COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 21 SEPTEMBRE 2022
PRUD'HOMMES
N° RG 19/01278 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K46V
Monsieur [W] [P]
c/
SAS ICTS ATLANTIQUE
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 février 2019 (R.G. n°F 17/00475) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 07 mars 2019,
APPELANT :
Monsieur [W] [P]
né le 01 Septembre 1970 à [Localité 3] (PORTUGAL) de nationalité Française
demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Sylvie MICHON substituant Me Marie-Laure MEYNARD-BOBINEAU, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
SAS ICTS Atlantique, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 2]
N° SIRET : 789 002 771 00010
représentée par Me Cécile AUTHIER de la SELARL CAPSTAN SUD OUEST, avocat au barreau de BORDEAUX et la SELARL CAPSTAN Rhône Alpes, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 juin 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémi Figerou, conseiller chargé d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sophie Masson, conseillère
Monsieur Rémi Figerou, conseiller
Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [W] [P], né en 1970, a été engagé en qualité de directeur de site par la SAS ICTS Atlantique par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 octobre 2012, suite à un transfert de contrat avec une reprise d'ancienneté au 1er septembre 2009,.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité.
Par lettre datée du 27 juin 2016, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 11 juillet 2016 avec mise à pied à titre conservatoire.
M. [P] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre datée du 20 juillet 2016. Les parties ont décidé de régulariser leur différend par une transaction conclus le 29 juillet 2016.
A la date du licenciement, M. [P] avait une ancienneté de 5 ans et 9 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Demandant l'annulation de la transaction intervenue le 29 juillet 2016, contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [P] a saisi le 23 mars 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 15 février 2019 a :
- dit valable et opposable à M. [P] la transaction intervenue entre lui et la SAS ICTS Atlantique le 29 juillet 2016,
- dit que cette transaction a l'autorité de la chose jugée en dernier ressort,
- dit que les demandes de M. [P] sont irrecevables,
- débouté M. [P] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné M. [P] à régler à la société la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.
Par déclaration du 7 mars 2019, M. [P] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 juin 2021, M. [P] demande à la cour de le dire recevable et bien fondé en son appel, d'infirmer le jugement rendu et de :
- constater :
* l'abus d'état de dépendance économique dont il a été victime au moment de la transaction intervenue le 29 juillet 2016,
* l'existence d'un trouble mental au moment de la conclusion de l'accord transactionnel ;
En conséquence :
- annuler la transaction intervenue le 29 juillet 2016,
- dire que son licenciement pour faute grave en date du 20 juillet 2016 est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société ICTS à l'indemniser à hauteur des sommes suivantes :
* 10.000 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,
* 97.346,16 euros d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 11.221,85 euros d'indemnité légale de licenciement,
* 24.336,54 euros d'indemnité compensatrice de préavis, * 2.433,65 euros d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
* 50.000 euros de préjudice moral,
* 5.000 euros de prime qu'il aurait nécessairement eue,
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamner la société ICTS à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société ICTS aux dépens en ce compris les frais d'exécution.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 27 août 2019, la société demande à la cour de :
A titre principal :
- dire non justifié l'appel interjeté par M. [P] ,
- en conséquence, confirmer dans son intégralité le jugement rendu,
- dire valable et opposable à M. [P] la transaction intervenue le 29 juillet 2016,
- dire que cette transaction a l'autorité de la chose jugée,
- déclarer irrecevables les demandes présentées par M. [P] ;
A titre subsidiaire en cas de réformation et d'annulation de la transaction :
- dire que le licenciement pour faute grave est justifié,
- dire que M. [P] a été rempli de ses droits salariaux,
- le débouter de toutes ses demandes ;
A titre reconventionnel en cas d'annulation de la transaction,
- ordonner la restitution de l'indemnité transactionnelle d'un montant de 25.000 euros ;
A titre infiniment subsidiaire, en cas d'invalidation du licenciement,
- prononcer la compensation totale entre les dommages et intérêts éventuellement alloués à M. [P] et l'indemnité transactionnelle d'un montant de 25.000 euros versée par la société ;
En tout état de cause,
- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [P] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 14 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
M. [P] demande l'annulation de la transaction intervenue le 29 juillet 2016 en raison d'un abus de son état de dépendance économique et de l'existence d'un trouble mental au moment de la conclusion de l'accord transactionnel.
Il fait valoir qu'il rencontrait des difficultés financières depuis sa mise à pied conservatoire et considère qu'il se trouvait donc dans un état de dépendance économique, au sens de l'article 1143 du code civil, par rapport à la société ICTS.
Il fait état d'une crainte eu égard à ses difficultés financières ainsi qu'à ses obligations familiales et ajoute qu'il était sous traitement médicamenteux pour dépression lors de la conclusion de l'accord transactionnel.
Quant à l'abus de cet état, M. [P] considère qu'il est caractérisé par l'absence de toute prévenance de la signature d'un tel protocole conclu au terme d'un entretien ayant un tout autre objet, protocole emportant, selon lui, un déséquilibre au profit de la société, puisque la somme proposée était inférieure aux seules indemnités de rupture.
M. [P] ajoute qu'au moment de la conclusion de l'accord, il présentait une altération de ses facultés intellectuelles dans la mesure où son médecin lui avait prescrit des antidépresseurs et des anxiolytiques pour une dépression lourde. La gravité du trouble est établie par le fait que cela l'a conduit à conclure une transaction avec la société, particulièrement défavorable pour lui.
La société demande la confirmation du jugement, sans avoir à statuer sur le bien-fondé du licenciement, faisant valoir que la transaction signée le 29 juillet 2016 est valable. Elle fait valoir que la transaction a été régularisée par les parties le 29 juillet 2016, soit antérieurement à l'entrée en vigueur de l'article 1143 du code civil. La société estime que le salarié ne peut donc se prévaloir de cette disposition.
De plus, M. [P], sur qui pèse la charge de la preuve, ne caractérise ni l'existence d'un abus, ni celui d'un avantage manifestement excessif, ne verse aucune pièce justifiant de ses difficultés financières ou du lien entre elles et la procédure de licenciement.
Ensuite, la société considère que le salarié critique par un moyen détourné l'absence de concessions réciproques mais qu'au regard de la gravité des manquements du salarié, la société a consenti une véritable concession alors que le salarié, licencié pour faute grave, ne pouvait prétendre à aucune indemnité.
En outre, la société soutient que le salarié ne peut se prévaloir d'un abus pour un montant qu'il a lui-même négocié, celui-ci ayant bénéficié du temps nécessaire pour apprécier l'étendue de ses droits avant de signer la transaction et qu'en raison de ses fonctions, notamment puisqu'il gérait le 'disciplinaire' conformément à sa délégation de pouvoirs, il connaissait parfaitement les procédures.
Elle affirme également que M. [P] ne rapporte pas la preuve d'un trouble mental par l'existence d'un traitement médical et que l'arrêt de travail n'a eu lieu qu'après sa convocation à un entretien préalable. Les documents médicaux produits par le salarié étant postérieurs à la transaction, ne sont nullement probants. Elle ajoute que la fragilité d'un salarié présentant un état dépressif ne constitue pas, à elle seule, un élément suffisant pour apporter la preuve de l'existence d'un trouble mental à l'origine d'un vice du consentement.
Aux termes de l'article 2044 du code civil, dans sa version antérieure à la loi du 18 novembre 2016, « la transaction est un contrat par lequel, les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. Ce contrat doit être rédigé par écrit ».
Aux termes de l'article 2052 du même code, dans sa version antérieure à la loi du 18 novembre 2016, « Les transactions ont, entre les parties, l'autorité de la chose jugée en dernier ressort. Elles ne peuvent être attaquées pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion.».
Aussi, s'agissant d'un contrat, toute transaction encourt l'annulation en cas de vice de consentement et en cas d'existence d'un trouble mental au moment de sa .
En outre, il résulte de ces textes que l'existence de concessions réciproques, qui conditionne la validité d'une transaction, doit s'apprécier en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l'acte.
Si, pour déterminer la réalité de ces concessions, le juge peut restituer aux faits, tels qu'ils ont été énoncés par l'employeur dans la lettre de licenciement, leur véritable qualification, il ne peut, sans heurter l'autorité de chose jugée attachée à la transaction, trancher le litige que cette transaction avait pour objet de clore en se livrant à l'examen des éléments de fait et de preuve.
En l'espèce, M. [P] soutient que la transaction devrait être déclarée nulle dès lors qu'au moment de la signature de celle-ci l'employeur aurait abusé de la position de dépendance économique de son salarié à son égard.
Toutefois, s'il fait état de la charge de deux logements, alors que sa femme et sa fille vivaient dans la région parisienne, il n'en justifie pas, non plus que de dépendance économique qu'il allègue.
En outre, il conteste l'existence de concessions réciproques qui ne peut être retenues dès lors que si l'appelant avait été licencié pour faute grave, ainsi que l'employeur l'avait initialement décidé, il ne lui aurait pas versé la somme de 25.000 euros figurant à l'article 2 de la transaction à titre d'indemnité prévue en réparation de l'ensemble des préjudices professionnels et moraux que M. [P] prétendait avoir subis.
En conséquence, il existe bien dans la transaction une concession de l'employeur par rapport à sa position initiale.
Par ailleurs, en application de l'article 414-1 du code civil, dans sa version applicable au jour de la signature de la transaction : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte ».
En l'espèce, M. [P] fait valoir l'existence d'une « dépression lourde ».
Toutefois, il communique à l'appui de cette prétention un arrêt de travail du 24 novembre 2017 au 26 décembre 2017, soit à une date très postérieure à celle à laquelle la transaction a été signée, ce qui ne permet en aucun cas de caractériser l'existence d'une dépression lourde à la date du 29 juillet 2016 (sa pièce n° 22).
De même, il communique une lettre du docteur [J] du 24 mars 2017, lequel évoque « un épisode dépressif modéré » qui ne permet pas davantage de démontrer que celui-ci existait le 29 juillet 2016 alors qu'en outre, la qualification 'd'épisode dépressif modéré', ne permet pas de caractériser l'existence d'un trouble altérant sa santé mentale (sa pièce n° 15).
M. [P] communique enfin, simplement en cause d'appel, une attestation de son médecin traitant du 9 avril 2019, qui affirme avoir prescrit à son patient en juin, juillet, et août 2016 des anxiolytiques et un antidépresseur (sa pièce n° 29).
La cour constate que les ordonnances ayant prescrit ces médicaments ne sont pas communiquées et, en toute hypothèse, un simple état dépressif même sévère ne constitue pas le signe d'une suppression de la lucidité autorisant l'application de l'article 414-1 du code civil. En outre si la prescription du médecin traitant a cessé en septembre 2016, il ne pouvait s'agir d'une dépression lourde.
En conséquence, il n'y a pas lieu d'annuler la transaction et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de M. [P] et a condamné celui-ci aux dépens ainsi qu'à payer à la société ICTS la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [P] sera en outre condamné à payer à la société intimée la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel en sus de la somme allouée par les premiers juges sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de M. [P] et a condamné celui-ci aux dépens ainsi qu'à payer à la société ICTS Atlantique la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Y ajoutant,
Condamne M. [W] [P] aux dépens ainsi qu'à payer à la SAS ICTS Atlantique la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire