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11/10/2022 | FRANCE | N°19/06458

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 11 octobre 2022, 19/06458


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 11 OCTOBRE 2022



RP





N° RG 19/06458 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLKJ









SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU - CHARENTES



c/



[Y] [S]

[P] [X] veuve [S]

[K] [S]

[E] [S]

[A] [S]

























Nature de la décision : AU

FOND



JONCTION AVEC DOSSIER RG 19/06553















Grosse délivrée le :



aux avocats



Décision déférée à la cour : jugement rendu le 07 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 15/04179) suivant deux déclarations d'appel du 10 décembre ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 11 OCTOBRE 2022

RP

N° RG 19/06458 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LLKJ

SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU - CHARENTES

c/

[Y] [S]

[P] [X] veuve [S]

[K] [S]

[E] [S]

[A] [S]

Nature de la décision : AU FOND

JONCTION AVEC DOSSIER RG 19/06553

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 07 novembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (chambre : 5, RG : 15/04179) suivant deux déclarations d'appel du 10 décembre 2019 (RG : 19/06458) et du 13 décembre 2019 (RG : 19/06553)

APPELANTE selon déclaration d'appel en date du 10 décembre 2019 et intimée :

SA CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE AQUITAINE POITOU - CHARENTES, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]

représentée par Maître Benjamin HADJADJ de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE et appelante selon déclaration d'appel en date du 13 décembre 2019 :

[Y] [S]

née le [Date naissance 6] 1964 à [Localité 11] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 10]

représentée par Maître Christian BLAZY de la SELARL BLAZY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

[P] [X] veuve [S], es qualité d'héritière de Madame [G] [F]

née le [Date naissance 7] 1946 à [Localité 11] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 13]

[K] [S]

né le [Date naissance 3] 1967 à [Localité 11] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 9]

[E] [S]

né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 11] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 5]

[A] [S]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 11] (33)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 12]

représentés par Maître Anaîs SAULNIER, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 septembre 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [G] [F] est décédée le [Date décès 8] 2014 à l'âge de 94 ans avec pour héritière sa fille unique, Mme [P] [X], née de son union avec feu M. [L] [X]. Mme [X] a eu quatre enfants, [K], [E], [A] et [Y] [S], nés de son union avec M. [J] [S], également décédé.

Mme [Y] [S] a eu deux filles, [D] [S] et [R] [N].

Suite à une dégradation de son état de santé en décembre 2011, Mme [F] alors âgée de 91 ans, a été placée en maison de retraite puis a vécu au domicile de son arrière petite fille, Mme [N] entre fin août 2012 et mai 2013, puis de sa petite fille [Y] [S], à compter de mai 2013.

Le 22 juillet 2013, soupçonnant des détournements d'argent sur le compte de sa mère, Mme [X] a déposé plainte pour abus de faiblesse à l'encontre de Mme [N]. Cette plainte a été classée sans suite le 6 novembre 2013.

Le 13 août 2014, Mme [F] a été placée sous sauvegarde de justice par le juge des tutelles qui a également désigné un mandataire spécial. Mme [F] est décédée trois mois plus tard.

Par acte du 15 avril 2015, Mme [X] et ses fils, MM. [K], [E] et [A] [S] ont assigné la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes (ci-après la Caisse d'Epargne) et Mme [Y] [S] aux fins d'obtenir la réparation de leur préjudice moral et financier.

Parallèlement, Mme [X] a déposé plainte à l'encontre de Mme [Y] [S] le 31 mars 2015 auprès du procureur de la République de Bordeaux pour abus de faiblesse.

Par ordonnance du 5 janvier 2016, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte déposée par Mme [X] et a maintenu le sursis à statuer par ordonnance du 26 avril 2016.

Le 5 avril 2016, le procureur de la République a classé sans suite la plainte de Mme [X] et l'instance a été reprise.

Par jugement du 7 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- déclaré MM. [K], [E] et [A] [S] irrecevables en leurs demandes pour défaut de qualité à agir,

- déclaré recevables les demandes de Mme [P] [X] veuve [S] en sa qualité d'héritière de Mme [F],

- condamné en conséquence in solidum la Caisse d'Epargne et Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] veuve [S] la somme de 60.000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice financier, outre intérêts au taux légal à compter de la décision,

- condamné Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] le surplus au titre de l'indemnisation de son préjudice financier, soit la somme de 29.638,74 €, outre intérêts au taux d'intérêt légal à compter de la décision,

- condamné la SA Caisse d'Epargne à verser à Mme [P] [X] la somme de 15.000 € au titre du remboursement du virement, et la somme de 1281,65 € au titre du remboursement des frais bancaires,

- condamné Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] la somme de 3.000 € en réparation de son préjudice moral,

- débouté la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance de sa demande à l'encontre de Mme [Y] [S],

- débouté Mme [Y] [S] de sa demande reconventionnelle,

- condamné solidairement la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance et Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision.

La Caisse d'Epargne a relevé appel de ce jugement par déclaration du 10 décembre 2019. Mme [Y] [S] a fait de même par déclaration du 13 décembre 2019. Les affaires ont été jointes sous le n°RG 19/06458.

Par conclusions déposées le 9 mars 2020, la Caisse d'Epargne demande à la cour de :

A titre principal,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il :

* condamne en conséquence in solidum la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes et Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] veuve [S] la somme de 60.000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice financier, outre intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

* condamne la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à verser à Mme [P] [X] la somme de 15.000 € au titre du remboursement du virement, et la somme de 1.281,65 € au titre du remboursement des frais bancaires,

* déboute la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes de sa demande à l'encontre de Mme [Y] [S],

* condamne solidairement la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes et Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] veuve [S] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

* condamne solidairement la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes et Mme [Y] [S] aux dépens de la procédure.

Statuant à nouveau :

- dire l'action engagée par Mme [P] [X] veuve [S] irrecevable comme entachée de forclusion,

En toutes hypothèses,

- débouter Mme [P] [X] veuve [S] de l'intégralité de ses demandes dirigées à l'encontre de la Caisse d'Epargne,

- condamner Mme [P] [X] veuve [S] au paiement d'une indemnité de 2. 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,

A titre subsidiaire,

- condamner Mme [Y] [S] à relever la Caisse d'Epargne indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre.

- condamner Mme [Y] [S] au paiement d'une indemnité de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC et aux dépens.

Par conclusions déposées le 8 juin 2020, Mme [Y] [S] demande à la cour de :

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux du 7 novembre 2019, en ce qu'il a condamné :

* in solidum la SA Caisse d'Epargne et Mme [S] à verser à Mme [X] la somme de 60. 000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice financier.

* Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] le surplus au titre de l'indemnisation de son préjudice financier, soit la somme de 29. 638, 74 €.

* Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] la somme de 3 000 € en réparation de son préjudice moral.

* Solidairement la SA Caisse d'Epargne et Mme [S] à verser à Mme [X] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Et statuant à nouveau :

A titre principal,

- déclarer que la Caisse d'Epargne a commis un manquement à son obligation de vigilance,

- condamner la Caisse d'Epargne à verser seule à Mme [X] la somme de 60.000 € au titre de l'indemnisation de son préjudice financier,

- condamner la Caisse d'Epargne à verser seule à Mme [X] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- déclarer que la perte de chance ne peut être retenue pour caractériser le préjudice financier de Mme [X],

- déclarer que l'ensemble du préjudice subi par Mme [X] ne peut être imputé à Mme [S],

- débouter Mme [X] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions à l'encontre de Mme [S] et de la Caisse d'Epargne,

A titre infiniment subsidiaire,

- déclarer qu'aucune faute ne peut être retenue à l'encontre de Mme [S],

- débouter la Caisse d'Epargne de sa demande de condamnation de Mme [S] à la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

- condamner la Caisse d'Epargne au paiement de la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions déposées le 16 juillet 2021, Mme [P] [X] prie la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- débouter la Caisse d'Epargne de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- débouter Mme [Y] [S] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner solidairement la Caisse d'Epargne et Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel,

- les condamner solidairement aux entiers dépens.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 6 septembre 2022.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 23 août 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la forclusion

La Caisse d'Epargne demande à la cour de dire l'action engagée par Mme [P] [X] veuve [S] irrecevable comme entachée de forclusion au visa de l'article L133-24 du code monétaire et financier qui prévoit, en son alinéa 1 que : « L'utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n'ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III. »

Cependant, la banque ne vise dans le corps de ses écritures, que l'irrecevabilité des opérations réalisés avant le 10 janvier 2014 (13 mois avant la délivrance de l'assignation) alors que l'action en responsabilité engagée contre la banque vise un virement du 24 juillet 2012 et des émissions de chèques du 1er septembre 2012 au [Date décès 8] 2014, date de décès de Mme [F].

En tout état de cause, comme l'a exactement retenu le premier juge, le texte visé par la Caisse d'Epargne, qui n'est pas un texte spécial dérogatoire au droit commun de la responsabilité civile en matière bancaire, ne trouve pas à s'appliquer en l'espèce et l'action engagée sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil n'est pas prescrite selon les dispositions de l'article 2224 du même code pour avoir été introduite moins de cinq années après que Mme [X] ait eu connaissance des opérations douteuses sur le compte bancaire de sa mère.

Sur la responsabilité de la banque

1-Au titre des émissions de chèques

La Caisse d'Epargne soutient en premier lieu que l'enquête pénale diligentée à l'encontre de [Y] [S] n'ayant pas permis d'établir des faits d'escroquerie, de faux ou d'abus de faiblesse, au préjudice de sa grand-mère, la responsabilité de la banque ne saurait être engagée.

Au delà, la banque explique qu'elle est soumise soumise au principe de non-ingérence dans les affaires de son client, que si elle doit notamment vérifier la signature du tireur, la comparaison peut ne porter que sur la seule apparence, le banquier n'étant pas expert en graphologie, qu'il est matériellement impossible pour une banque de vérifier, quotidiennement, la justification des opérations passant au débit et au crédit des comptes de ses clients et ainsi, qu'à l'exception de toute anomalie apparente ou en présence d'une situation manifestement illicite, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, la banque doit accepter, sous réserve de détention des fonds nécessaires, de payer le chèque présenté.

Elle ajoute par ailleurs, que chaque mois, Mme [F] a été destinataire de ses relevés de compte et qu'en cas d'opération débit anormale, elle était en mesure de s'en apercevoir et d'alerter sa banque, ce qu'elle n'a pas fait.

Mme [X] reprend son argumentaire de première instance et maintient que la banque aurait dû être alertée non seulement par le nombre élevé de chèques et leur montant au regard des faibles revenus de Mme [F] mais aussi par la facturation de plus d'une centaine de commissions d'interventions en l'espace de 18 mois et qu'en acceptant de payer des chèques comportant des anomalies apparentes de la signature aisément décelables, la banque engage sa responsabilité.

Le fait que la plainte de Mme [X] contre [Y] [S] ait été classée sans suite, décision dépourvue de toute autorité de chose jugée, est sans incidence sur l'engagement de la responsabilité de la banque sur la fondement d'un faute civile.

Les pièces soumises à la cour et les débats d'appel ne sont pas de nature à remettre en cause l'exacte appréciation du premier juge qui, après avoir rappelé les conditions d'engagement de la responsabilité civile du banquier en cas de manquement à son obligation de vigilance et de conseil qui lui impose notamment de relever les anomalies apparentes, a constaté que la banque ne s'était pas alertée de ce que le compte bancaire de Mme [F], qui disposait d'une modeste retraite mensuelle de 750 €, a commencé à présenter un solde régulièrement débiteur à partir de juin 2013, provoquant une centaine de commissions d'intervention en 18 mois et que la Caisse d'Epargne ne s'est pas non plus alertée, malgré les faibles revenus de Mme [F], de l'émission de 312 chèques entre le 1er septembre 2012 et le [Date décès 8] 2014, dont 182 supérieurs à 100 €, 63 à 500 € et 19 à 1.000 €.

Il n'est pas sérieusement contestable, au vu de ces éléments, que la banque se devait de vérifier la signature de Mme [F] et que la banque justifie d'autant moins l'avoir fait qu'elle n'a toujours pas versé en appel le spécimen de signature de sa cliente, bien que le jugement entrepris ait relevé cette carence et que l'examen des trente chèques produits fait apparaître quatre signatures différentes, écrites en script ou en majuscules, au nom de [S] ou [F], ces anomalies étant aisément décelables pour un employé de banque normalement vigilant.

Par ailleurs, le fait que Mme [F] ne se soit pas manifestée au reçu de ses relevés bancaires faisant apparaître les débits litigieux, ne permet pas à la banque de s'exonérer de sa responsabilité, compte tenu du grand age de sa cliente et du fait qu'elle était hébergée chez l'auteur des falsifications.

Dans ces conditions, c'est à bon droit que le premier juge a retenu la responsabilité civile de la banque au titre des émissions de chèques.

2-Au titre du virement de 15.000 € du 24 juillet 2012.

La banque conteste sa responsabilité sur ce point retenue à tort par le tribunal selon elle au motif qu'elle aurait commis une faute contractuelle en exécutant un virement sans autorisation écrite de la part de sa cliente alors qu'un ordre de virement peut être fait librement, qu'un écrit n'est pas exigé et qu'elle justifie avoir vérifié l'autorisation de Mme [F] en produisant en appel un courriel du 23 juillet 2012 d'[R] [N], bénéficiaire du virement, demandant à la banque d'appeler Mme [F] à son numéro de téléphone habituel pour confirmer sa volonté de faire ce virement, ce qui a été fait, comme le confirme la mention manuscrite portée sur le relevé de virement du 24 juillet.

Mme [X] estime que ces pièces ne permettent pas de démontrer l'autorisation de virement et elle demande de confirmer la responsabilité de la banque de ce chef.

Il est exact qu'aucune forme n'est imposée par les textes applicables pour la délivrance d'un ordre de virement qui doit cependant être faite sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement, selon les dispositions de l'article L.133-7 du code monétaire et financier et que, selon les conditions générales des opérations et services bancaires aux particuliers, les virements peuvent être faits au guichet de l'agence, par téléphone ou par internet.

La Caisse d'Epargne produit devant la cour un courriel du 23 juillet 2012 par lequel Mme [N], arrière petite fille de Mme [F], demande effectivement à la banque de vérifier le consentement de cette dernière à lui faire bénéficier d'un virement de 15.000 € en l'appelant au numéro de téléphone habituel de Mme [F] qu'elle rappelle et il apparaît sur le relevé de virement du 24 juillet que cette vérification a bien été faite par téléphone, selon une mention manuscrite que rien ne permet d'écarter, se référant au mail de la veille.

Dans la mesure où Mme [F] disposait de toutes ses facultés mentales à cette date (Mme [X] déclare dans son dépôt de plainte du 22 juillet 2013 : 'Ma mère a toute sa tête, elle n'est pas sous tutelle, ni curatelle'), le recueil de l'autorisation verbale de Mme [F] par un agent de la banque ne fait apparaître aucun manquement de la Caisse d'Epargne et le jugement qui a retenu sa responsabilité sera donc infirmé sur ce point.

Sur la responsabilité de Mme [S]

[Y] [S] estime qu'en raison du manquement de la Caisse d'Epargne à son obligation de vigilance s'agissant de l'encaissement des chèques, la banque est seule à l'origine du préjudice financier de Mme [X] dont Mme [S] conteste au surplus la fixation en estimant qu'il n'est justifié d'aucune perte de chance de déceler les falsifications et que l'évaluation des chèques émis et de leur période d'émission par le tribunal est approximative et erronée.

Ce n'est qu'à titre très subsidiaire qu'elle conteste également toute faute au motif que les deux plaintes pénales pour abus de faiblesse portées contre elle ont été classées sans suite et qu'il n'a pas été démontré l'absence de consentement de sa grand mère aux émissions de chèques alors que Mme [F] était lucide et qu'en remerciement des soins et de l'aide que Mme [S] lui prodiguait, sa grand mère a souhaité lui faire de nombreuses libéralités de sorte que les chèques litigieux que Mme [S] reconnaît avoir signés ont été établis à sa demande et avec son accord, soit en majorité dans l'intérêt de Mme [F], soit dans l'intérêt de Mme [S] et de ses proches, les autres membres de la famille de Mme [F] ne se préoccupant pas d'elle.

Si la responsabilité de la banque a été confirmée plus haut, il n'en demeure pas moins que le comportement fautif de [Y] [S] doit aussi être retenu pour les exacts motifs du jugement entrepris, pour avoir encaissé sur son compte des chèques qu'elle savait falsifiés puisqu'elle les avaient signés elle-même sans détenir de procuration et alors que sa grand-mère n'était plus en état de le faire.

Elle procède par ailleurs par simples affirmations sur le consentement supposé de Mme [F] aux dépenses qu'elle prétend avoir faites majoritairement dans l'intérêt de sa grand mère alors qu'il ne peut plus être exercé aucun contrôle sur l'affectation des sommes encaissées et qu'il résulte d'un certificat médical établi le 27 juin 2014 à la demande du juge des tutelles que Mme [F] ' est désorientée dans le temps et l'espace. La perte de notion de valeurs chiffrées est totale. Madame [F] ne peut ni lire, ni écrire '.

Par ailleurs, on relève sur la période de mai 2013 à novembre 2014, période de séjour de Mme [F] chez [Y] [S], un total d'encaissement de 49 chèques pour 33.500 € sur le compte de cette dernière et pendant cette même période, l'émission de 29 chèques pour 13.536,67 € en réglement de charges de son ménage et de son concubin, ce que Mme [S] a reconnu dans son audition devant les services de police (pièce 23 de Mme [X]), ce qui représente un total de 57.036,67, somme qui apparait manifestement disproportionnée avec d'éventuelles libéralités accordées en remerciement des soins et de l'assistance prodigués par [Y] [S] qui percevait au surplus une indemnité mensuelle de 500 € à ce titre.

Enfin, pour les motifs déjà exposés plus haut relativement à la responsabilité de la banque, l'absence de poursuites pénales pour abus de faiblesse est sans influence sur la caractérisation de la faute civile de Mme [S] et le jugement retenant sa responsabilité de ce chef sera en conséquence confirmé.

Les fautes de la banque et de Mme [S] apparaissent d'égale importance dans la constitution du préjudice résultant des émissions de chèques frauduleux de sorte que leurs demandes respectives de garantie seront rejetées et que leur condamnation in solidum sera ainsi confirmée.

Sur le préjudice

Le préjudice indemnisable de Mme [X] , en sa qualité d'héritière de sa mère, résulte seulement de la perte de chance d'identifier les falsifications de chèques commises par Mme [S] dont Mme [F] a été victime et d'y mettre un terme, ce qui limite l'assiette de calcul de cette perte de chance aux émissions de chèques faites pendant le séjour de Mme [F] chez [Y] [S], présenté par les parties comme ayant eu lieu à compter de mai 2013, étant toutefois observé qu'un premier chèque de 1.000 € est daté du 29 avril 2013 au profit de [D] [S] (pièce 18 de Mme [X]).

En l'absence de production par la Caisse d'Epargne, y compris en appel, de l'ensemble des chèques émis à partir du compte de Mme [F] pendant la période suspecte, c'est à juste titre que le tribunal a décide de retenir comme falsifiés ceux supérieurs à 100 € émis sur la période litigieuse. Toutefois, les chèques émis entre août 2012 et avril 2013 ne peuvent être inclus dans le calcul du préjudice en l'absence de falsification de chèques par Mme [S] pendant cette période.

Il n'est pas contesté que 182 chèques de plus de 100 € ont ainsi été émis de mai 2013 à novembre 2014 pour un montant de 80.766,79 € (pièce 5 de Mme [X]) de sorte que le préjudice indemnisable doit être calculé sur la somme de 81.766,79 €.

Au titre de la perte de chance, la Caisse d'Epargne et Mme [S] seront ainsi condamnées à verser in solidum à Mme [X] la somme de 60.000 € et il sera précisé que dans leur rapport entre elles, la condamnation sera répartie par moitié, sans qu'il y ait lieu à indemnisation complémentaire, Mme [X] ne justifiant pas d'un préjudice financier distinct.

Pour les exacts motifs du premier juge que la Caisse d'Epargne ne combat pas utilement en appel, il sera aussi mis à sa charge le remboursement des frais bancaires facturés pendant la période de mai 2013 à novembre 2014 notamment au titre des multiples commissions d'intervention , pour un montant total de 1.281,65€.

Le jugement sera également confirmé au titre de la condamnation de Mme [S] à réparer le préjudice moral de Mme [X].

Enfin, la Caisse d'Epargne et Mme [S] supporteront in solidum les dépens et verseront à cette dernière une indemnité complémentaire de 2.500 € en appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :

- condamné Mme [Y] [S] à verser à Mme [P] [X] le surplus au titre de l'indemnisation de son préjudice financier, soit la somme de 29.638,74 €, outre intérêts au taux d'intérêt légal à compter de la décision,

- condamné la SA Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à verser à Mme [P] [X] la somme de 15.000 € au titre du remboursement du virement,

Statuant à nouveau de ces chefs;

- dit n'y avoir lieu à indemnisation complémentaire du préjudice financier de Mme [X];

- rejette la demande de Mme [X] au titre du remboursement du virement de 15.000 €;

Confirme le jugement pour le surplus et y ajoutant :

- dit que dans leur rapport entre elles, la condamnation de la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes et de Mme [Y] [S] sera supportée par chacune d'elle par moitié,

- condamne in solidum dans les mêmes conditions la Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes et Mme [Y] [S] aux dépens et à payer à Mme [P] [X] la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre civile
Numéro d'arrêt : 19/06458
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;19.06458 ?
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