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22/06/2022 | FRANCE | N°18/06785

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 22 juin 2022, 18/06785


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 22 JUIN 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 18/06785 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KY4V







Société USCA FRANCE TABAC



S.E.L.A.R.L. [L] agissant en la personne de Me [Z] [L] es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac



c/



Madame [U] [I]



UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. DE

[Localité 3]



















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 novembre 2018 (R.G. n°F 18/00016) par le Conseil de Pr...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 22 JUIN 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 18/06785 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KY4V

Société USCA FRANCE TABAC

S.E.L.A.R.L. [L] agissant en la personne de Me [Z] [L] es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac

c/

Madame [U] [I]

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. DE [Localité 3]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 novembre 2018 (R.G. n°F 18/00016) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 19 décembre 2018,

APPELANTE :

USCA France Tabac Union de Sociétés Coopératives Agricoles, placée en liquidation judiciaire par jugement en date du 11 octobre 2021 du tribunal judiciaire de Bergerac

N° SIRET : 315 856 252 00012

S.E.L.A.R.L. [L] agissant en la personne de Me [Z] [L] es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac, désignée par jugement du Tribunal Judiciaire de PERIGUEUX du 11/10/2021

demeurant [Adresse 2]

représentée et assistée de Me Emilie MONTEYROL, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉES :

Madame [U] [I]

née le 22 Janvier 1966 à [Localité 4] de nationalité Française

demeurant [Adresse 1]

représentée et assistée de Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

UNEDIC Délégation AGS-C.G.E.A. DE [Localité 3] prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siègte social [Adresse 5]

représentée et assistée de Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 mai 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire et Madame Sophie Masson, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud

Greffier lors du prononcé: A.-Marie Lacour-Rivière

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

L'Union des Sociétés Coopératives Agricoles des Producteurs France Tabac (ci-après dénommée l'USCA France Tabac) avait pour activité la collecte, la transformation, le conditionnement, la conservation, le stockage et la commercialisation de tabacs bruts produits par les producteurs français auprès des fabricants de cigarettes pour le marché français et l'exportation.

En 2015, elle réunissait 6 coopératives agricoles représentant 910 producteurs de tabac implantés sur le territoire national.

En accord avec les coopératives associées, l'USCA France Tabac coordonnait et concrétisait l'activité de la filière tabacole française ; son niveau d'activité dépendait des volumes de production de chacune des coopératives et de la demande finale des cigarettiers en matière de volume et de qualité de tabac attendue.

Elle achetait la récolte annuelle de tabac à chaque coopérative associée puis, après transformation au sein d'une usine située à Sarlat en Dordogne, vendait la production transformée aux cigarettiers.

Le processus de production était conduit autour de trois opérations principales :

- la logistique approvisionnement avec l'achat, la réception et le stockage de la matière

première brute ;

- la valorisation des tabacs conformément aux cahiers de charge des clients ;

- la logistique de produits finis pour préparer et assurer les expéditions des mélanges envoyés aux clients.

L'usine de Sarlat comptait, avant la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de 2016 (ci-après PSE), un effectif de 57 salariés permanents affectés aux activités de transformation et de valorisation du tabac. Des saisonniers complétaient ces effectifs en période de transformation des récoltes.

L'USCA France Tabac employait également 1 salarié dans son établissement parisien.

***

Le 24 juin 2016, l'USCA France Tabac a engagé les procédures d'information et de consultation des instances représentatives du personnel (ci-après IRP) sur un projet de licenciement collectif pour motif économique concernant plus de 10 salariés.

Par décision en date du 6 octobre 2016, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral fixant le contenu du PSE établi par l'USCA France Tabac.

Ce document prévoyait la suppression de 20 postes sur les 56 existants sur le site de Sarlat (un salarié étant décédé au cours de la procédure) :

- 3 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec l'externalisation des activités de nettoyage des locaux sociaux et RH ;

- 5 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec la modification des modalités de valorisation des tabacs aux coopératives ;

- 2 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec une réorganisation des activités (chef d'atelier, maintenance) ;

- le changement de statut de 10 contrats de travail à durée indéterminée en contrats saisonniers.

Il emportait la suppression :

- de deux postes d'acheteurs regradeurs sur les 5 existant,

- des deux postes d'agents administratifs RH,

- d'un poste d'agent administratif sur les 3 existant,

- des quatre postes d'agents de contrôle,

- des deux postes de caristes,

- d'un poste de chef d'atelier sur les 4 existant,

- d'un poste d'encadrement sur les 6 existant,

- des 5 postes de manutention/nettoyage et locaux sociaux,

- d'un poste de responsable d'équipe sur les 6 existant,

- d'un poste de technicien de maintenance sur les 6 existant.

Au titre des critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral accordait une priorité à celui des qualités professionnelles décliné sous le terme de 'compétences clé' Le document précisait que « ces éléments ne prennent pas en compte les conditions d'exercice des missions, FRANCE TABAC ne disposant pas de dispositif objectif d'évaluation permettant de jauger de la qualité de réalisation des opérations. Seules leurs réalisations, sous un angle quantitatif, sont prises en compte, et peuvent être vérifiées au travers du pointage analytique des heures et de la planification hebdomadaire.

La répartition des compétences ventilées dans chacune des catégories professionnelles est établie sur la base des constats depuis le dernier PSE, à savoir les récoltes 2014 et 2015 (...) ».

Enfin, les points attribués en fonction de ces compétences clé étaient fixés à :

- 10 pour le salarié assurant une compétence clé,

- 20 pour 2 de ces compétences,

- 30 pour 3 ou plus de celles-ci.

Par ailleurs, le PSE prévoyait une première phase de départ volontaire, dans le cadre de candidatures examinées par une commission idoine, avec possibilité pour le salarié candidat à une rupture d'un commun accord pour motif économique d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle (ci-après CSP) ainsi que des aides au reclassement externe, avec notamment la mise en place d'une cellule de reclassement.

***

Madame [U] [I], née en 1966, avait été engagée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 mai 1990, au sein de l'usine de Sarlat en qualité d'agent de service de nettoyage des locaux sociaux.

Par courrier du 22 septembre 2016, Mme [I] a présenté sa candidature pour un départ volontaire, candidature qui a été retenue le 14 octobre 2016 comme ayant fait l'objet d'un avis favorable émis par la commission ad hoc prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi.

Le 14 octobre 2016, Mme [I] et l'USCA France Tabac ont conclu une convention de rupture amiable pour motif économique.

Mme [I] a adhéré au dispositif du CSP le 21 octobre 2016.

Le contrat de Mme [I] a pris fin le 4 novembre 2016 et Mme [I] a perçu au titre des indemnités de rupture une somme nette de cotisations sociales s'élevant à 41.298,44 euros (indemnité de licenciement) et une somme soumise à cotisations s'élevant à 8.000 euros (indemnité d'accompagnement au départ volontaire).

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, Mme [I] a, ainsi que d'autres salariés ayant subi la rupture de leur contrat, saisi le 28 avril 2017 le conseil de prud'hommes de Bergerac qui, par jugement rendu le 20 novembre 2018, a :

- constaté que l'USCA France Tabac n'appartient à aucun groupe, que le motif économique invoqué est réel et sérieux et que l'obligation de tentative préalable de recherche sérieuse de reclassement n'a pas été respectée,

- dit le licenciement pour motif économique de Mme [I] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné l'USCA France Tabac à verser à Mme [I] les sommes suivantes :

* 30.175 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5.029,22 euros bruts à titre d'indemnité de préavis,

* 502,92 euros bruts à titre de congés payé sur préavis,

* 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'USCA France Tabac à remettre à Mme [I] une attestation Pôle Emploi conforme à la décision sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision et dans la limite de 30 jours,

- ordonné le remboursement par l'USCA France Tabac, aux organismes intéressés, de 6 mois d'indemnités de chômage versés à Mme [I], conformément à l'article L. 1235-4 du code du travail,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, hormis en ce qui concerne l'exécution provisoire de droit telle que définie à l'article R.1454-28 du code du travail,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [I] à la somme de 2.514,61 euros,

- débouté Mme [I] du surplus de ses demandes et l'USCA France Tabac de ses demandes reconventionnelles,

- condamné l'USCA France Tabac aux dépens de l'instance et aux éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 19 décembre 2018, l'USCA France Tabac a relevé appel de cette décision.

Par jugement rendu le 11 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Bergerac, l'USCA France Tabac a été placée en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 12 juillet 2021 et la SELARL de Keating étant désignée en qualité de liquidateur.

Par acte d'huissier délivré le 10 décembre 2021 à la requête de Mme [I], la SELARL de Keating a été assignée ès qualités en intervention forcée, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 3] étant également attraite dans la procédure par acte d'huissier délivré le 17 décembre 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 avril 2022, la SELARL de Keating, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'USCA France Tabac, demande à la cour de :

In limine litis, infirmer partiellement le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable les demandes de Mme [I],

A titre subsidiaire, infirmer partiellement le jugement rendu en ce que le conseil de prud'hommes a constaté que l'obligation sérieuse de reclassement n'avait pas été respectée, en ce qu'il a condamné l'USCA France Tabac à des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents, et en ce qu'il a ordonné le remboursement des indemnités de chômage, et en tout état de cause, déduire de cette condamnation la somme de 5.029,22 euros,

En toute hypothèse,

- déclarer irrecevable toute demande à l'encontre de l'USCA France Tabac comme suite à sa mise en liquidation judiciaire,

- débouter Mme [I] de toutes ses demandes à son encontre et de toutes ses demandes de fixation au passif de l'USCA France Tabac,

- débouter Mme [I] de toutes ses demandes,

- condamner Mme [I] à payer à la SELARL De Keating, en sa qualité de liquidateur de l'USCA France Tabac, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des

avocats le 23 mars 2022, Mme [I] demande à la cour de':

- se déclarer compétente pour connaître de ses demandes,

- déclarer ses demandes recevables,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'USCA France Tabac au titre de l'indemnité de préavis outre les congés payés afférents, réglés dans le cadre de l'exécution provisoire,

- ordonner la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard d'une attestation Pôle Emploi rectifiée sur le motif du licenciement,

- liquider l'astreinte prononcée par le conseil de prud'hommes à la somme de 4.500 euros,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 4.500 euros au titre de cette astreinte,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 269,57 euros au titre de ses frais d'exécution,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine et que les intérêts seront capitalisés à son profit conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- mettre à la charge de la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac tous les dépens, en ce compris les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à l'AGS-CGEA,

- débouter l'USCA France Tabac, le liquidateur et l'AGS CGEA de l'intégralité de leurs demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 avril 2022, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 3] demande à la cour de':

Sur l'appel principal et l'appel incident,

- se déclarer incompétente pour statuer sur la réalité du motif économique et de la suppression du poste et sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi,

- rejeter en conséquence les moyens et les demandes de Mme [I] fondés sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, sur la suppression de postes ou encore sur le vice de son consentement,

- déclarer irrecevable et mal fondée la contestation de Mme [I] de la cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat,

- déclarer mal fondée la contestation de Mme [I] sur l'obligation de reclassement,

- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter Mme [I] de l'intégralité de ses demandes,

A titre très infiniment subsidiaire,

- débouter en toute hypothèse Mme [I] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents et de ses demandes de liquidation de l'astreinte et de fixation d'une nouvelle astreinte,

En cas extraordinaire de non-respect de recherche de reclassement retenu par la cour,

- fixer la créance de Mme [I] au passif de l'USCA France Tabac à la somme de 14.000 euros au visa de l'article L.1235-3 du code du travail,

Sur la garantie de l'AGS,

- déclarer opposable l'arrêt à intervenir à l'AGS CGEA de [Localité 3] dans la limite légale de sa garantie, laquelle est limitée à six fois le plafond mentionné à l'article D. 3253-5 du code du travail en vigueur en 2016 et exclut l'astreinte et l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 mai 2022.

A cette audience, la cour a informé les parties qu'elle entendait relever d'office son incompétence sur les questions relevant de la compétence de la juridiction administrative, les invitant, en tant que de besoin, à adresser une note en délibéré sur ces questions.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le liquidateur ès qualités sollicite l'infirmation partielle du jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de Mme [I].

L'UNEDIC demande quant à elle à la cour de se déclarer incompétente pour statuer sur la réalité du motif économique et de la suppression du poste et sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et de déclarer irrecevable et mal fondée la contestation de Mme [I] de la cause réelle et sérieuse de la rupture de son contrat.

Mme [I] conclut à la compétence de la juridiction prud'homale pour statuer sur ses demandes et à la recevabilité de celles-ci.

Sur la recevabilité des demandes de Mme [I] tendant à contester la cause de la rupture amiable de son contrat de travail

Mme [I] soutient que son contrat de travail a pris fin non par la convention de rupture amiable qu'elle a signée le 14 octobre 2016 mais par son acceptation du CSP, ce qui lui permettrait de contester la cause économique de la rupture.

Ni le liquidateur, ni l'UNEDIC n'ont formulé d'observations à ce sujet dans leurs écritures.

*

Nonobstant les dénégations de Mme [I], la rupture de son contrat a fait l'objet d'une convention de rupture 'd'un commun accord' pour motif économique qu'elle a signée et acceptée le 14 octobre 2006.

Le fait que ce départ volontaire se soit accompagné de son adhésion au CSP n'était que la mise en oeuvre du PSE qui prévoyait expressément cette possibilité pour les candidats au départ volontaire, cette adhésion ayant été signée postérieurement à la convention de rupture amiable, le 21 octobre 2016.

Il sera en conséquence retenu que son contrat de travail a pris fin à la suite d'une rupture d'un commun accord pour motif économique, dans le cadre d'un départ volontaire.

***

La faculté de contester judiciairement la rupture du contrat de travail d'un commun accord pour motif économique n'est pas ouverte au salarié qui a adhéré à une mesure de départ volontaire dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, sauf fraude ou vice du consentement.

Mme [I] soutient avoir été trompée par l'employeur, comme l'aurait été la DIRECCTE, car la situation économique n'était pas celle présentée, ne justifiait pas le plan de licenciement annoncé et parce que son poste n'a pas été supprimé mais maintenu sous la forme d'emplois précaires.

Elle invoque ainsi au titre de ce qu'elle qualifie de manoeuvre dolosive les éléments suivants :

« - Présentation erronée de la situation économique alors que l'USCA France Tabac a effectué des prêts d'argent aux coopératives associées de plusieurs millions d'euros, que ces coopératives associées ont une trésorerie de plusieurs millions d'euros également'

- Présentation dans le document unique d'un plan de suppression de 20 postes de travail alors qu'en réalité ces suppressions n'ont pas eu lieu par la réembauche immédiate de salariés en CDD et le recours massif à l'emploi précaire.

- Présentation d'une réorganisation du travail sur un quai imposant ces suppressions de postes alors qu'en réalité cette réorganisation n'a pas été effective.

- Promesse de recherche de reclassement non tenue par l'envoi d'un unique courrier circulaire sans aucune individualisation et même par la reprise du courrier utilisé dans le précédent plan de 2014 sans modification (!).

- Application délibérément fallacieuse des critères de licenciement afin de cibler les salariés les plus anciens et les plus coûteux et le non-respect dans l'évaluation des critères contenus dans le document unique ».

Il sera relevé en premier lieu que le document unilatéral a été homologué par la DIRECCTE, qui a relevé que le dossier était complet au sens de l'article D. 1233-14-1 du code du travail dans sa version alors applicable, qui a visé le rapport de l'expert désigné par le comité d'entreprise (cabinet SynCéa) et qui a donc pris sa décision en disposant notamment des informations économiques et comptables complètes sur la situation de l'entreprise.

Cette décision n'a fait l'objet d'aucun recours.

Or, d'une part, les comptes de résultat de l'USCA France Tabac clos au 30 juin pour les exercices des années 2014-2015, 2015-2016 et 2016-2017 versés aux débats font apparaître les éléments suivants :

- exercice 2014-2015 : perte de plus de 400.000 euros (- 407.260 euros),

- exercice 2015-2016: perte de plus de 2 millions d'euros (- 2.054.158 euros), le détail de cette perte ne résulte pas du document produit ;

- exercice 2016-2017 : excédent de plus de 200.000 euros (+ 215.586 euros), ce résultat positif étant lié non à une augmentation du résultat d'exploitation (en baisse de près de moitié) mais à l'abondement des comptes de l'entreprise par une subvention de gestion de 800.000 euros.

L'analyse de ces documents fait également ressortir l'impact de la baisse des récoltes, les charges 'achats de produits agricoles' diminuant d'un exercice à l'autre (environ 30 millions en 2014-2015, 28 millions en 2015-2016 et 23 millions en 2016-2017), baisse emportant corrélativement une diminution du chiffre d'affaires passé de 39 millions en 2014-2015, à 37 millions en 2015-2016 et à 30 millions en 2016-2017.

Le rapport du cabinet SynCéa corroboré par celui du cabinet Triesse (pièces communes salariée H, I et J) démontre que la production de tabac française reculait inexorablement depuis les années 2007, représentant moins de 5% de la production en Europe et moins de 0,2% de la production mondiale, ce recul s'accompagnant d'une augmentation des prix de vente du tabac aux transformateurs, aggravée par la diminution des aides de la PAC aux planteurs de tabac.

Cette évolution générait un alourdissement des charges de l'USCA et s'était traduite au 30 juin 2016, date d'engagement de la procédure de licenciement collectif, par la perte d'exploitation ci-avant chiffrée à plus de deux millions d'euros.

Cette perte, couplée avec des difficultés de trésorerie stigmatisées dans le rapport du cabinet SynCéa, doit conduire à retenir le caractère réel et sérieux des difficultés économiques rencontrées par l'USCA dont la capacité de traitement de 8.000 tonnes ne pouvait plus être atteinte, aucune manoeuvre dolosive ne pouvant être retenue dans la présentation faite par celle-ci dans le document unilatéral soumis aux IRP et homologué par la DIRECCTE.

Par ailleurs, ce document prévoyait la suppression de 20 postes dont les 5 postes de manutention/nettoyage et locaux sociaux de l'usine, correspondant à l'emploi qu'occupait Mme [I].

Ainsi d'une part, la critique des critères d'ordre, validés par l'autorité administrative, qui n'avaient pas à s'appliquer, est dépourvue de toute pertinence car ils n'ont pas été mis en oeuvre au sein de la catégorie professionnelle de Mme [I].

D'autre part, ainsi que le relève le liquidateur, il est justifié que l'activité permanente de nettoyage a été confiée à un prestataire extérieur (pièce B du dossier de la SELARL de Keating).

A l'examen de ses pièces 10, 11, 32 (registres du personnel 2016, 2017 et 2018) et 30 (contrat de M. [P], engagé comme agent de nettoyage du 10/11/2017 au 20/02/2018 puis du 06/03/2018 au 01/06/2018), si des agents de nettoyage ont été recrutés, c'est seulement dans le cadre de contrats saisonniers de très courte durée, ne remettant pas en cause la suppression du poste de Mme [I] ni l'interdiction prévue par l'article L. 1242-5 du code du travail dans sa version applicable au litige.

Au surplus, le document unilatéral, soumis aux IRP et homologué par la DIRECCTE prévoyait expressément le recours à de la main d'oeuvre saisonnière, de sorte que Mme [I] n'est pas fondée à invoquer là non plus l'existence de manoeuvres dolosives de l'employeur ayant vicié son consentement.

Enfin, l'existence d'un vice du consentement ne peut être retenue au titre d'une éventuelle insuffisance des recherches de reclassement.

Echouant à démontrer que son consentement a été vicié lorsqu'elle a accepté la convention de rupture amiable de son contrat pour motif économique, Mme [I] doit être déboutée de sa demande de nullité de ladite convention et n'est pas recevable en sa contestation du caractère réel et sérieux de la rupture de son contrat.

Le jugement déféré sera en conséquence infirmé dans toutes ses dispositions.

*

Sur les autres demandes

Mme [I], partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens mais il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la SELARL de Keating ès qualités la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Déboute Mme [U] [I] de sa demande de nullité de la convention de rupture amiable de son contrat de travail pour motif économique,

Déclare Mme [U] [I] irrecevable en sa contestation du caractère réel et sérieux de la rupture de son contrat,

Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [U] [I] aux dépens.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 18/06785
Date de la décision : 22/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-22;18.06785 ?
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