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21/09/2022 | FRANCE | N°19/00346

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 21 septembre 2022, 19/00346


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 21 SEPTEMBRE 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 19/00346 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K2IY













Madame [J] [W]



c/



SAS AKKA I & S

















Nature de la décision : AU FOND













,





Grosse délivrée le :





à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 décembre 2018 (R.G. n°F 15/01899) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 18 janvier 2019,





APPELANTE :

Madame [J] [W]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

repr...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 21 SEPTEMBRE 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 19/00346 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K2IY

Madame [J] [W]

c/

SAS AKKA I & S

Nature de la décision : AU FOND

,

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 21 décembre 2018 (R.G. n°F 15/01899) par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BORDEAUX, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 18 janvier 2019,

APPELANTE :

Madame [J] [W]

de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Rémy TAUZIN substituant Me Jérôme DELAS de la SELARL A. GUERIN & J. DELAS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Akka Infomatique & Systèmes, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social [Adresse 1]

N° SIRET : 318 732 880

représentée par Me Stéphanie BERTRAND de la SELARL STEPHANIE BERTRAND AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée de Me Anne SEBAN substituant Me Vincent VINO, avocat au barreau de NÎMES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 juin 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Rémi Figerou, conseiller chargé d'instruire l'affaire,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Monsieur Rémi Figerou, conseiller

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [J] [W], née en 1982, a été engagée par la SAS Akka I&S (ci-après dénommée la société) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 3 novembre 2008 en qualité d'ingénieur.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Mme [W] s'élevait à la somme de 3.142 euros bruts.

Initialement affectée à l'agence de [Localité 7], Mme [W] a demandé et obtenu son rattachement à celle de [Localité 6] par avenant du 3 juin 2013 prenant effet à compter du 1er juillet 2013.

Aux termes de cet avenant, il était précisé que Mme [W] était rattachée administrativement à l'établissement de la société situé à [Localité 6], qu'elle reconnaissait que son lieu de travail ne constituait pas un élément essentiel de son contrat de travail et que, dans le cadre de ses fonctions qui peuvent nécessiter une intervention constante auprès des clients de la société ou de fréquents déplacements, elle pouvait être amenée à effectuer des missions pour une durée variable en France ou à l'étranger. En outre, il était prévu que la salariée déclarait accepter par avance sa mutation dans d'autres établissements de l'entreprise en fonction des nécessités de l'entreprise, en France métropolitaine, un délai de prévenance d'un mois étant prévu dans cette hypothèse.

A compter du 1er juillet 2013, Mme [W] a été placée en arrêt de travail pour maladie en lien avec son état de grossesse, puis elle s'est trouvée en congé maternité à partir du 5 août 2013, suivi d'un congé parental prenant fin le 8 juin 2014.

Elle a pris ensuite des congés jusqu'au 1er juillet 2014 et a ensuite été placée en situation d'intercontrat.

Le 30 septembre 2014,Mme [W] a reçu un ordre de mission de trois mois à compter du 6 octobre 2014 sur le site de [Localité 4] [Localité 5] de la société, cette mission ayant fait l'objet d'un entretien technique avec le responsable du projet le 26 septembre.

Après un échange de courriels et une rencontre avec la responsable des ressources humaines, Mme [W], invoquant sa situation familiale, a refusé d'exécuter cet ordre de mission.

Par lettre datée du 10 octobre 2014, Mme [W] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 21 octobre 2014.

Mme [W] a ensuite été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre datée du 29 octobre 2014, tenant à son refus de rejoindre la mission à laquelle elle avait été affectée à compter du 6 octobre 2014 sur le site de [Localité 4] [Localité 5].

A la date du licenciement, Mme [W] avait une ancienneté de 5 ans et 11 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Contestant la validité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [W] a saisi le 19 septembre 2015 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu en formation de départage le 21 décembre 2018, a :

- débouté Mme [W] de l'ensemble de ses demandes,

- condamné Mme [W] aux dépens,

- dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les autres demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 18 janvier 2019, Mme [W] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 15 mars 2021, Mme [W] demande à la cour de réformer en son intégralité, le jugement rendu et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

- dire dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement,

- condamner la société AKKA I&S au paiement d'une somme de 24.453,76 euros à titre d'indemnité en application de l'article L.1235-3 du code du travail ;

A titre subsidiaire,

- déclarer irrégulière la procédure de licenciement,

- condamner la société AKKA I&S au paiement d'une somme de 3.056,72 euros à titre d'indemnité en application de l'article L.1235-2 du code du travail ;

En tout état de cause,

- faire application des dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil anciennement 1153-1 et 1154 du code civil,

- condamner la société AKKA I&S au versement d'une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la décision à venir et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1986, devront être supportées par la société défenderesse en sus des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société intimée aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 25 octobre 2019, la société demande à la cour de confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions, notamment celles qui ont débouté Mme [W] de l'intégralité de ses demandes et, en tout état de cause, de :

- débouter Mme [W] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Mme [W] à lui payer une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 février 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 14 juin 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la cause du licenciement

Mme [W] considère que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car contrairement à ce qui a été retenu dans la lettre de licenciement qui fait état d'un refus d'acceptation d'une mission ainsi que d'un manque de transparence dans ses intentions, elle n'a fait preuve d'aucune intention volontaire ayant pour but de nuire aux intérêts légitimes de l'entreprise.

Elle fait valoir les éléments suivants :

- l'ordre de mission dans la région PACA pour 3 mois qu'elle a reçu à l'issue d'un congé parental et après avoir travaillé sur un projet en interne, qui devait déboucher à terme sur une mutation, est constitutif pour l'employeur d'une mise en oeuvre déloyale de la clause de mobilité figurant à son contrat de travail et la proposition de mission par l'employeur pour une durée de 3 mois renouvelable en région PACA a été prise pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise, ce que démontrerait la chronologie des événements et le contexte ;

- le délai de prévenance n'était pas raisonnable ;

- l'employeur pouvait lui proposer des missions sur la région bordelaise correspondant a son profil et qui étaient compatibles avec ses contraintes familiales ;

-il lui a proposé une rupture conventionnelle qu'elle a refusée ;

- son licenciement est abusif dès lors que l'employeur savait parfaitement que son enfant avait des problèmes de santé et qu'elle avait demandé et obtenu en 2013 une mutation de [Localité 7] à [Localité 3] pour se rapprocher de son conjoint qui avait des horaires de travail décalés et des astreintes ;

- eu égard au principe du droit au respect de la vie privée, garantie par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et compte tenu de l'atteinte à sa vie personnelle et familiale non justifiée par la tâche à accomplir, elle pouvait valablement être réticente à accepter l'ordre de mission soumis le 30 septembre 2014.

La société considère que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

Elle fait valoir que :

- les déplacements des consultants s'avèrent être l'essence même de leur contrat de travail et le salarié est de ce fait dans l'impossibilité de refuser un ordre de mission en prétextant une zone géographique éloignée puisque l'exécution d'une mission et ses déplacements sont au c'ur même de ses fonctions d'ingénieur consultant ;

- elle n'a pas utilisé la clause de mobilité de manière détournée puisque les déplacements sont inhérents aux fonctions de ces salariés ;

- il n'existait aucun délai de prévenance à respecter puisqu'il s'agissait d'une réalisation de missions et non d'une mutation ;

- elle n'a pas fait preuve de mauvaise foi puisqu'elle a affecté la salariée sur une mission relevant de ses compétences et attributions et qu'il n'existait pas d'autres missions sur la région bordelaise ;

- enfin, il n'y a pas eu d'atteinte au droit au respect de la vie privée puisque les déplacements sont inhérents au poste de Mme [W], qu'elle a pu bénéficier de l'intégralité de ses droits relatifs à sa maternité et que son statut de mère d'un jeune enfant n'est pas recevable pour refuser une telle mission, la salariée ne démontrant pas que la pathologie de son enfant, dont la société n'avait pas connaissance, nécessitait impérativement sa présence.

***

La lettre de licenciement adressée à Mme [W], qui fixe les termes du litige, est ainsi rédigée :

« (...)

Vous avez été embauchée au sein de notre entreprise le 3 novembre 2008 à [Localité 7], en qualité d'ingénieur. Conformément à vos engagements contractuels, vous avez réalisé des missions d'assistance technique entre autres pour des clients, et pour le compte de l'agence de [Localité 7], ou autre agence AKKA en fonction des besoins clients.

Au retour de votre congé parental, en juin 2014, nous avons essayé de concentrer les recherches sur [Localité 3] compte tenu de votre contexte familial. Cependant, nous vous avons expliqué que les perspectives dans la région bordelaise s'avéraient inexistantes et que nous devions, dans votre intérêt, élargir nos recherches de mission à l'ensemble du groupe Akka en France afin que vous puissiez être positionnée chez un client. Vous avez compris la nécessité d'une ouverture à la mobilité.

Votre dossier de compétences a très rapidement été retenu par Monsieur [S] [X], directeur d'agence de [Localité 4] [Localité 5], votre profil correspondant pleinement aux activités récurrentes de cette agence.

Dans ce cadre et devant la nécessité d'envisager une mobilité, [R] [G], RRH, vous a convié à un entretien le 23 septembre 2014 pour discuter de cette perspective à venir en insistant sur la nécessité d'être réactive face aux sollicitations qui se présentaient compte tenu du contexte difficile, et de faire part de vos éventuelles problématiques personnelles.

Vous avez alors évoqué que vos contraintes familiales freinaient vos possibilités de déplacement, sans néanmoins formuler fermement l'impossibilité totale quant aux respects de vos engagements contractuels.

Par conséquent, le 25 septembre 2014, [O] [U], directeur d'agence vous a présenté officiellement cette mission. Il vous a ensuite remis l'ordre de mission correspondant, pour un démarrage sur le site de [Localité 4] [Localité 5], à compter du 6 octobre 2014 et pour une durée de 3 mois renouvelable. Il vous a alors été demandé de vous positionner impérativement avant le 30 septembre 2014.

Afin de répondre à votre demande, nous avons organisé un entretien téléphonique avec

Monsieur [S] [X], interlocuteur technique de [Localité 4], pour échanger sur le contenu de la mission et vous donner toutes les précisions nécessaires. Cet entretien a eu lieu le 26 septembre 2014 et vous sembliez adhérer au projet.

Néanmoins, le 30 septembre 2014, [O] [U], en l'absence de nouvelle de votre part, a été contraint de vous relancer pour avoir un retour sur l'ordre de mission. Vous avez alors signé celui-ci « remis en mains propres », ce qui signifiait pour nous que vous aviez pris connaissance des conditions d'exercice de la prestation et que dans le cadre de la bonne exécution de votre contrat de travail, vous effectueriez cette mission à compter du 6 octobre 2014.

Néanmoins, dans le même temps, vous avez indiqué à l'oral que vous ne vous rendriez pas à [Localité 4] le lundi suivant, laissant planer le doute quant à l'exécution de votre mission, et empêchant toute organisation définitive.

Face à cette situation, le même jour, [R] [G] vous a réexpliqué, par mail, le contexte de cette mobilité et demandé, une nouvelle fois, de vous positionner clairement sur l'ordre de mission.

Mme [G] a insisté sur le fait que les équipes cannoises attendaient votre arrivée, que votre profil correspondait parfaitement, et que nous comptions sur vous.

Nous vous avons laissé deux jours de réflexion supplémentaires, pour vous permettre une organisation optimale, en vous demandant un positionnement clair avant le 2 octobre 2014, 17 heures, et ce pour des raisons impératives de bon fonctionnement.

Le 2 octobre 2014, vous nous avez finalement exposé par mail le retour très positif sur le contenu de la mission, manifestant votre intérêt pour celle-ci, tout en précisant que les conditions décrites dans l'ordre de mission ne vous permettaient pas de vous organiser pour un départ le 6 octobre 2014.

Suite à cela, [R] [G] a pris soin de vous recevoir de nouveau en entretien le 3 octobre 2014, afin d'étudier une solution qui vous permettrait de réaliser cette prestation.

Il vous a été proposé alors exceptionnellement une semaine de plus pour vous organiser, tout en vous précisant qu'il s'agissait du maximum envisageable pour l'entreprise et le client.

En définitive et après discussion, vous avez partagé avec [R] [G] le constat d'une incompatibilité manifeste entre vos contraintes personnelles et vos obligations contractuelles vis-à-vis de l'entreprise. Vous avez refusé finalement l'exécution de cette mission tout en allant jusqu'à laisser entendre que vous ne pourriez plus assurer pleinement vos fonctions comme par le passé.

Votre refus de mission, dans ces conditions, n'est pas acceptable et constitutif de manquements.

Nous vous rappelons, en effet, que vos contrats de travail et avenants prévoient une possibilité de déplacements, et qu'en conséquence, vous êtes donc amenée, sur simple demande de la société à effectuer des missions pour une durée variable sur le territoire français. Les interventions chez les clients ou dans d'autres établissements sont inhérentes à votre fonction et constitue l'essence même de votre contrat de travail, ce que vous semblez avoir oublié.

Vous ne pouvez donc pas ignorer cet engagement, quels que soient vos choix personnels et familiaux.

En outre, nous estimons avoir été au-delà même de nos obligations d'employeur.

Rappelons tout d'abord que nous avons accepté en juin 2013 votre demande de mutation sur [Localité 6] au motif d'un rapprochement familial et que, par la suite, tous les efforts ont été maintenus pendant les huit mois de votre présence effective sur l'agence de [Localité 6] afin de vous positionner seulement sur ce secteur.

Néanmoins, notre premier devoir d'employeur est de vous affecter sur un projet et s'est bien seulement, dans ce cadre qu'il vous a été demandé de réaliser cette mission à [Localité 4], ce que nous vous avons expliqué à maintes reprises.

Or, contre toute attente et alors que nous avons mobilisé l'ensemble des forces commerciales et RH pour envisager cette mobilité sur ces dernières semaines, vous nous accusez dans un courrier du 16 octobre 2014 de « man'uvres » pour mettre fin à votre contrat de travail,

En réalité à l'évidence, vous tentez, sous couvert de propos déformés, de vous soustraire à vos obligations contractuelles de mobilité, mais vous inscrivez ouvertement dans une attitude déloyale que nous ne pouvons que déplorer. Il apparait que malgré nos différents échanges, vous n'étiez pas prête, au demeurant, à envisager une mobilité puisque vous en avez repoussé l'échéance à plusieurs reprises, et que vous essayez de nous en imputer la responsabilité.

Soulignons enfin que vous avez pris l'initiative d'envisager une éventuelle rupture conventionnelle le 3 octobre 2014 lorsque vous avez compris que vous ne pourriez plus être en mesure de remplir la mission pour laquelle vous avez été engagée et non l'inverse comme vous prétendez avoir été « convoquée ». Nous avons accepté de l'envisager pour finalement vous voir vous rétracter par la suite témoignant là encore d'une attitude contradictoire, sans compter qu'elle reste fautive.

Nous comptions sur vos compétences, votre expérience, et votre investissement pour intégrer le site de [Localité 4] [Localité 5], comme nous vous l'avons rappelé lors de l'entretien. Nous regrettons votre choix et le fait que vous puissiez l'interpréter d'une autre manière, dans la mesure où nous avions déjà pris le soin de vous expliquer qu'il s'agissait pour vous d'une réelle opportunité d'évolution.

Outre votre refus de mission, votre attitude et votre manque de transparence sur vos intentions, ont nuit volontairement et consciemment à nos intérêts légitimes et rendent impossible la poursuite de votre contrat de travail.

En conséquence, compte tenu des éléments apportés lors de l'entretien du 21 octobre qui ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits, nous vous informons que nous vous notifions par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Nous vous informons que nous vous dispensons d'effectuer votre préavis d'une durée de trois mois. Le point de départ de votre préavis est la date de première présentation de ce courrier.

(...) ».

En application des articles L. 1232-1, L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent les termes du litige et le juge apprécie le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur et forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute persiste, il profite au salarié.

En l'espèce, la société a motivé le licenciement de Mme [W] par son refus d'accepter un ordre de mission correspondant à sa qualification et aux activités de l'agence où elle devait se rendre, à [Localité 4] [Localité 5] le 6 octobre 2014, pour une durée de trois mois renouvelable.

La société est une entreprise prestataire de services ingénierie et elle affecte ses salariés à l'exécution soit, de la prestation qu'elle obtient dans le cadre d'un marché qui lui est confié par un donneur d'ordre, soit, dans le cadre d'un projet interne, dans l'une de ses agences.

C'est à ce titre qu'elle a demandé à Mme [W] de réaliser un travail sur calculateurs de vol au Space Camp de l'un de ses établissements situé à [Localité 4] [Localité 5].

Or, aux termes du contrat de travail liant les parties, modifié par avenant du 3 juin 2013, si le lieu de travail de Mme [W] était fixé à l'établissement de [Localité 6], en tant que rattachement administratif, il était expressément stipulé que la salariée reconnaissait que ce lieu travail ne constituait pas un élément essentiel de son contrat travail et que dans le cadre de ses fonctions, qui pourraient nécessiter une intervention constante auprès des clients de la société et des fréquents déplacements, elle serait amenée sur simple demande de la société à effectuer des missions pour une durée variable en France et /ou à l'étranger, mission qu'elle acceptait d'ores et déjà sans pouvoir se prévaloir d'une modification de son contrat de travail.

A ce titre un ordre de mission décrivant les conditions et les modalités de ladite mission devait être établi.

D'une part, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, une telle clause ne constitue pas une véritable clause de mobilité dans la mesure où elle ne prévoit pas la mutation de la salariée ou son affectation dans un autre établissement mais uniquement des déplacements pour des missions temporaires.

D'autre part, les fonctions exercées par Mme [W] impliquaient de par leur spécificité et leur nature même une mobilité géographique.

Par ailleurs, Mme [J] [W] ne peut se prévaloir d'un délai de prévenance dès lors que ni le contrat de travail, ni la convention collective ne fournissent de précision sur la durée du délai de prévenance à respecter et qu'en 1'espèce le délai imparti par l'employeur ne présentait pas un caractère déraisonnable puisque cette mission avait été évoquée dès le 23 septembre et que l'employeur a proposé un nouveau report d'une semaine de la date fixée au 6 octobre.

Ainsi, la proposition qui a été faite par l'employeur était, ainsi que le jugement déféré l'a relevé, conforme aux dispositions contractuelles et à1'essence même de l'activité de l'appelante.

Par ailleurs, le contenu de la mission proposée ne fait pas débat dès lors que Mme [W] a reconnu elle-même dans un courrier électronique du 2 octobre 2014 que le contenu technique nécessaire à la mission qui lui avait été présentée par le directeur de l'agence correspondait à son profil et qu'il s'agissait d'une opportunité lui permettant d'approfondir plusieurs de ses connaissances et compétences.

De plus, le moyen selon lequel la salariée avait fait preuve depuis son embauche d'un professionnalisme reconnu est inopérant dès lors que les qualités professionnelles de la

salariée ne sont pas contestées par l'employeur et sont sans rapport avec la décision de licenciement.

Enfin, s'il n'est pas contestable que le salarié a droit au respect de sa vie privée et familiale, il appartient à Mme [W] qui a refusé une mission conforme aux dispositions contractuelles, de démontrer que l'employeur a agi de mauvaise foi en maintenant la mission proposée alors qu'il pouvait lui en confier une autre plus proche de son domicile.

Or, c'est par des motifs pertinents en droit et en fait que les premiers juges ont retenu que la preuve de la mauvaise foi de la société n'était pas rapportée en relevant les éléments suivants complétés par la cour :

- la mission proposée était justifiée par les compétences de la salariée et le besoin de l'agence de [Localité 4] alors que le fait d'avoir obtenu la fixation, en 2013, de son lieu de rattachement à [Localité 6], ne permettait pas à la salariée de déroger aux dispositions contractuelles claires et précises concernant sa disponibilité pour des missions de durée variable en France ou à l'étranger et que le lieu de travail à [Localité 6] ne constituait en aucune façon un élément essentiel de son contrat travail ;

- l'état de santé du fils de la requérante n'a été invoqué que le 16 octobre 2014, sans plus de précision autre que celui-ci était en cours de traitement et sans que la situation exacte soit justifiée ;

- l'annonce d'une offre d'emploi disponible dans la région bordelaise dont se prévaut Mme [W] n'a été publiée que le 10 février 2015, soit près de 4 mois et demi après la proposition de mission faite par l'employeur et il n'est pas démontré que cette opportunité était prévisible plus de 4 mois auparavant ;

- la société n'avait en tout état de cause pas l'obligation de maintenir durant ce délai la salariée en situation d'intercontrat, coûteuse pour elle et donc préjudiciable aux intérêts de l'entreprise alors qu'elle disposait d'une mission à proposer à Mme [W] dans l'intervalle ;

- au demeurant, l'existence de cette offre corrobore que, contrairement à ce que soutient la salariée, la mission à [Localité 4] n'était pas une mutation déguisée puisqu'elle aurait pu postuler en février à ce poste et ainsi interrompre sa mission à [Localité 4] qui n'était initialement prévue que pour trois mois ;

- par ailleurs, les éléments médicaux produits dans le cadre de l'instance ne démontrent pas la nécessité impérieuse de la présence de Mme [W] à [Localité 3] pas plus que ne sont justifiées les contraintes professionnelles de son conjoint invoquées au soutien de son refus d'exécuter la mission proposée par son employeur ;

- enfin l'inégalité de traitement invoquée par comparaison avec la situation d'une certaine Mme [D], sans plus de précision autre que celle-ci était restée affectée à [Localité 3], ne repose que sur les seules allégations de la salariée.

Il résulte de l'ensemble de ses éléments que le refus de Mme [W] d'exécuter l'ordre de mission de son employeur constitue une cause réelle et sérieuse justifiant son licenciement.

Mme [W] a donc été déboutée à juste titre de ses demandes de ce chef.

Sur la demande subsidiaire au titre de l'irrégularité de procédure

Mme [W] sollicite, a titre subsidiaire, que lui soit alloué des dommages et intérêts pour procédure de licenciement irrégulière sur le fondement de l'article L. 1235-6 du code du travail.

Elle soutient que la décision de licenciement était prise par l'employeur dès l'entretien préalable, ce dont témoigne le compte-rendu de cet entretien, établi par le conseiller qui l'assistait, qui mentionne que la société aurait indiqué : ' d'ici 48 heures et jusqu'à un mois, tu recevras un courrier pour te signifier ton licenciement'.

La société conteste la teneur des propos attribués à la RRH par ce compte-rendu que celle-ci n'a pas signé, soutenant qu'il a seulement été indiqué à la salariée que l'employeur disposait d'un délai minimal de 48 heures jusqu'à un mois pour prendre sa décision.

Lorsqu'une des parties n'a pas apposé sa signature sur le compte-rendu d'entretien préalable, celui-ci est dénué de force probante.

Mme [W] a donc été déboutée à juste titre de sa demande de ce chef.

Sur les autres demandes

Mme [W], partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à la société la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne Mme [J] [W] aux dépens ainsi qu'à payer à la société AKKA I&S la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/00346
Date de la décision : 21/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-21;19.00346 ?
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