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01/03/2023 | FRANCE | N°19/05653

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 01 mars 2023, 19/05653


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 01 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/05653 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJCD

















Monsieur [O] [S]



c/



SASU UNITHER DEVELOPPEMENT [Localité 2]

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 octobre 2019 (R.G. n°F 19/00155) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 24 octobre 2019,





APPELANT :

Monsieur [O] [S]

né le 22 Février 1987 à BORDEAUX (330...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 01 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/05653 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJCD

Monsieur [O] [S]

c/

SASU UNITHER DEVELOPPEMENT [Localité 2]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 02 octobre 2019 (R.G. n°F 19/00155) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 24 octobre 2019,

APPELANT :

Monsieur [O] [S]

né le 22 Février 1987 à BORDEAUX (33000)de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représenté et assisté de Me Anne-clothilde VERBREUGH, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SASU Unither Développement [Localité 2], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualités audit siège social [Adresse 3]

N° SIRET : 387 490 387 099

assistée de Me Arnaud DOUMENGE avocat au barreau de PARIS substituant Me Claire SEIGNE de la SCP LAMARTINE CONSEIL, avocat au barreau de PARIS, représentée par Me Sylvain LEROY de la SELARL LEROY-GRAS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 janvier 2023 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [O] [S], né en 1987, a été engagé en qualité de technicien galéniste par la SASU Unither Développement [Localité 2] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 juin 2016.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [S] s'élevait à la somme de 2.411,78 euros.

Afin d'anticiper un flux important d'activité prévu au mois d'avril 2018, Mme [N], responsable d'équipe galénique et supérieure hiérarchique de M. [S], a informé le personnel du service galénique, le 22 mars 2018 de la nécessité de recourir au travail posté, vendredi inclus, avec accomplissement d'heures supplémentaires pour trois semaines, du 9 au 27 avril. Il a ainsi été demandé aux salariés concernés, dont M. [S], de venir travailler 4 jours et demi, au lieu de 4 jours, étant précisé que M. [S] ne travaillait habituellement pas les vendredis.

M. [S] et d'autres salariés ont fait part de leur mécontentement à Mme [N] au cours d'une réunion du service le 26 mars 2018.

Le lendemain de cette réunion, M. [S] a été reçu en entretien par Mme [N] pour revenir sur sa prise de position de la veille, cette dernière lui reprochant de l'avoir insultée et d'avoir dénigré l'entreprise. M.[S] a reconnu avoir fait preuve de maladresse dans les mots employés.

Le 7 mai 2018, M.[S] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire d'une durée d'une journée qu'il a contestée mais qui a été exécutée.

Le 18 mai 2018, M.[S] a été reçu par le docteur [K] qui a constaté une dégradation de son état psychologique.

M.[S] a été placé en arrêt de travail du 6 au 22 juin 2018 pour maladie non professionnelle. S'en est suivie une période de congés payés du 25 juin au 8 juillet 2018.

Par lettre du 9 juillet 2018, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 19 juillet 2018 avec dispense d'activité pendant le temps de la procédure.

Il a ensuite été licencié pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 24 juillet 2018.

Par courrier du 7 août 2018, M. [S] a contesté les griefs qui lui étaient reprochés et a invité la société Unither Développement [Localité 2] à préciser les autres manquements qui pourraient lui être opposés.

Le 22 août 2018, la société Unither Développement [Localité 2] lui a adressé une réponse confirmant sa décision et précisant que les motifs du licenciement et les exemples qui les illustrent étaient détaillés dans la lettre de licenciement.

A la date du licenciement, M. [S] avait une ancienneté de 2 ans et 1 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et demandant l'annulation de sa mise à pied disciplinaire outre un rappel de salaire et congés payés au titre de cette sanction ainsi que des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, préjudice moral et procédure vexatoire, M. [S] a saisi le 30 janvier 2019 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 2 octobre 2019, a :

- dit que la mise à pied disciplinaire du 7 mai 2018 est justifiée et proportionnée,

- dit que le licenciement de M. [S] est légitime et bien fondé,

- débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Unither Développement [Localité 2] de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé à chaque partie la charge de ses dépens,

- rejeté les autres demandes.

Par déclaration du 24 octobre 2019, M. [S] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 janvier 2020, M. [S] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 2 octobre 2019 en ce qu'il :

* a dit que la mise à pied disciplinaire du 7 mai 2018 est justifiée et proportionnée,

* a dit que le licenciement prononcé le 24 juillet 2018 est légitime et bien fondé,

* l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

Et à titre principal,

- condamner la société Unither Développement [Localité 2] à lui payer la somme de 14.486,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

A titre subsidiaire,

- condamner la société Unither Développement [Localité 2] à lui payer la somme de 8.450,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- annuler la mise à pied disciplinaire du 7 mai 2018,

- condamner la société Unither Développement [Localité 2] à lui payer les sommes suivantes :

* 111,43 euros bruts de rappel de salaire au titre de la mise à pied disciplinaire outre la somme de 11,14 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure vexatoire,

* 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Unither Développement [Localité 2] aux dépens de première instance et d'appel et aux frais éventuels d'exécution,

- assortir toutes les condamnations des intérêts de retard à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 avril 2020, la société Unither Développement [Localité 2] demande à la cour de':

À titre principal,

- confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,

- débouter en conséquence M. [S] de l'ensemble de ses demandes,

- le condamner au paiement de la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse impossible où la cour, infirmant le jugement entrepris, jugerait que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse :

- faire application du minimum prévu par le barème édicté par l'article L.1235-3 du code du travail (soit 7.236 euros, correspondant à 3 mois de salaire).

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2012 et l'affaire a été fixée à l'audience du 10 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la mise à pied disciplinaire du 7 mai 2018

M. [S] sollicite l'annulation de la mise à pied disciplinaire d'une journée qui lui a été notifiée le 7 mai 2018 après un premier entretien avec Mme [N] le 27 mars 2018 et un entretien préalable le 17 avril 2018. Il soulève le caractère disproportionné de cette sanction, ses paroles devant être replacées dans leur contexte, soutenant avoir par ailleurs toujours adopté une façon de parler très directe, et conteste la gravité des faits puisque la société a mis un mois et demi pour le recevoir en entretien préalable et lui notifier la sanction.

M. [S] explique avoir indiqué en mars 2018 son indisponibilité pour effectuer des heures supplémentaires sur le mois d'avril en raison de son projet personnel de rénovation d'une maison avec emménagement à la fin du mois, souhaitant également poser son reliquat de deux jours de congés sur cette période.

M. [S] reconnaît avoir fait preuve de maladresse dans les mots employés lors de la réunion du service galénique du 26 mars 2018, s'étant excusé auprès de Mme [N] le lendemain et l'ayant rassuré sur son absence d'animosité envers elle et la société.

Il sollicite ainsi l'annulation de la mise à pied, le rappel de salaire pour la journée du 5 juin 2018 et 5.000 euros à titre de dommages et intérêts, exposant que le maintien de la sanction malgré son explication l'a conduit à consulter le médecin du travail qui a constaté un mal-être au travail.

Pour voir confirmer la décision des premiers juges, la société met en avant le caractère volontaire des propos tenus et l'attitude provocatrice de M. [S], cherchant à offenser sa hiérarchie, les termes employés ayant été particulièrement injurieux.

***

Aux termes des dispositions de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le juge apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction et forme sa conviction au vu des éléments retenus par l'employeur pour prononcer la sanction et de ceux fournis par le salarié à l'appui de ses allégations. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En application de l'article L. 1332-2, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il doit, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature, convoquer préalablement le salarié à un entretien au cours duquel il indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

En l'espèce, le règlement intérieur de la société prévoit au rang des sanctions disciplinaires l'avertissement comme deuxième sanction, la 1ère étant le blâme, l'avertissement cherchant à prévenir le salarié de l'éventualité de nouvelles sanctions en cas de faute ultérieure alors que le blâme n'a pour objet que de faire état du comportement fautif.

La société atteste d'une instruction du directeur de site pour augmenter les temps d'ouverture les vendredis, afin d'anticiper un flux important d'activité prévu au mois d'avril 2018, comme étant à l'origine de la demande de Mme [N] faite aux salariés de travailler en horaire posté sur 5 jours, conformément à l'article 3 de l'avenant n°4 à l'accord d'entreprise sur la réduction et l'aménagement du temps de travail du 30 décembre 1996 prévoyant un délai de prévenance de 15 jours.

C'est dans ces conditions que les horaires de travail de M. [S] ont été modifiés sur trois semaines, du lundi au vendredi de 6h à 13h30 au lieu de son horaire habituel du

lundi au jeudi de 7h50 à 17h20.

En l'espèce, les propos tenus lors de la réunion organisée par Mme [N] par M. [S], ont consisté à réagir à l'annonce de la nouvelle organisation par les mots suivants : ' ma femme m'a dit que j'avais une belle boîte d'enculés car on me supprime tous mes vendredis pile au moment où j'en ai le plus besoin', les propos retenus par la lettre de mise à pied étant 'votre épouse avait dit que 'nous étions une grosse bande d'enculés', désignant l'entreprise dans son ensemble.

La société relève dans son courrier notifiant la mise à pied disciplinaire que de 'tels propos injurieux tenus en réunion sont clairement inacceptables car irrespectueux et ont également eu pour effet de dégrader l'atmosphère du service par le manque de respect que vous lui avez témoigné. Par cette attitude, vous ne vous inscrivez clairement pas au sein des valeurs attendues par le Groupe Unither de la part de l'ensemble de ses collaborateurs'.

Ces propos non contestés par M. [S] traduisent, au-delà d'un mécontentement du salarié vis-à-vis d'une décision prise par sa hiérarchie, l'expression d'une injure émanant de sa femme, qu'il reprend à son compte en l'énonçant, faisant référence au fonctionnement de la société dans son ensemble.

Même évoqués dans un contexte de réorganisation des horaires liée à un surcroît d'activité et d'une charge de travail ressentie par M. [S] comme 'injuste' au regard des projets relevant de sa vie privée, ces propos dépassent en intensité et en offense ce qui est attendu dans le cadre du travail, étant rappelé qu'ils ont été prononcés en réunion en présence d'autres salariés, que M. [S] avait déjà été invité à travailler la forme de ses propos pour laisser place à un dialogue constructif dans un courrier de 'recadrage' du 5 juillet 2017 et que, dans son évaluation de février 2018, il lui avait été fixé comme objectif de rester direct tout en étant cordial.

M. [S] a par ailleurs refusé de s'excuser, ce qu'il confirmait dans le courrier du 24 mai 2018 adressé en contestation de la mesure disciplinaire, n'ayant donc pas pris conscience de la façon dont ses paroles avaient pu être reçues par la hiérarchie et sous-entendant qu'il pourrait les reproduire.

Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef en ce qu'il a débouté M. [S] de ses demandes du chef de cette sanction, justifiée dans son principe et proportionnée au comportement adopté par le salarié.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement en date du 24 juillet 2018 qui fixe l'objet du litige est ainsi rédigée :

' Nous avons le regret de vous notifier, par la présente, votre licenciement, pour les raisons qui vous ont été exposées lors de l'entretien préalable du jeudi 19 juillet 2018 an cours duquel vous étiez assisté de Madame [L] [U] et que nous nous permettons de reprendre ci-après, les explications que vous nous avez fournies à cette occasion ne nous ayant malheureusement pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Vous avez été embauché par la société UNITHER DÉVELOPPEMENT [Localité 2], à compter du 13 juin 2016 et en qualité de Technicien Galéniste, en charge notamment de la fabrication des lots de produits de santé dans le cadre de développement de lots pilotes et de fabrication à usage humain, dans le respect des dossiers de lots, des procédures et des délais.

La parfaite exécution par vos soins de ces différentes missions ayant un impact direct sur l'organisation et le bon fonctionnement du service auquel vous êtes rattaché, nous étions légitimement en droit d'attendre de votre part une parfaite implication, ainsi qu'un comportement exemplaire et conforme à votre poste.

Votre investissement était d'autant plus nécessaire que notre activité est sujette à de nombreuses variations (caractérisées, notamment, par des pointes d'activités), nous imposant, à certains moments de l'année, des adaptations de rythme de travail aux exigences de la clientèle.

Or, nous avons dû faire face, au cours de ces derniers mois, à une très nette dégradation de votre attitude qui nous a contraint à vous notifier, le 7 mai 2018, une mise à pied disciplinaire d'une durée d'une journée, après que vous ayez manifesté, dans des termes particulièrement déplacés, votre mécontentement après l'annonce de la mise en place d'horaires postés.

Malheureusement, cette sanction n'a pas été suivie des effets escomptés, bien an contraire.

En effet, dans les semaines qui ont suivi, nous avons constaté votre profond désengagement et un manque manifeste d'implication de votre part, qui se sont notamment traduits par :

- le démarrage tardif de vos activités quotidiennes, et plus particulièrement les 23, 24 et 29 mai 2018, (à savoir vers 9H00, alors même que vous étiez présent à votre poste de travail depuis 7h50) ;

- un nombre d 'essais réalisés par journée travaillée très en-deçà de celui légitimement attendu par la chargée d'étude innovation avec laquelle vous collaborez (et, en tout état de cause, nettement inférieur à votre productivité habituelle), et ce, principalement en raison de votre volonté manifeste de faire traîner en longueur les différentes phases, ralentissant ainsi délibérément 1'ensemble des travaux en cours.

A titre d'exemples malheureusement non exhaustifs, nous avons ainsi constaté :

° sur la période du 14 au 30 mai 2018,le démarrage tardif des essais du projet SX00503, lesquels n'ont débuté qu'à 11 heures (au lieu de 9 heures 30/10 heures, comme il est d'usage) ;

° les 15 et 16 mai 2018, la réalisation de seulement 2 essais par jour (là où votre expérience aurait dû permettre d'en réaliser 4, comme cela avait d'ailleurs été le cas sur le projet SX00441), chacun d'entre eux étant espacé d'une durée de 5 heures, totalement injustifiée, puisqu'il s'agissait d'essais similaires (par enrobage et granulation sur le matériel VENTILUS) ;

- un non-respect des cadences de fabrication des produits destinés aux essais, et notamment les 17 et 24 mai 2018, où un seul lot a été fabrique (an lieu des 2 attendus), alors même que la manipulation (bien que commencée à 11 heures 40 s'est achevée à 13 heures, ce qui vous laissait toute latitude pour procéder à la fabrication d'un nouveau lot l'après-midi.

Votre absence totale de mobilisation a atteint son paroxysme l'après-midi du 4 juin 2018, au cours de laquelle vous avez cessé d'apporter votre soutien à vos collègues de travail dans la fabrication des sticks, certains d'entre eux s'étant ouvertement plaints du fait que vous aviez passé la majeure partie de votre temps sur votre ordinateur à faire des recherches personnelles.

Par ailleurs, nous avons eu la désagréable surprise de constater, à la faveur de votre absence du mois de juin (pour cause de maladie puis de congés payés) que les caractérisations des essais que vous étiez censé effectuer en avril et mai 2018 n'ont été que partiellement réalisés, faisant ainsi perdre un temps précieux à vos collègues et induisant des retards en cascade sur les activités en découlant.

C'est ainsi que nous avons déploré :

- la non-transmission d'un tiers des échantillons du projet SX00606 au service analytique, entraînant une reddition du rapport an 30 juin (en lieu et place du 25) ;

- la non- réalisation des contrôles IPC demandés sur ce même projet (écoulement et tassement non réalisés), ce qui, outre le surcroît de travail que cela a entraîné, a induit une consommation plus importante de matières premières.

Au-delà de ce manque flagrant d'implication et de votre totale désinvolture, vous n'avez également pas hésité à manifester de l'hostilité vis-à-vis de votre supérieure hiérarchique en refusant, le 31 mai 2018 de lui faire un reporting sur vos activités de la journée, en lui indiquant - sur un ton détaché - 'c'est bon, [C] te l'a déjà dit !' (Sic),

Nous considérons que votre attitude est totalement contraire aux intérêts de votre service et à ce que nous étions légitimement en droit d'attendre d'un collaborateur de votre expérience.

Pour toutes ces raisons, nous avons pris la décision do vous notifier, par la présente, votre licenciement, lequel prendra effet à la date de première présentation du présent courrier avec AR. à votre domicile, cette date marquant le point de départ de votre préavis conventionnel d'une durée de 3 (trois) mois, que nous vous dispensons d'effectuer dans sa totalité et qui vous sera rémunéré aux échéances habituelles de paie.

A la fin de ce préavis, nous vous transmettrons, par voie postale, vos documents de fin de contrat. (...)'.

***

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige, le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement, n'incombe-t-elle pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

1. La première série de griefs sur laquelle repose la lettre de licenciement a trait au désengagement et au manque d'implication de M. [S] dans ses fonctions

La société reproche à M. [S] d'avoir démarré tardivement les essais cliniques qui lui étaient confiés dans le cadre des plans d'expérimentation, à compter du 23 avril, sa prise de poste s'effectuant entre 7h et 7h50. La société produit des relevés d'horaire des machines sur le projet SX00606 établissant que les travaux qui débutaient entre 7h17 et 7h47 entre le 16 et le 19 avril ont démarré seulement à partir de 9h28 puis 10h38 à compter du 23 avril.

*

Sur le projet SX00503, aucune référence d'horaire antérieur au 23 avril ne permet d'établir une baisse d'activité ou un désengagement de M. [S], la cour ne disposant pas des horaires qu'il effectuait auparavant.

Les explications de M. [S] sur l'absence de correspondance entre les horaires relevés sur la machine et son temps réel de travail ne sont pas pertinentes dès lors qu'il ne lui est pas reproché de ne pas avoir été présent sur ses heures de travail mais d'avoir volontairement réalisé moins de tests que prévus.

Il ressort du relevé des essais que si M. [S] était mentionné comme effectuant seul les essais entre le 16 avril et le 30 mai, il justifie de l'aide apportée temporairement par une salariée technicienne. Mme [R], qui atteste avoir travaillé sur les mêmes projets que M. [S] au cours du 1er semestre 2018.

La société ne démontre pas que la baisse de la fréquence de ces essais était fautive en ce qu'elle serait la conséquence d'un désengagement volontaire de M. [S], aucun objectif quantitatif n'ayant été fixé préalablement et la cour ne disposant pas d'un relevé de l'activité de M. [S] sur une période significative pour permettre de constater la réalité et le caractère fautif de ce prétendu désengagement.

***

La société reproche ensuite à M. [S] d'avoir volontairement réalisé moins d'essais les 15 et 16 mai 2018, soit deux contre trois habituellement ou quatre sur un projet similaire, mais également les 17 et 24 mai, où un seul lot a été fabriqué contre deux attendus. La société produit des tableaux établissant la réalisation de 2 lots voire d'un seul sur certains jours au mois d'avril et de mai avec pour seul élément de comparaison les données du 24 janvier 2017.

*

La société n'établit pas que M. [S] ne respectait pas la cadence de fabrication, laquelle ne résulte d'aucune directive alors que M. [S] justifie qu'il avait d'autres fonctions, comme l'indique sa fiche de mission incluse au contrat de travail. La société échoue en conséquence à démontrer le caractère fautif de la baisse de cadence invoquée par elle.

***

La société reproche également à M. [S] une absence totale de mobilisation l'après-midi du 4 juin 2018, pour avoir refusé d'apporter de l'aide à ses collègues, préférant faire des recherches personnelles sur son ordinateur professionnel.

*

Il n'est produit aucune pièce à l'appui, ni plaintes des collègues sur l'attitude de retrait qu'elle reproche à M. [S]. Ce grief n'est pas établi.

***

La société reproche enfin à M. [S] de n'avoir réalisé les tests en avril et mai 2018 que de manière partielle, induisant des retards en cascade sur les activités, notamment s'agissant de la reddition du rapport du service analytique et la non-réalisation des contrôles IPC sur le projet SX00606.

*

S'agissant de l'absence de transmission d'échantillons et la non-réalisation des contrôles IPC, leur matérialité n'est pas établie et la société ne produit aucun document interne dans lequel il serait mentionné les types de transmission obligatoires, tous les essais ou uniquement les essais concluants.

Aucune pièce n'est versée aux débats qui permettrait de retenir qu'il aurait été fait un rappel à M. [S] pour son retard ou pour un dossier incomplet sur les essais de cette période, de sorte que le comportement fautif allégué n'est pas démontré.

La série de griefs relatifs au désengagement de M. [S] à compter du 23 avril 2018 n'est ni établie ni étayée alors que les deux entretiens individuels du 20 février 2017 et du 14 février 2018 notaient positivement le travail effectué par M. [S] dans tous les secteurs, mettant en avant son implication, sa force de proposition, sa motivation, la formation de nouveaux collègues, et la reconnaissance qu'il 'a été un pilier pour l'installation et l'utilisation des équipements, a été un élément moteur et positif sur le plan technique pour le service' et qu'aucun incident n'a été relevé précédemment dans l'exercice de ses fonctions.

2. La seconde série de griefs repose sur l'hostilité vis-à-vis de la supérieure hiérarchique

Comme l'ont relevé les premiers juges, les propos tenus par M. [S], qui ne sont repris que dans la lettre de licenciement, aucune attestation de Mme [N] n'étant produite, ne présentaient aucune intention hostile, M. [S] se contentant de confirmer que le travail avait été fait par une autre personne. Ce grief ne peut être retenu.

Il convient dès lors d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes financières

A la date du licenciement, M.[S] avait une ancienneté de 2 ans et 1 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés. Il percevait en moyenne un salaire brut de 2.411,78 euros.

M. [S] sollicite la non-application du barème édicté par l'article L. 1235-3 du code du travail aux motifs de son inconventionnalité au regard de l'article 24 de la Charte sociale européenne et des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et du droit au procès équitable.

D'une part, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

D'autre part, les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi, étant observé que celles de l'article L 1235-3-1 du même code prévoient que, dans des cas limitativement énumérés entraînant la nullité du licenciement, le barème ainsi institué n'est pas applicable.

Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est en outre assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, aux termes desquelles le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la convention précitée.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise supérieur à 10 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [S], de son âge au moment du licenciement (31 ans), de son ancienneté de 2 ans et 1 mois, de l'absence d'indication sur sa capacité à trouver un nouvel emploi postérieurement à son licenciement, aucune pièce n'étant produite, il sera alloué à M. [S] la somme de 5.000 euros afin d'assurer la réparation du préjudice subi à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera en outre ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à M. [S] depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités.

***

M. [S] invoque le caractère vexatoire de la notification de l'engagement de la procédure de licenciement, qui lui a été faite le lendemain de son retour de congés faisant lui-même suite à une période de trois semaines d'arrêt maladie.

M. [S] a été placé en arrêt maladie le lendemain de la journée non rémunérée de mise à pied, pour une période de trois semaines, préalablement à ses congés.

La lettre de convocation à l'entretien préalable au licenciement remise en main propre le jour de son retour, avec dispense d'activité, ne traduit pas le caractère vexatoire de la procédure de licenciement, l'employeur ayant respecté les périodes d'absence pour maladie ou pour congés annuels.

M. [S] n'établissant pas les circonstances brutales ou vexatoires du licenciement, sa demande sera rejetée et le jugement déféré confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant. La capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article1343-2 du même code.

La société Unither Développement [Localité 2], partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à M. [S] de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [O] [S] de sa demande en annulation de la mise à pied à titre disciplinaire et des demandes subséquentes et de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que le licenciement de M. [O] [S] est dénué de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SASU Unither Développement [Localité 2] à verser à M. [O] [S] les sommes de 5.000 euros bruts à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne le remboursement par la SASU Unither Développement [Localité 2] à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [O] [S] depuis son licenciement dans la limite de 6 mois d'indemnités,

Rappelle que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Condamne la SASU Unither Développement [Localité 2] aux dépens ainsi qu'à verser à M. [O] [S] la somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/05653
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;19.05653 ?
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