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09/11/2022 | FRANCE | N°19/02593

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 09 novembre 2022, 19/02593


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 09 NOVEMBRE 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 19/02593 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LALW















Monsieur [V] [R]



c/



SARL ADIDAS FRANCE

















Nature de la décision : AU FOND















Grosse délivrée le :




à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 avril 2019 (R.G. n°F 17/01513) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 06 mai 2019,





APPELANT :

Monsieur [V] [R]

né le 03 Septembre 1974 à [Localité 5] de nationalité França...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 09 NOVEMBRE 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 19/02593 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LALW

Monsieur [V] [R]

c/

SARL ADIDAS FRANCE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 avril 2019 (R.G. n°F 17/01513) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 06 mai 2019,

APPELANT :

Monsieur [V] [R]

né le 03 Septembre 1974 à [Localité 5] de nationalité Française

Profession : Créateur d'Entreprise, demeurant [Adresse 2]

représenté par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SARL Adidas France, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 085 480 069

représentée par Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX

assistée de Me Xavier PELISSIER, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 octobre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire,et

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [V] [R], né en 1974, a été engagé en qualité de responsable de magasin, statut agent de maîtrise, par la société Reebok France Retail par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 septembre 2008.

Le 1er janvier 2010, le contrat de travail de M. [R] a été transféré à la société Adidas France et et M. [R] a été promu responsable magasin-store manager, statut cadre article 4-4 bis, coefficient C 380 de la convention collective nationale du commerce des articles de sports et d'équipements de loisirs du 26 juin 1989.

A compter du 1er janvier 2016, a été appliquée une convention de forfait jour.

A la suite d'une opération chirurgicale, M. [R] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 13 septembre 2014 au 15 février 2015 puis, à nouveau pour une intervention chirurgicale, du 21 septembre 2016 au 5 février 2017.

Il a subi un accident du travail le 17 avril 2017 ayant entraîné un arrêt de travail jusqu'au 25 juillet 2017 et a de nouveau été victime d'un accident du travail le 4 août 2017.

L'arrêt de travail initial, prescrit jusqu'au 7 août 2017 a été prolongé jusqu'au 16 août 2017.

Par lettre datée du 13 juillet 2017, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 27juillet 2017.

M. [R] a ensuite été licencié pour motif économique par lettre datée du 16 août 2017 en raison de la suppression de son poste de travail liée à la cessation de l'activité du magasin de [Localité 3].

Le 25 août 2017, M. [R] a adhéré au congé de reclassement, la rupture de son contrat de travail étant effective au 31 décembre 2017.

A la date du licenciement, M. [R] avait une ancienneté de 8 ans et 11 mois et la société Adidas France occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant à titre principal la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [R] a saisi le 26 septembre 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 26 avril 2019, a :

- jugé que la demande de M. [R] est recevable et partiellement bien fondée,

- jugé que le licenciement de M. [R] est fondé sur une cause économique réelle et sérieuse, son poste ayant été supprimé en raison de la fermeture définitive du magasin de [Localité 3] à la suite de difficultés financières de celui-ci ainsi que de l'absence de perspectives, aucune proposition de reclassement n'ayant pu lui être faite compte tenu de sa volonté expresse de refuser tout poste en dehors de [Localité 3] et de son choix de mettre en place une validation des acquis de l'expérience,

- jugé que la société Adidas France a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail en n'assurant pas un complet repos à M. [R] pendant sa première période d'arrêt de travail, soit du 13 septembre 2014 au 15 février 2015,

- condamné la société Adidas France à régler à M. [R] les sommes de :

* 1.500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 1222-1 du code du travail,

* 700 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [R] du surplus et de ses plus amples demandes,

- débouté la société Adidas France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Adidas France aux dépens.

Par déclaration du 6 mai 2019, M. [R] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 août 2022, M. [R] demande à la cour de le déclarer recevable et bien fondé en son appel, de déclarer la société Adidas France mal fondée en son appel incident, et de :

- réformer le jugement en ce qu'il a :

* jugé que son licenciement est fondé sur une cause économique réelle et sérieuse,

* jugé que la société Adidas France n'a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail en n'assurant pas un complet repos à M. [R] pendant sa première période d'arrêt de travail, soit du 13 septembre 2014 au 15 février 20I5, et limité à 1.500 euros les dommages intérêts dus sur le fondement de l'article L. 1222-1 du code du travail,

* débouté M. [R] du surplus et de ses plus amples demandes,

- le confirmer pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- condamner la société Adidas France à lui payer la somme de 70.000 euros à titre de dommages intérêts à titre principal pour licenciement nul, à titre subsidiaire, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (L. 1235-3 du code du travail),

- dire que l'employeur n'a pas déchargé M. [R] de son obligation d'exécuter sa prestation de travail durant ses arrêts de travail,

- en conséquence, condamner la société Adidas France à lui payer :

* 3.192,94 euros à titre de rappel de salaires pour les périodes du 13 septembre 2014 au 15 février 2015 et du 21 septembre 2016 au 5 février 2017,

* 319,25 euros au titre des congés payés afférents,

- dire que la société Adidas France restera tenue du remboursement des indemnités journalières que la CPAM pourrait être amenée à légitimement réclamer pour cette période,

- dire que la société Adidas France a dissimulé de façon intentionnelle une partie de l'activité salariée de M. [R],

- en conséquence, condamner la société Adidas France à lui payer la somme de 27.561,60 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail,

- dire que l'employeur a manqué aux obligations de bonne foi (L. 1222-1) et de sécurité (L.4121-1 et suivants du code du travail),

- en conséquence, condamner la société Adidas France à lui payer la somme de 15.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de ses préjudices,

- condamner la société Adidas à lui payer la somme de 2.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice subi en l'absence de délivrance des documents de fin de contrat,

- condamner la société Adidas France à lui payer 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'instance et frais éventuels d'exécution,

- dire que les condamnations porteront intérêts à compter de la saisine du conseil,

- débouter la société Adidas France de l'ensemble de ses demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 octobre 2019, la société Adidas France demande à la cour de':

- déclarer l'appel interjeté par M. [R] irrecevable, à tout le moins mal fondé,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 26 avril 2019 en ce qu'il a dit et jugé le licenciement de M. [R] est fondé sur une cause économique réelle et sérieuse, son poste ayant été supprimé en raison de la fermeture définitive du magasin de Bordeaux à la suite de difficultés financières de celui-ci ainsi que de l'absence de perspectives, aucune proposition de reclassement n'ayant pu lui être faite compte tenu de sa volonté expresse de refuser tout poste en dehors de Bordeaux et de son choix de mettre en place une validation des acquis d'expérience,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [R] des demandes de condamnations suivantes :

* 70.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

* 3.192,94 euros à titre de rappels de salaire pour les périodes du 13 septembre 2014 au 15 février 2015 et du 21 septembre 2016 au 5 février 2017,

* 319,25 euros au titre des congés payés afférents,

* 27.561,60 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

* 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de différents préjudices,

* 2.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en l'absence de délivrance des documents de fin de contrat,

* 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé en revanche que la société Adidas France a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail en n'assurant pas un complet repos à M. [R] pendant sa première période d'arrêt de travail, soit du 13 septembre 2014 au 15 février 2015,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Adidas France à verser à M. [R] les sommes suivantes :

* 1.500 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail, l'exécution de bonne foi du contrat de travail,

* 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [R] de l'ensemble de ses prétentions,

- condamner M. [R] à lui verser la somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement adressée à M. [R] le 16 août 2017 est ainsi rédigée :

« (...)

Pour rappel : le bail initial de votre magasin d'affectation, l'outlet store Reebok situé [Adresse 4], a été signé le 4 septembre 2008 par la société Reebok et repris par la société Adidas lors de la fusion avec Reebok le 1er janvier 2010.

En février 2011, compte tenu des performances économiques décevantes du magasin,

Adidas a une première fois donné congé au bailleur, qui en retour a proposé des conditions de loyer plus attractives pendant 3 ans.

adidas a donc décidé de poursuivre l'exploitation de ce magasin avec. en perspective, un accroissement du trafic du Centre Commercial (Quai des Marques) grâce à la construction du Pont Chaban Delmas et à l'ouverture de la Cité des Vins en juin 2016.

Or, Quai des Marques [Localité 3] - qui par ailleurs a trés peu investi en communication son site- reste aujourd'hui un Centre de quartier et n'arrive pas à drainer les nouveaux visiteurs attendus.

En effet, 65 % des clients font moins de 10 kms pour venir sur le Centre, alors que généralement les clients n'hésitent pas à faire 1h00 à 1h30 en voiture pour se rendre dans des outlets.

Le Centre affiche également un taux de vacances de 10 % [5 locaux sont vides sur 50] et 25% des unités commerciales sont des restaurants/terrasses. Quai des Marques devient peu à peu un lieu de vie plus qu'une destination d'achat.

Le potentiel de développement de notre chiffre d'affaires est donc limité.

Par ailleurs, en dépit des efforts visant à réduire les frais d'exploitation au maximum, le niveau de rentabilité ne permet pas de supporter les investissements nécessaires pour

faire de ce magasin vieillissant un lieu à la hauteur des ambitions de la Marque.

Ainsi, en 2016 :

- le chiffre d'affaires affiche une tendance baissière par rapport à 2015 (-3,7%) vs +9,5% en moyenne pour nos outlets (parc comparable) en dépit d'opérations spéciales -type ventes échantillons- initiées sur [Localité 3]

- la masse salariale représente 28% du chiffre d'affaire vs 14% en moyenne dans nos

outlets, et ce malgré les efforts pour optimiser au maximum la structure (4 personnes)

- le loyer pèse 14% du chiffre d'affaires vs en moyenne 11 % dans nos outlets. A noter

que le bailleur n'a pas souhaité jusqu'ici faire une nouvelle offre pour le loyer, estimant

que celui-ci est en ligne avec le prix du marché bordelais

- le magasin affiche une rentabilité de 1,3 % vs une rentabilité en moyenne de 19,9% pour nos outlets.

Au total de la période 2011-2016, le magasin a subi une perte de 38 000 €.

Conscients des difficultés structurelles du magasin à atteindre son seuil de rentabilité et compte-tenu d'un potentiel de développement du chiffre d'affaires très limité en raison du très faible potentiel commercial du Centre, il a donc été décidé de ne pas renouveler le bail arrivant à échéance le 3 septembre 2017.

Conformément aux articles L. 1233-8 et L. 2323-15 du Code du travail, le Comité d'Entreprise de la société adidas France a régulièrement été consulté sur les motivations économiques et l'impact social du projet de fermeture.

En date du 4 juillet 2017, les membres du Comité d'Entreprise ont rendu un avis favorable à l'unanimité sur le projet de fermeture ainsi que sur les mesures d'accompagnement interne et externe mises en place pour les deux collaborateurs affectés par la fermeture.

Par ailleurs, dès l'information d'un risque de non renouvellement du bail en date du 23 février 2017, nous avons mis en place des mesures d'accompagnement afin d'explorer toutes les solutions de reclassement interne ou externe en tenant compte des souhaits exprimés par chacun.

Par courriel du 27 mai 2017, vous avez confirmé ne pas être mobile pour un reclassement au sein du groupe adidas sur une autre ville que [Localité 3] et sa métropole compte tenu de votre situation familiale.

(...) ».

- Sur la motivation de la lettre de licenciement

Au visa des articles L. 1232-6 et L. 1226-9 du code du travail, M. [R] demande à la cour de dire que son licenciement est nul car la lettre de licenciement qui lui a été adressée ne mentionnait pas l'impossibilité pour l'employeur de maintenir ce contrat, pour un motif non lié à l'accident du travail dont il avait été victime.

Il résulte des dispositions combinées des articles L. 1232-6 et L. 1226-9 qu'au cours des périodes de suspension du contrat de travail ayant pour cause un accident du travail ou une maladie professionnelle, l'employeur ne peut licencier le salarié que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie.

Contrairement à ce que soutient M. [R], la lettre de licenciement est à cet égard expressément motivée puisqu'il est mentionné en page trois :

« La fermeture du magasin, l'absence de nouveaux projets sur la ville de [Localité 3] et son bassin d'emploi ainsi que votre absence de mobilité rendent impossible le maintien de votre emploi et la poursuite de votre contrat de travail.

Dans ces conditions, nous n'avons pas d'autre solution que de prononcer votre licenciement économique en raison de la suppression de votre poste liée à la cessation de l'activité de notre magasin de [Localité 3] ».

- Sur l'impossibilité de maintenir le contrat de travail

Au regard des dispositions de l'article L. 1226-9 susvisé, l'employeur doit justifier de l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de M. [R], impossibilité qui n'est caractérisée en cas de suppression pour motif économique de l'emploi que si le reclassement du salarié est impossible.

1. Sur l'existence d'une cause économique

Aux termes des dispositions de l'article L. 1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

La société fait valoir que le motif à l'origine du licenciement de M. [R] n'est bien évidemment pas la cessation d'activité de l'entreprise mais bien la cessation de l'activité d'un magasin dont le défaut de rentabilité était avéré depuis plusieurs année et de nature à affecter la compétitivité de l'entreprise dans un secteur hautement concurrentiel.

En page 15 de ses écritures, elle prétend ainsi que sur les différents critères de rentabilité, le magasin de [Localité 3] affichait des résultats bien inférieurs à tous les magasins qu'elle gère, que ce soit en terme de chiffre d'affaires, du ratio masse salariale/ chiffre d'affaires, de celui du coût du loyer/chiffre d'affaires et de sa rentabilité.

Elle indique ensuite au visa d'un tableau reproduit dans ses écritures que sur la période 2011-2016, le magasin avait subi une perte de 38.000 euros.

Elle fait également valoir que le magasin ne présentait aucun potentiel de développement au regard de son lieu de situation, soulignant que l'un de ses concurrents (Nike) avait quitté le site en 2013.

Elle ajoute que la note économique invoquée par M. [R] ne tient pas compte ni des coûts logistiques soit 40Keuros en 2015 et 46,9 Keuros en 2016 pour le magasin de [Localité 3], ni du coût de frais communs des supports fournis par le siège (management et maintenance technique notamment), la réintégration de ces coûts aggravant encore la rentabilité du magasin.

*

La société ne verse aux débats aucun élément comptable.

La comparaison des critères de rentabilité du magasin de [Localité 3] avec ceux des autres magasins gérés par la société ne repose que sur les seules affirmations de celle-ci en page 15 de ses écritures, de même que le tableau qui y est reproduit qui n'est étayé par aucune pièce comptable.

Il en est de même des chiffres relatifs à la fréquentation du Quai des Marques invoqués en page 16 des écritures de la société.

Par ailleurs, quels que soient les chiffres retenus quant à la performance du magasin de [Localité 3], la menace qui résulterait des résultats de ce magasin sur la compétitivité de l'entreprise n'est étayée par aucun élément, la seule affirmation dans les écritures de l'existence d'une telle menace ne pouvant suffire à en retenir la réalité.

La cause économique du licenciement n'est ainsi pas établie.

2. Sur l'obligation de reclassement

Aux termes des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

La société fait valoir que M. [R] aurait refusé tout reclassement interne en dehors de la région bordelaise ainsi qu'il l'avait fait savoir par mail du 27 mai 2017.

En réponse à la référence faite par M. [R] dans ses écritures à une "trentaine de recrutements en cours ou finalisés" , elle ajoute au visa de sa pièce 10 (compte-rendu de la réunion du comité d'entreprise du 4 juillet 2017) que ces recrutements concernaient tous des postes basés en dehors de la région bordelaise.

Elle verse également aux débats son "registre du personnel" qui témoignerait de l'absence de poste disponible à Bordeaux (pièce 32), document critiqué par le M. [R] car il ne comporte pas la mention du lieu de travail pour tous les salariés.

Elle fait également valoir que l'ouverture d'un showroom à [Localité 3] n'était alors qu'un projet et qu'en tout état de cause, il ne s'agit pas d'espaces de vente mais de lieu d'accueil des clients pour la présentation des collections produits et la prise d'ordre.

Enfin, elle précise que M. [J] avait été, non pas engagé le 1er octobre 2016, mais affecté provisoirement à [Localité 3] pour remplacer M. [R] en raison de l'absence de celui-ci pour maladie et qu'à l'issue, il a repris ses fonctions à [Localité 6].

*

Ainsi que le soutient M. [R], la pièce 32 ne peut être considérée comme un registre du personnel : elle est d'ailleurs intitulée non pas comme tel mais comme "la liste des salariés présents au 04.07.2018 ou sortis depuis le 04.04.2013".

Certains lieux d'affectation n'y sont d'ailleurs pas mentionnés et, s'agissant de M. [J], cette pièce est en contradiction avec le caractère temporaire de l'affectation de ce salarié en remplacement de M. [R] (pièce 26 de la société) puisque sur la pièce 32, M. [J] apparaît comme ayant été engagé le 1er octobre 2016 à [Localité 3] et y figure toujours comme tel dans cette pièce 32.

Par ailleurs, la cour relève que la société reste très imprécise quant à l'ouverture d'un open space de 1.200 m² à [Localité 3] : si le compte-rendu de la réunion du comité d'entreprise du 4 juillet 2017 (pièce 10 société et pièce 26 M. [R]) fait état de la construction d'un budget "2018-2022" à ce sujet, il mentionne aussi que cette construction se fera courant juillet.

Aucune date de l'ouverture de ce lieu n'est fournie et il ne peut être valablement soutenu qu'une surface de 1.200 m² peut être ouverte au public sans employer de salariés.

L'impossibilité de reclassement n'est donc pas plus établie que le caractère réel et sérieux de la cause économique du licenciement et que l'impossibilité de maintenir le contrat de travail de M. [R].

Les conditions prévues par l'article L. 1226-9 du code du travail n'étant pas réunies, il y a lieu en conséquence de dire que le licenciement de M. [R] est nul en application des dispositions de l'article L. 1226-13.

*

M. [R] sollicite la somme de 70.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement soit environ 15 mois de salaire qu'il percevait, chiffré à 4.593,60 euros par mois.

Il fait valoir qu'il a suivi une formation durant laquelle il était pris en charge par Pôle Emploi à hauteur de 1.730 euros par mois, qu'il a ensuite échoué dans sa tentative de création d'entreprise et que l'emploi qu'il a retrouvé en février 2020, est nettement moins rémunéré (2.066 euros bruts par mois).

A titre subsidiaire, la société Adidas souligne le caractère excessif de la somme sollicitée, correspondant selon elle à 19 mois de salaire, souligne qu'elle a versé à M. [R] une aide à la création d'entreprises de 5.000 euros.

*

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [R], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice résultant de son licenciement.

Sur les demandes indemnitaires au titre des manquements de l'employeur à ses obligations

- Sur le non-respect de l'obligation de décharger le salarié de toute activité durant ses arrêts de travail

M. [R] soutient que durant son arrêt de travail des 13 septembre 2014 au 15 février 2015, n'ayant pas été remplacé, il a été contraint de poursuivre son activité, étant sollicité quotidiennement, sa collaboratrice en attestant et l'employeur en ayant d'ailleurs tenu compte dans son évaluation de fin d'année 2014 en relevant que pendant sa longue absence, il avait conservé une communication à distance et une aide précieuse à distance pour soutenir son équipe.

Ces interventions auraient selon lui perturbé ses séances de rééducation.

Lors de sa reprise en mi-temps thérapeutique, l'employeur aurait en outre refusé d'organiser son emploi du temps de façon à lui permettre de poursuivre sa rééducation.

S'agissant du second arrêt de travail du 21 septembre 2016 au 5 février 2017, M. [R]

reconnaît qu'il a été moins sollicité puisqu'il avait été remplacé mais évoque néanmoins des demandes téléphoniques de son remplaçant qui auraient gravement perturbé son repos et sa rééducation.

La société conteste avoir "contraint" M. [R] à travailler durant ses arrêts de travail soulignant que les mails qu'il produit à ce sujet sont pour la plupart des courriels d'information n'apportant pas de réponse de sa part.

Elle ajoute que s'agissant du premier arrêt de travail, son remplacement avait été difficile car elle n'avait pas de visibilité sur la durée de son absence.

*

Le témoignage de Mme [M], collaboratrice de M. [R], n'est guère probant des missions effectuées ; elle indique seulement en effet que celui-ci « a été contacté et mis sous pression à multiples reprises par la direction lors de ses divers arrêts maladie, ainsi, il a parfois dû travailler de chez lui lors de ses périodes ». Ces déclarations ne sont pas suffisamment précises ni quant "aux pressions exercées" ni quant aux tâches accomplies.

En revanche, certains des mails produits établissent que M. [R] a effectivement été sollicité à plusieurs reprises au sujet du fonctionnement du magasin alors qu'il était en arrêt de travail, notamment par les services "centraux de la société", les échanges démontrant, contrairement à ce que soutient la société, qu'il ne s'agit pas, pour nombre d'entre eux, de simples transmissions à titre informatif, mais bien des questions auxquelles M. [R] était invité à répondre.

Il ne saurait pour autant en être déduit que M. [R] était en situation de travail comme s'il avait été présent à son poste et encore moins en situation de travail dissimulé en sorte que l'appelant sera débouté de ses demandes en paiement de rappel de salaires et congés payés afférents et au titre de l'indemnité pour travail dissimulé.

- Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de loyauté et de sécurité

M. [R] sollicite la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice physique et moral résultant des manquements suivantes :

- droit eu repos non respecté,

- convalescence, rééducation et vie familiale perturbées,

- surmenage l'ayant contraint à entamer un suivi psychologique et un traitement anti-dépresseur à compter de septembre 2015,

- tardiveté dans l'organisation des visites médicales.

Il a été retenu ci-avant que l'employeur avait manqué à son obligation de décharger M. [R] de toute activité durant ses arrêts de maladie.

Les sollicitations faites au salarié durant ses arrêts de travail caractérisent un manquement de la société aux obligations lui incombant et sont de nature à expliquer les termes du certificat médical produit en pièce 9 par M. [R] qu'il n'y a pas lieu d'écarter, le médecin ayant pu valablement constater un état de "surmenage" de son patient qui d'ailleurs, au cours de son entretien professionnel de mi-année 2016, soulignait que la charge de travail de janvier à août avait été intense.

Le retard dans l'organisation de la visite de reprise, à l'issue du second arrêt de travail, n'est en revanche pas établi par la pièce 40 visée par M. [R] dans ses écritures.

La pièce 8bis pages 16 et 17 de M. [R] ne démontre pas non plus que la société aurait "refusé une organisation de son emploi du temps lors de sa reprise en mi-temps thérapeutique [en réalité à 80%] lui permettant de poursuivre sa rééducation ».

En considération de ces divers éléments, il sera alloué à M. [R] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

- Sur la demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en l'absence de délivrance des documents de fin de contrat

Cette demande qui figure à hauteur de 2.000 euros dans le dispositif des écritures de M. [R] ne fait l'objet d'aucune motivation ni en droit ni en fait dans le corps de celles-ci.

Elle sera en conséquence rejetée.

Sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

La société Adidas, partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [R] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [V] [R] de ses demandes de rappel de salaires et congés payés afférents, d'indemnité pour travail dissimulé et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en l'absence de délivrance des documents de fin de contrat,

Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmés,

Dit que le licenciement de M. [V] [R] est nul,

Condamne la société Adidas France à payer à M. [V] [R] les sommes suivantes

- 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement,

- 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de la société à ses obligations de loyauté et de sécurité,

- 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rappelle que les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société Adidas France aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/02593
Date de la décision : 09/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-09;19.02593 ?
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