La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/06/2022 | FRANCE | N°19/00359

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 29 juin 2022, 19/00359


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 29 JUIN 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 19/00359 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K2JV















Monsieur [L] [I]



c/



SAS EXPERT CONSEIL ENTREPRISE

















Nature de la décision : AU FOND



















>


Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 décembre 2018 (R.G. n°F 18/00055) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 18 janvier 2019,





APPELANT :

Monsieur [L] [I]

né le 28 Avril 1978 à [Localité 3] (MA...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 29 JUIN 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 19/00359 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K2JV

Monsieur [L] [I]

c/

SAS EXPERT CONSEIL ENTREPRISE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 décembre 2018 (R.G. n°F 18/00055) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Encadrement, suivant déclaration d'appel du 18 janvier 2019,

APPELANT :

Monsieur [L] [I]

né le 28 Avril 1978 à [Localité 3] (MAROC) de nationalité Française profession : Expert-Comptable, demeurant [Adresse 1]

assisté de Me Michel MARTIN de la SELARL SELARL SOLTNER-MARTIN, avocat au barreau de LIMOGES,

représenté par Me Pierre DE OLIVEIRA, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉE :

SAS Expert Conseil Entreprise, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège social [Adresse 2]

N° SIRET : 380 280 867 00041

assistée de Me Aude GRALL de la SELAS FIDAL REIMS, avocat au barreau d'AGEN,

représentée par Me Philippe LECONTE de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 04 avril 2022 en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : A.-Marie Lacour-Rivière,

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

- délibéré au 29 juin 2022 en raison de la charge de travail de la cour.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [L] [I], né en 1978, a été engagé par la SAS Expert Conseil Entreprise Périgueux, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 4 janvier 2010 en qualité d'assistant comptable principal.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des cabinets d'experts-comptables et de commissaires aux comptes.

En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de M. [I] s'élevait à la somme de 3.495,33 euros.

Un avenant du 21 août 2013 avec prise d'effet au 1er septembre 2012 a modifié le lieu d'exercice des fonctions de M. [I].

Au cours du mois d'avril 2014, M. [I] a obtenu son diplôme d'expert - comptable.

M. [I] a été placé en arrêt de travail à compter du 24 février 2016 jusqu'au 26 février 2016, puis du 2 mars 2016 au 11 mars 2016.

Par mail du 29 février 2016, M. [I] a demandé un rendez-vous à son employeur pour évoquer la possibilité d'une rupture conventionnelle.

Par lettre du 17 mars 2016, M. [I] a notifié sa démission qui a été acceptée par la société le 23 mars suivant.

Le 1er juin 2016, pendant sa période de préavis, M. [I] a reçu une convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire et était mis à pied à titre conservatoire.

L'entretien préalable a eu lieu le 8 juin 2016, lors duquel M. [I] était assisté.

Par lettre non datée, l'employeur a notifié à M. [I] une sanction disciplinaire de 14 jours de mise à pied.

A la date de la rupture, M. [I] avait une ancienneté de 6 ans et 2 mois et la société occupait à titre habituel plus de dix salariés.

Demandant la requalification de sa démission en rupture aux torts exclusifs de l'employeur, outre diverses sommes, M. [I] a saisi le 11 juillet 2016 le conseil de prud'hommes de Bergerac.

Le conseil de prud'hommes, par jugement du 20 décembre 2018, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes reconventionnelles formées par la société en application des dispositions combinées des articles R1453-1 et R1453-3 du code du travail,

- dit que la rupture du contrat de travail de M. [I] à savoir sa démission en date du 17 mars 2016 et à effet au 20 juin 2016, n'est pas imputable au comportement de l'employeur,

- débouté M. [I] de ses demandes d'indemnisation du caractère abusif de son licenciement, d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, d'indemnité légale de licenciement et au titre du préavis,

- débouté M. [I] de sa demande visant à obtenir la nullité de la clause visée aux conditions générales de collaboration annexées à son contrat de travail,

- annulé la mise à pied prononcée par la société à l'encontre de M. [I],

- en conséquence, condamné la société à verser à M. [I] les sommes suivantes:

*1.553,85 euros bruts au titre du salaire correspondant à la mise à pied annulée,

*155,38 euros bruts au titre des congés payés afférents,

*500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- enjoint à la société de remettre à M. [I] un bulletin de paie de juin 2016 rectifié conformément au jugement,

- débouté M. [I] de sa demande de paiement d'heures supplémentaires restant dues,

-débouté M. [I] de sa demande de paiement de frais kilométriques non remboursés,

- débouté M. [I] de sa demande de paiement d'une prime d'intéressement,

- ordonné l'exécution provisoire totale du jugement,

- condamné la société aux entiers dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 18 janvier 2019, M. [I] a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 octobre 2019, M. [I] demande à la cour de:

-déclarer recevable l'appel partiel interjeté par M. [I] à l'encontre du jugement rendu,

-confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a annulé la mise à pied prononcée par la société à l'encontre de M. [I], et en conséquence, condamné la société à verser à M. [I] les sommes suivantes :

*salaire correspondant à la mise à pied annulée : 1.553, 85 euros bruts,

*congés payés afférents : 155,38 euros bruts,

*article 700 : 500 euros,

-le réformant pour le surplus,

- dire que la rupture du contrat de travail de M. [I] doit être considérée comme étant exclusivement imputable au comportement fautif de l'employeur,

- requalifier en conséquence la démission de M. [I] en prise d'acte de de la rupture aux torts de l'employeur s'analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamner la société à verser à M. [I] la somme de 83.887,92 euros bruts au titre de l'indemnisation du caractère abusif de son licenciement,

- condamner la société à verser à M. [I] les sommes de :

*3.495,33 euros bruts en indemnisation du non-respect de la procédure de licenciement,

*4.543,93 euros bruts au titre de son indemnité légale de licenciement,

*10.359,81 euros au titre des heures supplémentaires restant dues,

*1.035,98 euros bruts au titre des congés payés restant dus,

- prononcer la nullité de la clause de non concurrence visée aux conditions générales de collaboration annexée au contrat de travail de M. [I],

- condamner la société à verser à M. [I] la somme de 5.428,95 euros au titre des frais kilométriques non remboursés à ce jour,

- condamner la société à verser à M. [I] 7.387,50 euros bruts de prime d'intéressement,

- condamner la société à verser à M. [I] 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire,

- condamner la société aux entiers dépens dans lesquels seront compris les éventuels frais d'exécution de la décision intervenir.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 mars 2022, la société demande à la cour de':

- infirmer le jugement rendu en ce qu'il a :

*dit n'y avoir lieu aux demandes reconventionnelles formées par la société ECE,

*annulé la mise à pied notifié à M. [I] et condamné la société à lui verser 1.533, 85 euros bruts à titre de salaire correspondant à la durée de la mise à pied et 153, 38 euros bruts à titre de congés payés afférents,

*enjoint la société ECE à établir un bulletin de paie de juin 2016 rectifié conformément au jugement,

*condamné la société ECE à verser à M. [I] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

*condamné la société ECE aux dépens de l'instance, y compris les éventuels frais d'exécution,

-confirmer le jugement rendu dans toutes ses autres dispositions et en conséquence, débouter M. [I] de la totalité de ses demandes, fins,

- condamner M. [I] à verser à la société ECE la somme de 99.166 euros à titre de réparation pour violation de la clause de non détournement de clientèle,

- condamner M. [I] au paiement à la société d'une somme de 3.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance du 4 octobre 2021, il a été enjoint au parties de rencontrer un médiateur. Aucun accord n'est intervenu.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La démission

M. [I] fait valoir qu'il a démissionné suite aux manquements antérieurs ou contemporains de l'employeur :

- il a alerté l'employeur oralement puis par mail daté du 8 février 2016 sur sa surcharge de travail sans que celui- ci ne lui réponde,

-il a été isolé et dénigré au sein du cabinet,

- des heures supplémentaires ne lui ont pas été payées et il n'a pas pu prendre 55 jours de congés,

- il a été placé en arrêt maladie pour un burn-out ;

- l' employeur n'a pas mis fin à ses conditions de travail avant sa démission.

La société répond que :

- M. [I] qui a créé un cabinet de comptabilité dès le mois de juillet 2016 voulait quitter la société en obtenant d'elle le paiement d'une somme nécessaire à l'exercice de cette activité ;

- la lettre de démission a été émise sans réserves; elle ne mentionne pas de griefs à l'encontre de l' employeur ;

- M. [I] ne l'a jamais alertée sur ses conditions de travail et il n'établit pas qu'il était surchargé de travail ni dénigré,

- en tout état de cause, il n'y a pas d'alerte antérieure à 2016 alors que prétendument, la surcharge de travail avait commencé en 2014 ; ce serait donc des faits anciens non susceptibles de motiver une rupture de contrat de travail imputable à l' employeur ;

- elle ne pouvait connaître la pathologie ayant nécessité les deux arrêts de travail.

La lettre de démission, datée du 17 mars 2016, est ainsi rédigée :

"je vous informe par la présente de mon intention de quitter le poste d'expert- comptable que j'occupe dans votre entreprise depuis le 4 janvier 2010.

Comme convenu dans mon contrat de travail, je respecterai un préavis de trois mois. La fin effective de mon contrat sera donc le 20/06/ 2016.

Je vous serai obligé de prévoir pour cette date la remise d'un certificat de travail , d'une attestation Pôle Emploi et d'un reçu pour solde de tout compte."

Le salarié peut notifier une démission sans mentionner de griefs à l'encontre de l'employeur puis la remettre en cause ultérieurement en invoquant les manquements de ce dernier. Ce défaut d'indication de manquements de l'employeur dans la lettre de démission ne prive pas le salarié du droit de demander la requalification de cette rupture en prise d'acte emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission, qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire, d'une démission.

Le mail de M. [V] à son employeur, daté du 8 février 2016 est ainsi rédigé :

" nous sommes déjà presque mi- février et à ce titre, je souhaite faire le point sur cette période fiscale qui s'annonce particulièrement difficile pour le cabinet de [Localité 5] en général et pour moi en particulier.

En effet, les départs de [F] ( il y a un an), de [G] et de [P] ( au 31 mars 2016), ne seront remplacés que par un poste (Odile 93 KE de CAHT et 100 000 lignes).

De plus, [M] et [S] prenant en charge des portefeuilles, cela va créer un besoin

urgent en saisie d'un poste à temps plein (140 000 lignes).

En ce qui me concerne, il me paraît très difficile de concilier :

*d'une part, la gestion de mon portefeuille d'expertise de 110 K€ (hors CAC et Centaure), la supervision des collaborateurs (1.5), le relationnel client sur les dossiers supervisés, le conseil client et missions ponctuelles (créations, transformations, apports, prévisionnels, situations, tableaux de bord ...).

* d'autre part, le développement du cabinet. Depuis septembre, (+15 K€) et dans les tuyaux (14 K€);

*mais aussi la reprise de la tenue de dossiers précédemment effectuée par [M] et [S] (idem pour les collaborateurs) et la tenue des nouveaux dossiers.

*enfin, les interventions en CAC et à Centaure représentent a minima 300 h ( dont 150 h sur la période fiscale)".

Il n'est pas établi que M. [I] aurait informé son employeur de sa surcharge de travail avant de lui transmettre ce message écrit : son journal d'activité mentionne un entretien annuel et trois visites à Sarlat où la société a son siège mais aucun élément n'établit la teneur d'échanges verbaux entre M.[I] et son employeur.

Aucune pièce n' établit que M. [I] a été évincé du management et qu'il a brutalement subi des critiques verbales de la part de la direction.

Au soutien du dénigrement qu'il aurait subi, M. [I] produit les témoignages de mesdames [J] et [T] et de M. [H]. Mme [J] indique que " M. [I] a fait l'objet d'un dénigrement par le directeur du cabinet de [Localité 5], de son épouse et de deux opératrices de saisie"; Mme [T] ne fait pas état d'un dénigrement. M. [H] écrit qu'à son retour d'un congé sabbatique en février 2016, dans le projet de réorganisation de l'employeur, ne figurait pas M. [I] qui était isolé d'une partie de l'équipe. Aucune précision n'est cependant apportée qui permette d'établir la réalité d'un dénigrement ou d'une mise à l'écart.

Les bulletins de paye ne corroborent pas l'affirmation de M. [I] selon laquelle il aurait cumulé 55 jours de congés non pris.

M. [I] fait enfin état de l'altération de sa santé l'ayant conduit à un burn-out mais les deux avis d'arrêts de travail d'une durée totale de 11 jours ne mentionnent pas d'épuisement professionnel et le Dr [K] relate les dires de son patient.

S'agissant de la surcharge de travail dont il aurait informé l'employeur sans réponse de la part de ce dernier, M. [V] produit deux attestations :

* Mme [R], confirme les départs de [U] et de [G] et la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de reporter la date de son départ à la retraite. Elle ajoute que les conditions sont devenues très vite ingérables, la saisie de dossiers n'étant pas effectuée et des heures supplémentaires devant être effectuées "

* Mme [T] a travaillé pendant 7 ans au sein du groupe ECE sur le site d'[Localité 4] qu'elle a quitté en juillet 2015 " pour des raisons qui semblent semblables à celles de M. [V] : surcharge de travail, absence de compensation financière, recrutement insuffisant et un manque de soutien et de communication de la part de la direction." Face à ces difficultés, la rédactrice aurait demandé l'appui de la direction mais différents mails seraient restés sans réponse. Des clients ont été mécontents et M. [I] qui a repris ses dossiers de CAC et son plus gros client, a pâti de cette surcharge de travail.

La société dénie toute force probante à ces témoignages motif pris de ce que leurs rédactrices sont en litige avec elle mais elle ne verse pas de pièce l'établissant.

La société oppose que M. [V] fait état d'une surcharge de travail à compter de 2014 et que ce fait est ancien. Cependant, une situation ancienne qui a perduré jusqu'à être contemporaine de la rupture du contrat de travail, peut constituer un manquement de l'employeur.

L' employeur dit aussi que la charge de travail supplémentaire ne repose sur aucun élément et que M. [V] pouvait organiser son travail. Cependant, il ne conteste ni le départ de plusieurs salariés qui n'ont pas été tous remplacés ni le développement de la clientèle du cabinet et la possibilité qu'a le salarié d'organiser son activité ne permet pas d'écarter une situation de surcharge de travail.

L' employeur n'a pas répondu au mail électronique du 8 février 2016 ni tenté d'organiser ou de recruter d'autres salariés en remplacement de [U] de [G], M. [I] pouvant légitimement craindre le mécontentement de ses clients voire une sanction de l'employeur.

Il n'a donné aucune suite au mail daté du 29 février 2016 aux termes duquel M. [I] lui demandait un rendez-vous pour discuter sur sa demande de rupture conventionnelle.

L'appelant reproche à la société de n'avoir pas payé des heures supplémentaires.

Aux termes de l' article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l' employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Sont versés des tableaux hebdomadaires d'heures supplémentaires sur les années 2013 à 2016 ; 16,5 heures en 2013, 57,75 heures en 2014, 99,75 en 2015 et 45,25 heures sur les 22 semaines précédant la rupture du contrat de travail.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de fournir les horaires effectivement réalisés par le salarié.

La société oppose la liberté de M. [V] pour organiser son travail et l'absence de fiches mensuelles qu'il aurait pourtant dû lui transmettre.

Cependant, la liberté d'organisation du salarié ne contredit pas la réalité d'une surcharge de travail et l' employeur ne produit aucune pièce établissant les horaires de travail effectivement réalisés. Il ne produit pas non plus d'élément établissant qu'il aurait demandé la transmission de fiches de travail mensuelles.

Au regard des tableaux hebdomadaires produits, des bulletins de paye ne mentionnant aucune heure supplémentaire et en l'absence de toute précision ou production de pièce de la part de l'employeur, la cour a la conviction que la société est débitrice de la somme de 10 359,81 euros et des congés payés afférents (1 035,98 euros).

La société dont plusieurs salariés avaient quitté l'entreprise et que M. [V] a informée de sa situation le 8 février 2016, avait pour obligation de contrôler la charge de travail de M. [V] et de mettre en place une organisation ou de recruter des collaborateurs. Elle ne l'a pas fait.

Cette surcharge de travail et l'inertie de l'employeur constituent des manquements antérieurs, concomitants et graves à la rupture du contrat de travail qui doit emporter les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société devra verser à M. [V] l'indemnité de licenciement conforme à son ancienneté et au montant de son salaire mensuel moyen, soit la somme de 4 543,93 euros.

M. [I], âgé de 38 ans à la date de la rupture de son contrat de travail sera indemnisé du préjudice résultant de la perte de son emploi. M. [V] avait une ancienneté de six années mais ne produit pas les revenus tirés de son activité d'expertise comptable.

Dans ces conditions, la société sera condamnée à payer à ce dernier la somme de 23 000 euros.

M.[I] demande paiement d'une indemnité pour non- respect de la procédure de licenciement. Il en sera débouté à défaut d'obligation faite à l'employeur de mentionner les manquements qu'il évoquera avec le salarié au cours de l' entretien préalable dans la lettre de convocation à celui-ci.

Les frais kilométriques

M. [I] sera débouté de sa demande de paiement d'un solde d'indemnités kilométriques à défaut de production d'éléments établissant que ses trajets ont été plus nombreux que ceux qu'il a répertoriés (pièce 9 de l'employeur) avant de quitter l'entreprise.

Les primes d'intéressement

M. [I] demande paiement de primes d'intéressement sur le fondement de l'avenant à son contrat de travail et reproche à la société de ne pas produire les lettres de mission déclenchant cet intéressement.

La société répond que M. [I] ne produit pas d'élément relatif à la date de signature des lettres de mission et des conditions d'acquisition de cette prime.

L'avenant au contrat de travail de M. [I], daté du 21 août 2012 mentionne que " à votre rémunération actuelle, s'ajoutera un intéressement pour les clients présentés au cabinet. Le fait déclencheur de l'intéressement est la signature d'une lettre de mission entre le client et le cabinet. Vous percevrez en une seule fois, des règlement de la première année d'honoraires par le client présenté, un intéressement brut égal à 15% des honoraires hors taxes facturés et encaissés. Au cas où vous dépasseriez pour l'année 2012-2013 une base d'intéressement de 25 000 euros hors taxes, un complément d'intéressement de 10 % vous sera versé sur la base totale d'intéressement".

M. [I] verse :

*une fiche vierge cotée 60 intitulée " prime exceptionnelle sur nouveau client"

*une liste de dix clients sans précision de la date de signature de la lettre de mission.

La société doit justifier du calcul et du paiement de cette prime contractuellement prévue à titre de rémunération. Celle-ci produit une liste de clients dont certains figurent sur le tableau versé en pièce 21 par M. [I].

La société ne produit aucune pièce corroborant les indications portées sur son tableau; il n'est ainsi pas établi que la société Bottéon aurait signé des lettres de mission antérieures à la date d'application de la clause contractuelle, ni que M. [I] aurait perçu la prime de 486 euros sur le bulletin de paye du mois d'octobre 2014, ni que certains clients seraient partis avant la fin du premier exercice.

La société ne dit pas que les clients figurant sur le tableau de M.[I] - et qu'elle n'indique pas sur sa liste - n'auraient pas été clients du cabinet. Elle n'apporte aucune précision ni ne verse de pièces.

Dans ces conditions, la société sera condamnée à payer à M. [I] la somme demandée de 7 387,50 euros.

Le détournement de clientèle

La société fait valoir que M.[I] a détourné des clients pendant la période de préavis et ainsi méconnu son obligation de loyauté, que 24 clients dépendant du portefeuille de M. [I] ont quitté le cabinet sans motif entre le 19 avril et le 1er juin 2016. Il résulterait d'un procès- verbal dressé par huissier de justice que les 24 clients visés sur la liste se retrouvent sur les fichiers informatiques de la société CAPEXCO Solutions dirigée par M. [I]. Elle ajoute que la décision de classement de la plainte de la société par la chambre régionale de discipline des experts- comptables ne doit pas être prise en compte dès lors qu'elle a considéré qu'elle ne pouvait rendre une décision incontestable au vu des éléments transmis.

La société fait état de la clause " loyauté et respect de la clientèle " rédigée dans lest termes suivants :

" dans les trois années suivant la rupture de la relation contractuelle, le salarié ne peut intervenir directement ou indirectement ou par personne interposée ( y compris son nouvel employeur ) auprès de la clientèle de son employeur.

La clientèle, au sens du présent article s'entend de toute personne physique ou morale ayant eu recours au services du cabinet, lequel a établi de ce fait, une lettre de mission (contrat de prestation) et une facture et ce, au cours des trois dernières années précédant la date de départ. La qualité de clients est étendue aux filiales et sous filiales des personnes morales directement clientes.

En cas de manquement aux obligations ci dessus, le cabinet aura droit à des dommages et intérêts ...au moins égaux à la rémunération acquise pour les douze derniers mois d'activité au sein du cabinet"..

M.[I] répond que cette demande nouvelle en appel est irrecevable, que, par décision du 21 juin 2018, la chambre régionale de discipline des experts - comptables de Limoges a classé sans suite la plainte de la société au motif qu'aucun détournement de clientèle ni manquement aux règles déontologiques ne pouvaient lui être reprochés.

Il ajoute qu'en tout état de cause, aucune faute, ni préjudice financier ni lien de causalité entre ces deux éléments, ni intention de nuire à l' employeur ne sont établis ; que cinq salariés ont quitté le cabinet intimé et que la désorganisation qui a suivi a motivé le départ de clients qui ont pris attache avec d'autres cabinets dont le sien, que les clients visés au procès-verbal d'huissier de justice sont partis après son départ de la société de leur propre initiative et sans sollicitation de sa part.

M. [I] demande à la cour de dire que cette clause de non concurrence sus retranscrite est nulle.

Le conseil des prud'hommes a été saisi le 11 juillet 2016 avant l'abandon du principe d'unicité de l'instance de sorte que la demande de la société, formée pour la première fois devant la cour est recevable.

Par lettre datée du 21 juin 2018, le président de la chambre régionale de discipline des experts-comptables a décidé de classer sans suite une plainte dirigée contre M. [I] pour des faits de détournement de clientèle, exercice illégal de la profession d'expert-comptable et couverture d'un exercice illégal de la profession d'expert- comptable.

Cette décision est ainsi rédigée :

" après instruction du dossier par M. [O], rapporteur, et au vu des éléments contenus dans son rapport, je vous informe que les manquements aux règles déontologiques régissant la profession d'expert- comptable qui vous sont reprochés dans cette plainte ne me paraissent pas suffisamment caractérisés pour justifier l'engagement de poursuites disciplinaires à votre encontre. J'ai donc pris la décision de classer sans suite cette plainte".

Aucun élément n'établit que cette décision concerne le détournement des clients mentionnés sur la pièce 6 de la société et dont l'huissier de justice a constaté qu'ils figuraient dans le fichier de la société d'expertise comptable créée par M. [I]. Les pièces ayant été examinées par le rapporteur ne sont pas non plus connues.

La décision de l'instance disciplinaire ne permet pas de dire irrecevable la demande de la société intimée.

Le 3 avril 2017, la société a obtenu l'autorisation de mandater un huissier de justice aux fins de se rendre dans les bureaux de la société Coaxis ASP, hébergeur informatique des sociétés Capexco Solutions et Elia conseil dont M. [I] est le dirigeant et de consulter le dossier informatique à effet de relever l'existence par ordre alphabétique des clients figurant sur la liste établie par la société intimée. L'huissier de justice a constaté que le fichier clients de la société Capexco Solutions créée par M. [I] comportait les nom des clients figurant sur cette liste.

S'agissant de la demande de M. [I] de voir dire nulle la clause de non concurrence, il revient à la cour de dire si la clause "Loyauté et respect de la clientèle" insérée dans l'annexe au contrat de travail de M. [I] constitue une clause de non concurrence dont la validité doit obéir à des conditions cumulatives.

Cette clause contenant une interdiction de contracter directement ou indirectement avec des clients de l'employeur, y compris dans le cas où ceux - ci l'envisageraient spontanément sans sollicitation ou démarchage s'analyse en une clause de non concurrence. Elle ne comporte aucune limite géographique ni compensation financière et est nulle.

La société ne peut reprocher à M. [I] d'avoir méconnu cette clause.

En tout état de cause s'agissant de la période antérieure à la rupture du contrat de travail, la cour constate :

- d'une part, que les attestations de clients qui ont quitté la société intimée précisent qu'il n'y a eu aucun dénigrement de son employeur de la part de M. [I] qui ne les a pas sollicités,

- que la société ne verse aucun document corroborant le montant des honoraires qu'elle aurait dû percevoir des 24 clients qu'elle aurait perdus au bénéfice de la société de M. [I]. Elle n'établit pas la réalité du préjudice dont elle demande réparation et sera déboutée de ce chef

L'annulation de la mise à pied disciplinaire

M. [I] demande la confirmation de la décision du premier juge qui a annulé la mise à pied disciplinaire, non datée mais dont il n'est pas contesté qu'elle a été notifiée pendant la période de préavis de M. [I].

Cette sanction est motivée par :

- le refus d'exécuter les travaux demandés par le responsable de bureau,

-la découverte d'une société inscrite au RCS depuis septembre 2014 dont le salarié est le dirigeant en contradiction avec le droit du travail et les obligations contractuelles du salarié,

- le manquement à la clause de loyauté et au respect de la clientèle ;

mettant en cause la bonne marche du cabinet.

M. [I] fait état de la décision de classement sans suite de la chambre régionale disciplinaire sus évoquée et que la société intimée n'a pas contestée.

La société intimée répond que M. [I] a méconnu l'obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi en détournant une partie de sa clientèle ainsi qu'établi par le procès- verbal dressé par l'huissier de justice.

La cour rappelle que la décision de la chambre régionale de classer sans suite la plainte déposée par la société intimée ne peut être opposée par M. [I] dès lors qu'il n'est pas établi que les faits motivant la plainte et les documents examinés par le rapporteur sont ceux visés par la société au soutien de la mise à pied dont la nullité est recherchée.

La cour constate en premier lieu qu'aucune pièce n'établit le refus de M. [I] d'exécuter des travaux demandés par le responsable de bureau.

Ensuite, aucune pièce n'est produite pour corroborer l'inscription d'une société au RCS depuis septembre 2014, la pièce cotée 2 de la société intimée indiquant une immatriculation au RCS le 18 juillet 2016;

Il reste le manquement à la clause de loyauté et au respect de la clientèle mettant en cause la bonne marche du cabinet.

La société reproche à M. [I] d'avoir méconnu son obligation de loyauté et l'exécution de bonne foi du contrat de travail. Elle se réfère aussi à la clause de loyauté et de respect de la clientèle insérée au contrat de travail.

Plusieurs clients de la société attestent ce qu'ils ont décidé de confier leur comptabilité à M. [I] sans qu'il soit établi que ce dernier aurait dénigré son employeur ni qu'il les aurait démarchés. Dans ces conditions, le non- respect par M. [I] de son obligation d'exécuter son contrat de travail de bonne foi et de loyauté pendant l'exécution de ce dernier ne peut être retenu.

L'annexe au contrat de travail de M. [I] comporte une clause de loyauté aux termes de laquelle " dans les trois années suivant la rupture des relations contractuelles, le salarié ne peut intervenir directement ou indirectement ou par personne interposée (y compris son nouvel employeur) auprès de la clientèle de l'employeur (...) en cas de manquement aux obligations ci- dessus, le cabinet aura droit à des dommages et intérêts équivalents au préjudice subi, ces dommages et intérêts (sont) au moins égaux à la rémunération acquise pour les douze derniers mois d'activité au sein du cabinet".

Dans le dispositif de ses conclusions, M. [I] demande à la cour de prononcer la nullité de cette clause de non-concurrence visée aux conditions générales de collaboration annexée à son contrat de travail. M. [I] fait valoir que la société entend interdire à ses anciens collaborateurs toute liberté de travail et le droit à la libre installation en qualité d'expert-comptable pour leur propre compte.

Il revient à la cour de dire si cette clause de loyauté constitue en réalité une clause de non-concurrence dont la validité est soumise à des conditions cumulatives telles que d'être justifiée par les intérêts de l'entreprise, être limitée dans l'espace et dans le temps et comporter une contrepartie pécuniaire.

Cette clause interdit au salarié qui a quitté l'entreprise d'intervenir auprès de la clientèle de l'employeur, y compris en l'absence de toute sollicitation. Cette clause ne concerne pas l'exécution du contrat de travail. En dépit de son appellation contractuelle, elle constitue une clause de non concurrence privant M. [I] de son droit de travailler directement ou indirectement pour des clients de la société intimée. Elle ne comporte aucune limite géographique ni compensation financière et elle est nulle. M. [I] ne pouvait être sanctionné avant la fin de son préavis pour avoir méconnu une obligation intéressant la période postérieure à celle-ci.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a annulé la mise à pied disciplinaires et condamné la société au paiement du salaire afférent.

La société, partie perdante, supportera la charge des dépens des procédures de première instance et d'appel et sera condamnée à verser à M. [I] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

la cour,

Infirme le jugement en ce qu'il a :

- dit n'y avoir à statuer sur les demandes reconventionnelles formées par la société ;

- dit que la rupture du contrat de travail de M. [I] à savoir sa démission en date du 17 mars 2016 et à effet du 20 juin 2016 n'est pas imputable au comportement de l'employeur,

- débouté M. [I] de ses demandes de paiement de dommages et intérêts pour licenciement non fondé et de l' indemnité de licenciement,

- débouté M. [I] de sa demande de paiement d'heures supplémentaires

- débouté M. [I] de sa demande relative à la prime d'intéressement ;

- débouté M. [I] de sa demande tendant à dire la clause de non concurrence nulle,

Et statuant à nouveau de ces chefs,

- Dit recevable la demande de la société en paiement de dommages et intérêts pour violation de la clause de non détournement de la clientèle mais l'en déboute,

- Dit que la démission de M. [I] s'analyse en une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Dit que la clause insérée au contrat de travail interdisant à M. [I], dans les trois années suivant la rupture des relations contractuelles directement ou indirectement ou par personne interposée ( y compris son nouvel employeur ) auprès de la clientèle de son employeur s'analyse en une clause de non concurrence nulle ;

- Condamne la société Expert Conseil Entreprise à payer à M. [I] les sommes suivantes :

* 10 359,81 euros et 1 035,98 euros au titre des heures supplémentaires,

*4 543,93 euros au titre de l' indemnité de licenciement,

*7 387,50 euros au titre de la prime d'intéressement,

*23 000 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Confirme le jugement pour le surplus,

Condamne la société Expert Conseil Entreprise à payer à M. [I] la somme complémentaire de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles engagés dans le cadre de la procédure d'appel.

Signé par Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Catherine Rouaud-Folliard


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/00359
Date de la décision : 29/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-29;19.00359 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award