COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION B
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ARRÊT DU : 19 JANVIER 2023
SÉCURITÉ SOCIALE
N° RG 20/04936 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-L2MZ
Monsieur [O] [T]
c/
CARSAT AQUITAINE
Nature de la décision : AU FOND
Notifié par LRAR le :
LRAR non parvenue pour adresse actuelle inconnue à :
La possibilité reste ouverte à la partie intéressée de procéder par voie de signification (acte d'huissier).
Certifié par le Directeur des services de greffe judiciaires,
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 novembre 2020 (R.G. n°20/00909) par le Pôle social du TJ de BORDEAUX, suivant déclaration d'appel du 10 décembre 2020.
APPELANT :
Monsieur [O] [T]
né le 22 Décembre 1957 à [Localité 3]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
représenté et assisté de Me Agathe BROUILLARD-TANGUY, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
CARSAT AQUITAINE prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social [Adresse 2]
représentée par Me Mégane DELBERGUE substituant Me Max BARDET de la SELARL BARDET & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 novembre 2022, en audience publique, devant Madame Sophie LESINEAU, Conseillère chargée d'instruire l'affaire, qui a retenu l'affaire
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Paule Menu, présidente
Madame Sophie Masson, conseillère
Madame Sophie Lésineau, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Evelyne GOMBAUD,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
Le délibéré a été prorogé en raison de la charge de travail de la Cour.
EXPOSE DU LITIGE
Le 6 septembre 2019, M. [T] a déposé une demande de retraite personnelle auprès de la CARSAT Aquitaine ; il déclarait avoir eu deux enfants avec son épouse et avoir élevé les deux enfants de cette dernière.
Par courrier du 3 décembre 2019, la CARSAT Aquitaine a notifié à M. [T] l'attribution d'une retraite personnelle à compter du 1er janvier 2020, sans majoration.
Par courrier réceptionné le 23 décembre 2019, M. [T] a saisi la Commission de recours amiable de sa contestation, au motif qu'il avait élevé quatre enfants.
Par courrier du 26 décembre 2019, la CARSAT Aquitaine lui a exposé qu'il ne pouvait bénéficier de cette majoration, ne remplissant pas, selon elle, les conditions légales.
M. [T] a transmis à la CARSAT des attestations de [R] et [V] [X] démontrant qu'il les a élevés dès septembre 1992.
Par décision du 16 juin 2020 la commission de recours amiable a rejeté la demande de majoration.
Le 22 juin 2020, M. [T] a saisi le pôle social du tribunal de grande instance de Bordeaux aux fins de contester la décision de rejet de la commission de recours amiable.
Par jugement du 23 novembre 2020, le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
déclaré le recours de M. [T] recevable mais mal fondé,
débouté M. [T] de ses demandes,
condamné M. [T] aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 10 décembre 2020, M. [T] a relevé appel de ce jugement.
Par ses dernières conclusions enregistrées le 24 septembre 2021, M. [T] demande à la Cour d'infirmer la décision rendue par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux en ce qu'il a déclaré le recours de M. [T] mal fondé et qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et, statuant à nouveau, de :
infirmer la décision de rejet rendue par la commission de recours amiable de la CARSAT Aquitaine en date du 16 juin 2020,
juger que M. [T] est éligible à la majoration de 10% de sa pension d'assurance vieillesse, rétroactivement à compter du 1er janvier 2020,
condamner la CARSAT Aquitaine à verser le reliquat de pension d'assurance vieillesse due entre le 1er janvier 2020 et l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jours à compter de cette signification,
condamner la CARSAT Aquitaine à verser la somme de 3 000 euros à M. [T] au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner la CARSAT Aquitaine aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions du 2 novembre 2022, la CARSAT Aquitaine sollicite de la Cour qu'elle :
confirme le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Bordeaux le 23 novembre 2020,
déboute M. [T] de l'ensemble de ses demandes,
déboute de sa demande d'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées et oralement reprises.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le principe de la majoration
Aux termes des articles L. 351-12, L. 342-4 et R. 342-2 du code de la sécurité sociale, la retraite est assortie d'une majoration de 10 %, lorsque l'assuré a eu ou élevé au moins trois enfants.
Ouvrent droit à cette majoration :
- les enfants ayant une filiation directe avec l'assuré ;
- les enfants sans filiation directe avec l'assuré, qui ont été élevés par ce dernier et ont été à sa charge, pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire ;
- les enfants sans filiation directe avec l'assuré, qui ont été élevés par ce dernier et qui ont été à la charge de son conjoint, pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire.
Les enfants n'ayant pas un lien de filiation directe avec l'assuré peuvent être pris en considération pour l'ouverture du droit à la majoration, si les conditions cumulatives suivantes sont remplies :
- ils ont été élevés, pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire, par l'assuré (condition d'éducation) ;
- ils ont été à la charge de l'assuré ou à la charge de son conjoint pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire (condition de charge).
Au titre de la condition d'éducation de l'enfant, l'enfant doit avoir été élevé par l'assuré pendant une durée minimale de neuf ans avant son seizième anniversaire. L'éducation s'entend de la direction morale apportée à l'enfant. Elle comprend les responsabilités relatives au devoir de garde, de surveillance et d'éducation dans le but de protéger l'enfant dans sa santé, sa sécurité et sa moralité. L'intéressé doit avoir assuré la responsabilité affective et éducative à l'égard de l'enfant.
En outre, l'enfant doit avoir été à la charge de l'assuré ou de son conjoint pendant une durée minimale de neuf ans avant son seizième anniversaire. La charge de l'enfant s'entend de la direction matérielle apportée à ce dernier. Outre l'éducation, la charge comprend les soins matériels nécessaires à l'enfant mais également le soutien financier apporté à ce dernier. Cette charge consiste notamment à assurer les frais d'entretien de l'enfant (logement, nourriture, habillement') tirés des obligations alimentaires faites aux parents par le droit civil (articles 203 et 213 du code civil).
Prioritairement assumée par les parents de l'enfant, la charge de l'enfant peut être assurée dans les faits par des personnes physiques ayant ou non un lien de parenté avec l'enfant. La charge de l'enfant doit être assumée :
- soit par l'assuré lui-même ;
- soit par le conjoint de l'assuré.
Selon la circulaire de la CNAV n°2022-26 en date du 14 octobre 2022, applicable au litige en ce qu'elle s'applique aux dossiers liquidés en cours de procédure contentieuse qui n'ont pas fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée, 'lorsqu'il s'agit de l'enfant du conjoint, concubin, ou partenaire pacsé, dès lors que l'assuré indique avoir assumé personnellement la charge de celui-ci, il n'y a pas lieu d'exiger que l'assuré ait été marié avec le parent biologique durant la totalité de la période d'éducation de neuf ans avant le seizième anniversaire de l'enfant. Toutefois, les déclarations de l'assuré doivent être complétées par des pièces justificatives. Il appartient à l'assuré d'apporter la preuve, par tout moyen, qu'il a eu l'enfant à sa charge.
En outre, les textes n'exigent pas que l'assuré ait assumé la charge de l'enfant à titre exclusif. Dans ces conditions, le fait que le parent biologique exerce une activité professionnelle, perçoive une pension alimentaire et/ou des allocations familiales ne s'oppose pas à l'attribution de la majoration pour enfant, dès lors que l'assuré apporte la preuve qu'il avait également la charge de l'enfant.'
En l'espèce, M. [T] communique à la Cour de nombreuses attestations et photos démontrant qu'il a pris en charge au quotidien et financièrement les enfants de Mme [M] à compter de septembre 1992. Il ressort du jugement de divorce de Mme [M] en date du 13 janvier 1994 que la résidence des enfants était fixée au domicile de la mère. Ces derniers habitaient donc au quotidien avec M. [T], dès septembre 1992 en application de l'ordonnance de non conciliation.
Il n'est pas contesté que la compagne de M. [T] n'a pas eu de revenu jusqu'en septembre 1993 et cette dernière précise dans ses déclarations qu'au regard de ses revenus pour les années 1993, 1994 et 1995'M. [T] assumait pendant cette période la quasi-totalité des charges liées aux soins et à l'éducation de mes deux enfants.' Enfin, tant la conjointe du frère de M. [T] que la mère de ce dernier, attestent que M. [T] 'était impliqué dans l'éducation des enfants tant sur le plan éducatif que matériel, qu'il assumait totalement l'intendance veillant au bien être des enfants sur tous les plans.'
En outre, il convient de relever que le bulletin de paie de décembre 1992 de M. [T] indique en en-tête '2 Enf', signifiant que ce dernier avait bien en charge les deux enfants de sa compagne, les enfants naturels de M. [T] n'étant pas encore nés en 1992. M. [T] produit aussi devant la Cour une attestation de la SAS [4] indiquant que les deux enfants de sa compagne, [R] et [V] [X], ont été rattachés au contrat complémentaire santé de ce dernier, en qualité d'ayants droit, à compter du 16 mars 1992 et jusqu'au 31 janvier 2000.
Il ressort de ces éléments que M. [T] a, dès septembre 1992 et donc pendant au moins neuf ans avant leur seizième anniversaire, élevé [V] et [R] [X] et assumé leur charge, tant sur le plan de l'éducation que matériel et financier. M. [T] est donc éligible à la majoration de sa pension de retraite sur le fondement des articles L. 351-12, L. 342-4, R. 342-2 et R 351-30 du code de la sécurité sociale. Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.
Sur la date des effets de la majoration
Selon les dispositions de l'article R 351-30 du code de la sécurité sociale, la majoration prévue à l'article L 351-12 est applicable lorsque le bénéficiaire a eu au moins trois enfants. Elle est égale à 10 % du montant de la pension. La majoration est due à la date d'entrée en jouissance de la pension si, à cette date, les conditions d'attribution sont remplies.
En l'espèce, M. [T] a demandé l'ouverture de ses droits à pension de retraite le 1er janvier 2020, date à laquelle il était éligible au bénéfice de la majoration.
M. [T] est renvoyé devant la CARSAT Aquitaine pour la notification du montant de sa retraite ainsi recalculée, partant débouté de ses demandes en régularisation sous astreinte.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
La CARSAT Aquitaine , qui succombe devant la Cour, sera condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance.
Il est contraire à l'équité de laisser à M. [T] la charge des frais non répétibles qu'il a engagé, restés à sa charge .La CARSAT Aquitaine devra payer à M. [T] la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour
INFIRME le jugement déféré en ses dispositons soumises à la Cour,
Statuant à nouveau,
JUGE que Monsieur [O] [T] est éligible au bénéfice de la majoration de 10 % de sa pension de retraite personnelle, rétroactivement à compter du 1er janvier 2020 et en tant que de besoin CONDAMNE la CARSAT Aquitaine au paiement, sans astreinte
RENVOIE Monsieur [O] [T] devant la CARSAT Aquitaine pour la notification du montant de sa retraite ainsi recalculée
Y ajoutant,
CONDAMNE la CARSAT Aquitaine aux dépens des procédures de première instance et d'appel
CONDAMNE la CARSAT Aquitaine à payer à Monsieur [O] [T] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Paule Menu, présidente, et par Madame Evelyne Gombaud, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
E. Gombaud MP.Menu