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01/03/2023 | FRANCE | N°19/05237

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 01 mars 2023, 19/05237


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 01 MARS 2023







PRUD'HOMMES



N° RG 19/05237 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LIB7

















Monsieur [J] [N]



c/



SASU MAISONS ECG

















Nature de la décision : AU FOND



















Grosse d

élivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 septembre 2019 (R.G. n°F 18/00064) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 octobre 2019,





APPELANT :

Monsieur [J] [N]

né le 23 Mai 1965 à [Localité 3] de nationalité Fran...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 01 MARS 2023

PRUD'HOMMES

N° RG 19/05237 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LIB7

Monsieur [J] [N]

c/

SASU MAISONS ECG

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 septembre 2019 (R.G. n°F 18/00064) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LIBOURNE, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 03 octobre 2019,

APPELANT :

Monsieur [J] [N]

né le 23 Mai 1965 à [Localité 3] de nationalité Française Profession : Directeur général, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Laëtitia SCHOUARTZ de la SELARL SCHOUARTZ AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SASU Maisons ECG, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 431 745 991

représentée par Me Daniel RUMEAU de la SCP RUMEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 janvier 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [J] [N], né en 1965, a été engagé en qualité de directeur par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 juillet 2005 avec reprise d'ancienneté en date du 1er janvier 1990. par la société MIL, entreprise de construction.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des cadres du bâtiment.

Par avenant en date du 17 janvier 2008, M. [N] a été promu directeur général de la société MIL et sa rémunération annuelle a été augmentée à 75.000 euros bruts sur 12 mois avec une prime de 10% de l'excédent brut d'exploitation de la société MIL.

Par convention du 1er juillet 2014, le contrat de travail de M. [N] a été transféré de la société MIL à la SASU Maisons ECG.

Le même jour, un contrat de travail à durée indéterminée a été signé entre la société Maisons ECG et M. [N] sur le poste de directeur général avec un salaire mensuel brut égal à 8.750 euros outre une prime de résultat égale à 0,80% de l'excédent brut d'exploitation de la société.

Par avenant en date du 1er juin 2016, la prime de résultat a été fixée à 8% de l'excédent brut de l'exploitation de la société.

Le 1er juin 2016, un avenant est intervenu entre les parties octroyant à M. [N] une rémunération variable comprenant une prime de résultat égale à 8% de l'excédent brut d'exploitation de la société outre une prime de 3% du chiffre d'affaires HT sur chaque vente nette effectuée en nom propre.

En 2014, la société Maisons ECG a été rachetée par la société IGC, les deux sociétés ayant pour activité la construction de maisons individuelles.

A partir du rachat de la société par le groupe ISG, la société a fait face à des difficultés économiques importantes ayant entraîné un plan de sauvegarde de l'emploi sur la partie maçonnerie de l'activité en fin d'année 2017.

M. [N] a fait part à son président de son souhait, confirmé par un mail du 27 mars 2018, de quitter le groupe en cas d'absence d'amélioration suffisante de la situation économique de la société Maisons ECG et compte tenu de l'échec dans l'accomplissement de sa mission.

Le 2 avril 2018, M. [N] a été placé en arrêt de travail pour maladie, reconduit le 18 avril jusqu'au 30 avril en raison d'un diagnostic de 'burn-out'.

Par lettre datée du 11 avril 2018, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 avril 2018 auquel il ne s'est pas présenté.

Il a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 26 avril 2018.

A la date du licenciement, M. [N] avait une ancienneté de 28 années et 4 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour licenciement abusif, M. [N] a saisi le 25 mai 2018 le

conseil de prud'hommes de Libourne qui, par jugement rendu le 27 septembre 2019, a

- dit que le licenciement de M. [N] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- dit qu'il existe une faute grave,

En conséquence,

- débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné M. [N] à payer à la société Maisons ECG la somme de 100 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [N] aux dépens.

Par déclaration du 3 octobre 2019, M. [N] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 novembre 2022, M. [N] demande à la cour de dire recevable et bien fondé son appel interjeté, de réformer le jugement en ce qu'il a jugé que son licenciement reposait sur une faute grave et l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et de :

- dire qu'il n'a pas commis de faute grave,

- dire que son licenciement est abusif,

- condamner la SAS Maisons ECG à lui verser les sommes suivantes :

* 297.744,12 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

* 49.624,02 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 4.962,40 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

* 267.159,38 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 300.000 euros au titre de l'indemnité de rupture prévue à l'article 5 du contrat de travail,

* 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner le défendeur aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 février 2020, la société Maisons ECG demande à la cour de'confirmer intégralement le jugement entrepris et de :

- dire que le licenciement de M. [N] repose bien sur une faute grave,

- le débouter de l'intégralité de ses demandes,

A titre subsidiaire,

- dire que son licenciement a bien une cause réelle et sérieuse,

- réduire à 30.033 euros l'indemnité de préavis et à 3.003 euros les congés payés y afférents,

- dire que l'indemnité conventionnelle de rupture ne peut se cumuler avec l'indemnité légale de licenciement et débouter M. [N] de sa demande de condamnation de la somme de 228.270,49 euros,

- dire que l'indemnité contractuelle de licenciement est constitutive d'une clause pénale pouvant être réduite, et la ramener à la somme de 135.000 euros,

A titre infiniment subsidiaire,

- constater que M. [N] ne justifie pas d'un préjudice justifiant le versement de 18 mois de salaire à titre de dommages et intérêts et réduire ces derniers à trois mois de salaire brut,

- condamner M. [N] à verser une indemnité de procédure de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 décembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 janvier 2023.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'à la décision déférée.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement en date du 26 avril 2018 qui fixe l'objet du litige est ainsi rédigée :

« Monsieur,

Par courrier du 11 avril 2018, vous avez été convoqué pour un entretien préalable à votre éventuel licenciement en date du 23 avril dernier, entretien auquel vous ne vous êtes pas présenté.

Rappel des faits

Vous êtes le Directeur Général de la Société Maisons ECG, société de construction de maisons individuelles, depuis le 1er juillet 2014.

Madame [T] [D], Commissaire aux comptes titulaire, vous a rencontré à la suite de ses contrôles afin d'avoir notamment des explications au sujet de la marge anormalement faible du dossier de Madame [E] [A], anciennement salariée de la société et en l'occurrence votre compagne.

Vous avez alors expliqué à notre commissaire aux comptes que cela était lié à des problèmes d'affectation des coûts du fait de plusieurs chantiers sur le même lotissement et que tout était rentré dans l'ordre.

Puis vous avez alors ajouté que pour votre cas personnel, vous aviez réglé le problème en ne passant plus par la Société ECG mais en traitant en direct avec les fournisseurs et artisans et que cela vous permettait d'obtenir de la gratuité.

Courant mars 2018, Madame [T] [D] m'a alerté et m'a demandé de mener mon enquête et de régler le problème.

Nous en avons discuté ensemble le 30 mars dernier pendant notre point mensuel : vous avez alors confirmé les faits en précisant :

- que vous aviez ainsi mené votre projet de construction d'une maison (en vue d'un investissement locatif) et la rénovation de la grange (destinée à la nouvelle activité de votre compagne);

- que vous aviez pu obtenir des gratuités auprès de partenaires de la société.

Lorsque je vous ai interpellé sur le caractère non-déontologique de ce type de pratiques, vous m'avez précisé que vous ne voyiez pas où était le problème.

A la suite de ce RDV, j'ai pris attache, le 11 avril 2018, auprès de Monsieur [Z] [B], Directeur Régional pour le produit Tuiles de la marque Terreal.

Celui-ci m'a alors confirmé avoir dû vous livrer gratuitement 13 palettes de tuiles pour la grange et 3 palettes pour la maison.

Face à votre insistance et à la pression que vous avez exercée sur [V] [W], la commerciale de Terreal, Monsieur [Z] [B], son responsable, a dû céder à vos exigences.

Il semble d'ailleurs que ce fournisseur ne soit pas le seul à qui vous avez imposé la gratuité des fournitures pour votre maison.

Il apparaît clairement que vous avez abusé de votre position de Directeur Général en sollicitant cette gratuité et en forçant la main à nos partenaires !

Nous travaillons activement au développement de relations constructives avec notre réseau de fournisseurs. Nos transactions commerciales avec ces entreprises ne doivent pas entraîner l'obtention d'avantages personnels et particuliers de leur part.

La réputation de notre Groupe dépend du comportement de chacun d'entre nous. Un comportement inadéquat peut causer un tort considérable. Cette situation est largement aggravée quand il s'agit d'un Directeur Général qui se doit d'être exemplaire.

Nous ne pouvons tolérer ces pratiques douteuses voire scandaleuses qui viennent entacher l'image de notre société et de notre Groupe.

Aussi, au vu de ces éléments factuels et concordants, nous sommes contraints de prononcer votre licenciement pour faute grave.

Votre licenciement prend donc effet immédiatement dès la date de première présentation de cette lettre par la Poste et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, ni de licenciement.

(...) ».

***

M. [N], s'en tenant à la lettre de licenciement, soutient que seul le grief tiré de la gratuité des tuiles dont il a bénéficié constitue le motif du licenciement car l'application de faibles taux de marge pour la construction de la maison de Mme [A] n'est rappelée qu'à titre de contexte dans la lettre de licenciement et n'est pas reprise comme un manquement fautif.

Il soulève la prescription des faits reprochés, exposant avoir obtenu la gratuité des tuiles aux mois de mars et avril 2017, l'employeur ayant engagé la procédure de licenciement pour faute le 23 avril 2018, soit plus de deux mois après avoir eu connaissance de ces faits. Il soutient que la direction du groupe a forcément été au courant du contenu du rapport avant que la commissaire aux comptes ne le dépose dans sa version définitive en 2018.

Subsidiairement, si les faits relatifs à la faiblesse des marges pour la construction de la maison de Mme [A] devaient être retenus comme second motif du licenciement, il fait valoir ne pas être intervenu dans la vente de cette maison, seule Mme [A] et la directrice commerciale ayant signé les devis et les projets de construction, et ne peut donc être tenu personnellement responsable de ces faits, dont la véracité n'est par ailleurs pas démontrée par la société, M. [N] invoquant l'application d'une marge de 13% conforme aux usages de la société pour ses salariés.

M. [N] conteste en outre la gravité des faits reprochés, l'employeur ayant attendu deux mois entre le moment où il a eu connaissance des faits et le moment où il l'a licencié sans l'avoir mis à pied à titre conservatoire.

***

L'employeur ayant choisi de se placer sur le terrain d'un licenciement pour faute grave doit rapporter la preuve des faits allégués et démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise, étant en outre rappelé qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de 2 mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

L'absence de mise à pied conservatoire n'est pas en soi exclusive de la qualification de faute grave.

*

La lettre de licenciement doit contenir l'énonciation des motifs de licenciement et doit être prise dans son ensemble. En l'espèce, la lettre de licenciement débute par le rappel de l'origine de la connaissance des fautes reprochées et de ce que la première d'entre elles est : « la marge anormalement faible du dossier de Madame [E] [A], anciennement salariée de la société et en l'occurrence votre compagne.

Vous avez alors expliqué à notre commissaire aux comptes que cela était lié à des problèmes d'affectation des coûts du fait de plusieurs chantiers sur le même lotissement et que tout était rentré dans l'ordre. »

Ce n'est que par la suite que l'employeur évoque dans la lettre de licenciement avoir découvert la pratique de la gratuité de la fourniture de certains matériaux, comme pouvant expliquer la baisse des marges en ces termes :

« Puis vous avez alors ajouté que pour votre cas personnel, vous aviez réglé le problème en ne passant plus par la Société ECG mais en traitant en direct avec les fournisseurs et artisans et que cela vous permettait d'obtenir de la gratuité.»

Il sera donc considéré que, conformément à l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement retient expressément deux types d'agissements fautifs que sont, d'une part, l'application d'une marge anormalement basse sur le projet de construction d'une maison individuelle destinée à un investissement locatif pour Mme [A], salariée, compagne de M. [N] à l'époque des faits et devenue son épouse depuis, et, d'autre part, le bénéfice de la gratuité des tuiles pour deux autres chantiers liés à l'achat d'une maison à projet professionnel pour Mme [A] et d'une maison à usage locatif pour M. [N]. La société retient la gravité de la faute, considérant que ces faits sont contraires aux obligations contractuelles qui pesaient sur le salarié.

1 - Sur les marges pour le dossier de construction de Mme [A]

Pour soutenir que M. [N] a fait bénéficier Mme [A], salariée de la société et alors compagne de ce dernier, d'une marge anormalement basse appliquée par la société de travaux pour la construction de sa maison, la société s'appuie sur :

- le courrier adressé le 27 avril 2018 par la commissaire aux comptes du groupe auquel appartient la SASU Maisons ECG, au procureur de la République, signalant qu'elle a détecté au mois de mars 2018 au cours de l'un de ses contrôles, des anomalies concernant une marge anormalement faible de 5,8% sur des travaux réalisés au profit de la salariée Mme [A] ;

- deux tableaux récapitulant le coût de construction, main d'oeuvre et matériaux : le premier au nom de M. [N] pour un montant total de 77.244,72 euros TTC, soit un montant HT de 64.370,60 euros avec déduction d'une marge de 40% d'un montant de 45.978,99 euros, porte des annotations dont il n'est pas contesté qu'elles ont été faites manuscritement par M. [N]. Ces mentions portent rectification de certains montants et de la gratuité des matériaux sur la couverture et ont conduit le bureau d'étude de la société à établir un deuxième tableau rectificatif, cette fois- ci au nom de Mme [A], pour un montant correspondant à celui rectifié par M. [N] de 46.773,25 euros TTC, soit 38.977,71 euros HT avec une marge de 10,06% soit 35.414,50 euros de déboursés HT ;

- le courriel adressé par la commissaire aux comptes à la société le 30 août 2018 qui confirme avoir extrait des données mêmes de la société le montant de la marge de 2.163 euros appliqué à la construction de la maison de Mme [A], soit, rapporté au prix rectifié ci-dessus, une marge de 5,8% ;

- un tableau prévisionnel en date du 14 février 2018 portant la marge à 5,8% comme indiqué de manière manuscrite, peu important que M. [N] produise de son côté le même document modifié sans annotation avec une marge de 13,8% au 27 mars 2018, après avoir été entendu par la commissaire aux comptes.

De la même façon, le tableau Excel que M. [N] produit pour justifier de l'application d'une marge de 13% soit 4.839 euros n'est étayé par aucune autre pièce ; ce tableau qui n'est pas un document de la société mais une synthèse faite par M. [N] ne démontre pas la réalité de la marge appliquée en l'absence d'autres indications.

Dans un courriel à son directeur de groupe le 27 mars 2018, il confirme par ailleurs qu'il pouvait tricher sur les déboursés en y mettant des aléas, expliquant l'écart entre le prix de départ et d'arrivée.

M. [N] verse aux débats l'attestation de Mme [O], conductrice de travaux pour la société, selon laquelle il lui semble impossible que la maison de Mme [A] ait eu une marge différente de celle de M. [U], autre salarié, dont le projet de construction était mitoyen à celui de Mme [A]. Toutefois, il ressort de ce même tableau Excel produit par M. [N] une différence de 1,35% en faveur de M. [U], de sorte que cette attestation ne peut être retenue pour valable ni le tableau versé comme fiable.

Si aucune directive écrite ne définissait le taux de marge applicable aux collaborateurs de la société, la commissaire aux comptes a calculé qu'en 2017, le taux de marge moyen pour les salariés de l'entreprise avait été de 10,9%. Pour autant, la directrice commerciale dans son attestation évoque un usage d'application de taux de marge à hauteur de 13%. M. [N] remettait d'ailleurs en question l'application d'un tel taux dans son échange avec le président du groupe le 27 mars 2018.

Dès lors, la société rapporte bien la preuve de ce que la marge dont a bénéficié Mme [A] a été anormalement basse par rapport à celle pratiquée habituellement au sein de la société en 2017.

Enfin, M. [N] ne peut exciper de sa non-participation aux travaux de construction de la maison de Mme [A]. En effet certains documents portent son nom et M. [L], métreur au sein du bureau d'études de la société, confirme que le plan de la maison de Mme [A] a été dessiné par M. [N] et que ce dernier lui a demandé de 'rechiffrer la maison' en appliquant les prix corrigés et de mentionner le nom de Mme [A] sur le projet. Il confirme aussi la différence de 30.471,47 euros sur le prix de vente TTC.

En outre, Mme [M] atteste que si elle a signé le contrat de construction en sa qualité de directrice commerciale et sur demande de M. [N], c'est bien ce dernier qui a suivi de prés la négociation des prix sur le projet de Mme [A].

C'est d'ailleurs en sa qualité de directeur général de la société que la commissaire aux comptes entend M. [N] le 14 février 2018.

Si M. [N] verse des attestations de Mme [A] et de M. [F] pour contester les témoignages de M. [L] et de Mme [M], ces attestations ne permettent pas de démentir son implication dans le suivi du dossier de Mme [A], telle qu'elle ressort des déclarations du métreur et de la directrice commerciale.

Le comportement de M. [N] doit être apprécié au regard de la situation économique de la société qu'il savait en difficultés, ayant en 2017 engagé un plan de sauvegarde de l'emploi sur la partie maçonnerie.

Par courriel adressé à son directeur de groupe, en mars 2017, il envisageait d'ailleurs de quitter la société, n'ayant pas réussi à rétablir la situation.

Alors que la société faisait face à des difficultés économiques importantes entraînant la baisse de son chiffre d'affaire depuis 2014 et de 9 millions d'euros en 2016 avec des résultats successifs déficitaires de 23.000 euros au 31 décembre 2017, il est établi que M. [N] faisait diminuer les marges de la société sur des travaux réalisés au profit de sa compagne.

La société démontre ainsi le comportement fautif de M. [N] qui a participé directement à la construction de la maison de Mme [A], sa compagne, faisant appliquer par la société une diminution anormalement basse de la marge par rapport à celle pratiquée habituellement par la société pour ses salariés.

2 - Sur la gratuité des matériaux obtenus par M. [N]

Sur la prescription de ces faits

Selon l'article L. 1332-4 du code du travail, l'employeur doit engager la procédure disciplinaire dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle il a connaissance des faits qu'il reproche au salarié.

En l'espèce, il est reproché à M. [N] d'avoir bénéficié de la gratuité de la fourniture de tuiles pour la construction de sa maison et mais également d'en avoir fait bénéficier Mme [A], sa compagne, en mars et avril 2017.

Il ressort des explications et pièces dont dispose la cour que l'employeur n'a eu connaissance de ces faits que suite à l'audit de la commissaire aux comptes qui l'a alerté en mars 2018, avant de faire un courrier officiel le 27 avril 2018 à M. [I], directeur de la société, et un autre au procureur de la République le même jour (pièces 23 et 3 de la société), ainsi que par le courrier de confirmation de la société Terreal ayant consenti à la gratuité en date du 3 mai 2018 (pièce 8 de la société).

La procédure de licenciement ayant été engagée par la remise du courrier pour un entretien préalable le 11 avril 2018, les faits ne sont pas prescrits.

Sur la matérialité de ces faits

Il n'a jamais été contesté par M. [N] qu'il a bénéficié de la gratuité des matériaux de la part des fournisseurs d'ECG pour la construction des deux maisons.

Le directeur commercial de la société Terreal confirme, dans deux attestations des 3 mai et 6 septembre 2018, avoir été sollicité par M. [N] pour obtenir, en mars 2017, la gratuité de 12 palettes de tuiles, le complément de la commande, soit 2 palettes, ainsi que les accessoires ayant été traités au tarif en vigueur, puis en avril 2017 la gratuité de 3 palettes de tuiles, le complément de 3 palettes, ainsi que les accessoires, étant précisé que cette demande de M. [N] a été qualifiée de 'dynamique' par le directeur commercial.

Le montant de la réduction ainsi consentie n'est pas précisé, mais sur le projet de la maison de Mme [A] traité par la société, il apparaît que le matériel de couverture

d'un montant initial de 6.948,47 euros a également fait l'objet d'une gratuité permettant la réduction du coût à partir duquel a été appliquée la marge particulièrement basse relevée ci-dessus.

Il se déduit de la position de directeur général de M. [N] que la société Terreal n'avait que peu de marge de manoeuvre - voire aucune- pour refuser la gratuité demandée de la moitié du matériel fourni dans les deux projets de construction, sauf à prendre le risque de ne plus rester en lien commercial avec la société Maisons ECG.

M. [N] s'est donc fait consentir un avantage auquel il n'avait pas droit, du seul fait de son statut de directeur général de la société.

Le comportement de M. [N] caractérise une faute grave réitérée compte tenu de sa qualité de directeur général envers une entreprise de matériaux de couverture mais également parce qu'il a influé sur le prix de construction de la maison de sa compagne afin d'obtenir des prix plus bas au détriment de la marge de la société, et alors qu'il avait connaissance des difficultés économiques de la société.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur les demandes financières

Le licenciement étant fondé sur une faute grave, les demandes financières de M. [N] relatives au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement, de l'indemnité contractuelle de rupture et l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse seront rejetées et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

M. [N], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamné aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement à la société Maisons ECG de la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cours d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M. [N] au paiement à la société Maisons ECG de la somme complémentaire de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel,

Condamne M. [N] aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/05237
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;19.05237 ?
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