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09/11/2022 | FRANCE | N°18/06570

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 09 novembre 2022, 18/06570


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 09 NOVEMBRE 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 18/06570 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KYLK













Madame [L] [I]



c/



SAS AUCOFFRE.COM

















Nature de la décision : AU FOND











Grosse délivrée le :



à :

Déc

ision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 novembre 2018 (R.G. n°F 16/00343) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 10 décembre 2018,





APPELANTE :

Madame [L] [I]

née le 05 Mai 1983 à [Localité 3] de nationalité Française, dem...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 09 NOVEMBRE 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 18/06570 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KYLK

Madame [L] [I]

c/

SAS AUCOFFRE.COM

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 novembre 2018 (R.G. n°F 16/00343) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 10 décembre 2018,

APPELANTE :

Madame [L] [I]

née le 05 Mai 1983 à [Localité 3] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Estellia ARAEZ, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Aucoffre.Com, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

représentée par Pierre FONROUGE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX,

assistée de Me Me Virginie GLORIEUX KERGALL, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 octobre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente et Madame Bénédicte Lamarque, conseillère chargée d'instruire l'affaire

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sylvie Tronche, conseillère

Madame Bénédicte Lamarque, conseillère

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [L] [I], née en 1983, a été engagée en qualité de chef de produit par la SAS AUCOFFRE.COM par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2012.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail non alimentaire.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [I] s'élevait à la somme de 4.000 euros.

Mme [I] travaillait avec son compagnon M. [F], ingénieur développement en informatique au sein de la société et était placé sous la hiérarchie de M. [E], directeur marketing.

Le 5 novembre 2015, comme l'ensemble des salariés de l'établissement bordelais de la société, Mme [I] a reçu un mail de Mme [G], déléguée du personnel, l'informant de la mise à pied à titre conservatoire de M. [E].

Le 17 novembre 2015, M. [F] a été mis à pied à titre conservatoire dans l'attente de la tenue de son entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement.

Le lendemain, soit le mercredi 18 novembre 2015, Mme [I] était reçue à sa demande, par le médecin du travail. Mme [I] a à nouveau rencontré le médecin du travail le 23 novembre 2015 qui, à l'issue de cette rencontre, l'a renvoyée vers son médecin traitant, lequel lui a délivré un certificat d'arrêt de travail.

Le 11 décembre 2015, à l'occasion d'une seconde visite, le médecin du travail a émis un avis d'inaptitude à tous les postes concernant Mme [I] en ces termes : « inapte totale et définitive à tous les postes de l'entreprise ' étude de poste de travail faite le 26 novembre 2015 ».

M. [E] et M. [F] ont été licenciés pour faute grave respectivement le 30 novembre 2015 et le 15 décembre 2015, le premier se voyant reprocher un comportement humiliant, méprisant et agressif à l'égard des salariés, le second, pour des défaillances dans l'exécution de ses missions.

Par lettre datée du 31 décembre 2015, Mme [I] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 janvier 2016. Elle a ensuite été licenciée pour inaptitude médicale avec impossibilité de reclassement par lettre datée du 20 janvier 2016.

A la date du licenciement, la société était composée de 18 salariés.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [I] a saisi le 8 février 2016 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 9 novembre 2018, a :

- dit que le licenciement de Mme [I] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné la société à verser à la salariée les sommes suivantes :

* 666,40 euros au titre de paiement du solde d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 7.000 euros au titre du solde des primes d'objectifs 2014 et 2015,

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit, conformément aux dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail, dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois, cette moyenne étant de 4.000 euros,

- débouté Mme [I] du surplus de ses demandes,

- débouté la société de l'ensemble de ses autres demandes,

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 10 décembre 2018, Mme [I] a relevé appel de cette décision, notifiée par lettre du greffe adressée aux parties le 9 novembre 2018.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 novembre 2021, Mme [I] demande à la cour de':

- ordonner le rabat de la clôture des débats au jour des plaidoiries,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

* 666,40 euros nets au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 7.000 euros au titre du solde des primes d'objectifs 2014 et 2015,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- constater que son inaptitude définitive à son poste de travail trouve son origine dans les manquements de l'employeur à l'obligation de sécurité,

- constater que la société ne justifie pas de l'impossibilité de reclassement,

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société à lui verser la somme de 48.000 euros nets de CSG et CRDS à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail,

- condamner la société au versement des sommes suivantes :

* 12.000 euros bruts d'indemnités de préavis,

* 1.200 euros bruts d'indemnités de congés payés sur préavis,

* 4.200,88 euros bruts au titre du rappel de salaire durant l'arrêt maladie,

* 2.000 euros nets de dommages et intérêts en réparation du préjudice lié à la remise de l'attestation Pôle Emploi erronée,

* 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution,

- débouter la SAS AUCOFFRE.COM de ses demandes reconventionnelles.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 novembre 2021, la société AUCOFFRE.COM demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter Mme [I] de sa demande portant sur la requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de ses demandes pécuniaires en résultant (dommages et intérêts et préavis et congés payés sur préavis),

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

* dit qu'il n'y avait lieu à un rappel de salaire au titre de l'arrêt maladie,

* dit qu'il n'y avait lieu au paiement de dommages et intérêts pour absence de préjudice lié à la remise de l'attestation Pôle Emploi,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- condamner Mme [I] à lui rembourser la somme de 666,40 euros payée en exécution provisoire du jugement et complétée de la somme de 99,87 euros perçus indûment au titre de l'indemnité de licenciement,

- condamner Mme [I] à lui rembourser :

* 7.000 euros payés à titre provisoire au titre du solde des primes d'objectifs 2014 et 2015,

* 1.661,50 euros au titre des salaires indûment perçus pour la période du 11 au 20 janvier,

A titre subsidiaire,

- Dans l'hypothèse où la cour jugerait le licenciement sans cause réelle et sérieuse, limiter le montant de la demande de dommages et intérêts à 6 mois de salaires,

- Dans l'hypothèse où la cour jugerait fondée la demande de rappel d'indemnité de licenciement, limiter la demande et calculer le montant de l'indemnité en fonction d'une ancienneté de 3 ans 7 mois et 23 jours et à défaut 3 ans 10 mois et 23 jours sur la base d'une rémunération de 51.000 euros.

- Dans l'hypothèse où la cour jugerait fondée la demande de rappel de salaire pour la période de maladie, limiter le montant de la demande de paiement du complément salarial au titre de la période de maladie à 3.147,44 euros (si la demande reconventionnelle de l'employeur sur la période du 11 au 20 janvier est accordée et qu'il n'y a pas remise en cause du fixe à hauteur de 4.000 euros) ou à 2.411,97 euros bruts (si la demande reconventionnelle de l'employeur n'est pas accordée et qu'il n'y a pas remise en cause du fixe mensuel à hauteur de 4.000 euros). Il sera tenu compte des 120,11 euros perçu indûment pour les 8 premiers jours de son arrêt maladie.

- Dans l'hypothèse où la cour confirmerait le jugement concernant les primes sur objectifs, condamner Mme [I] à rembourser à la société l'augmentation de salaire brut fixe de 660 euros accordé en contrepartie de la diminution de la prime à 5.100 euros sur douze mois, soit un rappel de salaire pour les mois de février 2014 à novembre 2015, soit 9.240 euros bruts.

En tout état de cause,

- condamner Mme [I] à verser à la société les sommes suivantes :

* 500 euros en réparation du préjudice subi suite à la restitution de l'ordinateur endommagé,

* 5.000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [I] aux dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexavoué Bordeaux en application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 novembre 2021 et l'affaire, fixée initialement au 6 décembre 2021, a été renvoyée à l'audience du 3 octobre 2022 à la demande du conseil de l'une des parties. A la demande de Mme [I], et avec l'accord de la société, il a été ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture, reportée à la date du 3 octobre, avant l'ouverture des débats.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la contestation du licenciement pour manquement à l'obligation de sécurité et à l'obligation de reclassement

L'employeur est tenu d'une obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en vertu des dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail et il lui appartient d'assurer l'effectivité de cette obligation de sécurité en assurant la prévention des risques professionnels.

Lorsque l'inaptitude médicalement constatée d'un salarié trouve son origine dans un ou plusieurs manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, le licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement est sans cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, Mme [I] soutient que l'inaptitude totale et définitive à tous les postes dans l'entreprise prononcée par le médecin du travail le 11 décembre 2015 résulte de la dégradation brutale de ses conditions de travail et de son état de santé du fait des manquements de l'employeur à son obligation de sécurité.

Mme [I] invoque également l'absence de recherche de reclassement de la part de l'employeur, qui devait lui proposer des postes en interne, et notamment le poste libéré par M. [E] mais aussi des postes dans le groupe auquel il appartient.

La société conteste le manquement à l'obligation de sécurité qui lui est reproché aux motifs que Mme [I] n'a jamais fait part de son mal-être avant le 23 novembre 2015, date de son arrêt maladie.

Concernant son obligation de reclassement, la société rappelle avoir fait deux propositions à Mme [I] qui les a refusées. Elle indique toutefois être dispensée de cette obligation lorsque l'avis du médecin conclut à l'inaptitude totale.

***

Mme [I] produit 3 attestations de M. [X], ingénieur développement, Mme [T], ancienne conseillère dans la société et ayant démissionné en mai 2015 et M. [E], directeur marketing, licencié pour faute grave en décembre 2015.

Il ressort de ces témoignages l'existence d'une ambiance pesante au sein de la société liée à une scission du personnel entre les hispanophones et les autres, ces derniers se sentant exclus du reste des salariés, que cette pratique était par ailleurs encouragée par le dirigeant M. [O] et son épouse salariée de l'entreprise. Mme [I] ne parlant pas espagnol a témoigné de son isolement, renforcé avec la mise à pied de ses deux collègues avec lesquels elle partageait l'open space, M. [E] et M. [F].

Il ressort également de ces témoignages et de celui de Mme [I] au médecin du travail et à l'inspecteur du travail qu'elle a saisi le 14 décembre 2015 un "management par la peur", ressenti par ces 4 salariés : M. [X] déclare être "victime de cette ambiance et de ce management qui m'empêche d'avancer dans mon travail au sein de cette société" et a été placé en arrêt maladie pour surmenage avant d'être licencié pour inaptitude en janvier 2016.

Mme [T] indique avoir démissionné le 30 mai 2015 alors qu'elle était en poste au sein de la société depuis le 12 décembre 2012 "à cause des mauvaises conditions de travail et du management destructif".

Après un entretien de "recadrage" de Mme [I] en juillet 2013 par M. [O], Mme [T] précise : "nous avions tous peur d'être convoqué à notre tour", M. [E] confirme : "nous ne sommes jamais à l'abri de ce que le fondateur appelle "un recadrage" que je trouve destructeur voir dévastateur". Ce dernier a assisté à l'entretien de Mme [I] en juillet 2013 et atteste de ce qu'il était "à charge et irrespectueux (...) Cela a beaucoup affecté [L]".

Si le dossier médical de Mme [I] note un état de satisfaction à son poste en septembre 2015 lorsqu'elle reprend après un congé maternité, elle évalue toutefois son stress professionnel à 8. La société n'évoque pas les conditions de reprise de son poste après son congé maternité et si sa charge de travail a été absorbée par ses collègues en son absence ou si elle a du faire face à un stress lié à la reprise de son emploi.

Ces témoignages attestent de la difficulté pour Mme [I] de faire part de son mal-être directement à son employeur.

Il résulte par ailleurs articles L. 4121-3 et R. 4121-1 du code du travail que l'employeur est tenu d'évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique. La société est défaillante dans l'établissement de ce document ce qui constitue un manquement à son obligation de sécurité.

Elle ne justifie pas non plus avoir mis en place des actions de prévention pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs et notamment des mesures qui concerneraient la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

A partir du 5 novembre 2015, la société va être connaître une situation de "crise" avec la diffusion d'un mail de la déléguée du personnel appelant à venir témoigner à en faveur ou à l'encontre de M. [E], directeur marketing soupçonné de faits de harcèlement sans plus de précision.

M. [E], supérieur hiérarchique direct de Mme [I], a été mis à pied le 4 novembre et sera licencié pour faute grave. Le 17 novembre 2015, M. [F] en charge du service technique et informatique a également été mis à pied après constat d'huissier lors d'un entretien et copies d'écran de son ordinateur. Il sera licencié pour faute grave.

Même si ces mises à pied et ces procédures relèvent du pouvoir disciplinaire de l'employeur, la société ne pouvait pas ignorer le retentissement qu'auraient ces mesures en son sein.

Il est certes justifié que M. [O], dirigeant a reçu Mme [I] le jour de la mise à pied de M. [F], compagnon de celle-ci et père de son enfant pour la rassurer.

Toutefois, la société, qui informée dès le 28 octobre 2015 de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, ne justifie pas avoir pris toutes les mesures immédiates propres à le faire cesser, en se limitant à confier l'enquête interne à la déléguée du personnel, amie du dirigeant, chargée de recueillir les éventuels témoignages des salariés. Il n'a pas non plus mis en oeuvre une organisation de travail ou des moyens adaptés pour assurer la santé mentale de Mme [I], procédant dès le 5 novembre à une réorganisation spatiale des bureaux qui confirmait l'éviction de M. [E] et M. [F] et l'isolement de Mme [I].

La taille de l'entreprise, la participation de membres de la famille de M. [O], à savoir son épouse, M. [B], son beau-frère, mais aussi d'amis proches comme Mme [G], déléguée du personnel ont rendu difficile la libération de la parole.

Mme [I] justifie être victime d'un trouble psychosocial reconnu le 23 novembre 2015 par le médecin du travail, qui évoque immédiatement avec elle une éviction de l'entreprise. Mme [I] a en effet été vue en urgence, puis 3 jours plus tard pour être déclarée totalement et définitivement inapte à tous les postes de l'entreprise.

Mme [I] a bénéficié d'un arrêt de travail dès le 23 novembre 2015 sans reprise de poste.

Le 7 décembre 2015, le Dr [R], médecin psychiatre, écrit au médecin du travail que Mme [I] présente "un état anxieux sévère avec pessimisation morbide, pleurs spontanés à l'évocation de son milieu de travail, perte de l'appétit et du sommeil. Elle évoque un état de souffrance au travail très important depuis 3 mois, moment de sa reprise (...) de congé maternité. Elle se sent douloureusement remise en cause dans un investissement professionnel que, jusque là, elle avait produit sans compter" . Le médecin précise qu'au regard de son état d'anxiété, il a été obligé de lui prescrire des médicaments alors que par principe il évite de "mêler la psychothérapie et prescription médicamenteuse".

Mme [I] produit le courrier du CHU de Bordeaux, service de médecine du travail du 11 janvier 2016, qui évoque un état de décompensation psychologique, les derniers événements rapides et vécus comme violents par elle ayant précipité son état dont elle n'avait pu faire part, tentant de "faire face (...) pendant de nombreuses années".

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que l'inaptitude médicale de la salariée s'inscrit dans le contexte d'un mal-être au travail qui n'a pu s'exprimer en raison du manquement de l'employeur à ses obligations de sécurité consistant d'une part, en la prévention de tout risque, y compris par l'information et la réalisation d'un DUERP et, d'autre part, en prenant toutes les mesures adéquates dès la connaissance au sein de l'entreprise de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral.

L'accélération d'événements disciplinaires en novembre 2015 sur des salariés proches de Mme [I] a entraîné une aggravation importante de son état de santé, dès lors qu'en moins d'un mois elle a été déclarée inapte à tout poste dans l'entreprise avec nécessité d'éviction.

La dégradation de l'état de santé a conduit au constat de son inaptitude médicale.

Il sera donc considéré que l'employeur, en ne mettant pas en oeuvre toutes les mesures de prévention nécessaires, a par ce manquement à son obligation de sécurité, contribué à l'inaptitude médicalement constatée.

Au surplus, la société ne justifie d'aucune démarche précise qu'elle aurait effectuées pour parvenir au reclassement de Mme [I] dans le respect des préconisations du médecin du travail, ne procédant que par affirmation dans son courrier et elle ne démontre pas avoir sollicité les entreprises du groupe auquel elle appartient : ABW Traductions, Lingold Ltd, Lingoro.com ou Veracash.

Dès lors, le licenciement de Mme [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et le jugement sera informé sur ce chef.

Sur les demandes pécuniaires au titre du licenciement

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale commerces de détail non alimentaire.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [I] s'élevait à la somme de 4.000 euros.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [I], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi dès le 6 avril 2016, et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il lui sera alloué la somme de 30.000 euros de nature à assurer la réparation du préjudice subi par Mme [I] à la suite de son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sera rappelé que les sommes allouées par la présente décision sont exonérées des cotisations sociales et des contributions fiscales dans les conditions légales et réglementaires applicables.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera en outre ordonné le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à la salariée depuis son licenciement soit, au vu des pièces produites, la somme de 2.222,10 euros nets.

***

Compte tenu de son ancienneté et de sa qualité de cadre, Mme [I] se verra allouer la somme de 12.000 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis conformément aux dispositions de la convention collective outre 1.200 euros au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis.

***

S'agissant du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement, Mme [I] demande que soient repris dans son ancienneté les 3 mois de préavis auquel elle a droit, lui permettant ainsi de comptabiliser 4 ans d'ancienneté.

La société rappelle qu'au temps effectué par Mme [I] dans l'entreprise doivent être déduits les 2 mois d'arrêt maladie et le mois de congés parental, réduisant ainsi son ancienneté à 3 ans, 7 mois et 23 jours.

Conformément à la lecture combinée des articles L. 1226-4, L. 1226-16 et 1234-4 du code du travail, en cas d'inexécution du préavis consécutive à une inaptitude, la période de travail non exécutée de ce fait doit être prise en compte pour le calcul de l'indemnité de licenciement. L'ancienneté s'apprécie à la date du prononcé du licenciement, étant précisé que le contrat de travail est maintenu pendant la durée du préavis.

S'agissant du temps de congé parental, les indemnités de licenciement dues à une salariée dans cette position administrative doivent être calculées sur son salaire reconstitué à temps plein. En revanche, les périodes de suspension du contrat pour maladie ordinaire n'entrent pas en compte pour le calcul de l'ancienneté.

En conséquence, au vu de l'ancienneté de Mme [I] de 3 ans, 8 mois et 23 jours retenant la durée du préavis et le congé parental, l'indemnité conventionnelle de licenciement, sera fixée à la somme de 3.605,51 euros.

Il convient de déduire la somme versée par l'employeur à ce titre lors du solde de tout compte et de condamner la société à verser à Mme [I] la somme de 505,38 euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le rappel de prime d'objectifs

Mme [I] sollicite le versement de la prime de 10.000 euros bruts telle que fixée dans le contrat de travail, conditionnée à la réalisation d'objectifs annuels, soit l'acquisition de 500 nouveaux membres.

La société s'oppose à cette demande et rappelle que la prime d'objectifs doit être versée au prorata du temps effectif dans la société, en prenant également en compte le congé maternité et l'arrêt maladie en 2015.

Subsidiairement, la société demande le remboursement de la somme de 660 euros par mois correspondant à l'augmentation de salaire accordée à la salariée à compter de février 2014 soutenant qu'il avait été convenu que cette augmentation devait entraîner une diminution de la prime annuelle.

L'article 3 du contrat de travail ne prévoit pas de versement partiel à proportion de la réalisation des objectifs réalisés ni du temps de travail effectif dans la société.

Dès lors, si Mme [I] a bien perçu une prime de 7.500 euros en 2014 par des versements en janvier et septembre, et 5.500 euros en 2015, la société reste redevable à son égard de la somme de 2.500 euros pour l'année 2014 et 4.500 euros pour l'année 2015.

La société ne démontre pas avoir mensualisé cette prime de manière équivalente à une augmentation du salaire et le versement d'une partie de la prime démontre l'atteinte des objectifs.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de Mme [I] de ce chef

Sur le rappel de salaire pendant l'arrêt de travail et sur la demande reconventionnelle de la société au titre de l'article L. 1226-2 du code du travail

Mme [I] sollicite le paiement de la somme de 4.200,88 euros au titre du rappel de salaire pendant l'arrêt de travail correspondant au salaire dû sur la période d'arrêt maladie ordinaire du 23 novembre 2015 au 10 janvier 2016.

La société conteste devoir une rémunération pendant cette période dès lors que Mme [I] ne pouvait plus occuper son poste de travail et que l'employeur n'était pas tenu de prendre en charge le maintien de son salaire sous déduction des indemnités journalières pendant une durée maximale d'un mois à partir du 2ème examen du médecin du travail confirmant l'inaptitude.

Reconventionnellement, la société sollicite le remboursement de la somme de 1.661,50 euros au titre du remboursement du salaire perçu à tort pendant la période du 11 janvier au 20 janvier.

***

Le licenciement a été déclaré sans cause réelle et sérieuse. Par conséquent, Mme [I] est fondée à prétendre à la mise en oeuvre de la garantie de salaire.

Mme [I] a été placée en arrêt maladie du 23 novembre 2015 au 31 janvier 2016, la période postérieure au licenciement devant être prise en compte jusqu'au 31 janvier 2016, comme étant incluse dans la période de préavis, conformément aux articles L. 1.234-1 et 5 du code du travail.

Conformément à la convention collective, à partir du 8ème jour d'arrêt maladie, Mme [I] avait droit à la prise de sa rémunération par l'employeur à hauteur de 90 % de sa rémunération brute, déduction faite des indemnités journalières pendant 30 jours et 70% pendant les 30 jours suivants.

Au vu des attestations de l'assurance maladie et du décompte produit, la société sera condamnée à verser à Mme [I] la somme de 2.295,57 euros correspondant au rappel de salaire restant dû pendant la période d'arrêt maladie et en compensation des indemnités journalières versées par la caisse de sécurité sociale, jusqu'au 20 janvier, déduction faite des versements de la société pour une partie sur le mois de novembre et pour le reste sur la période du 12 au 20 janvier 2016.

Sur la demande de dommages et intérêts pour remise d'une attestation Pôle Emploi erronée.

Mme [I] invoque la faute de la société qui l'a privée de revenu pendant 2 mois jusqu'à régularisation en lui remettant une attestation Pôle Emploi erronée.

La société s'oppose à cette demande en raison des droits à congés dont bénéficiait Mme [I], exposant avoir régularisé la situation dans les meilleurs délais.

***

Mme [I], ayant été en situation d'arrêt de travail pour maladie puis en congés, ne justifie pas que l'erreur commise dans la première attestation qui lui a été délivrée a entraîné sa prise en charge tardive par Pôle Emploi.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [I] de cette demande.

Sur la demande reconventionnelle au titre de la restitution de son ordinateur endommagé

La société qui sollicite la somme de 500 euros au titre de la restitution en mauvais état de l'ordinateur mis à la disposition de Mme [I], ne justifie pas de cet état ni de ce que l'ordinateur aurait été restitué sans batterie et sera déboutée de sa demande.

Sur les autres demandes

La société, partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement à Mme [I] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement du conseil des prud'hommes déféré en ce qu'il a fait droit à la demande de Mme [I] sur le rappel de la prime d'objectifs à hauteur de 7.000 euros et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du retard dans la remise de l'attestation Pôle Emploi,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [L] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS AUCOFFRE.COM à verser à Mme [L] [I] les sommes suivantes

- 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 505,38 euros au titre du solde de l'indemnité de licenciement,

- 12.000 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 1.200 euros bruts au titre des congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

- 2.295,57 euros bruts au titre du rappel de salaire durant l'arrêt maladie jusqu'au 20 janvier 2016,

Rappelle que les sommes allouées par la présente décision sont exonérées des cotisations sociales et des contributions fiscales dans les conditions légales et réglementaire applicables,

Ordonne le remboursement par la SAS AUCOFFRE.COM à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à Mme [L] [I] depuis son licenciement dans la limite de la somme de 2.222,10 euros nets,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la SAS AUCOFFRE.COM aux dépens de la procédure de première instance et d'appel,

Condamne la SAS AUCOFFRE.COM à verser à Mme [L] [I] la somme de 4.000 euros au titre des frais irrépétibles supportés en première instance et en cours d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 18/06570
Date de la décision : 09/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-09;18.06570 ?
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