COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 19 OCTOBRE 2022
N° RG 22/00495 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MQ2C
Monsieur [C] [F]
c/
S.A.S.U. TOUPARGEL
SELARL Alliance MJ, es qualité mandataires judiciaires de la SASU Toupargel
SELARL MJ Synergie, es qualités de mandataires judiciaires de la SASU Toupargel
UNEDIC Délégation AGS-CGEA DE [Localité 5]
Nature de la décision : AU FOND
SUR RENVOI DE CASSATION
Grosse délivrée le :
à
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 octobre 2016 (R.G. N°F 16/00155) par le conseil de prud'hommes de Bordeaux - Formation paritaire, Section Commerce -
après Arrêt de la Cour de cassation rendu le 1er décembre 2021, cassant partiellement l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 27 septembre 2018, suivant déclaration de saisine du 1er février 2022 de la Cour d'appel de Bordeaux, désignée cour de renvoi,
DEMANDEUR SUR RENVOI DE CASSATION :
Monsieur [C] [F]
né le 19 Août 1973 à [Localité 4] de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]
représenté par Me François RUFFIE, avocat au barreau de LIBOURNE
DÉFENDERESSES SUR RENVOI DE CASSATION :
SASU Toupargel, en liquidation judiciaire
SELARL Alliance MJ, es qualité mandataires judiciaires de la SASU Toupargel, prise en la personne de Maître [P] [W] domiciliée en cette qualité au siège social [Adresse 1]
SELARL MJ Synergie, es qualités de mandataires judiciaires de la SASU Toupargel prise en la personne de Maître [Y] [U] ou de Maître [D] [B], domiciliés en cette qualité au siège social [Adresse 1]
non représentées
UNEDIC Délégation AGS-CGEA DE [Localité 5], prise en la personne de son Directeur domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
représentée par Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 septembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente
Madame Sylvie Tronche, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats :A.-Marie Lacour-Rivière
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Le 5 février 2008 Monsieur [C] [F] a été engagé par contrat à durée indéterminée par la SASU Toupargel à [Localité 4] en qualité de superviseur télévente, niveau VI, échelon 1, statut agent de maîtrise de la convention collective nationale du commerce de gros, secteur alimentaire, moyennant une rémunération mensuelle brute de 1.600 euros.
Par avenant en date du 1er janvier 2009, M. [F] a été promu responsable de l'agence de télévente de [Localité 6], statut agent de maîtrise, un forfait en jours étant prévu par l'avenant. La rémunération comportait une partie fixe de 2.000 euros outre une rémunération variable en fonction d'objectifs.
Le 19 février 2013, la société Toupargel a convoqué le salarié à un entretien préalable
à un éventuel licenciement fixé au 4 mars qui a été reporté, par lettre du 28 février, au 11 mars en raison d'un problème d'acheminement du premier courrier.
Le 1er mars 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Le 5 avril 2013, M. [F] a été licencié pour cause réelle et sérieuse avec dispense
d'effectuer son préavis de deux mois.
Après radiation puis réinscription de l'affaire le 25 janvier 2016, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a, par jugement rendu le 27 octobre 2016, rejeté l'ensemble des demandes du salarié et l'a condamné aux dépens.
Suite à l'appel formé le 4 novembre 2016 par M. [F], la cour d'appel de Bordeaux
a, par arrêt rendu le 27 septembre 2018, réformé le jugement en ce qu'il avait validé la clause de forfait jours mais a débouté M. [F] de ses demandes au titre des heures supplémentaires et du travail dissimulé et a confirmé le jugement en ce qu'il avait débouté M. [F] de ses demandes au titre de :
- l'exécution déloyale du contrat,
- la résiliation judiciaire du contrat,
- l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement.
La cour a mis les dépens à la charge de M. [F] et dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'aticle 700 du code de procédure civile.
Cette décision a fait l'objet d'un pourvoi formé par M. [F].
Par jugement du 1er février 2019, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert à l'encontre de la société Toupargel une procédure de redressement judiciaire.
Par jugement du 23 décembre 2019, le tribunal de commerce a arrêté un plan de cession de la société et converti le redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
La SELARL MJ Synergie, prise en la personne de Maître [Y] [U] ou Maître [D] [B], et la SELARL Alliance MJ, prise en la personne de Maître [P] [W], ont été nommées aux fonctions de liquidateurs de la société Toupargel.
Par arrêt du 1er décembre 2021, la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qu'il juge privée d'effet la clause de forfait en jours et en ce qu'il déboute le salarié de sa demande au titre des frais de déplacements, l'arrêt rendu le 27 septembre 2018 par la cour d'appel de Bordeaux dans les termes suivants :
- sur les heures supplémentaires : en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé ;
- sur les autres moyens : la cassation prononcée sur le premier moyen emporte la cassation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif rejetant les demandes de dommages-intérêts pour travail dissimulé, exécution déloyale du contrat, résiliation judiciaire du contrat de travail, solde d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, ainsi que des dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
L'affaire a été renvoyée devant la cour d'appel de Bordeaux qui a été saisie par déclaration faite par M. [F] le 1er février 2022.
La déclaration de saisine et les conclusions de M. [F] ont été signifiées aux liquidateurs par actes d'huissiers délivrés à personne le 1er avril 2022. Ceux-ci n'ont pas comparu.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 27 juillet 2022, M. [F] demande à la cour de réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 27 octobre 2016, de prononcer la résiliation de son contrat de travail aux torts exclusifs de la société Toupargel et de : - condamner les sociétés Alliance MJ et MJ Synergie en leur qualité de liquidateurs de la société Toupargel à lui payer les sommes suivantes :
* 58.081,71 euros bruts au titre des heures supplémentaires non payées et non compensées outre 5.808,17 euros bruts de congés payés afférents,
* 23.140,80 euros d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
* 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
* 3.713,60 euros à titre de complément d'indemnité de préavis outre 371,36 euros de congés payés,
* 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 3.600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,
- ordonner la remise de documents conformes à la décision à intervenir (bulletins de salaire, certificat de travail et attestation Pôle Emploi),
- dire opposable la décision à venir au centre de gestion et d'études CGEA AGS,
- fixer l'ensemble des créances au passif de la société Toupargel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 août 2022, l'UNEDIC Délégation CGEA-AGS de Chalon-sur-Saône demande à la cour de':
Sur les demandes au titre de la rupture,
- débouter M. [F] de son rappel de préavis sur la période du préavis payé mais non
exécuté,
- débouter M. [F] de sa demande de résiliation judiciaire, faute de griefs suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat,
- débouter M. [F] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
A titre très infiniment subsidiaire,
- en cas de résiliation judiciaire, fixer la créance de M. [F] au passif de la société
Toupargel à la somme de 18.000 euros et le débouter du surplus de sa demande ;
Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat,
- débouter M. [F] de sa demande d'heures supplémentaires, faute de rapporter la
preuve des heures accomplies par lui au-delà de 35 heures par semaine,
- très subsidiairement, fixer la créance de M. [F] au passif de la société Toupargel aux sommes suivantes :
* 11.360,56 euros à titre d'heures supplémentaires,
* 1.136,05 euros, à titre de congés payés sur heures supplémentaires,
- débouter M. [F] de sa demande indemnitaire pour exécution déloyale,
- débouter M. [F] de sa demande indemnitaire pour travail dissimulé, faute d'infraction légale et faute de dissimulation intentionnelle établies ;
Sur la garantie de l'AGS,
- déclarer opposable l'arrêt à intervenir à l'AGS CGEA de Chalon-sur-Saône, dans la limite légale de sa garantie, laquelle est plafonnée au six fois le plafond des contributions à l'assurance-chômage en vigueur en 2013, et exclut l'astreinte, l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens.
L'affaire a été fixée à l'audience du 5 septembre 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande au titre des heures supplémentaires
La cassation ne portant pas sur les dispositions de l'arrêt rendu le 27 septembre 2018 relatives à la clause de forfait, celle-ci est privée d'effet.
M. [F] est donc en droit de prétendre au paiement des heures supplémentaires qu'il prétend avoir effectuées selon le régime de droit commun.
Aux termes de l'article L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.
Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.
M. [F] soutient que ses horaires de travail étaient tous les jours de 8h30 à 20heures avec une pause déjeuner d'une heure, soit un temps de travail quotidien de 10h30mn, représentant sur 5 jours (soit samedi non inclus, puisqu'il ne travaillait pas ce jour-là), 17,5 heures supplémentaires.
Il précise qu'en sa qualité de responsable de l'agence, son amplitude de travail n'était pas celle des télévendeurs qu'il encadrait et ne correspondait pas aux horaires d'ouverture de l'agence ni à l'amplitude journalière des télévendeurs qui cessaient leur activité entre 13h30 et 16h30 et que sa charge de travail était alourdie par l'absence dans
l'agence de superviseur, ainsi que l'avait relevé le CHSCT lors d'un passage à l'agence en janvier 2012.
Les éléments développés par M. [F] sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur d'y répondre.
L'UNEDIC conteste l'existence d'heures supplémentaires relevant les éléments suivants :
- M. [F] n'avait aucune contrainte horaire et était libre de l'organisation de son travail ;
- l'équipe de vendeurs qu'il supervisait travaillait 7 heures par jour avec une pause de trois heures entre 13h30 et 16h30, ce dont se plaignaient certains télévendeurs (pièces 7 et 7 bis UNEDIC constituées de mails de télévendeurs 'anonymes' d'agences de [Localité 8], [Localité 7] et [Localité 9], datés de 2017 et 2018) ;
- les horaires d'ouverture de l'agence étaient, selon son site Web de 9h15 à 13h30 puis de 16h30 à 19h45 (pièce 8 : extrait non daté du site internet de l'agence de [Localité 6]),
- lors des débats ayant abouti à l'arrêt rendu le 27 septembre 2018, la société avait fourni des attestations démentant la présence permanente de M. [F] dans l'agence ; sont visées à ce sujet les conclusions de la société faisant référence à des témoignages qui ne sont pas versés aux débats ;
- M. [F], qui a bénéficié d'indemnités pour les jours supplémentaires au-delà du forfait jours, n'a émis aucune réclamation ni pendant la durée de la relation contractuelle, ni dans sa saisine initiale du conseil de prud'hommes ;
- l'attestation de Mme [H], produite par M. [F], démontre qu'il était secondé par un superviseur ;
- la fonction de responsable d'agence se réduisait à animer l'équipe de télévendeurs et M. [F] n'avait, en qualité d'agent de maîtrise, ni des fonctions d'encadrement ni des fonctions administratives qu'étaient dévolues à la direction générale de la société.
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L'avenant au contrat de travail conclu entre M. [F] et la société Toupargel ne précise pas la nature des missions qui lui sont dévolues en tant que responsable d'agence mais, passant du statut initial de superviseur à celui de responsable, il avait nécessairement des tâches de management plus importantes, sa carence à ce sujet étant d'ailleurs le motif invoqué par l'employeur au soutien de son licenciement.
L'intimée ne produit aucune pièce justifiant que M. [F] n'avait 'que la supervision d'une équipe' et n'accomplissait pas de tâches administratives au sein de l'agence.
Par ailleurs, l'attestation de Mme [H] ne démontre pas que M. [F] était secondé dans ses missions puisqu'il est seulement question de son remplacement par un superviseur lorsqu'il était absent et l'absence de superviseur dans l'agence est confortée par l'extrait du compte rendu du CHSCT suite à une visite en janvier 2012.
Aucune pièce ne permet de retenir que M. [F] n'était pas présent dans l'agence aux horaires qu'il invoque, compatibles avec les horaires d'ouverture de l'agence (9h15 le matin et 19h45 le soir), l'intimée ne produisant ni les attestations que visait la société dans ses écritures développées au cours de la première instance d'appel ni ne justifiant que M. [F] bénéficiait de l'interruption méridienne appliquée aux télévendeurs, au nombre de 15, qu'il manageait ni aucun document de contrôle des horaires de travail du salarié.
Il ne peut donc qu'être considéré qu'il n'est pas justifié du caractère mensonger des horaires invoqués par M. [F], qui ne saurait pas plus résulter de l'absence de réclamation du salarié ni du paiement ponctuel de jours supplémentaires de repos.
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Compte tenu de son salaire mensuel qu'il chiffre à 2.000 euros bruts, soit un taux horaire de 13,19 euros, M. [F] sollicite le paiement d'un rappel de salaire de 319,85 euros bruts par semaine travaillée [(8 heures x 13,19 x 25%) + 9,5 heures x 13,19 x 50%)], durant 202 semaines entre le 1er janvier 2009 et le 5 avril 2013, déduction faite des jours de congés payés et d'absence pour maladie, soit un total dû de 64.609,70 euros et, après déduction des jours de repos compensateurs et récupération payés lors du solde de tout compte, M. [F] chiffre sa créance à la somme de 58.081,71 euros.
L'UNEDIC invoque la prescription de la créance revendiquée par M. [F] soutenant que du fait de la radiation de l'affaire enrôlée le 4 mars 2013 mais radiée (à une date non précisée par les parties), c'est la date de réinscription, soit le 26 janvier 2016, qui doit être prise en compte en sorte que M. [F] serait irrecevable en ses réclamations en ce qu'elles portent sur l'année 2009, faute de démontrer que sa demande a été formulée antérieurement à cette réinscription.
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M. [F], ayant saisi le conseil de prud'hommes le 4 mars 2013, soit avant le 1er août 2016, la prescription de 5 ans alors applicable à l'action en paiement des salaires a été interrompue à cette date, toutes demandes 'nouvelles' formulées en cours de procédure étant recevables comme dérivant du même contrat ; sa demande en paiement est donc recevable, peu important la radiation puis la réinscription ultérieures de l'affaire.
L'UNEDIC fait encore valoir qu'outre la déduction des sommes perçues dans le cadre du solde de tout compte, doit être déduite la somme de 3.500 euros perçue en novembre 2012.
M. [F] n'a formulé aucune observation à ce sujet.
Sa créance sera fixée à la somme de 54.581,71 euros bruts outre 5.458,17 euros bruts au titre des congés payés afférents, étant rappelé qu'aucune condamnation ne peut être prononcée à l'encontre des organes de la procédure collective, le jugement déféré étant infirmé en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées.
Sur la demande au titre du travail dissimulé
La clause contractuelle de forfait jours n'ayant été invalidée qu'au terme d'un long débat judiciaire, l'élément intentionnel requis par les dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail n'est pas suffisamment établi pour ouvrir droit au paiement de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 8223-1 en sorte que la demande de M. [F] à ce titre sera rejetée.
Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail
En application des dispositions des 1217 et 1224 du code civil et 1231-1 du code du travail, en cas d'inexécution de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie peut demander au juge de prononcer la résiliation du contrat.
Lorsqu'un salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée. C'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur.
Si le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement.
La résiliation judiciaire à la demande du salarié n'est justifiée qu'en cas de manquements de l'employeur d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
M. [F] ayant saisi la juridiction prud'homale avant la notification de son licenciement, sa demande de résiliation judiciaire est recevable et doit être examinée en premier.
Au soutien de sa demande, M. [F] invoque les manquements suivants :
- le non-paiement des heures supplémentaires réalisées,
- le non-respect par la société des obligations lui incombant dans le cadre du forfait jours qui avait été contractuellement convenu.
Le non-respect des obligations incombant à l'employeur dans le cadre d'une convention de forfait en jours en terme de contrôle de la charge de travail et de l'amplitude journalière, retenu par la cour dans l'arrêt rendu le 27 septembre 2018 pour priver d'effet cette convention est définitivement établi.
Un tel manquement ajouté au non-paiement des heures supplémentaires en résultant caractérise un manquement suffisamment grave pour justifier la demande de résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur, résiliation qui produira les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, prenant effet à la date du licenciement, soit au 5 avril 2013.
Sur les demandes au titre de la rupture du contrat
- Sur la demande en paiement d'un solde dû au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
M. [F], se référant à un salaire moyen de 3.856,80 euros bruts par adjonction à son salaire hors heures supplémentaires de 2.888,77 euros de la somme de 968,03 euros correspondant aux heures supplémentaires réalisées, sollicite le paiement de la somme de 3.713,60 euros à titre de solde de l'indemnité compensatrice de préavis [( 3.856,80 euros x 2) - 4.000 euros (somme qui lui a été versée)].
L'UNEDIC conclut au rejet de cette demande, exposant que M. [F], ayant été dispensé de l'exécution de son préavis, n'a pas exécuté d'heures supplémentaires.
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La cour a ci-avant retenu que la résiliation du contrat doit s'analyser en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; M. [F] est donc en droit de prétendre au paiement du salaire qu'il aurait perçu en l'absence de rupture.
Dès lors, et dans la limite de la somme précédemment allouée au titre des heures supplémentaires, la créance de M. [F] à ce titre sera fixée à la somme de 3.596,93 euros bruts outre 359,69 euros bruts pour les congés payés afférents.
- Sur la demande à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
M. [F] sollicite la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, invoquant son ancienneté de plus de 5 années dans l'entreprise et le dévouement dont il a fait preuve à l'égard de son employeur.
L'UNEDIC conclut à titre subsidiaire à la limitation à 18.000 euros de l'indemnité allouée.
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M. [F] justifie de sa prise en charge par Pôle Emploi de septembre 2013 à juin 2015 et de la perception jusqu'à cette date de l'allocation de retour à l'emploi à hauteur de 45,34 euros bruts par jour.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [F], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 30.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.
Sur la demande au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail
M. [F] sollicite la somme de 20.000 euros en réparation du préjudice résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail invoquant les éléments suivants :
- la mise en oeuvre d'un forfait jour pour un salarié non cadre sans respect des dispositions relatives au contrôle de l'amplitude horaire et des repos,
- l'absence de toute précision dans le contrat quant aux modalités de versement de la part variable de la rémunération ainsi que, durant la relation contractuelle, des modalités de calcul des primes versées,
- l'accomplissement de la double tâche de responsable d'agence et de superviseur à compter du mois de mars 2011 sans aucune contrepartie financière,
- les motifs fallacieux invoqués à l'appui de son licenciement alors que les difficultés existant au sein de l'agnce étaient en réalité liées à la réorganisation de la société qui avient pour effet de priver les télévendeurs d'une partie de leur portefeuille et donc de réduire leur rémunération.
L'UNEDIC conclut au rejet de cette demande rappelant que la déloyauté ne se présume pas.
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Le cumul pendant plusieurs mois des fonctions de responsable d'agence et de superviseur est établi de même que l'absence de mise en oeuvre de tout contrôle quant à la durée de travail et sa compatibilité avec les impératifs de santé du salarié ou l'absence de toute précision quant aux modalités de calcul de la part variable de la rémunération versée au salarié.
Il sera en conséquence alloué à M. [F] une somme arbitrée, au vu des pièces produites, à 1.000 euros.
Sur les autres demandes
Il sera ordonné aux liquidateurs de la société de délivrer à M.[F] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision.
Les dépens seront mis à la charge de la liquidation judiciaire de la société mais compte tenu de la situation de celle-ci, il ne sera pas fait appplication des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La présente décision sera déclarée opposable à l'UNEDIC dans les limites légales et règlementaires de sa garantie et du plafond applicable, à l'exclusion des dépens.
*
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 27 octobre 2016 en ce qu'il a débouté M. [C] [F] de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées, au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail et de l'exécution déloyale du contrat,
Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmés et y ajoutant,
Fixe les créances de M. [C] [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société Toupargel, représenté par ses liquidateurs, la SELARL MJ Synergie, prise en la personne de Maître [Y] [U] ou Maître [D] [B] et la SELARL Alliance MJ, prise en la personne de Maître [P] [W], aux sommes suivantes :
- 54.581,71 euros bruts à titre de rappel de salaire pour les heures supplémentaires réalisées entre le 1er janvier 2009 et le 5 avril 2013 outre 5.458,17 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 3.596,93 euros bruts à titre de solde de l'indemnité compensatrice de présavis outre 359,69 euros bruts pour les congés payés afférents,
- 30.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
Ordonne aux liquidateurs de la société Toupargel de délivrer à M. [C] [F] un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,
Déclare le présent arrêt opposable à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de Chalon-sur-Saône dans les limites légales et règlementaires de sa garantie et du plafond applicable, à l'exclusion des dépens,
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que les dépens seront supportés par la liquidation judiciaire de la société Toupargel.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire