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19/01/2023 | FRANCE | N°22/02646

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 19 janvier 2023, 22/02646


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

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ARRÊT DU : 19 JANVIER 2023







F N° RG 22/02646 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MXJB









Société CIVILE DU CHATEAU BATAILLEY

S.A.S. BORIE MANOUX





c/



Société AREAS DOMMAGES

S.E.L.A.R.L. [J]-FLOREK



























Nature de la décision : AU FOND



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Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 24 mai 2022 (R.G. 21/01613) par le Juge de la mise en état de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 01 juin 2022





APPELANTES :



Société CIVILE DU CHATEAU BATAILLEY RCS 382 415 ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 19 JANVIER 2023

F N° RG 22/02646 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MXJB

Société CIVILE DU CHATEAU BATAILLEY

S.A.S. BORIE MANOUX

c/

Société AREAS DOMMAGES

S.E.L.A.R.L. [J]-FLOREK

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : ordonnance rendue le 24 mai 2022 (R.G. 21/01613) par le Juge de la mise en état de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 01 juin 2022

APPELANTES :

Société CIVILE DU CHATEAU BATAILLEY RCS 382 415 263, agissant en la personne de son représentant légal, demeurant en cette qualité audit siége

[Adresse 5]

S.A.S. BORIE MANOUX RCS 465 202 695 Agissant en la personne de son représentant légal, demeurant en cette qualité audit siége

[Adresse 3]

Représentées par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX et assistées de Me Erwan DINETY avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

Société AREAS DOMMAGES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 1]/FRANCE

Représentée par Me Marin RIVIERE, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me Jean-Marc ZANATI avocat au barreau de PARIS

S.E.L.A.R.L. [J]-FLOREK Mandataire judiciaire, pris en qualité de liquidateur judiciaire de la Société ACI FRANCE BOUCHONS, agissant en la personne de Maître [S] [J] demeurant en cette qualité audit siége

[Adresse 2]

non représentée mais régulièrement assignée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 novembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Paule POIREL, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Annie BLAZEVIC

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 4 avril 2014, la société civile Du Château Batailley, exploitant et commercialisant un 5ème grand cru classé, a passé commande de 141 000 bouchons auprès de la société Aci France Bouchons, dont l'activité est de commercialiser des articles de caves et de chais.

Au total, quelques 219.873 bouteilles de Château Batailley 2012 ont été ainsi embouteillées, dont 110 000 avec des bouchons provenant de la société Aci France Bouchons.

Durant plusieurs années, la société civile du Château Batailley a cédé à son distributeur exclusif, la société Borie-Manoux, la majeure partie des bouteilles du millésime 2012 Château Batailley.

En 2018, la société Borie-Manoux a fait état de retours de clients concernant un goût bouchonné de certaines bouteilles du millésime 2012.

Une expertise amiable a été diligentée par l'assureur protection juridique de la société civile Du Château Batailley, le cabinet TERREXPERT, qui a conclu le 10 avril 2019 à un défaut de qualité des bouchons et à la responsabilité de la société Aci France.

Dans l'intervalle, la liquidation de la société Aci France Bouchons a été prononcée par jugement publié le 4 janvier 2019, la date de cessation des paiements étant provisoirement fixée au 14 décembre 2018.

A défaut de proposition amiable de règlement par la société Areas Dommages, la Société Civile Du Château Batailley fait grief à la compagnie Areas Dommages de n'avoir proposé aucune indemnisation amiable.

Par acte d'huissier délivré le 23 février 2021, la société civile du Château Batailley et la société Borie Manoux ont assigné devant le tribunal judiciaire de Bordeaux la Selarl [J]-Florek, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Aci France Bouchons, et la société Areas Dommages, assureur responsabilité civile de la société précitée, aux fins de condamnation à paiement, sur le fondement de l'action directe, d'une somme de 335 229,15 euros à la société du château Batailley ainsi qu'une somme de 201 766 euros à la société Boris Manoux, avec fixation de ces sommes au titre de la créance respective à la liquidation judiciaire de la société Aci France Bouchons, invoquant un préjudice causé par la contamination du vin par les bouchons atteints de désordres, tant sur le fondement des vices cachés que, subsidiairement, sur le régime de la responsabilité de produits défectueux,

Par conclusions d'incident, notifiées par voie électronique le 5 octobre 2021, confirmées par des écritures notifiées par voie électronique le 1er avril 2022, a société Areas Dommages a demandé au juge de la mise en état de déclarer irrecevable la demande des deux sociétés demanderesses sur le fondement de l'action en garantie des vices cachés ainsi que sur la garantie du fait des produits défectueux, avec condamnation à payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Par ordonnance rendue le 24 mai 2022, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- déclaré irrecevable l'action engagée sur le fondement des vices cachés,

- déclaré recevable l'action engagée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux,

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,

- renvoyé l'affaire à la mise en état continue du 14 septembre 2022 pour conclusions du défendeur en vue d'une fixation dans un délai raisonnable.

Par déclaration électronique en date du 1er juin 2022, la société civile du Château Batailley et la société Borie Manoux ont relevé appel de cette décision limité aux dispositions ayant :

- déclaré irrecevable l'action engagée sur le fondement des vices cachés,

- dit que chaque partie conservera à sa charge les frais engagés non compris dans les dépens,

La société [J]-Florek, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Aci France Bouchons, n'a pas constitué avocat devant la cour.

La société civile du château Batailley et la société Borie Manoux, dans leurs dernières conclusions d'appelantes en date du 26 septembre 2022 et signifiées à la société [J]-Florek le 29 septembre 2022, demandent à la cour, au visa des articles 1604 et suivants, 1641 et suivants, 1231-1 et suivants, 2233 et suivants, 1386-1 et suivants, devenus les articles 1245 et suivants du code civil, 122 et suivants du code de procédure civile, L110-4 du code de commerce, L124-3 et suivants, L127 et suivants du code des assurances, ainsi que l'article 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme, de :

Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux du 24 mai 2022 en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée par les appelantes sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux ;

Infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux du 24 mai 2022 en ce que :

- il a déclaré irrecevable l'action engagée par les appelantes sur le fondement des vices cachés;

- il n'a pas fait droit aux demandes des Appelantes en ce qu'elles ont sollicité la condamnation de la société Areas Dommages à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'incident.

Statuant à nouveau,

- juger recevables les demandes des société la société civile du château Batailley et la société Borie Manoux formulées dans l'assignation délivrée suivant exploit d'huissier en date du 23 février 2021 comme étant non prescrites, sur le fondement de la garantie des vices cachés,

- condamner la société Areas Dommages à payer aux société la société civile du château Batailley et la société Borie Manoux la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'incident.

La société Areas Dommages, dans ses dernières conclusions d'intimée en date du 26 septembre 2022, demande à la cour, au visa des articles 1105, 1641, 1648, 1245 et suivants du code civil, 695, 699 et 700 du code de procédure civile et L. 110-4 du code de commerce, de :

Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux le 24 mai 2022, en ce que l'action engagée par la société la société civile du Château Batailley et la société Borie Manoux en garantie des vices cachés a été déclarée irrecevable ;

Infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux le 24 mai 2022, en ce que l'action engagée par la société civile du château Batailley et la société Borie Manoux sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux a été déclarée recevable ;

Infirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux le 24 mai 2022, en ce qu'il n'a pas été fait droit à la demande de condamnation de la société la société civile du Château Batailley et la société Borie Manoux à payer à la société Areas Dommages une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens de l'incident ;

Et statuant à nouveau,

- déclarer par substitution de motif que la découverte du vice caché s'est produite en 2018, antérieurement au dépôt du rapport de M. [C] du 10 avril 2019.

- déclarer l'action de la société la société civile du château Batailley et la société Borie Manoux irrecevable sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux,

Subsidiairement,

- déclarer qu'en l'état des pièces produites, l'examen des conditions d'ouverture de l'action engagée sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux relève exclusivement du juge du fond.

- condamner in solidum la société la société civile du Château Batailley et la société Borie Manoux payer à la société d'assurances mutuelles Areas Dommages une indemnité de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens pouvant être recouvrés par Maître Marin Rivière conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 novembre 2022.

Pour une plus ample connaissance du litige et des prétentions et moyens des parties, il est fait expressément référence aux dernières conclusions et pièces régulièrement communiquées par les parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Aux termes des dispositions d le'article 472 du code de procédure civile, lorsqu'une partie ne comparaît pas le juge ne fait droit à al demande que lorsqu'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Lorsqu'une partie ne constitue pas avocat en appel, elle est réputée s'approprier les motifs des premiers juges en tant qu'ils ont fait droit à ses demandes.

- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie des vices cachés

Le juge de la mise en état a accueilli la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action fondée sur la garantie des vices cachés ayant retenu que le point de départ du délai de prescription biennale peut être fixé à la date du rapport d'expertise du 10 avril 2019 mais que l'action doit être engagée dans le délai butoir de cinq ans et non de 20 ans, les deux sociétés relevant de l'application de l'article L 110-4 du code de commerce, dont le point de départ doit être fixé à compter de la vente de bouchons DU 16 juin 2014. Il en a conclu que l'action était prescrite.

Les sociétés appelantes font notamment valoir que :

- Le délai de prescription ne peut courir qu'à compter du dépôt du rapport d'expertise, date à laquelle elles ont eu connaissance du vice et de la prise de connaissance du compte rendu de l'expert M. [C] daté du 10 avril 2019, de sorte que les assignations ayant été signifiées le 23 février 2021, l'action n'est pas prescrite.

- L'article L. 110-4 du code de commerce n'a pas vocation à s'appliquer au régime des vices cachés et le délai de prescription applicable est constitué par le délai butoir de vingt ans de l'article 2232 du code civil issu de la réforme du 17 juin 2008.

- Reprenant la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, ils exposent que l'action en garantie des vices cachés doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, sans pouvoir dépasser un délai de vingt ans à compter du jour de la vente.

- En tout état de cause, le point de départ de la prescription quinquennale de l'article L110-4 du code de commerce est la connaissance du vice et non la date de la vente initiale.

La société intimée fait au contraire valoir que le point de départ du délai de deux ans pour agir à compter de la connaissance du vice n'est pas conditionné au dépôt du rapport d'expertise et que cette connaissance peut comme en l'espèce être constitué dès les premiers retours des clients auprès de la société Borie Manoux de bouteilles du millésime 2012 en 75 cl qui présentaient un goût de bouchon concernant une partie des bouteilles et que le nombre de bouteilles concernées aurait été identifié bien avant le dépôt du rapport d'expertise amiable du 10 avril 2019 et ce dès 2018, en sorte que l'action entreprise le 23 février 2021 est prescrite. En tout état de cause, elle soutient qu'entre sociétés commerciales l'action se trouvait encadrée dans un délai de 5ans de l'article L 110-4 du code de commerce courant à compter de la vente et en aucun cas à compter de la connaissance du vice conformément à une jurisprudence bien établie de la chambre commerciale, de la 3ème chambre civile et de la 1ère chambre civile de la cour de cassation. Elle soutient enfin que l'article L 110-4 du code de commerce constitue le droit commun en matière de sociétés commerciales, que l'article 2232 ne concerne que le droit de la responsabilité contractuelle et non celui de la vente et que la jurisprudence de la 3ème chambre faisant application de l'article 2232 du code civil reste marginale, ne concerne que la vente immobilière.

*Sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés :

Selon le premier alinéa de l'article 1648, ' l'action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l'acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice'.

Il n'est pas discuté la nature du délai prévu par cette action qui en l'occurrence ne présente pas un intérêt déterminant pour la solution du litige seuls étant en discussion, d'une part, le point de départ du délai biennal, dont le premier juge a retenu sans être contredit qu'il s'agissait d'un délai de prescription, et d'autre part, le délai plus large dans lequel cette prescription se trouve elle même encadrée.

S'agissant du point de départ de la prescription, l'article 1648 du code civil, le fixe à compter de la connaissance du vice. Cette notion est tempérée par la jurisprudence selon laquelle la connaissance du vice est celle par laquelle l'acquéreur a pu percevoir le vice dans toute son ampleur et ses conséquences, date qui implique une interprétation in concreto.

Sur ce point, le tribunal ne s'est pas véritablement prononcé, ayant retenu que si la connaissance du vice 'peut' être fixée à la date du dépôt du rapport d'expertise (ce qui n'excluait pas qu'elle puisse être fixée à une date antérieure) l'action était de toutes façons prescrite au regard de son encadrement dans le délai de l'article L 110-4 du code de commerce courant à compter de la vente.

Il ressort des pièces versées aux débats et notamment du rapport d'expertise amiable (pièce n° 9 de l'appelante page 4) que le millésime 2012 concerné par un goût de bouchon a été mis en bouteille en juin et juillet 2014 et que des premiers retours de client attribués au millésime 2012 et concernant des bouteilles de 75 cl ont eu lieu 'courant 2018", ce sans précision de date. L'expert observe cependant que c'est après plusieurs mois d'enquête interne que le négociant est parvenu à identifier le lot de bouchon ACI 0524 livré en juin 2014, la livraison concernant 30 000 bouchons.

Or, la société Aréa Dommages qui invoque la prescription n'établit pas que cette identification aurait été acquise dès avant le 23 février 2019 alors que l'assignation au fond a été délivrée le 23 février 2021.

Il apparaît au contraire que si une analyse du laboratoire [Localité 4] a effectivement été sollicitée qui était de nature à informer les appelantes sur l'origine du vice, elle ne l'a été que le 28 février 2019 et que les résultats n'en ont été connus que le 8 mars 2019 (pièce n° 16 de l'appelante).

Quant à l'expertise d'assurance protection juridique (pièce 9 des appelantes), il en ressort que la société TERREXPERT a été saisie le 16 janvier 2019 et que la première réunion n'est intervenue que le 25 février 2019. D'ailleurs, l'expert indique (page 5) que lors de la réunion du 25 février 2019, après avoir fait le point sur les documents contractuels, les causes et les circonstances du sinistre, il a été mis en place une procédure expertale permettant d'identifier la cause du sinistre, de sorte que celle ci demeurait entière à cette date et qu'il entrait précisément dans la mission de l'expert de la déterminer.

Il en résulte que si des premiers retours de millésimes 2012 ont eu lieu dès 2018, sans aucune autre précision, il n'est pas possible d'affirmer au vu de ce seul élément que les appelantes connaissaient, dès 2018, le vice affectant ces produits.

Dès lors, et alors que toutes les bouteilles du millésime 2012 -75 cl- n'étaient pas bouchonnées avec les mêmes lots de bouchons, ceux ci ayant été livrés en plusieurs lots entre avril et juin 2014 (lots 0124, 0224, 0324, 0424 et 0524), il n'est pas possible d'affirmer que les appelantes connaissaient avec certitude la cause du vice, du moins avant le dépôt du rapport d'analyse [Localité 4] du 8 mars 2019, ni avant la première réunion d'expertise TERREXPERT du 25 février 2019, alors que seule une connaissance précise du vice qui pouvait avoir d'autres causes ou concerner un autre lot de bouchons, constituait pour elle la connaissance du vice lui permettant d'agir.

L'action n'est donc pas prescrite au regard des dispositions de l'article 1648 du code civil et se pose dès lors la question de son encadrement dans un autre délai.

*Sur l'encadrement du délai de prescription de l'action en garantie des vices cachés dans un autre délai :

Il convient d'observer liminairement qu'en aucun cas les dispositions des articles 1641 et suivants et 1648 alinéa 1 du code civil ne distinguent entre la vente mobilière et la vente immobilière, que celles ci prévoient un délai d'action dit 'glissant' à compter de la connaissance du vice et que dès lors, l'action en garantie des vices cachés qui doit être exercée dans les deux ans de cet événement, ne saurait être encadrée dans un délai plus long, lui-même glissant, sauf à vider de sa substance la notion même d'encadrement de la prescription dans un double délai.

De même, un tel délai peut être qualifié de délai 'butoir', s'agissant de définir un délai maximal au delà duquel une action, bien que n'étant pas prescrite au regard de ses règles de prescription propres, ne peut plus être exercée en raison d'un certain délai écoulé depuis l'événement qui lui donne naissance, en l'occurrence la vente. Ce délai tient compte, notamment en matière d'action récursoire, de la nécessité de permettre, dans une chaîne de contrats, des recours, en raison d'assignations tardives, mais également de la nécessité de préserver une certaine sécurité juridique au delà d'un certain délai.

Par ailleurs, ce délai butoir d'encadrement est devenu particulièrement nécessaire du fait de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, précisément parce que celle-ci, tout en instituant des délais de prescription plus courts a tempéré cette rigueur en instaurant des délais de prescription 'glissants'.

Ceci dit, l'article L. 110-4 du code de commerce prévoit que 'I.-Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

[...]'.

Ce texte, qui ne précise nullement le point de départ de la prescription, est issue de la réforme de la prescription du 17 juin 2008 qui a fait passer ce délai de 10 ans à 5 ans, sans précision toutefois du point de départ de l'action, en sorte que celui-ci ne pouvait résulter que du droit commun de la prescription, soit les dispositions de l'article 2224 du code civil telles que résultant de cette même réforme qui instituaient également un délai 'glissant' courant 'à compter du jour ou le cocontractant a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir', en sorte que le délai de l'article L 110-4 du code de commerce ne peut constituer un délai encadrant l'action en garantie des vices cachés, y compris entre commerçants. Il s'agit par ailleurs d'un texte qui pose un délai de prescription pour les actions en responsabilité entre commerçants mais qui n'est pas 'a priori' conçu comme un délai butoir et si la jurisprudence de la 1ère chambre civile et de la chambre commerciale en ont fixé le point de départ à compter de la vente, force est d'observer que la chambre commerciale a été amenée à infléchir récemment sa position sur ce point, précisément en matière d'action récursoire où elle posait problème.

Et il apparaît que l'article 2232 aliéna 1 du code civil qui a été précisément créé par la loi n 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, dans sa rédaction applicable du 19 juin 2008 au 10 août 2016, figure au titre 'De la prescription extinctive' , Chapitre 3 'Du cours de la prescription extinctive' Section Première 'Dispositions Générales' ayant ainsi une vocation générale. Ce texte est ainsi rédigé : 'Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.', en l'occurrence à compter de la vente. Il institue ainsi clairement nullement un délai de prescription à part entière mais un délai butoir au delà duquel il n'est définitivement plus possible d'agir, quand bien l'action ne serait pas prescrite au regard de son délai de prescription propre, et quand bien même il s'agirait d'une vente entre commerçants ou entre un commerçant ou un particulier, le code de commerce ne prévoyant aucun autre délai butoir plus court.

Il s'ensuit que dans tous les cas, l'action en garantie des vices cachés doit être exercée dans le délai de deux ans courant à compter de la connaissance du vice tout en étant encadrée dans un délai butoir de 20 ans à compter de la vente.

L'action qui en l'espèce a été entreprise à la fois dans le délai de deux ans à compter de la connaissance du vice et dans le délai de 20 ans depuis la vente n'est en conséquence pas prescrite et l'ordonnance du juge de la mise en état est infirmée en ce qu'elle en a autrement décidé.

- Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux :

Le tribunal n'a pas fait droit à la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action fondée sur la responsabilité du fait des produits défectueux ayant retenu que ' la société d'assurance se contente d'invoquer les premiers retours en 2018 de clients se plaignant de vins bouchonnés, sans préciser le mois de l'année, de sorte qu'il ne peut être vérifié que le délai triennal précité est expiré pour une assignation délivrée le 23 février 2021, à supposer retenir ce point de départ de l'action et non celui invoqué par les sociétés demanderesses au fond qui prétendent qu'il doit être tenu compte du dépôt du rapport d'expert le 10 avril 2019".

La société Aréas Dommages conteste la décision entreprise qui a retenu que l'action n'était pas prescrite de ce chef, faisant essentiellement valoir, d'une part, que le point de départ de l'action est située au jour de la connaissance du défaut et non de la cause de ce même défaut, et qu'en l'occurrence les appelants ont eu connaissance du défaut par les premiers retours des clients en 2018 et que, d'autre part, l'action en responsabilité du fait des produits défectueux telle que visée à l'article 1245-1 du code civil n'aurait pas vocation à s'appliquer en matière de vins contaminés par des bouchons, la seule altération du goût ne rendant pas le vin impropre à sa consommation, en sorte que la demande serait sur ce point irrecevable comme inapplicable à l'égard de la société ACI Bouchon et en conséquence de son assureur, Aréas Dommages.

Aux termes de l'article 1245-16 du code civil, qui reprend l'article 1386-16 ancien, 'L'action en réparation fondée sur les dispositions du présent chapitre se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur'.

Il appartient à celui qui invoque la prescription de rapporter la preuve que la prescription a bien commencé à courir et donc de la date à laquelle celui qui agit a eu connaissance du vice.

Si les conditions d'application de l'action en responsabilité du fait des produits défectueux en ce qu'elles exigent d'agir dans les trois de la connaissance du 'dommage' ou du 'défaut', apparaissent plus souple que celle de la connaissance du vice en matière de vice caché qui apparaît plus technique et s'il peut être retenu que dans une certaine mesure les réclamations de clients ont pu constituer la connaissance du défaut ou du dommage, indépendamment de sa cause, il n'en demeure pas moins, ainsi que l'a justement retenu le premier juge, alors que l'action a été entreprise le 23 février 2021, que la société Aréas Dommages n'établit pas à compter de quelle date en 2018 les premières réclamations de clients sont intervenues alors qu'il suffirait qu'elles soient intervenues postérieurement au 23 février 2018 pour que l'action ne soit pas prescrite, de sorte qu'elle n'établit pas que l'action des appelantes entreprise sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, le 23 février 2021, est prescrite.

Il convient de confirmer de ce chef la décision entreprise qui a déclaré recevable l'action entreprise sur ce fondement le 23 février 2021.

Enfin, il n'appartient pas à la cour statuant sur l'appel d'une ordonnance du juge de la mise en état rendue en matière de fin de non recevoir de se prononcer sur les conditions d'ouverture de l'action entreprise sur le fondement des dispositions de l'article 1245-1 du code civil, relevant du fond du droit, l'incident étant joint au fond de ce chef.

La société Aréas Dommages succombant finalement en son incident, il convient au contraire de la condamner aux dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance étant confirmé en ce qu'elle n'a pas fait droit aux demandes en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer aux appelantes une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a déclaré recevable l'action en responsabilité du fait des produits défectueux et statué sur les frais irrépétibles de première instance.

Statuant à nouveau des chefs réformés et y ajoutant:

Déclare recevable comme non prescrite l'action en garantie des vices cachés introduite le 23 février 2021 par la Société Civile du Chateau Batailley et la société Borie Manoux.

Joint au fond l'incident tiré des conditions d'ouverture à l'action en responsabilité du fait des produits défectueux.

Condamne la société Aréas Dommages à payer à la Société Civile du Chateau Batailley et à la société Borie Manoux une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Aréas Dommages aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Annie BLAZEVIC, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 22/02646
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;22.02646 ?
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