COUR D'APPEL DE BORDEAUX
CHAMBRE SOCIALE - SECTION A
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ARRÊT DU : 29 JUIN 2022
PRUD'HOMMES
N° RG 19/02447 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K77K
Monsieur [E], [G] [L]
c/
SELAS ACCOLAB SUD-OUEST
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Décision déférée à la cour : jugement rendu le 05 avril 2019 (RG n° F 17/01544) par le conseil de prud'hommes - formation paritaire de BORDEAUX, section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 30 avril 2019,
APPELANT :
Monsieur [E], [G] [L], né le 23 février 1960 à [Localité 3]
(99), de nationalité française, demeurant [Adresse 2],
représenté par Maître Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUÉ BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX,
assisté de Maître Catherine BARBAUD, avocate au barreau de PARIS,
INTIMÉE :
SELAS Accolab Sud-Ouest, siret n° 417 755 246, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège social, [Adresse 1],
représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocats au barreau de BORDEAUX,
assistée de Maître Franck SINGER, avocat au barreau de PARIS,
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 juin 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie Hylaire, présidente
Madame Sophie Masson, conseillère
Monsieur Rémi Figerou, conseiller
Greffière lors des débats : Anne-Marie Lacour-Rivière,
ARRÊT :
- contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
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EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [E] [L], né en 1960, a été engagé par la SELAS Accolab Sud-Ouest en qualité de responsable de contrôle de gestion, statut cadre, coefficient 800 de la convention collective nationale des laboratoires d'analyses médicales par contrat de travail à durée déterminée conclu pour une durée de 6 mois, du 15 juillet 2015 au 15 janvier 2016.
Sollicitant la requalification de son contrat de travail à durée déterminée à temps partiel en contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, M. [L] a saisi le 25 septembre 2017 le conseil de prud'hommes de Bordeaux qui, par jugement rendu le 5 avril 2019, a :
- débouté M. [L] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté la SELAS Accolab Sud-Ouest de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [L] aux dépens.
Par déclaration du 30 avril 2019, M. [L] a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 26 avril 2022, M. [L] demande à la cour de réformer le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 5 avril 2019 et de :
- condamner la société Accolab Sud-Ouest à lui verser les sommes suivantes :
* 18.240 euros à titre de rappel de salaire sur la base d'un forfait jours de 218 jours par an,
* 1.824 euros au titre des congés payés y afférents,
* 1.824 euros au titre du reliquat de l'indemnité de précarité,
- fixer son salaire mensuel brut de référence à 6.746 euros bruts,
- prononcer la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée,
- constater le caractère abusif du licenciement intervenu,
- condamner la société Accolab Sud-Ouest à lui verser les sommes suivantes :
* 6.746 euros au titre de l'indemnité de requalification en contrat de travail à durée indéterminée,
* 6.746 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif (L. 1235-5 du code du travail),
* 6.746 euros au titre du licenciement irrégulier,
* 20.240 euros au titre du préavis de 3 mois,
* 2.024 euros au titre des congés payés y afférents,
- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les sommes ayant le caractère de salaire et, à compter du jugement à intervenir, pour les sommes ayant un caractère indemnitaire,
- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil
(ancien article 1154),
- ordonner la remise des bulletins de paie, solde de tout compte et attestation Pôle Emploi mis à jour conformément au jugement intervenu,
- condamner la société Accolab Sud-Ouest à lui verser la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 26 septembre 2019, la société Accolab demande à la cour de'confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 5 avril 2019, de débouter M. [L] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui régler la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 mai 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 14 juin 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée
Aux termes des dispositions de l'article L. 1242-2 du code du travail, dans sa version applicable à la date de la signature du contrat liant les parties, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants :
1° Remplacement d'un salarié en cas :
a) D'absence ;
b) De passage provisoire à temps partiel, conclu par avenant à son contrat de travail ou par échange écrit entre ce salarié et son employeur ;
c) De suspension de son contrat de travail ;
d) De départ définitif précédant la suppression de son poste de travail après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe ;
e) D'attente de l'entrée en service effective du salarié recruté par contrat à durée indéterminée appelé à le remplacer ;
2° Accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ;
3° Emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d'usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois ;
[...].
Le recours au contrat de travail à durée déterminée est ainsi strictement encadré, et, outre la nécessité d'être établi par écrit, à peine de requalification en contrat de travail à durée indéterminée ainsi que le prévoit l'article L. 1245-1 dudit code, le contrat doit comporter la définition précise de son motif et le cas légal de recours auquel celui-ci correspond, faute de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.
En l'espèce, le contrat conclu entre les parties mentionne en son article 6 'Cas de recours' qu'il est conclu dans le cadre 'd'une restructuration de la gestion administrative du Groupe Accolab Sud-Ouest'.
Cette seule mention ne constitue pas l'énonciation d'un motif précis au sens du texte susvisé et il y a lieu dès lors d'ordonner la requalification du contrat en contrat de travail à durée indéterminée.
Sur la demande de requalification du contrat à temps partiel en contrat à temps complet
La durée du travail convenue est évoquée dans deux articles du contrat conclu entre les parties qui porte en entête la mention 'CONTRAT DE TRAVAIL A DURÉE INDÉTERMINÉE A TEMPS PARTIEL'.
D'une part, l'article 12 du contrat intitulé 'rémunération brute annuelle' est ainsi rédigé :
'En contrepartie de son activité, Monsieur [L] [E] percevra une rémunération, versée en 12 mensualités, d'un montant mensuel de base de 3040 euros (trois mille quarante euros) sur la base d'un mi-temps (...)'.
D'autre part, l'article 13 intitulé 'organisation et durée du travail' comporte les dispositions suivantes :
'La durée du travail de Monsieur [L] [E], ainsi que les modalités d'aménagement en découlant, sont fixées, au regard des variations aléatoires et imprévisibles de son activité, (et/ou) de la relative liberté dont il dispose dans l'organisation de son emploi du temps, et de la nature de ses responsabilités, en forfait annuel en jours prévu par la convention collective nationale des laboratoires d'analyses médicales extra-hospitaliers du 03 février 1978.
Au regard de l'autonomie de Monsieur [L] [E] dispose dans l'organisation de son temps, il se place sous l'empire de l'article L. 3121-45 du Code du Travail.
Ainsi Monsieur [L] [E] s'engage à travailler 109 jours par an sur une base d'un temps partiel déduction faite de la journée de solidarité et s'engage sur l'honneur à se soumettre au repos minimal quotidien de 11 heures consécutives et au repos hebdomadaire.
A cette rémunération pourra s'ajouter le cas échéant, la rémunération au taux majoré, des jours de repos auxquels Monsieur [L] [E] aura renoncé avec l'accord de la société ACCOLAB.
Les parties conviennent que la grande autonomie dont Monsieur [L] [E] dispose l'exonère pas et n'est pas contradictoire avec l'obligation de participer aux réunions et formations organisées par la société.
Monsieur [L] [E] déclare avoir pris expressément connaissance de ces dispositions conventionnelles.'
M. [L] soutient que son contrat de travail à temps partiel est présumé à temps complet car il ne comportait pas la mention de la durée exacte de travail convenue et la répartition de son temps de travail sur la semaine ou le mois.
Selon l'appelant, son employeur s'est volontairement abstenu de faire figurer ces informations, se réservant ainsi la possibilité d'une plus grande latitude d'organisation et de le maintenir ainsi à sa disposition permanente.
M. [L] prétend avoir en réalité travaillé du lundi au vendredi et certains week-end. Il produit au soutien de ses allégations les mails envoyés à ses interlocuteurs.
Il sollicite à ce titre un rappel de salaire, le versement des congés payés et un rappel de prime de précarité.
La société Accolab soutient que le contrat de travail de M. [L] mentionne un forfait annuel de 109 jours. Il ne s'agit pas d'un contrat à temps partiel mais d'un forfait jours. Or, M. [L] ne démontre pas qu'il a dépassé le nombre de jours prévu à son contrat de travail pendant sa durée d'activité de 6 mois.
*
Ainsi que le fait valoir la société, les salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année dont le nombre est inférieur à 218 jours ne peuvent être considérés comme salariés à temps partiel en application des dispositions de l'article L. 3123-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige.
Mais en l'espèce, le contrat liant les parties, dont le rédacteur était manifestement le salarié lui-même, au vu du mail adressé par M. [L] le 24 juillet 2015 au président de la société, M. [J] [B], pharmacien biologiste (page 3 de la pièce 1 société), outre qu'il prévoyait l'organisation du temps de travail dans le cadre d'un forfait jours, stipulait également un travail à mi-temps et donc à temps partiel ainsi que figurant d'ailleurs dans l'intitulé même du contrat.
Le contrat devait par conséquent comporter les mentions prévues par l'article L. 3123-14
dans sa version alors applicable et préciser notamment la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois.
Faute de comporter cette mention, le contrat est présumé à temps plein et il appartient dès lors à l'employeur de rapporter la preuve de la durée exacte de travail convenue ainsi que sa répartition et du fait que le salarié n'était pas dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur.
Or, il ne peut qu'être constaté que la société n'a pas conclu sur ce point et qu'aucune des pièces versées aux débats, ne permet de retenir que la double preuve dont la charge lui incombe est rapportée.
Le contrat ne peut dès lors qu'être requalifié qu'en contrat de travail à temps plein.
Sur les demandes pécuniaires de M. [L]
Sur la demande de rappel de salaire au titre de la requalification du contrat en
temps plein
La requalification du contrat en contrat à temps plein doit conduire à fixer le salaire de base de M. [L] à la somme de 6.080 euros bruts, soit un rappel à ce titre dû par la société de 18.240 euros bruts outre les congés payés afférents, soit 1.824 euros bruts.
Sur la fixation du salaire de référence
Le contrat prévoyant le versement d'une prime d'objectifs de 4.000 euros, sur laquelle les parties ne fournissent ni pièce ni explication notamment quant aux objectifs fixés et leur réalisation ou non, le salaire de référence sera fixé à la somme de 6.746 euros bruts.
Sur la demande au titre de l'indemnité de requalification du contrat en contrat de
travail à durée indéterminée
Aux termes des dispositions de l'article L. 1245-2 du code du travail, lorsque le contrat de travail à durée déterminée est requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, le salarié peut prétendre au paiement d'une indemnité dont le montant ne peut être inférieur à un mois de salaire.
Il sera en conséquence fait droit à la demande de M. [L] à hauteur de la somme de 6.746 euros sollicitée.
Sur les demandes au titre de la rupture du contrat
La rupture du contrat liant les parties, requalifié en contrat de travail à durée indéterminée, par la seule survenance du terme du contrat de travail à durée déterminée, est abusive et ouvre droit au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ainsi qu'à l'indemnisation du préjudice résultant du caractère abusif de la rupture et de l'irrégularité de la procédure de licenciement.
La société sera en conséquence condamnée à payer à M. [L], qui avait le statut de cadre, la somme de 20.238 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 2.023,80 euros bruts pour les congés payés afférents.
M. [L] précise que, par contrat à durée indéterminée signé le 18 janvier 2016 à effet au 1er février 2016, il a été engagé à temps plein en qualité de responsable administratif et financier par le GIE Accolab Partners.
Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise qui emploie plus de 10 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [L], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 200 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif ainsi que celle de 100 euros pour irrégularité de la procédure.
Le contrat étant requalifié en contrat de travail à durée indéterminée et sa rupture constituant un licenciement, la demande au titre du solde de l'indemnité de précarité est rejetée.
Sur les autres demandes
La société, partie perdante à l'instance sera condamnée aux dépens mais eu égard aux circonstances du litige, il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté M. [E] [L] de sa demande au titre du solde de l'indemnité de précarité,
Statuant à nouveau,
Requalifie le contrat de travail de M. [E] [L] en contrat de travail à durée indéterminée et en contrat de travail à temps plein,
Condamne la société Accolab Sud-Ouest à payer à M. [L] les sommes suivantes :
- 6.746 euros au titre de l'indemnité de requalification,
- 18.240 euros bruts à titre de rappel de salaire et 1.824 euros bruts pour les congés payés afférents,
- 20.238 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 2.023,80 euros bruts pour les congés payés afférents,
- 200 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
- 100 euros pour irrégularité de la procédure,
Ordonne la délivrance par la société Accolab Sud-Ouest à M. [E] [L] d'un bulletin de salaire récapitulatif des sommes allouées, d'un reçu pour solde de tout compte ainsi que d'une attestation Pôle Emploi rectifiés en considération des condamnations prononcées et ce, dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision,
Rappelle que les créances salariales produisent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil,
Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Accolab Sud-Ouest aux dépens.
Signé par Madame Sylvie Hylaire, présidente et par Anne-Marie Lacour-Rivière, greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Anne-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire