés des bonifications, aides ou subventions obtenues.

Si cette clause n'exclut pas explicitement des avances, elle ne peut être analysée que comme ouvrant droit à commission sur des sommes acquises à la société mais non sur des prêts ou avances qui seraient consentis à celle-ci.

Or, il résulte du contrat conclu entre la BPI France et la société MBS France (pièce 34) que l'aide consentie était 'une avance Innovation' récupérable, quels que soient la réussite ou l'échec du développement du programme d'innovation mené par l'entreprise, le contrat prévoyant expressément les modalités de remboursement de l'avance accordée à hauteur de 90.000 euros ainsi qu'un échéancier de ce remboursement sous forme de 8 versements trimestriels de 4.500 euros à compter de la fin du 3ème trimestre 2018 puis de 8 versements trimestriels de 6.750 euros à compter du 30/09/2020, le dernier terme étant fixé au 30/06/2022 et la société justifie d'une large partie de ces remboursements s'inscrivant sous la même référence du contrat souscrit avec la BPI France (pièces 35, 36, 37 et 56-1 société).

Par conséquent, Mme [M] sera déboutée de sa demande en paiement, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat

Mme [M] soutient que l'inaptitude à son poste de travail est consécutive au surmenage qu'elle a subi et invoque le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à l'origine de son licenciement.

- Sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité

Mme [M] sollicite la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a reconnu l'existence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité mais souhaite voir porter la condamnation de la société à ce titre à la somme de 3.000 euros.

Elle invoque les dispositions résultant des articles L. 4121-1 et -2 du code du travail ainsi que celles des articles R 4121-4, R.4141-3-1 relatives au document unique d'évaluation des risques et des modalités d'information des salariés quant aux risques encourus.

Au visa de ces textes, elle fait ainsi valoir :

- n'avoir jamais eu connaissance du document unique d'évaluation des risques alors qu'elle aurait pu ainsi être alertée sur les signes de sa souffrance mentale ;

- les sollicitations excessives de son employeur en dehors de son temps de travail, à toute heure et y compris pendant les week-end ou ses arrêts de travail pour maladie ;

- la surcharge de travail qu'elle a subie, les tâches supplémentaires qui lui ont été confiées dès juillet 2014 étant incompatibles avec son horaire contractuel de 35 heures par semaine ;

- elle conteste à ce sujet les allégations de la société qui ne démontrerait pas que les historiques de navigation sur internet à des fins personnelles pendant les horaires de travail émanent de son poste de travail et peuvent lui être imputées ;

- que la consultation de sites a priori étrangers à l'activité de la société s'expliquent par le fait qu'elle se chargeait de l'achat de cadeaux pour les clients ;

- qu'elle s'envoyait des dossiers personnels sur sa boîte personnelle afin de pouvoir travailler à son domicile ;

- que contrairement à ce que soutient la société, elle s'était plainte de sa charge de travail ;

- que l'employeur a tardé à mettre en oeuvre la visite périodique auprès du médecin du travail ;

- que, compte tenu de la situation et sur les conseils de l'inspection du travail, elle a sollicité une rupture conventionnelle ;

- la dégradation de son état de santé attestée par les praticiens de santé qu'elle a consultés et qui la conduit à être placée en arrêt de travail pour syndrome d'épuisement à compter du 12 septembre 2016, arrêt prolongé ensuite pour état dépressif.

La société conclut à l'infirmation du jugement déféré, estimant qu'elle ne peut être tenue responsable de la situation invoquée par Mme [M], en faisant valoir notamment les éléments suivants :

- Mme [M], cadre, organisait ses horaires à sa guise sans en rendre compte ;

- aucun élément ne permet d'établir une surcharge de travail, la liste de tâches produite par la salariée n'en étant pas la démonstration pas plus que le courriel où elle indique :

« cela fait beaucoup » ;

- les missions complexes étaient en réalité accomplies par l'avocat de la société, le conseil ayant retenu à tort 68 tâches hebdomadaires au lieu des 41 incombant réellement à la salariée ;

- les quelques plannings produits sont inopérants de même que les échanges téléphoniques invoqués , certains de ses appels sont très antérieurs à l'arrêt de travail ou ont été faits à l'initiative de la salariée ;

- selon la société, les prises de contact du gérant, M. [E], avec une salariée, cadre ayant un rôle central dans l'entreprise, ont été ponctuels et ne présentent pas de caractère excessif ;

- lorsque Mme [M] a été placée en arrêt de travail, le dirigeant a demandé qu'elle ne soit pas dérangée et l'a assurée que le plus important était sa santé ;

- Mme [M] consultait régulièrement des sites internet pour des motifs personnels, ce qui démontre sa liberté dans l'organisation de son travail, d'autant que le gérant était constamment en déplacement, ce qui explique qu'elle ne se soit jamais plaint de la situation ;

- le temps passé au travail à des activités personnelles peut expliquer qu'elle prétende avoir travaillé le soir ou durant les week-end, ce qu'ignorait l'employeur ;

- les attestations des proches de Mme [M], tel son prétendu compagnon, quant aux horaires de travail ne sont pas probantes ou telle sa mère qui, si elle fait état d'appels téléphoniques le 18 août 2016 ne donne ni date [sic] ni la durée et il n'est pas certain que ses appels émanaient de M. [E] ;

- les relevés téléphoniques produits démontrent que la plupart des appels passés par M. [E] à la salariée l'étaient durant les horaires travaillés, en nombre raisonnable et d'une brève durée ;

- l'attestation de M. [V] dément qu'une autre personne ait eu accès à l'ordinateur de Mme [M] et il n'était pas demandé à celle-ci d'utiliser une adresse personnelle pour ses échanges professionnels ;

- Mme [M] a soigneusement préparé son départ de la société.

***

L'employeur est tenu d'une obligation de préservation de la santé des salariés et doit mettre en oeuvre les mesures nécessaires à leur protection et notamment à la prévention des risques psycho-sociaux.

*

La société justifie de l'élaboration du document d'évaluation ; cependant, le médecin du travail a relevé, lors de l'étude de poste de Mme [M], que les risques psycho-sociaux n'étaient pas identifiés.

Elle justifie du respect de ses obligations en matière de visites auprès du service de médecine du travail, celle d'embauche ayant eu lieu le 4 mars 2014 - sur convocation de la salariée du 13 février, soit le lendemain de son engagement -, la visite périodique ayant ensuite eu lieu le 2 mars 2016.

*

Les tâches incombant à Mme [M] telle que décrites dans la liste de trois pages entières figurant à son contrat de travail, se déclinent ainsi :

- assurer l'accueil téléphonique et physique des visiteurs,

- gérer le courrier, le classement et l'archivage des dossiers,

- rédiger des notes, rapports, courriers, mettre en forme des présentations,

- organiser les activités du responsable de service,

- préparer et organiser les réunions (ordre du jour, dossiers et matériel nécessaire, comptes rendus,

- calcul des statistiques (produits, clients, CA...),

- gestion des frais commerciaux,

- planification des rapports vers les organes décisionnels,

- assister la gestion des projets de service (tableaux de bord, respect des délais ...),

- gérer les stocks du service (commandes, inventaire),

- calcul des salaires,

- suivi des règlements, des encaissements et des impayés en relation avec les avocats et huissiers) et de la facturation des clients,

- vérification des rapports d'activité des commerciaux,

- envoi des devis et établissement des documents demandés par les commerciaux,

- gestion et contrôle des dépenses,

- préparation, suivi et représentation pour les dossiers d'aides aux entreprises et les concours.

Bien que la société conteste l'existence d'une surcharge de travail, le planning hebdomadaire des missions incombant à la salariée dans la semaine du 1er mars 2016, envoyé par celle-ci à son employeur, sur trois pages également, et même si l'on retient qu'elle n'effectuait pas seule toutes ces tâches, est révélateur de missions nombreuses et très importantes incombant à la salariée, qui ne pouvaient s'inscrire dans l'horaire de travail de Mme [M], contractualisé sur la base de 35 heures hebdomadaires du lundi au vendredi de 9h à 12h30 et de 14h à 17h30, peu important que celle-ci, cadre, ait bénéficié d'une large autonomie dans l'organisation de ses tâches.

Le gérant de la société écrivait d'ailleurs le 26 septembre 2016 que Mme [M] occupait un poste central, était son bras droit et que tout passait par elle pour lui expliquer les perturbations causées par son arrêt de travail.

Par ailleurs, ainsi que l'a relevé les jugement déféré, Mme [M] verse aux débats plusieurs documents témoignant que le gérant de la société l'a contactée à de nombreuses reprises soit à des heures indues, soit durant des journées de congés, voire durant ses arrêts de travail pour maladie :

- l'envoi d'instructions un dimanche (14 septembre 2014) ;

- l'envoi de documents par Mme [M] à M. [E] depuis son adresse personnelle, tel le 4 mai 2015 à 18h54 (billet de train), le 4 août 2015 à 22h32, le 8 janvier 2016 à 1h35 (documents en vue de la réunion de commerciaux le lendemain), le 25 mai 2016 à 1h11 (un flyer) auquel M. [E] répond à 7h56 ;

- le 19 janvier 2016 où l'échange de sms entre la salariée et M. [E] débute à 21h46 pour se terminer à 23h46 ;

- de nombreux appels téléphoniques émanant de M. [E] pendant les heures de travai de Mme [M] mais aussi en dehors de ses horaires de travail : à titre d'exemples, en 2016, le 5 avril à 19h03, le 15 avril à 8h39, le 18 avril 2016 à 18h16, le 27 avril à 19h10 puis à 19h21, le 2 mai à 18h57, le 10 mai à 18h01, le 13 mai à 18h18, le 17 mai à 13h22 puis 13h29, le 31 mai à 13h47, le 1er juin à 19h22, le 2 juin à 18h37, le 6 juin à 13h17, 13h25 et 13h55, le 8 juin à 13h18, le 20 juin à 12h38, 13h45 et 13h48 puis à 18h20, le 21 juin à 8h49 et 17h59, le 23 juin à 13h12 et 13h23, le 27 juin à 19h14, le 28 juin à 18h08, le 4 juillet à 17h43, le 20 juillet à 8h32 et 12h41, le 21 juillet à 17h45, le 28 juillet à 8h18, le 26 juillet à 18h58, le 4 août à 13h13, le 11 août à 18h11, le 23 août à 13h38, le 8 septembre à 18h44,

- le 10 mars 2016 où, alors qu'elle est hospitalisée, M. [E] souhaite faire un point comptable avec elle ;

- les 17, 23 et 31 août 2016 (congés) ;

- les appels ont continué après que Mme [M] a été placée en arrêt de travail pour maladie le 12 septembre : ainsi, le 13, M. [E] lui a téléphoné à trois reprises, à 9h49 puis 16h53 et enfin à 17h31, le 14 septembre à deux reprises dans la matinée, les 15, 16, 21, 22 et 26 septembre ;

- le 15 septembre 2016 (arrêt de travail pour maladie) où M. [E] lui demande de le rappeler le lendemain après qu'elle lui a indiqué ne pas pouvoir répondre et lui a demandé de lui envoyer des sms en cas d'urgence ;

- les jours suivants, 20, 21, 22, 26 septembre où elle est sollicitée à plusieurs reprises par '[N]' [M. [E]] qui lui demande plusieurs fois de l'appeler et/ou de venir dans l'entreprise et ce, même si, par la suite, M. [E] va assurer la salariée qu'il ne va plus la déranger et qu'il a donné des instructions aux autres salariés à ce sujet tout en lui soulignant que son arrêt pénalise l'entreprise, ajoutant qu'on l'a croisée en moto ce week-end pour expliquer qu'il ne pensait pas que son état de fatigue était si élevé.

Ces documents confortent la sincérité du témoignage du compagnon de Mme [M] sur les nombreux appels tardifs reçus par celle-ci, ses affirmations quant à l'horaire de débauche étant également étayées par l'étude de poste réalisée par le médecin du travail qui a relevé que la remplaçante de Mme [M] était sur son lieu de travail à 18h30.

Ils corroborent également les attestations de la belle-mère de Mme [M] quant à des appels téléphoniques durant des réunions familiales, citant notamment la journée du 18 août 2016 correspondant à des congés de la salariée, ce dont témoigne aussi la mère de celle-ci qui évoque des appels reçus le jour des obsèques des grands-parents de Mme [M].

Au regard de ces éléments, il sera retenu que les missions incombant à la salariée excédaient les limites de son temps de travail mais aussi que le fait que M. [E] ait été 'constamment en déplacement' ne saurait justifier les intrusions de ce dernier dans la vie privée de la salariée et les sollicitations de celle-ci en dehors des jours et horaires de travail et, a fortiori, après que Mme [M] a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Cette attitude ne peut pas plus être excusée par le fait que Mme [M] ait pu consacrer une partie de son temps de travail à des activités personnelles, dès lors qu'ainsi que le relève le jugement déféré, la durée de ces connexions extra-professionnelles ne présente pas de caractère excessif, spécialement pour l'année 2016, où l'on relève, dans les pièces produites par la société, trois consultations (les 26, 28 et 29 juillet représentant moins de 20 minutes au total).

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont considéré que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et la violation du droit au repos de la salariée étaient avérés.

L'arrêt de travail de Mme [M] prescrit le 12 septembre 2016 est motivé par un syndrome d'épuisement.

Cet arrêt prolongé par la suite sera suivi de la déclaration d'inaptitude de la salariée.

Ainsi que l'a relevé le jugement déféré, par des motifs pertinents que la cour adopte, c'est à tort que la société impute à un état antérieur l'origine exclusive de la dégradation de l'état de santé de Mme [M].

En considération des manquements de l'employeur et des conséquences de ceux-ci, c'est à juste titre qu'il a été alloué à Mme [M] la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

- Sur le licenciement

Sur la cause du licenciement

Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsque cette inaptitude est consécutive même partiellement à un manquement préalable de l'employeur.

Il a été retenu ci-avant que l'arrêt de travail pour maladie, à l'issue duquel Mme [M] a été déclarée inapte à son poste, trouvait son origine dans l'état d'épuisement de la salariée, qui est attesté par le rapport de la psychologue du travail adressé au service de médecine du travail le 3 novembre 2016, et dont témoignent aussi les déclarations faites par les proches de Mme [M] qui évoquent notamment l'état de grande fatigue dans lequel elle a fini par se trouver ainsi que son extrême irritabilité.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a considéré que l'inaptitude de Mme [M] trouvait au moins partiellement pour origine des conditions de travail dégradées imputables à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et a en conséquence jugé que le licenciement de Mme [M] était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes pécuniaires au titre de la rupture

Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, les demandes de Mme [M] au titre des indemnités de rupture sont fondées dans leur principe.

Mme [M] critique la décision déférée en soulignant que son salaire de référence doit intégrer sa rémunération variable soit, selon ses écritures, une somme mensuelle de 2.932 euros et une indemnité compensatrice de préavis correspondant à trois mois en vertu des dispositions conventionnelles et s'élevant à 8.796 euros.

*

La salariée ne versant aux débats ses bulletins de paie que pour les mois de janvier et de juillet 2016 à décembre 2016, le salaire de référence sera fixé en considération des salaires figurant sur l'attestation Pôle Emploi avant son arrêt de travail, soit à la somme mensuelle de 2.487,09 euros bruts.

La société sera en conséquence condamnée à payer à Mme [M] la somme de 7.461,27 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 746,13 euros pour les congés payés afférents.

***

Mme [M], exposant avoir dû suivre des soins pendant une longue période ainsi qu'avoir subi une situation de chômage mais évoquant aussi le travail de sape mené par M.[E] auprès de l'un de ses anciens employeurs, sollicite la somme de 15.600 euros à titre de dommages et intérêts.

La société conclut au caractère particulièrement excessif de la somme demandée, contestant le caractère critiquable de sa démarche auprès d'un ancien employeur de Mme [M].

*

Il ressort des pièces produites par Mme [M] que, suite à la rupture de son contrat, elle a été admise à Pôle Emploi, a effectué un bilan de compétences au cours du dernier trimestre de l'année 2017 puis une action de formation en vue de la création d'une entreprise en septembre 2018.

Elle a bénéficié de l'allocation de retour à l'emploi d'un montant journalier de l'ordre de 47 euros jusqu'au 23 mars 2019, étant partie rejoindre sa mère, nommée en février 2018 à la préfecture de [Localité 4] et [Localité 5].

Il est justifié d'une candidature pour un emploi en avril 2018 puis, d'une embauche de Mme [M] le 20 mars 2019 en contrat de travail à durée indéterminée en qualité de responsable administrative et juridique au sein d'une entreprise relevant du secteur du bâtiment.

Mme [M] a été à nouveau placée en situation de chômage en juillet 2020.

Elle a obtenu un diplôme en pâtisserie en juillet 2022 et bénéficie depuis le 1er novembre 2022 d'un contrat saisonnier à [Localité 5] dont le terme a été fixé au 28 février 2023.

Il est également établi que M. [E] a contacté un ancien employeur de Mme [M] dans le cadre d'un courrier adressé le 12 avril 2017 pour manifestement recueillir des éléments de nature à étayer sa défense dans l'instance prud'homale. La réponse à ce courrier n'est pas versée aux débats mais cette démarche était pour le moins inappropriée.

Quant aux démarches qu'il aurait éffectuées auprès de son nouvel employeur, la pièce 79 visée n'en est pas la démonstration.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise inférieur à 11, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [M], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, c'est à juste titre que les premiers juges ont évalué à 5.000 euros la somme de nature à réparer le préjudice résultant du licenciement abusif.

*

Mme [M] sollicite également la somme de 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'irrégularité de la procédure de licenciement, la rupture lui ayant été notifiée le lendemain de l'entretien préalable soit moins de deux jours ouvrables après.

Les premiers juges ont évalué le préjudice subi à la somme de 150 euros par des motifs pertinents que la cour adopte.

Y ajoutant, il sera relevé que la lettre de licenciement rappelait la portabilité du régime de prévoyance, que c'est Mme [M] qui a fait le choix de ne pas en bénéficier et que le retard dans la délivrance des documents de rupture n'est pas établi, l'attestation Pôle Emploi étant datée du 31 décembre 2016.

Sur les autres demandes

La société devra délivrer à Mme [M] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, la mesure d'astreinte sollicitée n'étant pas en l'état justifiée.

La société, partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à Mme [M] la somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de la somme allouée par les premiers juges sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne la somme allouée à Mme [B] [M] au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,

Infirmant la décision de ces chefs et statuant à nouveau,

Condamne la société MBS France à payer à Mme [B] [M] les sommes suivantes :

- 7.461,27 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 746,13 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Ordonne à la société MBS France de délivrer à Mme [B] [M] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société MBS France aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/05967
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;19.05967 ?
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