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20/10/2022 | FRANCE | N°19/00843

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 20 octobre 2022, 19/00843


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 20 OCTOBRE 2022





N° RG 19/00843 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K3ZV







Monsieur [O] [H]

Madame [I] [Z] [A] épouse [H]





c/



Monsieur [R] [A]

Madame [X] [L] [G] [Y] épouse [A]



























Nature de la décision : AU FOND







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Grosse délivrée le :



aux avocats





Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 décembre 2018 (R.G. 15-589) par le Tribunal d'Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 14 février 2019





APPELANTS :



[O] [H]

né le 11 Août 1949 à YAOUNDE (CAMEROUN)

...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 20 OCTOBRE 2022

N° RG 19/00843 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K3ZV

Monsieur [O] [H]

Madame [I] [Z] [A] épouse [H]

c/

Monsieur [R] [A]

Madame [X] [L] [G] [Y] épouse [A]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 19 décembre 2018 (R.G. 15-589) par le Tribunal d'Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 14 février 2019

APPELANTS :

[O] [H]

né le 11 Août 1949 à YAOUNDE (CAMEROUN)

de nationalité Française

Profession : Avocat,

demeurant [Adresse 1] - [Localité 3]

[I] [Z] [A] épouse [H]

née le 16 Février 1970 à [Localité 6] ([Localité 6])

de nationalité Française,

demeurant [Adresse 1] - [Localité 3]

Représentés par Me Laurent NADAUD, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur [R] [A]

né le 23 Mai 1942 à [Localité 7]

de nationalité Française,

retraité

époux de Madame [X], [L], [G] [Y], marié le 9 juillet 1966 à [Localité 4] (Dordogne) sous le régime de la communauté de meubles et acquêts aux termes d'un contrat de mariage reçu par Me Gardette, notaire à Cherveix Cubas (Dordogne), le 7 juillet 1966

demeurant [Adresse 5] - [Localité 7]

Madame [X] [L] [G] [Y] épouse [A]

née le 15 Mars 1943 à [Localité 4]

de nationalité Française,

retraitée

épouse Monsieur [R] [A], mariée le 9 juillet 1966 à [Localité 4] (Dordogne) sous le régime de la communauté de meubles et acquêts aux termes d'un contrat de mariage reçu par Me Gardette, notaire à Cherveix Cubas (Dordogne), le 7 juillet 1966

demeurant [Adresse 5] - [Localité 7]

Représentés par Me Frédéric MOUSTROU de la SELARL JURIS AQUITAINE, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 septembre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Paule POIREL, Président,

Monsieur Alain DESALBRES, Conseiller,

Monsieur Rémi FIGEROU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Audrey COLLIN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Suivant un acte authentique du 2 juillet 1997, M. [R] [A] et Mme [X] [Y] épouse [A] sont devenus propriétaires d'une maison d'habitation située au numéro [Adresse 2] dans la commune de [Localité 8].

Ils ont prêté dès la même année leur bien immobilier à leur fille [F] [A].

Par la suite, Mme [F] [A] a épousé M. [O] [H].

Par acte d'huissier du 29 mars 2013, M. et Mme [A] ont assigné M. et Mme [H] devant le tribunal d'instance de Bordeaux afin notamment de les déclarer occupants sans droit ni titre de l'immeuble précité et d'ordonner leur expulsion dans le mois de la signification de la décision à intervenir.

Le jugement rendu le 19 décembre 2018 par le tribunal d'instance de Bordeaux a :

- dit qu'il y a lieu d'écarter des débats les pièces n°19 et 20 du bordereau communiquées par le conseil des défendeurs correspondant à deux décisions de justice rendues le 3 septembre 2014 par la cour d'appel de Bordeaux et le 25 avril 2016 par la cour d'appel d'Agen,

- rejeté la demande de sursis à statuer formulée par M. et Mme [H],

- condamné solidairement M. et Mme [H] à verser à M. et Mme [A] les sommes de :

- 41 893,55 euros, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 30 septembre 2016, au titre d'une indemnité d'occupation mensuelle de 950 euros à compter du 1er juin 2012 au 17 mai 2016,

- 7 307,64 euros, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 30 septembre 2016, au titre des dommages intérêts résultant des dégradations sur l'immeuble prêté et de la perte des meubles,

- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

- débouté M. et Mme [A] du surplus de leurs demandes,

- débouté M. et Mme [H] de leur demande en paiement correspondant à la plus-value qui aurait été générée par les travaux effectués sur l'immeuble,

- rejeté les demandes des parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. et Mme [H] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

M. et Mme [H] ont relevé appel de cette décision le 14 février 2019.

Dans leurs dernières conclusions du 28 août 2020, M. et Mme [H] demandent à la cour de : 

- déclarer recevable et bien fondé leur appel et, réformant la décision attaquée ;

- juger que le préavis de 20 jours ne respecte pas un délai raisonnable ;

- juger qu'aucune indemnité d'occupation n'est due aux époux [A] ;

- juger qu'aucune indemnité n'est due aux époux [A] au titre d'éventuelles dégradations ;

- juger que M. et Mme [A] ne rapportent pas la preuve de l'enlèvement par Mme [H] des meubles apparaissant lors de l'acte d'achat ;

- les débouter de leur demande de dommages intérêts à ce titre ;

- condamner M. et Mme [A] à payer la somme de 62 000 euros au titre des dommages-intérêts résultant de la rupture fautive de la relation contractuelle ;

A titre subsidiaire,

- les condamner à payer la somme de 62 000 euros au titre de l'enrichissement dont ils ont bénéficié de façon injustifiée et de mauvaise foi à leur détriment ;

En tout état de cause,

- condamner M. et Mme [A] au paiement d'une somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Ils font notamment valoir que :

- ils ont interjeté appel dans le délai d'un mois prévu par l'article 538 du code de procédure civile ; l'appel et donc recevable et bien fondé ;

- il existait un contrat synallagmatique entre M. et Mme [A] et leur fille ; M. et Mme [A] se sont engagés à lui permettre de jouir de la maison sans qu'elle ne paie de loyer afin de s'y rendre pendant leurs vacances ; en contrepartie, elle s'est engagée à effectuer les travaux permettant aux autres membres de la famille et à leurs enfants d'en profiter pendant les vacances ;

- à titre subsidiaire, il pourrait s'agir d'un prêt à usage à caractère verbal convenu entre les parties de manière indéterminée et sous condition d'effectuer des travaux destinés à accueillir toute la famille ;

- la mise en place en janvier 2012 du panneau de mise en vente n'est pas une information claire et sans équivoque des propriétaires de la volonté de récupérer ce bien ; le tribunal ne peut considérer que l'apposition de cette pancarte, retiré quelques jours plus après, vaut information ; ce n'est que le 10 avril 2012 que les propriétaires ont rédigé une lettre traduisant leur intention de vendre la maison et de mettre fin au contrat ; seule la date de l'assignation du 29 mars 2013 ou, à défaut, celle de la mise en demeure du 10 avril 2012 peut être retenue comme point de départ du préavis ;

- si la cour qualifie la relation de contrat synallagmatique, la rupture par M. et Mme [A] s'analyse en résiliation ; le délai de préavis n'a pas été respecté ; il était de 20 jours alors qu'ils vivaient dans la maison depuis 10 ans ; le délai était donc déraisonnable voire dictatorial ;

- ils n'ont pas été occupants sans titre entre mai 2012 et mai 2016 ; Dans l'hypothèse contraire, une procédure de référé résolue en deux ou trois mois aurait été plus efficace ; les propriétaires ont choisi une procédure bien plus longue et fait volontairement durer la procédure sur une période de 5 ans ; il est donc possible de considérer que la résiliation du contrat est intervenue en juin 2012 ;

- la décision de remise des clefs a été définitivement prise par M. et Mme [A] à la suite de la procédure qu'ils ont perdue devant le tribunal de Périgueux, décision confirmée par la cour d'appel d'Agen le 25 avril 2016 et devenue définitive ;

- M. et Mme [A] ont revendu la maison, avec les travaux effectués par M. et Mme [H] de 1997 à 2016, et ainsi bénéficié d'une plus-value de 62 000 euros ;

- au moment où Mme [H] a pris possession de l'immeuble, cette maison n'était pas habitable en l'état, étant non isolée, dépourvue de chauffage et dotée d'une couverture défaillante, d'installations électriques non conformes, étant de surcroît mal clôturée ; les 'détériorations' alléguées résultent du simple usage normal, sans aucune faute de leur part ;

- ils ont réalisé de nombreux travaux et il ressort du rapport d'expertise de M. [E] que, si elle peut être estimée dans l'état dans lequel elle se trouvait au moment de l'achat, rapporté aujourd'hui à hauteur de 156 000 euros, la valeur vénale de la maison peut être fixée, compte tenu des travaux précités, à la somme de 218 000 euros ;

- ils ont respecté leur obligation en effectuant des travaux de réhabilitation et d'aménagement ;

- M. et Mme [A] avaient déposé une plainte en raison de la disparition de meubles mais cette procédure a été classée sans suite ;

- ils ont conclu sur l'obligation de remboursement de la plus value pesant sur M. et Mme [A] dans le cadre de leurs précédentes écritures ; ils n'ont donc pas abandonné cette prétention ;

- les propriétaires avaient donné leur accord pour les travaux qui étaient la contrepartie demandée à leur fille et destinée à leur accueil ; M. et Mme [A] se sont enrichis sans cause, appauvrissant corrélativement leur fille ;

- eu égard aux éléments précités, la rupture du contrat est abusive ; la faute des époux [A] leur a occasionné un préjudice direct et certain, en l'occurrence un appauvrissement correspondant au montant des importants travaux effectués ;

- à titre subsidiaire, au regard des articles 555 alinéa 3 et 1303 du code civil, ils chiffrent à la somme de 62 000 euros l'enrichissement dont ont bénéficié les propriétaires de façon injustifiée et de mauvaise fois.

Suivant leurs dernières conclusions du 7 juin 2022, M. et Mme [A] demandent à la cour de : 

- dire et juger irrecevable et en tout état de cause mal fondé l'appel formé par M. et Mme [H] ;

- les en débouter intégralement ;

- les recevoir en leur appel incident, et les y déclarant bien fondés ;

- dire et juger irrecevables les demandes formulées par M. et Mme [H] tendant à leur condamnation à leur payer la somme de 62 000 euros au titre de dommages-intérêts résultant de la rupture de la relation contractuelle et à défaut à les condamner à payer cette somme au titre de l'enrichissement dont ils auraient bénéficié, et à titre subsidiaire, mal fondées ;

- dire et juger que M. et Mme [H] sont solidairement redevables d'une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant de 950 euros à compter du 1erjuin 2012 jusqu'au 17 mai 2016 ;

- par conséquent, condamner solidairement les appelants à leur payer, sans terme ni délai, les sommes de :

- 45 170,96 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2016, capitalisés, le 29 septembre de chaque année, jusqu'à complet paiement, à titre d'indemnité d'occupation ;

- 69 073,09 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 septembre 2016, capitalisés le 29 septembre de chaque année, jusqu'à complet paiement, en indemnisation de leur préjudices matériel et moral ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. et Mme [H] de leur demande en paiement correspondant à la plus-value qui aurait été générée par les travaux effectués sur l'immeuble litigieux ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté leur demande indemnitaire sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile ;

- condamner solidairement M. et Mme [H] à leur porter et payer, sans terme ni délai, la somme de 4 500 euros, au titre des frais irrépétibles de première instance, et de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance ;

- condamner M. et Mme [H] aux entiers dépens, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.

Ils font notamment valoir que :

- la demande de condamnation présentée par M. et Mme [H] à leur encontre au titre d'une 'plus-value générée par l'investissement des époux [H]' a été rejetée par le tribunal ; Si, dans le cadre de la déclaration d'appel, ils ont précisé que leur recours portait également sur cette disposition du jugement, il demeure que les appelants n'ont pas conclu de ce chef aux termes de leurs premières écritures notifiées le 10 mai 2019 conformément aux dispositions de l'article 908 du code de procédure civile ; ils estiment donc que M. et Mme [H] avaient renoncé à cette prétention ; conformément à la règle de concentration des prétentions, il appartenait aux appelants de formuler l'intégralité de leurs demandes dans le cadre du délai de 3 mois prévu par l'article 908 du code de procédure civile ;

- dans la mesure où ils ont formé un appel incident, il appartenait à M. et Mme [H] de répondre, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, dans le délai de 3 mois courant à compter de la notification de leurs écritures ; or ils s'en sont abstenus ; les nouvelles prétentions formulées par les appelants aux termes de leurs deuxièmes conclusions du 28 août 2020, sont irrecevables ;

- à titre subsidiaire, cette demande indemnitaire est mal fondée ; M. et Mme [H] ont pris la liberté d'effectuer des travaux afin que les lieux soient davantage à leur convenance ; ils ne constituaient pas la contrepartie de la mise à disposition de l'immeuble litigieux ;

- par lettre du 18 avril 2012, M. et Mme [H] ont revendiqué être bénéficiaires d'un prêt à usage ; cette qualification juridique exclut un quelconque caractère onéreux, qui n'a effectivement jamais été convenu ; il n'a jamais été justifié de l'existence d'une telle convention, preuve incombant aux époux [H] ;

- l'occupation des lieux par M. et Mme [H] ne s'est pas traduite pas un enrichissement de leur part ;

- il n'a jamais été convenu entre eux et M. et Mme [H] que ce bien serait donné à ces derniers, étant souligné qu'aucune preuve n'est rapportée au soutien de l'existence de cette prétendue convention ;

- ils ont respecté un délai raisonnable en informant M. et Mme [H] dès le mois de décembre 2011 de la nécessité de libérer l'immeuble litigieux afin qu'il puisse être vendu, en l'absence de toute faute ; les conditions de dénonciation de l'occupation des lieux, à laquelle M. et Mme [H] ont refusé de se soumettre, s'y maintenant 4 années supplémentaires, sont exemptes de toute faute, de sorte qu'elles ne peuvent être utilement invoquées à l'appui d'une quelconque demande indemnitaire ;

- il n'est pas prouvé ni exact de considérer qu'ils auraient consenti aux époux [H] la mise à disposition des lieux en contrepartie de la réalisation de travaux ; M. et Mme [H] ne peuvent donc se prévaloir de l'inexécution prétendue d'une obligation à leur charge ; il apparaît que leurs dépenses ne présentaient aucun caractère conservatoire ni d'urgence ; les travaux ne relèvent donc pas de la gestion d'affaires ni d'enrichissement sans cause ;

- le rapport d'expertise de M. [E] est non contradictoire ; ignorant l'état initial, il ne s'est fondé que sur les allégations de ses clients ; son estimation est dépourvue de tout caractère sérieux et ne peut être retenue ;

- M. et Mme [H] ont abusé de la situation en confisquant progressivement l'usage, y réalisant des travaux, sans autorisation préalable, à leur convenance, considérant que cet immeuble était destiné à leur revenir au décès des concluants, situation qu'ils ont entendu anticiper par une demande de donation qui a toutefois été rejetée ;

- il n'a jamais été contesté qu'ils ont informé leur fille, au moins par lettre datée du 10 avril 2012, de leur volonté de reprendre possession des lieux ; M. et Mme [H] sont donc redevables d'une indemnité d'occupation à compter du 1er juin 2012, jusqu'à la libération effective des lieux, fixée par eux au 17 mai 2016 ; ces derniers ne peuvent sérieusement prétendre que seule l'assignation qui leur a été délivrée le 29 mars 2013 aurait fait courir le délai de préavis ; outre l'information verbale préalablement donnée aux époux [H] au mois de décembre 2011, la teneur des échanges épistolaires intervenus entre le 10 avril 2012 et le 13 juin suivant était dépourvue de toute ambiguïté concernant le refus des appelants de libérer les lieux et la volonté ferme de leur part de mettre un terme à leur occupation ; à aucun moment ils n'ont manifesté une quelconque renonciation à leur demande de libération des lieux ;

- il est légitime de recevoir l'indemnisation du préjudice particulier lié aux conditions dans lesquelles cet immeuble leur a été restitué, étant dégradé et vidé de son contenu ; à ce titre, au titre de leur préjudice matériel et moral, une indemnité d'un montant de total de 69 073,09 euros, et non limitée à la somme de 7 307,64 euros, doit leur être octroyée.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 8 septembre 2022.

MOTIVATION

Sur la demande de M. et Mme [A] tendant à obtenir le versement d'une indemnité d'occupation

Mme [F] [A] puis celle-ci et son mari ont effectivement occupé l'immeuble appartenant à M. et Mme [A] entre la fin de l'année 1997 et le 17 mai 2016.

Les appelants considèrent qu'un contrat à titre onéreux à durée indéterminée a été conclu entre eux-mêmes et les propriétaires de l'immeuble. Ils expliquent avoir occupé les lieux sans être tenus au paiement d'un loyer en contrepartie de la réalisation de travaux de rénovation de l'habitation.

M. et Mme [A] contestent cette affirmation et estiment au contraire qu'un simple prêt à usage sans limitation de durée, a été conclu en 1977 avec leur fille.

Aucun acte écrit n'a été rédigé entre les parties qui s'accordent pour indiquer qu'aucune rémunération sous la forme de versements périodiques n'était exigée en contrepartie de l'occupation de l'immeuble.

En réalité, le caractère onéreux et l'existence d'une contrepartie, sous forme de travaux, à l'occupation de la maison n'apparaissent pas établis de sorte que le premier juge a retenu à raison la qualification de prêt à usage, d'ailleurs invoquée à titre subsidiaire par les appelants si celle de contrat synallagmatique à titre onéreux n'était pas retenue.

Le commodat suppose la gratuité de la mise à disposition du bien en échange de la faculté de reprise du prêteur.

Aucun terme à l'occupation des lieux par M. et Mme [H] n'a été convenu entre les parties. Dès lors, le contrat de prêt doit prendre fin 'qu'après que le besoin de l'emprunteur ait cessé' (1re Civ., 19 novembre 1996, pourvoi n° 94-20.446). En conséquence, M. et Mme [H] ne peuvent invoquer une rupture abusive des relations contractuelles par M. et Mme [A] pour contester la volonté de ces derniers de reprendre possession de leur bien immobilier.

La date à laquelle le commodat a cessé relève de l'appréciation des juges du fond au regard des éléments de preuve qui lui sont fournis (1re Civ., 12 novembre 1998, pourvoi n° 96-19.549).

Certes, aucune demande d'expulsion n'a été procéduralement présentée par les propriétaires à l'encontre de leur fille et leur gendre avant la délivrance de l'assignation en justice du 29 mars 2013. Cependant, il apparaît que Mme [F] [A] puis son époux M. [H] ont été gratuitement autorisés à résider au sein de l'habitation jusqu'au 10 avril 2012, date qui correspond à celle de la réception d'un courrier adressé par M. et Mme [H] dans lequel il leur était demandé de quitter les lieux au plus tard le 30 avril 2012 en raison de la mise en vente du bien immobilier.

Au regard de la nécessité pour les prêteurs de respecter un délai de préavis raisonnable, le premier juge a retenu à raison la date du 30 juin 2012 et non le délai imparti par les propriétaires à M. et Mme [H] dans leur correspondance précitée qui apparaît bien trop court pour permettre aux occupants de partir et de trouver un autre lieu de résidence.

M. et Mme [A] sont donc légitimes à réclamer une indemnité venant compenser l'occupation illicite du bien durant une période comprise entre le 30 juin 2012, date à laquelle les appelants peuvent être considérés comme occupants sans droit ni titre et le 17 mai 2016, date de la remise des clés et de leur départ effectif.

L'examen des pièces relatives à la procédure de première instance fait apparaître que la longue durée qui s'est écoulée entre la date de l'assignation et celle du prononcé du jugement attaqué n'est que partiellement imputable aux propriétaires de l'immeuble, le jugement déféré évoquant l'échec d'une tentative de transaction, de sorte que cet argument ne peut être invoqué par M. et Mme [H] pour combattre la demande présentée par leurs adversaires.

De même, les condamnations de M. et Mme [A] prononcées par la cour d'appel de Bordeaux du 3 septembre 2014 puis la cour d'appel d'Agen dans son arrêt du 25 avril 2016 ne sont pas directement en lien avec le présent litige de sorte que ces éléments n'ont pas à être pris en considération.

Pour apprécier le montant de l'indemnité d'occupation destinée à compenser la jouissance du bien occupé sans droit ni titre et ainsi à réparer le préjudice des propriétaires, il convient de tenir compte de l'état dégradé qui était celui de la maison lors de l'entrée de Mme [H] dans les lieux comme le démontrent d'une part l'attestation d'une voisine de l'immeuble (Mme [U]), élément corroborant les constatations de l'expert amiable [E] attestant la réalisation par ses occupants d'importants travaux de rénovation.

En outre, l'indemnité d'occupation tient compte de la précarité de l'occupation.

Certes, les diligences de l'expert amiable ont été réalisées en l'absence de M. et Mme [A] qui n'ont pas été convoqués ni destinataire du rapport avant la présente instance. Cependant, les éléments contenus dans son rapport sont confortés par les factures ainsi que diverses photographies versées aux débats par les appelants. Or, il convient de rappeler qu'une expertise réalisée en l'absence de l'une des parties, dont le rapport est soumis à la contradiction, peut être pris en considération si les éléments qu'elle contient sont corroborés par d'autres éléments de preuve. Les intimés ne sauraient dès lors solliciter que cette pièce soit écartée des débats.

Au regard de l'état dégradé de l'habitation à la date de l'entrée dans les lieux de Mme [H], il n'est pas possible d'établir que des dégradations ont été commises par celle-ci et son mari comme l'indique le procès-verbal de constat du 17 mai 2016, l'huissier n'ayant pas disposé d'éléments de comparaison.

De même, les devis établis le 12 juillet 2016 par la société DML pour le compte de M. et Mme [A] qui font état de travaux de remise en état (rebouchage de trous, peinture, changement de revêtements de sol) ne concernent que des travaux de rafraîchissement du bien qui sont habituelles après une longue période d'occupation. Aucune somme ne sera donc due par les appelants à ce titre.

Quant aux opérations relatives à la recherche d'une fuite sur le toit, elles sont étrangères à tout acte de détérioration.

Ces éléments, ajoutés à ceux justement retenus par le premier juge, démontrent que les emprunteurs ont restitué le bien prêté en bon état.

Au regard de ces éléments attestant la vétusté de l'immeuble à la date de l'entrée dans les lieux de Mme [H], nonobstant quelques travaux effectués par M. et Mme [A] en 1997 (menuiseries, etc.), des travaux d'amélioration du bien entrepris par M. et Mme [H] qui dépassent la seule notion d'entretien du bien prêté et en tenant compte de l'emplacement qualifié de favorable de l'habitation au sein de la commune, il n'est pas possible de prendre en considération l'évaluation retenue par le tribunal fixant une valeur locative mensuelle comprise entre 900 et 1000 euros. Le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle doit être ramené à une valeur locative de 600 euros.

Au regard de la durée de la période durant laquelle les appelants se sont indûment maintenus dans les lieux, soit 46 mois et 17 jours, il y a lieu de les condamner in solidum au paiement de la somme de 27 940 euros (27 600 + 340). Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande en paiement, soit le 29 septembre 2016 et seront capitalisés par année entière.

Sur la demande de dommages intérêts présentée par M. et Mme [A]

Au titre d'un préjudice matériel et moral, M. et Mme [A] réclament le paiement par M. et Mme [H] d'une somme de 69 073,09 euros.

S'il apparaît effectivement que certains travaux au sein de l'habitation litigieuse ont été entrepris par les appelants sans autorisation des propriétaires, ceux-ci dépassant le simple cadre des opérations de conservation, il apparaît à la lecture du rapport [E] précité qu'ils ont pour certains d'entre-eux apporté une plus-value à l'immeuble.

En revanche, l'huissier de justice a constaté que l'avant-toit et le bandeau de rive sont en très mauvais état, alors que la peinture était totalement écaillé. Il en est de même pour ce qui concerne la porte d'accès à la bouteille de gaz. Cette situation résulte d'un défaut d'entretien imputable aux occupants sans droit ni titre de l'habitation. Au regard de l'un des devis de la société DML, il convient de chiffrer le préjudice subi par les intimés à la somme de 1 474,48 euros (874,48 + 350 +250).

Comme indiqué ci-dessus, il n'est pas établi que les occupants de la maison aient commis des dégradations.

M. et Mme [A] reprochent à M. et Mme [H] d'avoir concédé l'usage de la maison dont ils sont propriétaires à un tiers, en l'occurrence M. [T].

Divers constats d'huissier dressés les 16 janvier 2012 et 31 janvier 2013 attestent la présence de cette personne à l'intérieur de l'habitation.

Cependant, aucun élément pertinent ne permet de démontrer que cet individu résidait régulièrement au sein de la maison litigieuse, l'officier ministériel n'ayant pas relaté dans son procès-verbal la présence d'affaires lui appartenant. Si la présence d'un véhicule a effectivement été constatée le 16 janvier 2013, il n'est pas établi que celui-ci était la propriété de M. [T]. D'ailleurs, ce dernier a affirmé à l'huissier lors de sa venue le 31 janvier 2013 se trouver sur les lieux pour rendre service à Mme [H] ce qui corrobore les explications fournies par les appelants qui justifient sa présence par la nécessité d'entretenir le bien et de prévenir tout cambriolage lors de leur absence prolongée.

M. et Mme [A] reprochent également à leur fille et gendre la disparition de meubles.

L'acte d'acquisition du 2 juillet 1997 fait effectivement apparaître que des objets mobiliers garnissaient la maison à la date de son acquisition.

Lors de l'une de ses venues sur les lieux, l'huissier de justice mandaté par M. et Mme [A] a constaté que ces objets ne se trouvaient plus à l'intérieur de l'immeuble.

Pour autant, il n'est pas démontré que ces meubles étaient bien présents au sein de l'habitation lors de l'entrée de Mme [H] dans les lieux, étant observé que le constat produit par M. et Mme [H] fait état de la présence d'un nombreux mobilier qui est susceptible de correspondre à celui qui est réclamé.

Dès lors, le vol des biens mobiliers imputé à M. et Mme [H] n'est pas caractérisé, étant observé que la plainte pénale déposée par M. et Mme [A] a fait l'objet d'une décision de classement sans suite. Le jugement ayant accordé une indemnisation à ce titre sera donc infirmé.

Aucun élément n'est avancé pour justifier la demande fondée sur l'existence d'un préjudice moral.

Enfin, le retard de M. et Mme [H] dans l'exécution de leur obligation de quitter les lieux au 30 juin 2012, allégué de nouveau par M. et Mme [A], est totalement indemnisé par le versement d'une indemnité d'occupation assortie des intérêts au taux légal capitalisés par année entière.

Dès lors, les appelants seront condamnés à verser aux propriétaires du bien immobilier la somme de 1 474,48 euros au titre d'un préjudice matériel. Le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point.

Sur la demande en paiement présentée par M. et Mme [H]

M. et Mme [H] renouvellent la demande de condamnation de M. et Mme [A] au paiement de la somme de 62 000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la plus-value qui résulterait des travaux qu'ils ont effectués dans l'immeuble, prétention à laquelle le premier juge n'a pas fait droit.

En réponse, les intimés soulèvent tout d'abord son irrecevabilité et sollicitent ensuite son rejet sur le fond.

L'examen de la déclaration d'appel du 14 février 2019 fait bien apparaître que M. et Mme [H] ont contesté le rejet de cette prétention par la décision de première instance.

M. et Mme [H] reconnaissent ne pas avoir présenté la demande de condamnation de M. et Mme [A] au paiement de la somme de 62 000 euros dans le dispositif de leurs premières conclusions d'appel signifiées par RPVA le 10 mai 2019 conformément aux dispositions de l'article 908 du code de procédure civile.

Certes, cette prétention est expressément mentionnée dans le dispositif de leurs dernières écritures du 28 août 2020 qui seules doivent être prises en considération par la cour.

Cependant, l'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. Ce texte ajoute que l'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures.

Il apparaît ainsi que la demande de condamnation de M. et Mme [A] au paiement de la somme de 62 000 euros était absente du dispositif des premières conclusions déposées par les appelants conformément aux dispositions de l'article 908 du code de procédure civile. Si des moyens s'y rapportant ont été exposés pages 6 à 9 de leurs écritures du 10 mai 2019, ces éléments sont néanmoins insuffisants pour constituer une véritable prétention.

En conséquence, la demande présentée par les appelants à l'encontre des intimés doit être déclarée irrecevable.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

La décision de première instance doit être infirmée. M. et Mme [H] seront condamnés in solidum à payer à M. et Mme [A], ensemble, la somme de 2 000 euros.

Il y a lieu en cause d'appel de mettre à la charge de M. et Mme [H], in solidum, le versement au profit des intimés d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de rejeter les autres prétentions de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Confirme, dans les limites de l'appel, le jugement rendu le 19 décembre 2018 par le tribunal d'instance de Bordeaux en ce qu'il a :

- rejeté la demande présentée par M. [O] [H] et Mme [I] [Z] [A] épouse [H] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [O] [H] et Mme [F] [A] épouse [H] au paiement des dépens de première instance ;

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :

- Condamne in solidum M. [O] [H] et Mme [F] [A] épouse [H] à verser à M. [R] [A] et Mme [X] [Y] épouse [A], ensemble, les sommes de :

- 27 940 euros, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 30 septembre 2016, au titre d'une indemnité d'occupation ;

- 1 474,48 euros avec intérêts de retard au taux légal à compter du 30 septembre 2016, au titre de l'indemnisation de dommages matériels ;

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit que les intérêts seront capitalisés par année entière ;

- Rejette les autres demandes indemnitaires présentées par M. [R] [A] et Mme [X] [Y] épouse [A] ;

Y ajoutant ;

- Déclare irrecevable en cause d'appel la demande en paiement présentée par M. [O] [H] et Mme [I] [Z] [A] épouse [H] à l'encontre de M. [R] [A] et Mme [X] [Y] épouse [A] au titre de l'indemnisation de la plus-value générée par les travaux réalisés au sein de l'immeuble ;

- Condamne in solidum M. [O] [H] et Mme [F] [A] épouse [H] à payer à M. [R] [A] et Mme [X] [Y] épouse [A], ensemble, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Rejette les autres demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne in solidum M. [O] [H] et Mme [F] [A] épouse [H] au paiement des dépens d'appel.

La présente décision a été signée par madame Paule POIREL, présidente, et madame Audrey COLLIN, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/00843
Date de la décision : 20/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-20;19.00843 ?
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