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12/07/2022 | FRANCE | N°20/01816

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 3ème chambre famille, 12 juillet 2022, 20/01816


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



TROISIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 12 JUILLET 2022









N° RG 20/01816 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LRI5









[F] [R]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/20/6752 du 18/06/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)



c/



LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX













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Nature de la décision : AU FOND







10A



Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 mars 2018 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (RG n° 17...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 12 JUILLET 2022

N° RG 20/01816 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LRI5

[F] [R]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 33063/02/20/6752 du 18/06/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BORDEAUX)

c/

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX

Nature de la décision : AU FOND

10A

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 mars 2018 par le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de BORDEAUX (RG n° 17/02275) suivant déclaration d'appel du 22 mai 2020

APPELANTE :

[F] [R]

née le 11 Mai 1986 à Oran

de nationalité Française

demeurant Chatou les petites Sabinettes 6B Rue des Sabinettes Bat2 Esc - 1 Etge RDC Pte 6 - 78400 CHATOU/FRANCE

Représentée par Me Percy LOUIS, avocat au barreau de BORDEAUX substituée par Me Pierre LANNE, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D APPEL DE BORDEAUX, demeurant Palais de Justice - Place de la République - CS11385 - 33077 BORDEAUX CEDEX représenté en la personne de Monsieur [W] [X]

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 10 mai 2022 hors la présence du public, devant la Cour composée de :

Président : Hélène MORNET

Conseiller: Danièle PUYDEBAT

Conseiller : Isabelle DELAQUYS

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Clémentine JORDAN

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 al. 2 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 23 décembre 2014, Mme [F] [R], née le 11 mai 1986 à Oran (Algérie), de nationalité algérienne, et mariée le 19 janvier 2009 avec M. [C], de nationalité française, a souscrit devant la préfecture de la Haute Garonne une déclaration d'acquisition de la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil, en signant notamment une attestation sur l'honneur de communauté de vie. Cette déclaration a été enregistrée le 3 août 2015 sous le numéro 14242/15.

Par jugement du 11 août 2016, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse a prononcé le divorce de Mme [R] et de M. [C] suite à la requête conjointe en divorce présentée par eux le 20 avril 2016.

Par acte d'huissier du 14 février 2017, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bordeaux a assigné Mme [R] devant cette juridiction, afin d'obtenir l'annulation de l'enregistrement de la déclaration acquisitive de nationalité française en date du 23 décembre 2014, au motif qu'elle aurait été effectuée par fraude ou mensonge conformément aux dispositions de l'article 26-4 du code civil.

Par jugement réputé contradictoire en date du 6 mars 2018, le tribunal de grande instance de Bordeaux a :

- constaté la délivrance du récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile,

- annulé l'enregistrement en date du 3 août 2015 de la déclaration acquisitive de nationalité française souscrite le 23 décembre 2014 devant la Préfecture de la Haute Garonne par Mme [R], née le 11 mai 1986 à ORAN (Algérie),

- constaté l'extranéité de Mme [R], née le 11 mai 1986 à ORAN (Algérie),

- ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil,

- condamné Mme [R] aux dépens.

Par ordonnance en date du 12 mars 2020, le premier président de la cour d'appel de Bordeaux a relevé Mme [R] de la forclusion résultant de l'expiration du délai d'appel.

Procédure d'appel:

Par déclaration d'appel en date du 22 mai 2020, réitérée le 22 mai 2020, Mme [R] a relevé appel du jugement du 6 mars 2018.

Les deux affaires ont été jointes par mention au dossier sous le numéro 20/01816 le 9 octobre 2020.

Par conclusions d'incident du 12 novembre 2020 M. le Procureur Général près la cour d'appel de Bordeaux demande au conseiller de la mise en état à titre principal de prononcer la caducité de la déclaration d'appel et des conclusions subséquentes sur le fondement des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 4 février 2021, le magistrat chargé de la mise en état a :

- déclaré recevables les conclusions d'incident et les conclusions au fond du ministère public déposées dans le dossier enrôlé sous le numéro 20/01816,

- déclaré irrecevables les conclusions d'incident et les conclusions au fond du ministère public déposées dans le dossier enrôlé sous le numéro 20/02766,

- débouté le ministère public du surplus de ses prétentions,

- débouté Mme [R] de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens de l'incident resteront à la charge du trésor public.

Selon dernières conclusions en date du 12 août 2020, Mme [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement attaqué,

- confirmer l'enregistrement de la déclaration d'acquisition de la nationalité française effectuée le 3 août 2015 sous le numéro 1424/15,

- dire et juger que Mme [R] est de nationalité française depuis sa déclaration,

- ordonner que la mention soit faite du présent arrêt conformément à l'article 28 du code civil,

- en tout état de cause, condamner l'Etat aux entiers dépens,

- condamner l'Etat à verser à Me [Z] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.

Mme [R] fait valoir qu'elle n'a pas pu faire échec à la présomption légale de fraude en première instance puisqu'elle n'était pas informée qu'une action en contestation de nationalité était en cours à son encontre.

Étant donné que la présomption instituée par l'article 26-4 du code civil est une présomption simple, la preuve contraire est possible par tout moyen, le seul constat d'une cessation de la vie commune dans l'année de l'enregistrement de la déclaration ne vaut pas démonstration de la fraude si des éléments contraires probants la combattent utilement.

Selon la circulaire du 29 décembre 2009 relative à la procédure d'acquisition de la nationalité française en raison du mariage qui précise la notion de « communauté de vie affective et matérielle », la communauté de vie se compose de deux éléments distincts : d'une part un élément matériel que constitue la cohabitation et d'autre part un élément intentionnel caractérisé par la volonté réciproque des époux de vivre ensemble durablement en union matérielle et psychologique, d'assurer ensemble la direction morale et matérielle de la famille selon des principes communs. Mme [R] énonce qu'il y avait bien au moment de la déclaration acquisitive de nationalité une communauté de vie matérielle, notamment par l'occupation d'un logement commun et le paiement en commun des factures et charges du mariage, et affective du fait de la naissance de leur fille.

Par ailleurs l'enquête diligentée par les gendarmes fait état de ce que la communauté de vie du couple était effective, qu'elle existait au moment de la déclaration et a persisté par la suite jusqu'à la demande en divorce.

Enfin, Mme [R] énonce que son mariage avec M. [C] a durée 7 ans, et que cette durée est à prendre en compte dans l'appréciation de la communauté de vie.

Selon dernières conclusions en date du 12 novembre 2020, le Ministère Public demande à la cour de :

- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux en date du 6 mars 2018,

- annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite le 23 décembre 2014 et dire que Mme [R], née le 11 mai 1986 à Oran (Algérie), n'est pas de nationalité française,

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du Code civil.

Le Ministère public fait valoir que la déclaration d'acquisition de la nationalité française de l'appelante a été enregistrée par fraude, selon la présomption posée par l'article 26-4 du code civil. Cet article instaure une présomption de mensonge sur l'existence de la communauté de vie à la date de la déclaration lorsque la cessation de la vie commune entre les époux intervient dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration. Le Conseil constitutionnel a limité la portée de cette présomption aux instances engagées moins de deux ans après la date d'enregistrement. Cependant, la déclaration de nationalité de Mme [R] a été souscrite le 23 décembre 2014 et a fait l'objet d'un enregistrement le 3 août 2015. L'appelante a saisi le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Toulouse d'une requête en divorce le 20 avril 2016, soit 8 mois après l'enregistrement et le divorce a été prononcée le 11 août 2016 soit un an après l'enregistrement. Ainsi, la présomption posée par l'article 26-4 du Code civil tend à s'appliquer.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 avril 2022.

L'affaire a été fixée à l'audience collégiale du 10 mai 2022 et mise en délibéré au 5 juillet 2022

MOTIFS DE LA DECISION

Il n'est pas discuté que Mme [F] [R] a légalement acquis la nationalité française par déclaration souscrite le 23 décembre 2014, en application des dispositions de l'article 21-2 du code civil, après plus de quatre ans de mariage avec M. [I] [C], de nationalité française, le mariage ayant été célébré le 19 janvier 2009 à Oran (Algérie).

Le ministère public, pour solliciter l'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de Mme [R], invoque son caractère frauduleux sur le fondement des dispositions de l'alinéa 3 de l'article 26-4 du code civil.

Sur la présomption de fraude :

Il résulte des dispositions de l'article 26-4 du code civil, pris en son alinéa 3, que l'enregistrement de la déclaration de nationalité française peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte et que la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.

Par décision n°2012-227 rendue le 30 mars 2012, le conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a précisé que la présomption de fraude résultant de la cessation de la communauté de vie ne s'applique qu'aux instances en contestations engagées dans les deux ans de la date d'enregistrement de la déclaration.

C'est le cas de la présente instance, engagée par le procureur de la République de Bordeaux contre Mme [R], par assignation délivrée le 14 février 2017.

S'agissant d'une présomption simple, il appartient à Mme [R] d'apporter la preuve de la réalité de la communauté de vie entre les époux à la date de souscription de sa déclaration de nationalité française.

En l'espèce, le ministère public fait valoir que :

La requête en divorce a été déposée le 20 avril 2016, soit huit mois après l'enregistrement de la déclaration et le divorce prononcé le 11 août 2016, soit un an après l'enregistrement de la déclaration de nationalité française de l'épouse.,

Mme [R], défaillante en première instance, n'a produit aucune pièce de nature à caractériser la communauté de vie à la date de la déclaration de nationalité française et ainsi à faire échec à la présomption de fraude.

En cause d'appel, pour démontrer la réalité de la communauté matérielle de vie entre les époux à la date de souscription de la déclaration de nationalité, Mme [R] produit les justificatifs suivants :

-Un bail d'habitation, signé des deux époux, en date du 13 avril 2016, avec une adresse commune au 2 avenue des Pyrénées à L'Union (31 240) pièce n°10,

-Une attestation EDF, datée du 1er décembre 2014, portant les deux noms du couple, pour le logement situé chemin du Fort, à Castelmaurou (31 180), pièce n°12,

-L'avis d'imposition 2014, sur les revenus 2013, pièce n°11, ainsi que l'avis d'imposition 2015, sur les revenus 2014, pièce n°16, adressés aux époux [C] au 22 rue des Pyrénées à Castelmaurou,

-Les bulletins de paye de Mme [R], pour les années 2014 et 2015, pièces n° 12 et 20, adressés à cette même adresse,

-Les factures de la crèche pour l'enfant commun [H], adressées, en 2014 et jusqu'en juin 2015, pièce n°17, aux deux parents, à l'adresse de Castelmaurou,

-L'appel de cotisations de la mutuelle, pour les trois membres de la famille [C], pour la période de juillet à septembre 2015, adressé à la même adresse, pièce n°19,

-L'attestation de M.[P] [M], se disant « belle-s'ur » des parties et indiquant avoir constaté, lors d'une visite en 2013, que « le couple vivait ensemble dans le domicile conjugal avec leur fils- une relation maritale le plus ordinaire ».

Toutefois, il convient de relever que l'adresse du bail d'habitation, souscrit certes au nom des deux époux le 13 avril 2016, apparaît sur le jugement de divorce en date du 11 août 2016, pièce n°3, comme étant celle de l'époux, et non celle du couple, Mme [R] étant restée domiciliée à l'ancien domicile familial, 22 rue des Pyrénées à Castelmaurou. Ce bail n'établit dès lors nullement la réalité de la communauté de vie à la date de sa souscription.

Par ailleurs, les factures et avis d'imposition produits concernent tous une période antérieure à la déclaration de nationalité contestée, enregistrée le 3 août 2015, alors que les déclarations fiscales sont relatives aux revenus 2013 et 2015, la facture EDF datant de décembre 2014, les factures de crèche étant produites jusqu'en juin 2015. Enfin, l'attestation d'un ami ou « belle-s'ur » de Mme [R], qui ignore semble-t-il le sexe de l'enfant du couple, et atteste de sa vie commune en 2013, est sans intérêt dans le débat.

Dès lors, il ne résulte d'aucune de ces pièces la preuve d'une communauté de vie matérielle entre Mme [R] et son époux, à la date d'enregistrement de la déclaration de nationalité française.

Mme [R] échouant à démontrer la réalité d'une communauté de vie matérielle, ne peut utilement invoquer l'existence d'une communauté de vie affective, résultant tant de la naissance d'un enfant commun, née en 2012, soit trois ans avant la déclaration de nationalité, que de la durée du mariage, rompu d'un commun accord en 2016.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Mme [R] qui succombe en son appel sera condamnée aux entiers dépens de l'instance et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Bordeaux le 6 mars 2018 ;

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [F] [R] aux entiers dépens de l'appel ;

La DEBOUTE de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Signé par Hélène MORNET, Présidente de chambre et par Clémentine JORDAN, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre famille
Numéro d'arrêt : 20/01816
Date de la décision : 12/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-12;20.01816 ?
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