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22/06/2022 | FRANCE | N°18/06784

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Chambre sociale section a, 22 juin 2022, 18/06784


COUR D'APPEL DE [Localité 2]



CHAMBRE SOCIALE - SECTION A



--------------------------







ARRÊT DU : 22 JUIN 2022







PRUD'HOMMES



N° RG 18/06784 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KY4T









Société USCA FRANCE TABAC



S.E.L.A.R.L. [K] prise en la personne de Me [D] [K] es qualté de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac



c/



Monsieur [H] [S]



UNEDIC Délégation AGS-C

GEA de [Localité 2]















Nature de la décision : AU FOND

















Grosse délivrée le :



à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 novembre 2018 (R.G. n°F 18/00010) par le Conseil de Prud'h...

COUR D'APPEL DE [Localité 2]

CHAMBRE SOCIALE - SECTION A

--------------------------

ARRÊT DU : 22 JUIN 2022

PRUD'HOMMES

N° RG 18/06784 - N° Portalis DBVJ-V-B7C-KY4T

Société USCA FRANCE TABAC

S.E.L.A.R.L. [K] prise en la personne de Me [D] [K] es qualté de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac

c/

Monsieur [H] [S]

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 2]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

à :

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 novembre 2018 (R.G. n°F 18/00010) par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BERGERAC, Section Commerce, suivant déclaration d'appel du 19 décembre 2018,

APPELANTE :

USCA France Tabac Union de Sociétés Coopératives Agricoles, placée en

liquidation judiciaire par jugement du 11 octobre 2021 par le tribunal judiciaire de Bergerac

N° SIRET : 315 856 252 00012

S.E.L.A.R.L. [K] prise en la personne de Me [D] [K] es qualité de mandataire liquidateur de l'Union des Sociétés Coopératives Agricoles France Tabac, désigné par jugement du Tribunal Judiciaire de PERIGUEUX du 11/10/2021, demeurant [Adresse 1]

représentée et assistée de Me Emilie MONTEYROL, avocat au barreau de [Localité 2]

INTIMÉS :

Monsieur [H] [S]

né le 19 Octobre 1963 à [Localité 4] de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]

représenté et assisté de Me Frédérique POHU PANIER, avocat au barreau de PERIGUEUX

UNEDIC Délégation AGS-CGEA de [Localité 2], prise en la personne de son directeur domicilié en cette qualité au siège social, [Adresse 3]

représentée et assistée de Me Philippe DUPRAT de la SCP DAGG, avocat au barreau de [Localité 2]

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 mai 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvie Hylaire, présidente chargée d'instruire l'affaire et Madame Sophie Masson, conseillère

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Sylvie Hylaire, présidente

Madame Catherine Rouaud-Folliard, présidente

Madame Sophie Masson, conseillère

Greffier lors des débats : Evelyne Gombaud

Greffier lors du prononcé: A.-Marie Lacour-Rivière

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

L'Union des Sociétés Coopératives Agricoles des Producteurs France Tabac (ci-après dénommée l'USCA France Tabac) avait pour activité la collecte, la transformation, le conditionnement, la conservation, le stockage et la commercialisation de tabacs bruts produits par les producteurs français auprès des fabricants de cigarettes pour le marché français et l'exportation.

En 2015, elle réunissait 6 coopératives agricoles représentant 910 producteurs de tabac implantés sur le territoire national.

En accord avec les coopératives associées, l'USCA France Tabac coordonnait l'activité de la filière tabacole française ; son niveau d'activité dépendait des volumes de production de chacune des coopératives et de la demande finale des cigarettiers en matière de volume et de qualité de tabac attendue.

Elle achetait la récolte annuelle de tabac à chaque coopérative associée puis, après transformation au sein d'une usine située à Sarlat en Dordogne, vendait la production transformée aux cigarettiers.

Le processus de production était conduit autour de trois opérations principales :

- la logistique approvisionnement avec l'achat, la réception et le stockage de la matière

première brute ;

- la valorisation des tabacs conformément aux cahiers de charge des clients ;

- la logistique de produits finis pour préparer et assurer les expéditions des mélanges envoyés aux clients.

L'usine de Sarlat comptait, avant la mise en oeuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de 2016 (ci-après PSE), un effectif de 57 salariés permanents affectés aux activités de transformation et de valorisation du tabac. Des saisonniers complétaient ces effectifs en période de transformation des récoltes.

L'USCA France Tabac employait également 1 salarié dans son établissement parisien.

***

Le 24 juin 2016, l'USCA France Tabac a engagé les procédures d'information et de consultation des instances représentatives du personnel (ci-après IRP) sur un projet de licenciement collectif pour motif économique concernant plus de 10 salariés.

Par décision en date du 6 octobre 2016, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral fixant le contenu du PSE établi par l'USCA France Tabac.

Ce document prévoyait sur le site de Sarlat la suppression de 20 postes sur les 56 existants (un salarié étant décédé au cours de la procédure) :

- 3 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec l'externalisation des activités de nettoyage des locaux sociaux et RH ;

- 5 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec la modification des modalités de valorisation des tabacs aux coopératives ;

- 2 contrats de travail à durée indéterminée en lien avec une réorganisation des activités (chef d'atelier, maintenance) ;

- le changement de statut de 10 contrats de travail à durée indéterminée en contrats saisonniers.

Il emportait la suppression :

- de deux postes d'acheteurs regradeurs sur les 5 existant,

- des deux postes d'agents administratifs RH,

- d'un poste d'agent administratif sur les 3 existant,

- des quatre postes d'agents de contrôle,

- des deux postes de caristes,

- d'un poste de chef d'atelier sur les 4 existant,

- d'un poste d'encadrement sur les 6 existant,

- des 5 postes de manutention/nettoyage et locaux sociaux,

- d'un poste de responsable d'équipe sur les 6 existant,

- d'un poste de technicien de maintenance sur les 6 existant.

Au titre des critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral accordait une priorité à celui des qualités professionnelles décliné sous le terme de 'compétences clé' Le document précisait que « ces éléments ne prennent pas en compte les conditions d'exercice des missions, FRANCE TABAC ne disposant pas de dispositif objectif d'évaluation permettant de jauger de la qualité de réalisation des opérations. Seules leurs réalisations, sous un angle quantitatif, sont prises en compte, et peuvent être vérifiées au travers du pointage analytique des heures et de la planification hebdomadaire.

La répartition des compétences ventilées dans chacune des catégories professionnelles est établie sur la base des constats depuis le dernier PSE, à savoir les récoltes 2014 et 2015 (...) ».

Enfin, les points attribués en fonction de ces compétences clé étaient fixés à :

- 10 pour le salarié assurant une compétence clé,

- 20 pour 2 de ces compétences,

- 30 pour 3 ou plus de celles-ci.

Par ailleurs, le PSE prévoyait une première phase de départ volontaire, dans le cadre de candidatures examinées par une commission idoine, avec possibilité pour le salarié candidat à une rupture d'un commun accord pour motif économique d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle (ci-après CSP) ainsi que des aides au reclassement externe, avec notamment la mise en place d'une cellule de reclassement.

***

Monsieur [H] [S], né en 1963, avait été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 27 août 1990, au sein de l'usine de Sarlat, en qualité d'agent nettoyage chaîne.

Après avoir occupé divers postes de travail, M. [S] occupait à nouveau le poste d'agent nettoyage chaîne lorsque la procédure de licenciement collectif a été mise en oeuvre.

Son salaire moyen des douze derniers mois précédant la rupture de son contrat s'élevait à 2.547,59 euros.

M. [S] a adhéré au CSP le 26 octobre 2016 et la rupture de son contrat est devenue effective le 4 novembre 2016.

Il a perçu au titre des indemnités de rupture une somme nette de cotisations sociales s'élevant à 44.197,80 euros.

Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, M. [S] a, ainsi que d'autres salariés ayant subi la rupture de leur contrat, saisi le 28 avril 2017 le conseil de prud'hommes de Bergerac qui par, jugement rendu le 20 novembre 2018, a :

- constaté que l'USCA France Tabac n'appartient à aucun groupe, que le motif économique invoqué est réel et sérieux et que l'obligation de tentative préalable de recherche sérieuse de reclassement n'a pas été respectée,

- requalifié le licenciement pour motif économique de M. [S] en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamné l'USCA France Tabac à verser à M. [S] les sommes suivantes :

* 30.571,08 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5.095,18 euros bruts à titre d'indemnité de préavis et 509,52 euros bruts au titre des congés payés afférents,

* 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'USCA France Tabac à remettre à M. [S] une attestation Pôle Emploi conforme à la décision sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter du 15ème jour suivant la notification de la décision et dans la limite de 30 jours, se réservant la compétence pour liquider ladite astreinte,

- ordonné le remboursement par l'USCA France Tabac, aux organismes intéressés, de 6 mois d'indemnités de chômage versés à M. [S] conformément à l'article L. 1235-4 du code du travail,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire, hormis en ce qui concerne l'exécution provisoire de droit telle que définie à l'article R.1454-28 du code du travail,

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de M. [S] à la somme de 2.547,59 euros,

- débouté M. [S] du surplus de ses demandes et l'USCA France Tabac de ses demandes reconventionnelles,

- condamné l'USCA France Tabac aux dépens de l'instance et aux éventuels frais d'exécution.

Par déclaration du 19 décembre 2018, l'USCA France Tabac a relevé appel de cette décision.

Par jugement rendu le 11 octobre 2021 par le tribunal de commerce de Bergerac, l'USCA France Tabac a été placée en liquidation judiciaire, la date de cessation des paiements étant fixée au 12 juillet 2021 et la SELARL de Keating étant désignée en qualité de liquidateur.

Par acte d'huissier délivré le 10 décembre 2021 à la requête de M. [S], la SELARL de Keating a été assignée ès qualités en intervention forcée, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 2] étant également attraite dans la procédure par acte d'huissier délivré le 17 décembre 2021.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 avril 2022, la SELARL de Keating, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de l'USCA France Tabac, sollicite l'infirmation partielle du jugement rendu en ce que le conseil de prud'hommes a constaté que l'obligation sérieuse de reclassement n'avait pas été respectée, en ce qu'il a condamné l'USCA France Tabac à des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à l'indemnité de préavis outre les congés payés y afférents et en ce qu'il l'a condamnée au remboursement des indemnités de chômage, et en tout état de cause, déduire de cette condamnation la somme de 5.095,18 euros.

En toute hypothèse, la SELARL de Keating ès qualités demande à la cour que :

- toute demande à l'encontre de l'USCA France Tabac comme suite à sa mise en liquidation judiciaire soit déclarée irrecevable,

- M. [S] soit débouté de toutes ses demandes à son encontre et de toutes ses demandes de fixation au passif de l'USCA France Tabac,

- M. [S] soit débouté de toutes ses demandes,

- M. [S] soit condamné à payer à la SELARL de Keating, en sa qualité de liquidateur de l'USCA France Tabac, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 mars 2022, M. [S] demande à la cour de'se déclarer compétente pour connaître de ses demandes, de confirmer le jugement en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et de :

A titre principal :

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

Subsidiairement :

- dire que l'USCA France Tabac n'a pas respecté les règles relatives à l'ordre des licenciements,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la perte injustifiée de son emploi,

En tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'USCA France Tabac au titre de l'indemnité de préavis outre les congés payés afférents réglés dans le cadre de l'exécution provisoire,

- ordonner la remise sous astreinte de 150 euros par jour de retard d'une attestation Pôle Emploi rectifiée sur le motif du licenciement,

- liquider l'astreinte prononcée par le conseil de prud'hommes à la somme de 4.500 euros,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 4.500 euros au titre de cette astreinte,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 270,56 euros au titre de ses frais d'exécution,

- fixer sa créance à la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac à la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la date de saisine et que les intérêts seront capitalisés à son profit conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil,

- mettre à la charge de la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac tous les dépens, en ce compris les éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir,

- déclarer l'arrêt à intervenir commun et opposable à l'AGS-CGEA,

- débouter l'USCA France Tabac, le liquidateur et l'AGS CGEA de l'intégralité de leurs demandes.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 avril 2022, l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 2] demande à la cour de':

Sur l'appel principal et l'appel incident,

- se déclarer incompétente pour statuer sur la réalité du motif économique et de la suppression du poste et sur la définition des catégories professionnelles, sur les critères d'ordre et leur pondération définies dans le plan de sauvegarde de l'emploi,

- rejeter en conséquence les moyens et les demandes de M. [S] fondés sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi ;

En conséquence et en toute hypothèse,

- réformer le jugement rendu en ce que le conseil de prud'hommes a octroyé une indemnité compensatrice de préavis et débouter M. [S] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,

- réformer le jugement en ce qu'il a ordonné, sous astreinte, la délivrance des documents de rupture avec une fin de contrat à l'expiration du préavis et débouter M. [S] de sa demande de liquidation de l'astreinte et de la fixation d'une nouvelle astreinte,

Pour le surplus,:

- juger que l'USCA France Tabac n'a pas failli à son obligation de recherche de reclassement, en conséquence, réformer le jugement déféré et débouter M. [S] de sa demande de dommages et intérêts pour défaut ou insuffisance de recherche de reclassement,

- débouter M. [S] de sa demande subsidiaire de dommages et intérêts pour violation des critères d'ordre des licenciements ;

Subsidiairement, en cas de confirmation de l'insuffisance de recherche de reclassement,

- fixer la créance de M. [S] au passif de l'USCA France Tabac à la somme de 15.000 euros au visa de l'article L.1235-3 du code du travail,

- débouter M. [S] du surplus de sa demande indemnitaire, faute de préjudice supérieur subi ;

Subsidiairement, en cas de violation retenue des critères d'ordre,

- fixer la créance de M. [S] au passif de l'USCA France Tabac à la somme maximale de 2.400 euros,

- débouter M. [S] du surplus de sa demande indemnitaire, faute de préjudice supérieur subi ;

Sur la garantie de l'AGS,

- déclarer opposable l'arrêt à intervenir à l'AGS CGEA de [Localité 2] dans la limite légale de sa garantie, laquelle est limitée à six fois le plafond mentionné à l'article D. 3253-5 du code du travail en vigueur en 2016 et exclut l'astreinte et l'indemnité allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 avril 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 mai 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure antérieure, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ainsi qu'au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'exception d'incompétence soulevée par l'UNEDIC

L'Unedic demande à titre principal à la cour de se déclarer incompétente pour statuer sur la réalité du motif économique et de la suppression de poste, sur la définition des catégories professionnelles, sur les critères d'ordre et leur pondération définies dans le PSE, dont le contenu a été définitivement validé par la DIRECCTE.

M. [S] fait valoir que le juge judiciaire demeure compétent pour statuer sur sa demande individuelle en contestation de son licenciement portant notamment sur la mise en oeuvre du PSE, son application aux salariés et sur les événements survenus

postérieurement à l'homologation du document unilatéral soumis par l'employeur à l'autorité administrative.

***

Lorsque la rupture du contrat de travail intervient dans le cadre d'une procédure de licenciement collectif pour motif économique, mise en oeuvre à la suite d'un document unilatéral portant PSE homologué par l'autorité administrative, le juge judiciaire demeure compétent pour apprécier :

- la cause économique de la rupture,

- le respect par l'employeur de l'obligation individuelle de reclassement mais d'une part, cette appréciation ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document élaboré par l'employeur par lequel a été fixé le contenu du plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi et ne peut donc emporter contrôle du y figurant dans ce plan ; d'autre part, le juge judiciaire ne peut, sous couvert de manquement à l'obligation individuelle de reclassement, examiner les demandes des salariés ne tendant qu'à contester les recherches de postes de reclassement dans l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi,

- la mise en oeuvre des critères d'ordre des licenciements mais non leur validité.

C'est donc sous ces réserves que seront examinées les demandes de M. [S].

Sur la demande de M. [S] au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement

M. [S] sollicite la requalification de son licenciement en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse contestant la réalité du motif économique allégué et invoquant le non-respect par l'employeur de son obligation de reclassement.

Sur le motif économique

En vertu des dispositions de l'article L. 1233-16, dans sa version en vigueur à la date du licenciement de M. [S], la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur.

L'employeur qui envisage un licenciement pour motif économique doit proposer le contrat de sécurisation professionnelle au salarié qui dispose d'un délai de réflexion de 21 jours pour y souscrire.

Il doit également notifier les motifs de la rupture du contrat de travail au salarié qui accepte le contrat de sécurisation professionnelle par un document écrit, remis contre décharge ou envoyé par lettre recommandée avec avis de réception adressée au plus tard au moment de l'acceptation du contrat.

A défaut, la rupture du contrat de travail est dépourvue de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, aucune des parties, et notamment pas l'appelant, n'a produit la lettre adressée à M. [S] contenant les motifs économiques à l'origine de la procédure de licenciement engagée à son encontre.

Contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, il n'appartient pas à la juridiction prud'homale d'apprécier la réalité des difficultés économiques au regard du seul document unilatéral versé aux débats et il incombe aux parties de rapporter la preuve des faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

Compte tenu de la carence de l'appelant, la cour est dans l'impossibilité de vérifier le caractère réel et sérieux du motif économique à la fois dans son élément originel

(difficultés économiques et/ou sauvegarde de la compétitivité) et dans son élément matériel (suppression ou transformation d'emploi).

Le licenciement doit en conséquence être déclaré dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes pécuniaires de M. [S]

M. [S] sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a fait droit à sa demande en paiement de la somme de 5.095,18 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de celle de 509,52 euros pour les congés payés afférents.

*

En l'absence de justification du motif économique du licenciement, le CSP devient sans cause et l'employeur est tenu au paiement du préavis.

Au vu des bulletins de salaire de M. [S] et de son ancienneté, il sera fait droit à sa demande à ce titre.

***

M. [S] sollicite également le paiement de la somme de 90.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Au soutien de sa demande, il invoque notamment les conditions vexatoires de son licenciement au regard de la polyvalence dont il avait su faire preuve au sein de l'entreprise et le fait qu'il n'a pas retrouvé d'emploi.

Le liquidateur et l'UNEDIC concluent au caractère excessif de cette demande au regard des indemnités de rupture perçues, de l'accompagnement par la cellule de reclassement dont M. [S] a bénéficié, du fait que celui-ci s'est vu reconnaître le statut de travailleur handicapé et perçoit à ce titre une pension d'invalidité de 800 euros par mois et qu'il n'a donné aucune suite à la proposition d'emploi saisonnier qui lui a été adressée.

***

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [S], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure de lui allouer la somme de 40.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige.

En application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail, il sera ordonné le remboursement par le liquidateur ès qualités à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées au salarié depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités, compte tenu de la situation de l'entreprise.

Le cadre de la présente instance à laquelle Pôle Emploi n'est pas partie ne permet pas de faire droit à la demande de déduction présentée par le liquidateur auquel il appartiendra, le cas échéant, de solliciter le remboursement des sommes indûment versées.

Sur les autres demandes

Les intérêts sur ces sommes sont dus à compter de la réception par l'USCA France Tabac de sa convocation devant le bureau de jugement pour les créances salariales, à compter de la décision déférée pour la créance indemnitaire, dans la limite de la somme allouée, jusqu'à l'ouverture de la procédure collective et ne peuvent être capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil que jusqu'à cette date,

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a ordonné la délivrance d'une attestation Pôle Emploi conforme à la présente décision, tenant compte du préavis, sauf à dire que c'est la SELARL de Keating ès qualités qui sera tenue à cette obligation, sans que la mesure d'astreinte prononcée en première instance soit justifiée, la demande de liquidation à ce titre étant dès lors rejetée.

Elle sera également confirmée en ce qu'elle a mis les dépens à la charge de l'USCA France Tabac et alloué à M. [S] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sauf à tenir compte de la liquidation judiciaire prononcée depuis.

Les dépens, qui incluent les frais d'exécution, seront ainsi mis à la charge de la liquidation judiciaire et il sera alloué à M. [S] la somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel, la cour rappelant que ni les dépens, ni les frais irrépétibles n'entrent dans les créances garanties par l'UNEDIC à laquelle la présente décision est opposable.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Se déclare compétente pour statuer sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de M. [H] [S],

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a retenu que le licenciement de M. [H] [S] était dépourvu de cause réelle et sérieuse et lui a alloué les sommes de 5.095,18 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, de 509,52 euros bruts pour les congés payés afférents outre 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et mis les dépens à la charge de l'USCA France Tabac, sauf à fixer ces créances au passif de la liquidation judiciaire de celle-ci,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Fixe la créance de M. [H] [S] au passif de la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac, représentée par son liquidateur, la SELARL de Keating, aux sommes suivantes :

- 5.095,18 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre 509,52 euros bruts pour les congés payés afférents,

- 40.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,

- 1.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,

Dit que les intérêts sur ces sommes sont dus à compter de la réception par l'USCA France Tabac de sa convocation devant le bureau de jugement pour les créances salariales, à compter de la décision déférée pour la créance indemnitaire, dans la limite de la somme allouée, jusqu'à l'ouverture de la procédure collective et ne peuvent être capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil que jusqu'à cette date,

Ordonne à la SELARL de Keating ès qualités de délivrer à M. [H] [S] une attestation Pôle Emploi rectifiée en considération du présent arrêt, soit tenant compte du préavis, dans le délai de deux mois à compter de sa signification,

Ordonne le remboursement par à la SELARL de Keating en sa qualité de liquidateur de l'USCA France Tabac à Pôle Emploi des indemnités de chômage versées à M. [H] [S] depuis son licenciement dans la limite d'un mois d'indemnités,

Déclare le présent arrêt opposable à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA de [Localité 2], dans les limites légales et réglementaires de sa garantie, qui exclut les frais irrépétibles et les dépens, et du plafond applicable,

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions,

Dit que les dépens seront supportés par la liquidation judiciaire de l'USCA France Tabac.

Signé par Sylvie Hylaire, présidente et par A.-Marie Lacour-Rivière, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

A.-Marie Lacour-Rivière Sylvie Hylaire


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Chambre sociale section a
Numéro d'arrêt : 18/06784
Date de la décision : 22/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-22;18.06784 ?
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