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06/07/2022 | FRANCE | N°18/03047

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 06 juillet 2022, 18/03047


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



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ARRÊT DU : 6 JUILLET 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 18/03047 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KONL













Société CEMD



c/



Monsieur [Y] [S]



S.C.P. CBF Associés prise en la personne de Me Serge Céra, es qualité de mandataire ad hoc de la société Chauffage Entretien Maintenance Dépannage (CEMD)







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Nature de la décision : AU FOND























Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 avril 2018 (R.G. n°F 17/01365) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 6 JUILLET 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 18/03047 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KONL

Société CEMD

c/

Monsieur [Y] [S]

S.C.P. CBF Associés prise en la personne de Me Serge Céra, es qualité de mandataire ad hoc de la société Chauffage Entretien Maintenance Dépannage (CEMD)

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 avril 2018 (R.G. n°F 17/01365) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BORDEAUX, Section Industrie, suivant déclaration d'appel du 25 mai 2018,

APPELANTE :

SASU Chauffage Entretien Maintenance Dépannage (CEMD), agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social,

[Adresse 5]' - [Localité 4]

N° SIRET : 480 588 532

représentée par Me Sandrine TEILLARD D'EYRY, avocat au barreau de BORDEAUX substituant Me Véronique VOUIN de la SELARL VÉRONIQUE VOUIN, avocat au barreau de BORDEAUX,

INTIMÉ :

Monsieur [Y] [S]

né le 28 Juillet 1979 à CONFLENS SAINTE HONORINE (78000) de nationalité Française Profession : Plombier, demeurant [Adresse 1] - [Localité 3]

représenté par Me Magali BISIAU, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTE :

S.C.P. CBF ASSOCIES prise en la personne de Me Serge Céra, es qualité de mandataire ad hoc de la société Chauffage Entretien Maintenance Dépannage (CEMD) demeurant en cette qualité [Adresse 6] - [Localité 2]

N° SIRET : 494 003 213 00068

non constituée

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 juin 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Monsieur Rémi Figerou, conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Monsieur Rémi Figerou, conseiller

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [Y] [S], né en 1979, a été engagé par la société par actions simplifiée à associé unique Chauffage Entretien Maintenance Dépannage (ci-après dénommée société CEMD) par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 mai 2012 en qualité de plombier chauffagiste, compagnon professionnel, niveau III, position 2, coefficient 230 de la convention collective nationale des entreprises du bâtiment employant moins de 10 salariés.

Le contrat prévoyait à l'article IV 'une rémunération brute mensuelle de 2.082,43 Euros pour 151,67 heures à laquelle s'ajoutera la rémunération des heures majorées de la 35ème à la 39ème heure hebdomadaire. La rémunération ainsi calculée correspondra à un salaire net de 2.000 €'. L'article V stipulait une durée hebdomadaire de travail de 39 heures.

La rémunération mensuelle brute moyenne de M. [S] s'élevait à la somme de 2.325,47 euros sur les trois derniers mois.

Par lettre du 28 février 2013, en réponse à une demande d'explication de M. [S] sur le fait que son bulletin de paie ne comportait pas un montant net stable, la société lui indiquait en se référant à une réunion du 25 février :

« (...)

- Je vous ai fait un décompte pour le chantier LA TESTE qui est à ce jour réellement fini à 40 % mais je vous ai signalé que vous aviez épuisé le quotas d'heures attribuées à ce chantier

- Je vous ai aussi signalé les prises de décisions par vous-même sur ce chantier et d'autres sans mon accord et sans l'accord du client ce qui a engendré des impayés importants

- Je vous ai informé de votre manque de dialogue et d'information envers moi en exemple votre rendez-vous suite à votre retrait de permis de conduire que vous m'avez communiqué 2 jours avant et sans me donner aucune conclusion suite à ce rendez-vous.

- Je vous ai informé que suite à votre retrait de permis nous avons continué à employer un intérim dont nous n'avions pas réellement besoin d'où un effort financier considérable pour notre entreprise en + de votre salaire afin de vous garder

- Je vous ai informé aussi que vous ne signez pas vos feuilles hebdomadaires régulièrement comme déjà demandé car vous ne me remettez vos feuilles de travail journalières qu'une fois par mois.

En espérant que suite à notre entrevue tout rentre dans l'ordre très rapidement (...) ».

Par lettre du 8 avril 2013, la société a notifié à M. [S] un avertissement pour plusieurs motifs :

- prises de décisions à la place du supérieur,

- refus de participer aux réunions de chantier,

- irrégularité dans le travail depuis décembre 2012,

- non-respect des heures d'embauche quotidienne sur chantier,

- absence de suite donnée à l' « avertissement verbal » du 28/2/2013,

- refus de retourner signée la lettre du 28/2 l'avisant de la mise en place d'une vidéo surveillance dans les locaux de l'entreprise,

- absence de justificatif d'absence pour une visite médicale afférente à la récupération du permis de conduire et d'information sur cette dite récupération,

- demande faite à des collègues de venir le chercher sur le temps de travail et avec le véhicule de l'entreprise,

- absence de présentation à une convocation (par sms) du 5 avril 2013,

- perte de matériel de travail,

- non-respect des exigences techniques spécifiques du statut par rapport au montant du salaire.

Le courrier se concluait par une mise en garde en ces termes : « si vous violez une prochaine fois les procédures et politiques de l'entreprise ou ne réussissez pas à améliorer vos performances conformément à nos normes, vous nous obligerez à mettre en place immédiatement les procédures adaptées ».

Par lettre du 22 avril 2013, M. [S] a contesté ces reproches en relevant notamment que la prétendue réunion du 25 février 2013 n'avait pas eu lieu.

Par lettre du 24 avril, la société a maintenu l'avertissement.

Par lettre du lendemain, elle a notifié au salarié un second avertissement pour un retard à l'embauche survenu le jour même et pour des moqueries et critiques de son employeur auprès de ses collègues, ces deux courriers étant à nouveau contestés par M. [S] par lettre du 30 avril 2013 dans laquelle il sollicitait notamment la communication de son relevé d'heures, de la déclaration faite à la CNIL et soulignait le non-respect des dispositions de la convention collective quant à la prime d'outillage, les primes de panier ou les indemnités de repas.

Par lettre du 7 mai, la société a opposé à M. [S] une fin de non-recevoir à ses réclamations.

M. [S] a été placé en arrêt de travail pour maladie du 4 au 23 juin 2013.

Le 6 juin 2013, l'inspection du travail que le salarié avait saisie, a adressé un courrier à la société, suite à sa visite du 3 juin, rappelant diverses obligations :

- tenir un registre d'heures en cas d'horaires individualisés,

- temps de pause de 20 minutes toutes les 6 heures,

- indemnités de déplacement,

- document unique d'évaluation des risques.

La société a adressé à M. [S] une lettre de convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction fixé au 19 juin 2013 lui reprochant :

- le non-respect de l'interdiction de fumer dans les locaux,

- la non-concordance entre les heures réellement effectuées et les relevés transmis,

- d'inciter certains collègues à faire des faux et usage de faux.

Par lettre du 17 juin 2013, M. [S] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en invoquant une situation professionnelle difficile depuis sa demande d'explications sur ses bulletins de salaire ayant altéré sa santé et plus particulièrement les faits suivants :

« (...)

- mon décompte des heures effectuées malgré les dispositions du code du travail,

- le non-paiement des heures effectuées au-delà de la 39ème heure,

- le non-paiement des indemnités de repas,

- les accusations à répétition de vol dans les locaux et les véhicules de l'entreprise,

- les menaces de sanctions sévères après la visite de Mme [V], contrôleur du travail,

- diffamation auprès de mon médecin traitant,

- agressions verbales à répétition concernant ma santé mentale »

ajoutant que cette liste n'était pas exhaustive, demandant le paiement des indemnités de rupture et avisant son employeur d'une saisine immédiate du conseil de prud'hommes.

Par courrier du 19 juin 2013, la société a contesté les griefs invoqués par le salarié.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 juin 2013, la société a adressé à un autre salarié, M. [C], une sorte de questionnaire relatif aux faits dénoncés par M. [S], sollicitant une réponse sous forme de déclaration sur l'honneur et avisant ce salarié que l'ensemble du dossier était transmis à son service juridique « qui engagera les procédures adaptées à chacune des personnes concernées et aux organismes compétents» et invitant le destinataire de ce courrier à lui transmettre toutes les informations concernant ce dossier, ajoutant : « toutes informations non divulguées pourront être assimilées à de la rétention de preuve et de témoignage ».

De nouveaux courriers ont continué d'être échangés entre les parties sur un mode conflictuel après la rupture.

M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux le 6 octobre 2015 à l'encontre de 'l'EURL CEMD'.

La procédure, après avoir fait l'objet d'un retrait du rôle, à une date non précisée, a été réinscrite le 1er septembre 2017.

Par jugement rendu le 27 avril 2018, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :

- dit que M. [S] a fait l'objet d'un harcèlement moral et condamné l'EURL CEMD à lui verser la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts,

- dit fondée la prise d'acte au regard du harcèlement moral,

- dit que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné l'EURL CEMD à verser à M. [S] les sommes suivantes :

* 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 2.461,32 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

* 246,13 euros au titre des congés payés afférents au préavis,

* 533,28 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 900 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'instance et frais éventuels d'exécution,

- dit que les condamnations porteront intérêts à compter de la saisine du conseil,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire à l'exception des sommes qui en bénéficient de droit, conformément aux dispositions de l'article R.1454-28 du code du travail, la moyenne des trois derniers mois de salaire étant fixée à 2.325,47 euros,

- débouté M. [S] de ses autres demandes [notamment celles relatives à la nullité du licenciement, en paiement d'heures supplémentaires et congés payés afférents],

- débouté l'EURL CEMD de sa demande reconventionnelle,

- condamné l'EURL CEMD aux dépens et frais éventuels d'exécution.

Par déclaration du 25 mai 2018, l'EURL CEMD a relevé appel de cette décision.

Le 1er mars 2022, sur la requête présentée par M. [S], le président du tribunal de commerce de Bordeaux a désigné la SCP CBF Associés, prise en la personne de Maître Serge Cera, en qualité de mandataire ad'hoc chargé de représenter la société CEMD, radiée du registre du commerce et des sociétés le 30 juillet 2021 à la suite de sa dissolution le 18 juin 2021 et de la clôture de sa liquidation amiable le 30 juin 2021.

Par acte d'huissier délivré à personne habilitée au siège social du mandataire le 9 mars 2022, M. [S], a fait délivrer à la SCP CBF associés, copie du jugement du conseil de prud'hommes, de la déclaration d'appel, de ses conclusions et de son bordereau de pièces, de l'ordonnance rendue par la juridiction consulaire et de l'ordonnance de clôture et de fixation de l'affaire rendue par le conseiller de la mise en état le 8 mars 2022 à l'audience du 13 juin 2022 à 14 heures, l'acte d'huissier portant assignation à comparaître à ladite audience et rappelant les dispositions relatives au délai de constitution.

Dans ses dernières écritures adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 juin 2022, la société CEMD, représentée par son mandataire ad hoc, la SCP CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera, demande à la cour de :

Vu la prescription acquise,

- réformer le jugement,

- déclarer M. [S] irrecevable en ses demandes ;

Subsidiairement,

- débouter M. [S] de l'intégralité de ses demandes,

Dans tous les cas,

- débouter M. [S] de toutes ses demandes principales et incidentes,

- dire que M. [S] n'a jamais fait l'objet d'un harcèlement moral, en conséquence le débouter,

- dire que M. [S] a démissionné en conséquence le débouter de sa demande au titre des conséquences d'un licenciement nul,

- condamner M. [S] à verser à la société une indemnité de 6.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 mars 2022 contenant appel incident, M. [S] demande à la cour de':

- le déclarer recevable en son appel incident et en toutes ses demandes,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

* dit qu'il a fait l'objet d'un harcèlement moral et condamné, en conséquence la société CEMD prise en la personne de son administrateur ad hoc la SCP CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui verser la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts,

* dit fondée la prise d'acte au regard du harcèlement moral,

* condamné la société CEMD en la personne de son administrateur ad hoc la SCP CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui verser les sommes suivantes :

- 2.461,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 246,13 euros au titre des congés payés afférents,

- 533,28 à titre d'indemnité de licenciement,

* condamné la société CEMD en la personne de son administrateur ad hoc la SCP

CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui payer la somme de 900 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le jugement en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de rappels de salaires et heures supplémentaires,

- condamner la société CEMD prise en la personne de son administrateur ad hoc la SCP

CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui payer les sommes de :

* 1.379,64 euros nets à titre de rappel de salaire correspondant au montant net contractuel de juin 2012 à mai 2013 et 137,97 euros au titre des congés payés afférents,

* 5.391,54 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires outre celle de 539,15 euros au titre des congés payés afférents.

A titre principal, sur les conséquences de la requalification de la prise d'acte en licenciement :

- dire que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul, après avoir réformé le jugement de ce chef,

- condamner la société CEMD prise en la personne de son administrateur ad hoc la SCP CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui payer la somme de 14.768 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement nul ;

A titre subsidiaire, sur les conséquences de la requalification de la prise d'acte en licenciement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamné la société CEMD prise en la personne de son administrateur ad hoc la SCP CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui payer la somme de 10.000 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En tout état de cause,

- condamner la société CEMD prise en la personne de son administrateur ad hoc la SCP

CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera à lui payer la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'instance et frais éventuels d'exécution,

- dire que les condamnations porteront intérêts à compter de la saisine du conseil,

- débouter la société CEMD prise en la personne de son administrateur ad hoc la SCP CBF Associés prise en la personne de Maître Serge Cera de l'ensemble de ses demandes.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 juin 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions de M. [S] conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription des demandes

Sur les demandes relatives à la rupture du contrat

La société fait valoir que plus de deux ans se sont écoulés entre la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [S] et la saisine du conseil de prud'hommes et que dès lors, ses demandes dérivant de la rupture soit '2.461,32 €, 246,13 €, 533,28 € et 10.000 € sont assurément prescrites'.

M. [S] conclut au rejet de la fin de non-recevoir opposée par la société, soutenant que ses demandes, fondées sur des faits de harcèlement moral, relèvent de la prescription quinquennale.

***

Les demandes de M. [S] relatives aux effets de la prise d'acte de la rupture de son contrat, reposant sur l'existence d'une situation de harcèlement moral, relèvent non de la prescription biennale mais de la prescription de 5 ans.

Elles sont dès lors recevables.

Sur les demandes de rappel de salaires

L'action de M. [S] a été engagée le 6 octobre 2015, soit avant l'abrogation du principe de l'unicité de l'instance qui n'a pris effet qu'à compter du 1er août 2016.

Ses demandes de rappel de salaire, au regard du salaire net contractuellement convenu portent sur la période de juin 2012 à mai 2013 et celles reposant sur les heures supplémentaires qu'il prétend avoir réalisées concernent la période de juillet 2012 à juin 2013.

Ces demandes ne sont dès lors pas prescrites tant au regard des délais antérieurs à la loi du 14 juin 2013, soit cinq ans, que des dispositions de ladite loi qui ont réduit à 3 ans le délai de prescription applicable en vertu des nouvelles dispositions de l'article L.3245-1 du code du travail.

Les demandes de M. [S] sont dès lors recevables au regard des délais de prescription applicables.

***

La société appelante soutient également que les demandes de M. [S] seraient irrecevables dans la mesure où le salarié n'a pas contesté le reçu pour solde de tout compte qu'il a signé le 20 juin 2013 et qu'il n'a pas contesté dans le délai de 6 mois.

*

L'argumentation de la société ne saurait être accueillie dans la mesure où ce solde de tout compte a en réalité été contesté par M. [S] notamment dans son courrier du 29 juin 2013, à la fois quant au salaire net convenu et quant au décompte des heures travaillées.

Les demandes de M. [S] seront donc déclarées recevables.

Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat

En dehors de ses observations sur l'irrecevabilité des demandes de M. [S], la société ne présente dans ses dernières écritures aucune explication sur ces prétentions.

Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire au titre de la rémunérationcontractuelle convenue

L'article IV du contrat de travail conclu entre les parties prévoyait une rémunération brute mensuelle de 2.082,43 euros pour 151,67 heures à laquelle devait s'ajouter la rémunération des heures majorées de la 35ème à la 39ème heure hebdomadaire et ajoutait que la rémunération ainsi calculée correspondra à un salaire net de 2.000 euros.

Il ne peut donc qu'être retenu que M. [S] devait percevoir un salaire net s'élevant à 2.000 euros et qu'il est donc fondé dans sa réclamation à ce titre, l'employeur ne pouvant unilatéralement modifier la rémunération contractuellement convenue.

La société CEMD sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 1.379,64 euros nets à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2012 à mai 2013 outre celle de 137,96 euros nets pour les congés payés afférents, le jugement déféré étant réformé de ce chef.

Sur la demande en paiement d'un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires

M. [S] sollicite le paiement d'une somme de 5.391,54 euros bruts au titre du paiement des heures supplémentaires non rémunérées qu'il prétend avoir réalisées, exposant que l'employeur ne prenait en compte ni le temps de trajet entre le dépôt où il se rendait presque systématiquement matin et soir et les chantiers, ni celui des déplacements effectués dans la journée entre les chantiers, que malgré sa demande expresse, la société ne produit pas les feuilles hebdomadaires sur la base desquelles le calcul du temps de travail était effectué. Il précise que la somme qu'il réclame a été calculée sur la base du temps ressortant de la semaine du 22 au 26 avril 2013.

Il verse aux débats les feuilles journalières de ladite semaine, qui étaye le décompte présenté en page 23 de ses écritures.

Ces éléments sont suffisamment précis au regard des dispositions des articles L. 3171-2 alinéa 1er du code du travail et L. 3171-4 du code du travail.

Il appartient dès lors à l'employeur de fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié en produisant ses propres éléments.

Or, outre que la demande au fond de M. [S] ne fait l'objet d'aucune contestation dans les écritures de la société, ainsi que rappelé ci-avant, les seuls 'décomptes' figurant en

pièces 34 et 35 de l'appelante, ne justifient en aucune manière les horaires de travail réalisés.

Il sera en conséquence fait droit à la demande de M. [S] de ce chef et la société CEMD sera condamnée à lui payer la somme de 5.261,10 euros bruts euros au titre de la rémunération des heures supplémentaires effectuées entre le 23 juillet 2012 et le 19 juin 2013 et celle de 526,11 euros bruts pour les congés payés afférents.

Sur la demande au titre du harcèlement moral

M. [S] sollicite la confirmation du jugement déféré qui lui a alloué la somme de 6.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi.

Selon les dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L. 1154-1 prévoit, qu'en cas de litige, si le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de ses prétentions, M. [S] invoque les éléments suivants :

- les griefs de l'employeur ne sont apparus que lorsqu'il a demandé des explications sur le montant de sa rémunération ;

- abusant de son pouvoir de direction, l'employeur lui a alors délivré des avertissements et courriers de remontrance non justifiés à répétition (4 courriers en 3 mois) ; sont visées les lettres adressées par l'employeur ;

- les manquements invoqués par l'employeur sont contestés :

Pour l'avertissement du 8 avril 2013 :

* l'existence de retards réguliers n'est pas établi

* il n'était pas obligé de signer le courrier relatif à la mise en place de la vidéo surveillance et pouvait légitiment demander à son employeur de justifier de la déclaration obligatoire faite à la CNIL ce qu'il n'a pas fait, y compris dans le cadre de la présente instance ;

* s'agissant de son retrait de permis de conduire, M. [S] soutient qu'il avait informé l'employeur tant de ce retrait (le 8 décembre 2012) que de la visite médicale passée (le 18 février 2013) et de la restitution de son permis (le 18 avril 2013) ; il conteste avoir demandé à des collègues de le véhiculer ;

* il n'était pas obligé de répondre à une convocation 'par sms' ;

* le matériel n'était pas 'perdu' ce que finalement l'employeur a reconnu ;

* ses prétendues insuffisances professionnelles ne sont pas établies ;

Pour l'avertissement délivré le 25 avril, M. [S] fait observer que l'attestation produite, dactylographiée et sans qu'un document d'identité de son prétendu auteur soit

fournie, est dépourvue de force probante quant aux faits invoqués par l'employeur ;

- une immixtion inadmissible de l'employeur dans sa vie privée : il ressort en effet des déclarations faites par le médecin traitant de M. [S] qu'à réception de l'arrêt de travail de celui-ci, l'employeur a contacté ce médecin pour lui tenir des propos totalement déplacés (pièce 12 salarié) ;

- le non-respect du salaire convenu ;

- le retard dans la délivrance des documents de fin de contrat : ce retard n'est pas établi par les pièces 21, 23 et 25 visées dans les écritures.

- l'incidence du comportement de l'employeur sur son état de santé.

Ces faits, à l'exception du retard dans la délivrance des documents de fin de contrat, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La société conteste l'existence d'une telle situation et fait valoir les éléments

suivants :

- l'employeur avait déjà eu à se plaindre du comportement de M. [S] lui ayant adressé un courrier de remontrance le 24 avril 2012 lui reprochant de laisser son véhicule de service en mauvais état (pièce 15) ; cette seule pièce n'établit pas la réalité du grief ;

- le retrait du permis de conduire de M. [S] a généré des dépenses pour le recours à des intérimaires pour véhiculer le salarié ; sont produites des factures émanant d'une entreprise de travail temporaire pour le recours à des emplois temporaires d'installateurs sanitaires et plombiers chauffagistes (pièces 25 à 32 ) ; ces pièces ne démontrent pas que le recours à de la main-d'oeuvre intérimaire était lié au retrait du permis de M. [S] et sont au demeurant sans relation avec le harcèlement que celui-ci prétend avoir subi

- la demande de M. [S] quant à son bulletin de paie était injustifiée car il y avait eu une augmentation des charges salariales : il a été jugé ci-avant que M. [S] était fondé dans sa demande de rappel de salaire à ce titre ;

- les avertissements étaient justifiés par les manquements du salarié : sont produits à ce sujet un courrier de l'employeur (pièce 6) et une attestation dactylographiée qui émanerait d'un collègue, M. [C] dont la pièce d'identité n'est pas produite (pièce 39),; ces pièces sont dépourvues de caractère probant ;

- le salarié aurait eu un comportement déloyal, exerçant une concurrence directe contre son employeur : sont produites 4 factures de matériaux et le justificatif de l'inscription de M. [S] en tant qu'artisan ; là encore, à supposer ces faits avérés, ils ne sont pas de nature à justifier les agissements dénoncés par le salarié.

La société échoue à démontrer que les faits invoqués par M. [S], pris dans leur ensemble, sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Au regard des éléments médicaux produits, il sera alloué à M. [S] la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi, le jugement étant réformé quant au montant alloué de ce chef.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Les faits invoqués par M. [S] sont établis et caractérisent des manquements suffisamment graves de l'employeur à ses obligations empêchant la poursuite de la relation contractuelle.

En conséquence, sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail, en lien avec un harcèlement moral, produit les effets d'un licenciement nul.

La décision des premiers juges qui a alloué à M. [S] les sommes de 2.461,32 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 246,13 euros bruts pour les congés payés afférents et de 533,28 euros au titre de l'indemnité de licenciement sera confirmée mais il y a lieu d'allouer à M. [S] une somme de 14.767,92 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur les autres demandes

Il n'y a pas lieu de déroger aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil en application desquelles les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.

La société CEMD, partie perdante à l'instance et en son recours, sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à M. [S] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, en sus de la somme allouée par les premiers juges sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare recevables l'ensemble des demandes présentées par M. [Y] [S],

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu que M. [Y] [S] avait été victime de harcèlement moral et lui a alloué les sommes de 2.461,32 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 246,13 euros bruts pour les congés payés afférents, de 533,28 euros au titre de l'indemnité de licenciement et de 900 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à préciser que les sommes allouées sont dues par la SASU CEMD , représentée par la SCP CBF Associés, prise en la personne de Maître Serge Cera, en qualité de mandataire ad'hoc,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [Y] [S] produit les effets d'un licenciement nul,

Condamne la société CEMD, représentée par la SCP CBF Associés, prise en la personne de Maître Serge Cera, en qualité de mandataire ad'hoc à payer à M. [Y] [S] les sommes suivantes :

- 1.379,64 euros nets à titre de rappel de salaire pour la période de juin 2012 à mai 2013 outre 137,96 euros nets pour les congés payés afférents,

- 5.261,10 euros bruts euros au titre de la rémunération des heures supplémentaires effectuées entre le 23 juillet 2012 et le 19 juin 2013 et celle de 526,11 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi,

- 14.767,92 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du licenciement,

- 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Condamne la société CEMD, représentée par la SCP CBF Associés, prise en la personne de Maître Serge Cera, en qualité de mandataire ad'hoc, aux dépens.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 18/03047
Date de la décision : 06/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-06;18.03047 ?
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