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22/06/2022 | FRANCE | N°19/00292

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 22 juin 2022, 19/00292


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 22 JUIN 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 19/00292 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K2EK













Société USCA FRANCE TABAC



S.E.L.A.R.L. HART DE KEATING prise en la personne de Me Christian Hart de Keating es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac



c/



Monsieur [T] [R

]



UNEDIC Délégation AGS-CGEA de BORDEAUX















Nature de la décision : AU FOND













Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 décembre 2018 (R.G. n°F 18/00018) p...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 22 JUIN 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 19/00292 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-K2EK

Société USCA FRANCE TABAC

S.E.L.A.R.L. HART DE KEATING prise en la personne de Me Christian Hart de Keating es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac

c/

Monsieur [T] [R]

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de BORDEAUX

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 décembre 2018 (R.G. n°F 18/00018) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 14 janvier 2019,

APPELANTE :

USCA France Tabac Union de Sociétés Coopératives Agricoles, placée en liquidation judiciaire par jugement du 11 octobre 2021 du tribunal judiciaire de Bergerac

N° SIRET : 315 856 252 00020

S.E.L.A.R.L. HART DE KEATING agissant en la personne de Me Christian Hart de Keating es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac, désignée par jugement du Tribunal Judiciaire de PERIGUEUX du 11/10/2021, demeurant [Adresse 2] - [Localité 3]

représentée et assistée de Me Emilie MONTEYROL, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur [T] [R]

né le 15 Février 1963 à VEVEY (24200)

de nationalité Française, demeurant [Adresse 1] - [Localité 4]

représenté et assisté de Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

UNEDIC Délégation AGS- C.G.E.A. DE BORDEAUX prise en la personne de son directeur domiiclié en cette qualité au siège social [Adresse 6] - [Localité 5]

représentée et assistée de Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 mai 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire, et Madame Sophie Masson, conseillère,

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud

Greffier lors du prononcé : A.-Marie Lacour-Rivière

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

L'Union des Sociétés Coopératives Agricoles des Producteurs France Tabac (ci-après dénommée l'USCA France Tabac) avait pour activité la collecte, la transformation, le conditionnement, la conservation, le stockage et la commercialisation de tabacs bruts produits par les producteurs français auprès des fabricants de cigarettes pour le marché français et l'exportation.

En 2015, elle réunissait 6 coopératives agricoles représentant 910 producteurs de tabac implantés sur le territoire national.

En accord avec les coopératives associées, l'USCA France Tabac coordonnait l'activité de la filière tabacole française ; son niveau d'activité dépendait des volumes de production de chacune des coopératives et de la demande finale des cigarettiers en matière de volume et de qualité de tabac attendue.

Elle achetait la récolte annuelle de tabac à chaque coopérative associée puis, après transformation au sein d'une usine située à Sarlat en Dordogne, vendait la production transformée aux cigarettiers.

Le processus de production était conduit autour de trois opérations principales :

- la logistique approvisionnement avec l'achat, la réception et le stockage de la matière

première brute ;

- la valorisation des tabacs conformément aux cahiers de charge des clients ;

- la logistique de produits finis pour préparer et assurer les expéditions des mélanges envoyés aux clients.

L'usine de Sarlat comptait, avant la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de 2016 (ci-après PSE), un effectif de 57 salariés permanents affectés aux activités de transformation et de valorisation du tabac. Des saisonniers complétaient ces effectifs en période de transformation des récoltes.

L'USCA France Tabac employait également 1 salarié dans son établissement parisien.

***

Le 24 juin 2016, l'USCA France Tabac a engagé les procédures d'information et de consultation des instances représentatives du personnel (ci-après IRP) sur un projet de licenciement collectif pour motif économique concernant plus de 10 salariés.

Par décision en date du 6 octobre 2016, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral fixant le contenu du PSE établi par l'USCA France Tabac.

Ce document prévoyait la suppression de 20 postes sur les 56 existants sur le site de Sarlat (un salarié étant décédé au cours de la procédure) soit :

- 3 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec l'externalisation des activités de nettoyage des locaux sociaux et RH ;

- 5 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec la modification des modalités de valorisation des tabacs aux coopératives ;

- 2 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec une réorganisation des activités (chef d'atelier, maintenance) ;

- le changement de statut de 10 contrats de travail à durée indéterminée en contrats saisonniers.

Il emportait la suppression :

- de deux postes d'acheteurs regradeurs sur les 5 existant,

- des deux postes d'agents administratifs RH,

- d'un poste d'agent administratif sur les 3 existant,

- des quatre postes d'agents de contrôle,

- des deux postes de caristes,

- d'un poste de chef d'atelier sur les 4 existant,

- d'un poste d'encadrement sur les 6 existant,

- des 5 postes de manutention/nettoyage et locaux sociaux,

- d'un poste de responsable d'équipe sur les 6 existant,

- d'un poste de technicien de maintenance sur les 6 existant.

Au titre des critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral accordait une priorité à celui des qualités professionnelles décliné sous le terme de 'compétences clé' Le document précisait que « ces éléments ne prennent pas en compte les conditions d'exercice des missions, FRANCE TABAC ne disposant pas de dispositif objectif d'évaluation permettant de jauger de la qualité de réalisation des opérations. Seules leurs réalisations, sous un angle quantitatif, sont prises en compte, et peuvent être vérifiées au travers du pointage analytique des heures et de la planification hebdomadaire.

La répartition des compétences ventilées dans chacune des catégories professionnelles est établie sur la base des constats depuis le dernier PSE, à savoir les récoltes 2014 et 2015 (...) ».

Enfin, les points attribués en fonction de ces compétences clé étaient fixés à :

- 10 pour le salarié assurant une compétence clé,

- 20 pour 2 de ces compétences,

- 30 pour 3 ou plus de celles-ci.

Par ailleurs, le PSE prévoyait une première phase de départ volontaire, dans le cadre de candidatures examinées par une commission idoine, avec possibilité pour le salarié candidat à une rupture d'un commun accord pour motif économique d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle (ci-après CSP) ainsi que des aides au reclassement externe, avec notamment la mise en place d'une cellule de reclassement.

***

Monsieur [T] [R], né en 1963, avait été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er janvier 1985, au sein de l'usine de Sarlat en qualité de responsable Blend (soit, selon les précisions apportées à l'audience, responsable de l'équipe des caristes).

Depuis 2015, il était membre titulaire du comité d'entreprise.

Son salaire moyen des trois derniers mois précédant la rupture de son contrat s'élevait à 2.901,98 euros.

Le 14 octobre 2016, l'USCA France Tabac a informé M. [R] que sa candidature à un départ volontaire, déposée le 22 septembre 2016, avait été validée, sous réserve de l'acceptation par la DIRECCTE de la demande d'autorisation de licenciement compte tenu de sa qualité de salarié protégé.

Par courrier du 6 décembre 2016, M. [R] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 15 décembre 2016.

Il a le même jour adhéré au CSP.

L'USCA France Tabac a consulté le comité d'entreprise sur le projet de licenciement du salarié, lequel a émis un avis défavorable le 16 décembre 2016, puis, par courrier du 23 décembre 2016, a demandé à la DIRECCTE 1'autorisation de procéder à la rupture du contrat de travail de M. [R].

L'inspection du travail a autorisé la rupture du contrat de travail pour motif économique de M. [R] par décision du 13 janvier 2017.

Le 17 janvier 2007, les parties ont signé une convention de rupture du contrat d'un commun accord pour motif économique.

M. [R] a perçu au titre des indemnités de rupture une somme nette de cotisations sociales s'élevant à 55.735 euros (indemnité de licenciement et de 8.000 euros (indemnité de départ volontaire).

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [R] a, ainsi que d'autres salariés ayant subi la rupture de leur contrat, saisi le 26 avril 2017 le conseil de prud'hommes de Bergerac qui, par jugement rendu le 17 décembre 2018 :

- s'est déclaré matériellement incompétent pour statuer sur la réalité des difficultés économiques de I'USCA France Tabac et sur le respect de l'obligation de reclassement ;
- a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, si elles le souhaitent, sur ces demandes ;
- s'est déclaré compétent pour statuer sur la contestation de la suppression du poste de ' responsable Blend' et a déclaré recevables les demandes de M. [R] ;
- a constaté que le poste de M. [R] n'a pas été supprimé ;
- a requalifié le licenciement pour motif économique de M. [R] en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- a condamné 1'USCA France Tabac à régler à M. [R] les sommes suivantes :
* 34.823,76 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.803,96 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 580,40 euros à titre de congés payés sur préavis,
* 1.439,98 euros au titre du rappel sur l'indemnité de licenciement,
* 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- a condamné l'USCA France Tabac à remettre à M. [R] une attestation Pôle Emploi conforme à la décision sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter du 15ème jour de la notification de la décision et dans la limite de 30 jours ;
- s'est réservé la compétence pour liquider ladite astreinte ;
- a ordonné le remboursement par I'USCA France Tabac, aux organismes intéressés, de 6 mois d'indemnités de chômage versées à M. [R], conformément aux dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;
- a débouté M. [R] du surplus de ses demandes et l'USCA France Tabac de ses demandes reconventionnelles ;
- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, hormis en ce qui concerne l'exécution provisoire
de droit telle que définie à l'article R. 1454-28 du code du travail ;
- a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [R] à la somme de 2.901,98 euros ;
- a condamné I'USCA France Tabac aux dépens de l'instance et aux éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 16 janvier 2019, l'USCA France Tabac a relevé appel de cette décision.

Par jugement rendu le 11 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Bergerac, l'USCA France Tabac a été placée en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 12 juillet 2021 et la SELARL de Keating étant désignée en qualité de liquidateur.

Par acte d'huissier délivré le 10 décembre 2021 à la requête de M. [R], la SELARL de Keating a été assignée ès qualités en intervention forcée, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de Bordeaux étant également attraite dans la procédure par acte d'huissier délivré le 17 décembre 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 avril 2022, la SELARL de Keating, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'USCA France Tabac, demande à la cour de :

In limine litis,

- déclarer irrecevable l'action de M. [R] en contestation de son licenciement pour motif économique,

- dire qu'au regard de l'effet dévolutif de l'appel, des éléments de la déclaration d'appel puis de l'appel incident, la cour pourra statuer tant sur la compétence du conseil de prud'hommes que sur l'appréciation de la cause réelle et sérieuse de la rupture amiable pour motif économique du contrat de travail de M. [R],
- déclarer recevable sa demande tendant à faire reconnaître l'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur la cause réelle et sérieuse de la rupture amiable pour motif économique,
- infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il :
- a déclaré recevables les demandes de M. [R],
- s'est déclaré compétent pour statuer sur la suppression effective du poste de M. [R],

A titre subsidiaire,
* déclarer recevable sa demande tendant à contester la décision entreprise sur l'appréciation de la cause réelle et sérieuse de la rupture amiable pour motif économique du contrat de travail de M. [R],
* infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il :
- a retenu un salaire moyen de 2.901,98 euros alors que son salaire moyen des 3 derniers mois s'élève à 2.753,90 euros,
- a déclaré qu'il y avait absence de suppression de poste de M. [R],
- a retenu l'existence d'un préjudice subi par M. [R] sans la moindre pièce ni la moindre justification du chiffrage en ce sens,
- a condamné l'Union France Tabac à verser à M. [R] les sommes suivantes :

* 34.823,76 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 5.803,96 euros à titre d'indemnité de préavis,
* 580,40 euros à titre de congés payés sur préavis,
* 1.439,98 euros à titre de rappel de l'indemnité de licenciement,
- a condamné l'USCA France Tabac au remboursement des organismes intéressés de 6 mois d'indemnités de chômage versées à M. [R] ;

En toute hypothèse,

- déclarer irrecevable toute demande à l'encontre de l'USCA France Tabac, comme suite à sa mise en liquidation judiciaire,
- débouter M. [R] de toutes ses demandes à l'encontre de la SELARL de Keating, ès qualités,

- débouter M. [R] de toutes ses demandes de fixation au passif de l'USCA France Tabac,
- débouter M. [R] de toutes ses demandes,
- condamner M. [R] à payer à la SELARL de Keating, en sa qualité de liquidateur de l'USCA France Tabac, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait entrer en voie de condamnation,

* A titre principal, ordonner la consignation des sommes sur un compte de dépôt et consignation dans l'attente de l'issue de la procédure éventuellement diligentée par la SELARL de Keating, ès qualités, devant la Cour de cassation ;
* A titre subsidiaire,
- ordonner à M. [R] d'apporter des garanties financières permettant de démontrer qu'il sera en capacité de rembourser la SELARL de Keating, ès qualités, en cas de pourvoi formé devant la Cour de cassation.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des

avocats le 23 mars 2022, M. [R] demande à la cour de':

- déclarer recevables ses contestations sur la rupture amiable pour motif économique de son contrat de travail,

A titre principal,

- déclarer irrecevables les demandes de l'USCA France Tabac relatives à l'incompétence du juge judiciaire à connaître de la cause réelle et sérieuse de la rupture amiable pour motif économique,

- dire que l'absence de suppression du poste de responsable Blend de M. [R] et la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse sont définitives,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf sur le quantum des dommages et intérêts alloués,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 170.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

A titre subsidiaire, se déclarer compétente pour statuer sur l'entier litige l'opposant à l'USCA France Tabac,

- constater que le motif économique invoqué par l'USCA France Tabac n'est ni réel ni sérieux,

- constater que son poste n'a pas été supprimé,

- constater que l'USCA France Tabac n'a pas respecté son obligation de tentative préalable de recherche sérieuse de reclassement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a requalifié la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 170.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* condamné l'USCA France Tabac au titre de l'indemnité de préavis dont il a été privé à hauteur de 5.803,96 euros bruts, les congés payés afférents à hauteur de 580,40 euros bruts outre la somme de 1.439, 98 euros au titre de rappel du solde de l'indemnité de licenciement,

* ordonné la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard d'une attestation Pôle Emploi rectifiée sur le motif du licenciement,

- liquider l'astreinte prononcée par le conseil de prud'hommes à la somme de 4.500 euros,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 4.500 euros au titre de cette astreinte,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 281,28 euros au titre de ses frais d'exécution,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine,

- dire que les intérêts seront capitalisés à son profit conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- mettre à la charge de la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac tous les dépens, en ce compris les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à l'AGS-CGEA,

- débouter l'USCA France Tabac, le liquidateur et l'AGS-CGEA de leurs demandes plus amples et contraires et notamment au titre de l'exécution de l'arrêt à intervenir.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 avril 2022, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de Bordeaux demande à la cour de':

Sur l'appel principal et l'appel incident,

- se déclarer incompétente pour statuer sur la réalité du motif économique et de la suppression du poste, sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi,

- rejeter les moyens et les demandes de M. [R] fondés sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, sur la suppression de postes ou encore sur le vice de son consentement,

- se déclarer incompétente pour statuer sur la recherche individuelle de reclassement, contrôlée lors de l'autorisation de rupture,

- réformer le jugement déféré en ce qu'il s'est déclaré compétent et en ce qu'il a dit que le poste de M. [R] n'était pas supprimé,

- réformer le jugement en ce qu'il a alloué des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité de préavis,

- débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- réformer le jugement en ce qu'il a fixé le rappel d'indemnité de licenciement à 1.439,98 euros et sur réformation, fixer la créance de M. [R] au titre dudit rappel à la somme de 1.337,27 euros,

A titre très infiniment subsidiaire,

- débouter, en toute hypothèse, M. [R] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de ses demandes de liquidation de l'astreinte et de fixation d'une nouvelle astreinte,

- en cas extraordinaire de requalification du départ volontaire autorisé en licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixer la créance de M. [R] au passif de l'USCA France Tabac à la somme de 18.800 euros au visa de l'article L.1235-3 du code du travail,

Sur la garantie de l'AGS,

- déclarer opposable l'arrêt à intervenir à l'AGS CGEA de Bordeaux dans la limite légale de sa garantie, laquelle est limitée à six fois le plafond mentionné à l'article D. 3253-5 du code du travail en vigueur en 2017 (soit 78.456 euros) et exclut l'astreinte et l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 mai 2022.

A cette audience, la cour a informé les parties qu'elle entendait relever d'office son incompétence sur les questions relevant de la compétence de la juridiction administrative, les invitant, en tant que de besoin, à adresser une note en délibéré sur ces questions.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la demande du liquidateur ès qualités tendant à voir déclarer irrecevables les demandes de M. [R] en lien avec la contestation de la cause de la rupture amiable de son contrat de travail

L'USCA France Tabac demande à la cour de déclarer irrrecevables les demandes de M. [R] dès lors que celui-ci, ayant conclu une convention de rupture amiable de son contrat dans le cadre d'un plan de départ volontaire, ne peut pas contester la cause économique de la rupture, sauf vice du consentement ou fraude.

M. [R], invoquant les termes de la déclaration d'appel formée par l'USCA France Tabac, conclut à l'irrecevabilité de cette demande.

***

De la lecture du jugement déféré, il ressort que la demande d'irrecevabilité présentée par le liquidateur ne figurait pas dans les demandes formulées en première instance où la société USCA France Tabac concluait seulement à l'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture, du fait de l'autorisation donnée par la DIRECCTE.

Les fins de non-recevoir pouvant être proposées en tout état de cause, la demande du liquidateur doit être déclarée recevable.

Sur la recevabilité des demandes de M. [R] tendant à contester la cause de la rupture amiable de son contrat de travail

M. [R] soutient que son contrat de travail a pris fin non par la convention de rupture amiable qu'il a signée le 17 janvier 2017 mais par son acceptation du CSP, ce qui lui permettrait de contester la cause économique de la rupture.

Ni le liquidateur, ni l'UNEDIC n'ont formulé d'observations à ce sujet dans leurs écritures.

*

Nonobstant les dénégations de M. [R], la rupture de son contrat a fait l'objet d'une convention de rupture 'd'un commun accord' pour motif économique qu'il a signée et acceptée le 17 janvier 2017.

Le fait que ce départ volontaire se soit accompagné de son adhésion au CSP n'était que la mise en oeuvre du PSE qui prévoyait expressément cette possibilité pour les candidats au départ volontaire.

Il sera en conséquence retenu que son contrat de travail a pris fin à la suite d'une rupture d'un commun accord pour motif économique, dans le cadre d'un départ volontaire.

***

La faculté de contester judiciairement la rupture du contrat de travail d'un commun accord pour motif économique n'est pas ouverte au salarié qui a adhéré à une mesure de départ volontaire dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, sauf fraude ou vice du consentement.

M. [R] soutient avoir été victime d'un vice du consentement affectant la validité de la convention de rupture amiable signée le 17 janvier 2017, ayant découvert après son départ, que, contrairement au projet présenté par la société le 24 juin 2016, qui prévoyait la suppression de l'ensemble de la catégorie des caristes dont les deux postes de responsable Blend (le sien et celui qu'occupait Mme [G]), un seul poste de responsable Blend avait en réalité été supprimé puisqu'un recrutement sur ce poste a été effectué en interne, 15 jours après son départ.

Selon M. [R], l'information initialement donnée par l'employeur de la suppression des deux postes de responsable Blend a déterminé sa candidature à un départ volontaire puis son acceptation de la convention de rupture amiable.

Le liquidateur et l'UNEDIC concluent à l'absence de tout vice du consentement ou fraude dès lors que la candidature de M. [R] à un départ volontaire datée dans les écritures du liquidateur du 26 septembre 2016 est rédigée sans condition suspensive et que dans le cadre de la convention de rupture amiable signée le 17 janvier 2017, le salarié a reconnu avoir bénéficié d'un temps de réflexion suffisant et des informations sur l'ensemble de ses droits.

Ils ajoutent que le document unilatéral soumis à l'homologation de la DIRECCTE ne prévoyait la suppression que d'un seul poste de responsable d'équipe.

*

Pour écarter l'existence d'un vice du consentement et d'une fraude invoqués par M. [R], il sera relevé que si le document unilatéral soumis en juin 2016 aux IRP, dont faisait partie M. [R] en sa qualité de membre titulaire du comité d'entreprise, prévoyait la suppression des 5 postes de caristes, le document unilatéral présenté aux IRP en septembre 2016 et soumis à l'homologation de la DIRECCTE ne prévoit la suppression que d'un seul poste de 'responsable d'équipe' sur les 6 existants de sorte que lorsque M. [R] a accepté le 17 janvier 2017 la signature d'une rupture amiable de son contrat, il n'ignorait pas que, sur les deux postes de responsables Blend (celui qu'il occupait et celui de Mme [G]), un seul était destiné à disparaître.

Il ne pouvait d'autant moins l'ignorer qu'il avait été destinataire d'une note interne de l'employeur, datée du 18 novembre 2016 qu'il produit en pièce commune R, dans laquelle l'USCA France Tabac sollicitait une candidature en interne au poste de responsable Blend non supprimé, mais devenu vacant compte tenu des candidatures à un départ volontaire émises tant par M. [R] que par Mme [G], qui occupaient antérieurement les deux postes existant.

Il doit donc être considéré que c'est en connaissance précise et exacte de la situation que M. [R] a accepté de signer le 17 janvier 2017 une convention de rupture amiable de son contrat de travail, aucun vice du consentement ni aucune fraude n'étant établis.

M. [R] n'est donc pas recevable à contester judiciairement la rupture de son contrat de travail pour motif économique de ce chef.

Sur l'étendue de l'appel formé par l'USCA France Tabac et la fin de non-recevoir opposée par M.[R] aux demandes du liquidateur relatives à l'incompétence du juge judiciaire pour statuer sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

La cour ayant relevé d'office la question de sa compétence sur les demandes de M. [L] au regard de celles relevant de la compétence de la juridiction administrative, le débat des parties sur cette question est dépourvu d'objet.

Sur la compétence de la juridiction prud'homale pour statuer sur la contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement

En vertu du principe de séparation des pouvoirs, lorsque l'administration a autorisé le licenciement d'un salarié protégé, le juge judiciaire ne peut apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement que ce soit, s'agissant d'une rupture pour motif économique, au regard de la réalité de ce motif ou du respect de l'obligation de reclasement.

Contrairement à ce que prétend le salarié, l'autorité administrative se détermine après avoir vérifié l'existence d'une cause économique réelle et sérieuse, à la fois dans son élément originel tenant aux difficultés économiques et dans son élément matériel, la suppression de poste, ainsi que d'une recherche réelle et sérieuse de reclassement.

Il a été retenu ci-avant que le nombre de postes de responsables d'équipe dans la catégorie des caristes a été limité à 1 dans le document unilatéral soumis à homologation et que M. [R] avait été avisé de la recherche d'un candidat en interne par l'employeur le 16 novembre 2016. Il ne justifie ni ne prétend avoir répondu à cet appel.

Entendu le 5 janvier 2017 par l'inspection du travail, il était à même de faire part de cette situation, ce qu'il n'a manifestement pas fait et ne peut ainsi sérieusement prétendre n'avoir découvert que, par la suite, que ce poste, qui était disponible, avait été pourvu.

Par ailleurs, l'inspection du travail, saisie le 23 décembre 2016, disposait des informations nécessaires à son appréciation, quant au nombre de postes de responsables Blend supprimés qui résultait du document unilatéral.

En outre, au vu des éléments retenus dans la décision rendue en ce qui concerne Mme [N] (pièce commune salariés), l'inspection du travail avait connaissance de l'existence d'un poste de responsable Blend disponible. Elle a néanmoins et, après audition de M. [R], estimé que le motif économique était avéré, que les recherches de reclassement à son égard étaient suffisantes et qu'aucun lien entre la demande d'autorisation et le mandat détenu par le salarié n'était démontré.

La décision rendue le 13 janvier 2017 par l'inspection du travail autorisant l'USCA France Tabac à procéder à la rupture pour motif économique du contrat de travail de M. [R] n'a pas fait l'objet de recours et est aujourd'hui définitive.

La juridiction prud'homale n'est dès lors pas compétente pour statuer sur les demandes de M. [R] en contestation du caractère réel et sérieux de la rupture de son contrat.

Sur la demande au titre du rappel de l'indemnité de licenciement

M. [R] sollicite la confirmation du jugement déféré qui lui a alloué la somme de 1.439,98 euros au titre du rappel sur l'indemnité de licenciement qui lui a été versée.

Il fait valoir (page 73 de ses écritures) qu'il avait un salaire moyen de 2.901,98 euros par mois et une ancienneté de 32 ans et 17 jours à la date de la rupture de son contrat et qu'en vertu de l'avenant, il lui était dû une somme de 57.174,98 euros alors qu'il ne lui a été versé que celle de 55.735 euros.

Le liquidateur conclut au rejet de cette demande, exposant en page 42 de ses écritures, que l'indemnité de licenciement a été correctement calculée et qu'en tout état de cause, le salaire moyen retenu par le conseil de prud'hommes aboutit à une indemnité due de 57.072,27 euros et non 57.174,98 euros soit un solde à la charge de M. [R] de 102,71 euros (aucune demande à ce titre ne figure dans le dispositif des dernières conclusions).

L'UNEDIC demande à la cour de fixer le solde dû au titre de l'indemnité de licenciement à 1.337,27 euros et non 1.439,98 euros comme retenu par le jugement déféré, exposant que le salaire moyen de référence doit être fixé à 2.901,98 euros.

***

En vertu de l'avenant à l'accord d'établissement conclu le 18 janvier 2011 (pièce commune salariés P), l'indemnité de licenciement s'élève à 1/3 de mois par année d'ancienneté pour les 5 premières années + 2/3 de mois par année au-delà de 5 ans d'ancienneté, l'avenant précisant qu'il faut entendre par salaire, le salaire brut moyen des 12 derniers mois ou, si le calcul est plus avantageux, celui des 3 derniers mois.

Au vu des bulletins de paie de M [R], la moyenne la plus favorable (celle des trois derniers mois) doit être fixée à 2.901,98 euros.

A la date de la rupture, soit le 17 janvier 2017, M. [R] disposait d'une ancienneté de 32 ans et 17 jours.

L'indemnité de licenciement doit donc être fixée à la somme de 57.162,38 euros et le solde dû, compte tenu du montant qui lui a déjà été versé à hauteur de 55.735 euros, à la somme de 1.427,38 euros.

Les intérêts sur cette somme sont dus à compter de la réception par l'USCA France Tabac de sa convocation devant le bureau de jugement jusqu'à l'ouverture de la procédure collective et ne peuvent être capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil que jusqu'à cette date.

Sur les autres demandes

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a ordonné la délivrance d'une attestation Pôle Emploi conforme à la présente décision sauf à dire que c'est la SELARL de Keating ès qualités qui sera tenue à cette obligation, sans que la mesure d'astreinte prononcée en première instance soit justifiée, la demande de liquidation à ce titre étant dès lors rejetée.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a mis les dépens à la charge de l'USCA France Tabac et alloué à M. [R] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à tenir compte de la liquidation judiciaire prononcée depuis.

Les dépens, qui incluent les frais d'exécution, seront ainsi mis à la charge de la liquidation judiciaire qui doit supporter le paiement du rappel au titre de l'indemnité de licenciement mais il n'apparaît pas justifié de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles exposés par elles en cause d'appel, la cour rappelant que ni les dépens, ni les frais irrépétibles n'entrent dans les créances garanties par l'UNEDIC à laquelle la présente décision est déclarée opposable.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a alloué à M. [T] [R] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à la charge de l'USCA France Tabac, sauf à fixer ces sommes au passif de la liquidation judiciaire de celle-ci,

Déclare recevable la demande de la SELARL de Keating en sa qualité de liquidateur de l'USCA France Tabac tendant à voir déclarer irrecevables les demandes de M. [T] [R] en lien avec la contestation de la cause de la rupture amiable de son contrat de travail,

Déclare irrecevables les demandes de M. [T] [R] en lien avec la contestation de la cause de la rupture amiable de son contrat de travail,

Se déclare incompétente pour statuer sur les demandes de M. [T] [R] en lien avec la contestation de la cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat de travail autorisée par la DIRECCTE le 13 janvier 2017,

Fixe la créance de M. [T] [R] au passif de la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac, représenté par son liquidateur, la SELARL de Keating, à la somme de 1.427,38 euros au titre du solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement restant dû,

Dit que les intérêts sur cette somme sont dus à compter de la réception par l'USCA France Tabac de sa convocation devant le bureau de jugement jusqu'à l'ouverture de la procédure collective et ne peuvent être capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil que jusqu'à cette date,

Ordonne à la SELARL de Keating ès qualités de délivrer à M. [T] [R] une attestation Pôle Emploi rectifiée en considération du présent arrêt dans le délai de deux mois à compter de sa signification,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Dit que les dépens seront supportés par la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 19/00292
Date de la décision : 22/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-22;19.00292 ?
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