COUR D'APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 15 DECEMBRE 2022
N° RG 22/01800 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MUXX
[X] [L] [F]
c/
[B] [Z]
Nature de la décision : APPEL D'UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :15 decembre 2022
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 21 mars 2022 par le Président du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 22/00039) suivant déclaration d'appel du 12 avril 2022
APPELANTE :
[X] [L] [F]
née le 02 Mars 1958 à [Localité 3]
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
Représentée par Me Dominique DELTHIL de la SELARL DELTHIL & CONDEMINE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉ :
[B] [Z]
né le 07 Novembre 1962 à [Localité 2] (33)
de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Stéphan DARRACQ de la SCP MAATEIS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 novembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Séléna BONNET
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
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EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Propriétaire d'un terrain sis [Adresse 1], Mme [X] [F] a autorisé M. [B] [Z] à installer un mobil-home sur ledit terrain et à utiliser son garage pour y conserver du mobilier moyennant la somme de 350 euros par mois.
Par exploit d'huissier du 6 mai 2021, Mme [F] a délivré à M. [Z] une sommation de quitter les lieux sous huitaine.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 20 juillet 2021, Mme [F] a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure M. [Z] de retirer son mobil-home de son terrain et de remettre les lieux en état au plus tard le 31 août 2021. Cette mise en demeure est restée infructueuse.
C'est dans ces conditions que, par acte du 28 décembre 2021, Mme [F] a fait assigner M. [Z] aux fins d'obtenir son expulsion et le paiement d'une indemnité d'occupation.
Par ordonnance réputée contradictoire du 21 mars 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a :
- Débouté Mme [F] de l'ensemble de ses demandes ;
- Dit que les dépens resteront à la charge de Mme [F].
Pour statuer ainsi, le premier juge a considéré :
- qu'en l'absence de convention écrite et de convention de rétribution, la mise à disposition de M. [Z] du terrain appartenant à Mme [F] ainsi que de son garage s'analyse en un prêt à usage dont le terme n'a pas été précisé,
- qu'il n'est pas invoqué de besoin pressant et imprévu au sens de l'article 1889 du code civil pour reprendre la chose avant l'expiration du terme,
- qu'il n'appartient en tout état de cause pas au juge des référés d'apprécier un tel motif.
Mme [F] a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 12 avril 2022
Par conclusions déposées le 23 septembre 2022, Mme [F] demande à la cour de :
- Prononcer la nullité de l'ordonnance de référé attaquée du 21 mars 2022 ;
- Evoquer l'affaire et, statuant au fond :
- Infirmer en toutes ses dispositions, l'ordonnance attaquée et, en conséquence :
- Ordonner l'expulsion de M. [B] [Z] et de tout occupant de son chef, du terrain de Mme [F] sis [Adresse 1] ainsi que l'enlèvement de son mobil-home et de ses meubles et effets personnels entreposés dans le garage Madame [F], et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
- Condamner M. [B] [Z] au paiement de la somme mensuelle de 350 euros (trois cent cinquante euros) à titre d'indemnité d'occupation provisionnelle jusqu'à la libération totale des lieux ;
- Condamner M. [B] [Z] à verser à Mme [X] [F] la somme provisionnelle de 3 000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;
- Condamner M. [B] [Z] au paiement, au titre de la procédure de première instance, d'une somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais de la sommation de quitter les lieux en date du 6 mai 2021.
Y ajoutant,
- Condamner M. [B] [Z] au paiement, au titre de la procédure d'appel, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appe1.
Par conclusions déposées le 10 juin 2022, M. [B] [Z] demande à la cour de :
- Faire droit aux prétentions de M. [Z] ;
- Confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté Madame [F] de ses demandes à l'encontre de M. [Z] ;
- Débouter Mme [F] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de l'ordonnance de référé du 21 mars 2022 pour non-respect du contradictoire ;
- Débouter Mme [F] de sa demande de voir ordonner l'expulsion de M. [B] [Z] et de tout occupant de son chef, du terrain sis [Adresse 1] ainsi que l'enlèvement de son mobil-home et de ses meubles et effets personnels entreposés dans le garage Mme [F], et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir ;
- Débouter Mme [F] de sa demande de voir condamner M. [B] [Z] au paiement de la somme mensuelle de 350 euros à titre d'indemnité d'occupation jusqu'à la libération totale des lieux ;
- Débouter Mme [F] de sa demande de voir condamner M. [B] [Z] à lui verser la somme provisionnelle de 3.000 euros en réparation de son préjudice de jouissance ;
- Débouter Mme [F] de sa demande de voir condamner M. [B] [Z] au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en ce compris les frais de la sommation de quitter les lieux en date du 6 mai 2021 ;
- Condamner Mme [F] à payer à M. [Z] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction faite au profit de Maître Stéphan Darracq représentant la Scp Maateis.
Au visa de l'article 905 du code de procédure civile, l'affaire a fait l'objet le 4 mai 2022 d'une ordonnance de fixation à bref délai à l'audience du 3 novembre 2022 avec clôture de la procédure le 20 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité de l'ordonnance
Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile,
'Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.'
En l'espèce, comme le souligne justement l'appelante, en retenant, pour rejeter les demandes de Mme [F], que la mise à disposition de M. [Z] du terrain et du garage s'analysait en un prêt à usage, le juge des référés, qui n'a pas au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, a violé l'article 16 du code de procédure civile.
L'ordonnance, intervenue en violation du principe du contradictoire, sera en conséquence annulée.
En application de l'article 562 du code de procédure civil, l'effet dévolutif de l'appel conduit la cour à statuer sur le fond.
Sur l'occupation sans droit ni titre
Aux termes de l'article 835 du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Ainsi, l'existence de contestations sérieuses est indifférente pour la mise en oeuvre de ce texte, le trouble manifestement illicite se définissant comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit à laquelle le juge des référés peut mettre un terme à titre provisoire ; dans ce cas, le dommage est réalisé et il importe d'y mettre un terme.
En l'espèce, il est constant comme résultant des pièces produites et des explications des parties que Mme [F] et M. [Z] ont conclu un bail verbal relatif à l'occupation du terrain et du garage [Adresse 1], moyennant la somme mensuelle de 350 euros.
A l'appui de sa demande d'expulsion et d'indemnité d'occupation, Mme [F] fait valoir qu'elle a valablement donné congé à M. [Z] en délivrant à ce dernier une sommation de quitter les lieux puis en le mettant en demeure de retirer son mobil-home du terrain.
M. [Z] conteste la régularité du congé délivré.
En application de l'article 1736 du code civil, 'si le bail a été fait sans écrit, l'une des parties ne pourra donner congé à l'autre qu'en observant les délais fixés par l'usage des lieux'.
Or, il n'appartient pas au juge des référés, juge de l'évidence, d'apprécier la régularité du congé, notamment au regard du délai de préavis.
L'occupation des lieux sans droit ni titre n'étant pas démontrée, le trouble manifestement illicite n'est pas constitué et Mme [F] sera déboutée de sa demande d'expulsion et d'indemnité d'occupation.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Mme [F] en supportera la charge.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, Mme [F] sera condamnée à payer à M. [Z] la somme de 1.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Annule l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions pour violation du principe du contradictoire,
Et statuant à nouveau,
Déboute Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,
Condamne Mme [F] à payer à M. [Z] la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [F] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Stephan Darracq, représentant la SCP Maateis, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Séléna BONNET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,